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Comment la Berbèrie est devenue le Maghreb arabe
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Les pays de l’Afrique du Nord sont aujourd’hui des États musulmans qui revendiquent, à juste titre, leur double appartenance à la communauté musulmane et au monde arabe. Or ces États, après bien des vicissitudes, ont pris la lointaine succession d’une Afrique qui, à la fin de l’Antiquité, appartenait aussi sûrement au monde chrétien et à la communauté latine. Ce changement culturel, qui peut passer pour radical, ne s’est cependant accompagné d’aucune modification ethnique importante : Ce sont bien les mêmes hommes, ces Berbères dont beaucoup se croyaient romains et dont la plupart se sentent aujourd’hui arabes.
Comment expliquer cette transformation, qui apparaît d’autant plus profonde qu’il subsiste, dans certains de ces États mais dans des proportions très différentes, des groupes qui, tout en étant parfaitement musulmans, ne se considèrent nullement arabes et revendiquent aujourd’hui leur culture berbère [1] ?
Il importe, en premier lieu, de distinguer l’Islam de l’arabisme. Certes, ces deux concepts, l’un religieux, l’autre ethno-sociologique, sont très voisins l’un de l’autre puisque l’Islam est né chez les Arabes et qu’il fut, au début, propagé par eux. Il existe cependant au Proche-Orient des populations arabes ou arabisées qui sont demeurées chrétiennes, et on dénombre des dizaines de millions de musulmans qui ne sont ni arabes ni même arabisés (Noirs africains, Turcs, Iraniens, Afghans, Pakistanais, Indonésiens…). Tous les Berbères auraient pu, comme les Perses et les Turcs, être islamisés en restant eux-mêmes, en conservant leur langue, leur organisation sociale, leur culture. Apparemment, cela leur aurait même été plus facile puisqu’ils étaient plus nombreux que certaines populations qui ont conservé leur identité au sein de la communauté musulmane et qu’ils étaient plus éloignés du foyer initial de l’Islam.
Comment expliquer, aussi, que les provinces romaines d’Afrique, qui avaient été évangélisées au même rythme que les autres provinces de l’Empire romain et qui possédaient des églises vigoureuses, aient été entièrement islamisées alors qu’aux portes de l’Arabie ont subsisté des populations chrétiennes : Coptes des pays du Nil, Maronites du Liban, Nestoriens et Jacobites de Syrie et d’Iraq ?
Pour répondre à ces questions, l’historien doit remonter bien au-delà de l’événement que fut la conquête arabe du VIIe siècle. Cette conquête, si elle permit l’islamisation, ne fut pas, cependant, la cause déterminante de l’arabisation. Celle-ci, qui lui fut postérieure de plusieurs siècles et qui n’est pas encore achevée, a des raisons beaucoup plus profondes ; en fait, dès la fin de l’Empire romain, nous assistons à un scénario qui en est comme l’image prophétique.
La fin d’un monde
Rome avait dominé l’Afrique, mais les provinces qu’elle y avait établies : Africa (divisée en Byzacène et Zeugitane), Numidie d’où avait été retranchée la Tripolitaine, les Maurétanies Sitifienne, Césarienne et Tingitane, avaient été romanisées à des degrés divers. En fait, il y eut deux Afrique romaines : À l’est, la province d’Afrique et son prolongement militaire, la Numidie, étaient très peuplés, prospères et largement urbanisés ; à l’ouest, les Maurétanies étaient des provinces de second ordre, limitées aux seules terres cultivables du Tell, alors qu’en Numidie et surtout en Tripolitaine, Rome est présente jusqu’en plein désert. Après le 1er siècle, toutes les grandes révoltes berbères qui secouèrent l’Afrique romaine eurent pour siège les Maurétanies.
Néanmoins Rome avait réussi, pendant quatre siècles, à contrôler les petits nomades des steppes ; grâce au système complexe du limes, elle contrôlait et filtrait leurs déplacements vers le Tell et les régions mises en valeur. C’était une organisation du terrain en profondeur, comprenant des fossés, des murailles qui barraient les cols, des tours de guet, des fermes fortifiées et des garnisons établies dans des castella. R. Rebuffat, qui fouille un de ces camps à Ngem (Tripolitaine), a retrouvé les modestes archives de ce poste. Ces archives sont des ostraca, simples tessons sur lesquels étaient mentionnés, en quelques mots, les moindres événements : l’envoi en mission d’un légionnaire chez les Garamantes, ou le passage de quelques Garamantes conduisant quatre bourricots (Garamantes ducentes asinos IV…). Dès le IIe siècle, des produits romains, amphores, vases en verre, bijoux étaient importés par les Garamantes jusque dans leurs lointains ksour du Fezzan et des architectes romains construisaient des mausolées pour les familles princières de Garama (Djerma). Légionnaires et auxiliaires patrouillaient le long de pistes jalonnées de citernes et de postes militaires autour desquels s’organisaient de petits centres agricoles.
Trois siècles plus tard, la domination romaine s’effondre ; ce désert paisible s’est transformé en une bouche de l’enfer, d’où se ruent, vers les anciennes provinces, de farouches guerriers, les Levathae, les mêmes que les auteurs arabes appelleront plus tard Louata, qui appartiennent au groupe botr. Ces nomades chameliers, venus de l’est, pénètrent dans les terres méridionales de la Byzacène et de Numidie qui avaient été mises en valeur au prix d’un rude effort soutenu pendant des siècles et font reculer puis disparaître l’agriculture permanente, en particulier ces olivettes dont les huileries ruinées parsèment aujourd’hui une steppe désolée [2].
Cette irruption de la vie nomade dans l’Afrique « utile » devait avoir des conséquences incalculables. Modifiant durablement les genres de vie, elle prépare et annonce l’arabisation.
Le second événement historique qui bouleversa la structure sociologique du monde africain fut la conquête arabe.
Cette conquête fut facilitée par la faiblesse des Byzantins qui avaient détruit le royaume vandale et reconquis une partie de l’Afrique (533). Mais l’Afrique byzantine n’est plus l’Afrique romaine. Depuis deux siècles, ce malheureux pays était la proie de l’anarchie ; tous les ferments de désorganisation et de destruction économique s’étaient rassemblés. Depuis le débarquement des Vandales (429), la plus grande partie des anciennes provinces échappait à l’administration des États héritiers de Rome. Le royaume vandale, en Afrique, ne s’étendait qu’à la Tunisie actuelle et à une faible partie de l’Algérie orientale limitée au sud par l’Aurès et à l’est par le méridien de Constantine.
Dès la fin du règne de Thrasamond, vers 520, les nomades chameliers du groupe zénète pénètrent en Byzacène sous la conduite de Cabaon [3]. À partir de cette date, Vandales puis Byzantins doivent lutter sans cesse contre leurs incursions.
Le poème épique du dernier écrivain latin d’Afrique, la Johannide de Corippus, raconte les combats que le commandant des forces byzantines, Jean Troglita, dut conduire contre ces terribles adversaires alliés aux Maures de l’intérieur. Ces Berbères Laguantan ( = Levathae = Louata) sont restés païens. Ils adorent un dieu représenté par un taureau nommé Gurzil et un dieu guerrier, Sinifere [4]. Leurs chameaux, qui effrayent les chevaux de la cavalerie byzantine, sont disposés en cercle et protègent ainsi femmes et enfants qui suivent les nomades dans leurs déplacements.
Du reste de l’Afrique, celle que C. Courtois avait appelée l’Afrique oubliée, et qui correspond, en gros, aux anciennes Maurétanies, nous ne connaissons, pour cette période de deux siècles, que des noms de chefs, de rares monuments funéraires (Djedars près de Saïda, Gour près de Meknès) et les célèbres inscriptions de Masties, à Arris (Aurès), qui s’était proclamé empereur, et de Masuna, « roi des tribus maures et des Romains » à Altava (Oranie). On devine, à travers les bribes transmises par les historiens comme Procope et par le contenu même de ces inscriptions, que l’insécurité n’était pas moindre dans ces régions « libérées » [5].
Les querelles théologiques sont un autre ferment de désordre, elles ne furent pas moins fortes chez les Chrétiens d’Afrique que chez ceux d’Orient. L’Église, qui avait eu tant de mal à lutter contre le schisme donatiste, est affaiblie, dans le royaume vandale, par les persécutions, car l’arianisme est devenu religion d’État. L’orthodoxie triomphe certes à nouveau dès le règne d’Hildéric. Les listes épiscopales du Concile de 525 révèlent combien l’Église africaine avait souffert pendant le siècle qui suivit la mort de Saint Augustin. Non seulement de nombreux évêchés semblent avoir déjà disparu, mais surtout le particularisme provincial et le repliement accompagnent la rupture de l’État romain.
La reconquête byzantine fut, en ce domaine, encore plus désastreuse [6]. Elle réintroduisit en Afrique de nouvelles querelles sur la nature du Christ : le Monophysisme et la querelle des Trois Chapitres, sous Justinien, ouvrent la période byzantine en Afrique ; la tentative de conciliation proposée par Héraclius, le Monothélisme, à son tour condamné comme une nouvelle hérésie, clôt cette même période. Alors même que la conquête arabe est commencée, une nouvelle querelle, née de l’initiative de l’empereur Constant II, celle du Type, déchire encore l’Afrique chrétienne (648).
En même temps s’accroît la complexité sociologique, voire ethnique, du pays. Aux romano-africains des villes et des campagnes, parfois très méridionales (comme la société paysanne que font connaître les « Tablettes Albertini », archives notariales sur bois de cèdre, trouvées à une centaine de kilomètres au Sud de Tébessa) [7] et aux Maures non romanisés issus des gentes paléoberbères, se sont ajoutés les nomades « zénètes », les Laguantan et leurs émules, les débris du peuple vandale, le corps expéditionnaire et les administrateurs byzantins qui sont des Orientaux. Cette société devient de plus en plus cloisonnée dans un pays où s’estompe la notion même de l’État.
C’est dans un pays désorganisé, appauvri et déchiré qu’apparaissent, au milieu du VIIe siècle, les conquérants arabes.
La conquête arabe
La conquête arabe, on le sait, ne fut pas une tentative de colonisation, c’est-à-dire une entreprise de peuplement. Elle se présente comme une suite d’opérations exclusivement militaires, dans lesquelles le goût du lucre se mêlait facilement à l’esprit missionnaire. Contrairement à une image très répandue dans les manuels scolaires, cette conquête ne fut pas le résultat d’une chevauchée héroïque, balayant toute opposition d’un simple revers de sabre.
Le Prophète meurt en 632 ; dix ans plus tard les armées du Calife occupaient l’Égypte et la Cyrénaïque (l’Antâbulus, corruption de Pentapolis). En 643, elles pénètrent en Tripolitaine, ayant Amrû ben al-Aç à leur tête. Sous les ordres d’Ibn Sâ’d, gouverneur d’Égypte, un raid est dirigé sur les confins de l’Ifriqîya (déformation arabe du nom de l’ancienne Africa), alors en proie à des convulsions entre Byzantins et Berbères révoltés et entre Byzantins eux-mêmes. Cette opération révéla à la fois la richesse du pays et ses faiblesses. Elle alluma d’ardentes convoitises. L’historien En-Noweiri décrit avec quelle facilité fut levée une petite armée, composée de contingents fournis par la plupart des tribus arabes, qui partit de Médine en octobre 647. Cette troupe ne devait pas dépasser 5 000 hommes, mais en Égypte, Ibn Sâ’d, qui en prit le commandement, lui adjoignit un corps levé sur place qui porta à 20 000 le nombre de combattants musulmans. Le choc décisif contre les « Roms » (Byzantins) commandés par le patrice Grégoire eut lieu près de Suffetula (Sbeitla), en Tunisie. Grégoire fut tué. Mais, ayant pillé le plat pays et obtenu un tribut considérable des cités de Byzacène, les Arabes se retirèrent satisfaits en 648. L’opération n’avait pas eu d’autre but. Elle aurait duré quatorze mois.
La conquête véritable ne fut entreprise que sous le calife Moawia, qui confia le commandement d’une nouvelle armée à Moawia ibn Hodeidj en 666. Trois ans plus tard semble-t-il [8], Oqba ben Nafê fonde la place de Kairouan, première ville musulmane au Maghreb. D’après les récits, transmis avec de nombreuses variantes par les auteurs arabes, Oqba multiplia, au cours de son second gouvernement, les raids vers l’Ouest, s’empara de villes importantes, comme Lambèse qui avait été le siège de la IIIe Légion et la capitale de la Numidie romaine. Il se dirigea ensuite vers Tahert, près de la moderne Tiaret, puis atteignit Tanger, où un certain Yuliân (Julianus) lui décrivit les Berbères du Sous (Sud marocain) sous un jour fort peu sympathique : « C’est, disait-il, un peuple sans religion, ils mangent des cadavres, boivent le sang de leurs bestiaux, vivent comme des animaux car ils ne croient pas en Dieu et ne le connaissent même pas ». Oqba en fit un massacre prodigieux et s’empara de leurs femmes qui étaient d’une beauté sans égale. Puis Oqba pénétra à cheval dans l’Atlantique, prenant Dieu à témoin « qu’il n’y avait plus d’ennemis de la religion à combattre ni d’infidèles à tuer »[9].
Ce récit, en grande partie légendaire, doublé par d’autres qui font aller Oqba jusqu’au fin fond du Fezzan avant de combattre dans l’extrême Occident, fait bon marché de la résistance rencontrée par ces expéditions. Celle d’Oqba finit même par un désastre qui compromit pendant cinq ans la domination arabe en Ifriqîya. Le chef berbère Koceila, un Aouréba donc un Brânis, déjà converti à l’Islam, donna le signal de la révolte. La troupe d’Oqba fut écrasée sur le chemin du retour, au Sud de l’Aurès [10], et lui-même fut tué à Tehuda, près de la ville qui porte son nom et renferme son tombeau, Sidi Oqba. Koceila marcha sur Kairouan et s’empara de la cité. Ce qui restait de l’armée musulmane se retira jusqu’en Cyrénaïque. Campagnes et expéditions se succèdent presque annuellement. Koceila meurt en 686, Carthage n’est prise par les Musulmans qu’en 693 et Tunis fondée en 698. Pendant quelques années, la résistance fut conduite par une femme, une Djeraoua, une des tribus zénètes maîtresses de l’Aurès. Cette femme, qui se nommait Dihya, est plus connue sous le sobriquet que lui donnèrent les Arabes : la Kahina (la « devineresse »). Sa mort, vers 700 [11], peut être considérée comme la fin de la résistance armée des Berbères contre les Arabes. De fait, lorsqu’en 711 Tarîq traverse le détroit auquel il a laissé son nom (Djebel el Tarîq : Gibraltar) pour conquérir l’Espagne, son armée est essentiellement composée de contingents berbères, de Maures.
En bref, les conquérants arabes, peu nombreux mais vaillants, ne trouvèrent pas en face d’eux un État prêt à résister à une invasion, mais des opposants successifs : le patrice byzantin, puis les chefs berbères [12], principautés après royaumes, tribus après confédérations. Quant à la population romano-africaine, les Afariq, enfermée dans les murs de ses villes, bien que fort nombreuse, elle n’a ni la possibilité ni la volonté de résister longtemps à ces nouveaux maîtres envoyés par Dieu. La capitation imposée par les Arabes, le Kharadj, n’était guère plus lourde que les exigences du fisc byzantin, et, au début du moins, sa perception apparaissait plus comme une contribution exceptionnelle aux malheurs de la guerre que comme une imposition permanente. Quant aux pillages et aux prises de butin des cavaliers d’Allah, ils n’étaient ni plus ni moins insupportables que ceux pratiqués par les Maures depuis deux siècles. L’Afrique fut donc conquise, mais comment fut-elle islamisée puis arabisée ?
Les voies de la conversion
Nous avons dit qu’il fallait distinguer l’islamisation de l’arabisation. De fait, la première se fit à un rythme bien plus rapide que la seconde. La Berbérie devient musulmane en moins de deux siècles (VIIe-VIIIe siècles), alors qu’elle n’est pas encore aujourd’hui entièrement arabisée, treize siècles après la première conquête arabe.
L’islamisation et la toute première arabisation furent d’abord citadines [13]. La religion des conquérants s’implanta dans les villes anciennes que visitaient des missionnaires guerriers puis des docteurs voyageurs, rompus aux discussions théologiques. La création de villes nouvelles, véritables centres religieux comme Kairouan, première fondation musulmane (670), et Fez, création d’Idriss II (809), contribua à implanter solidement l’Islam aux deux extrémités du pays.
La conversion des Berbères des campagnes, sanhadja ou zénètes, se fit plus mystérieusement. Ils étaient certes préparés au monothéisme absolu de l’Islam par le développement récent du christianisme mais aussi par un certain prosélytisme judaïque dans les tribus nomades du Sud.
De plus, comme aux chrétiens orientaux, l’Islam devait paraître aux Africains plus comme une hérésie chrétienne (il y en avait tant !) que comme une nouvelle religion ; cette indifférence relative expliquerait les fréquentes « apostasies » certainement liées aux fluctuations politiques [14].
Quoi qu’il en soit, la conversion des chefs de fédérations, souvent plus pour des raisons politiques que par conviction, répandit l’Islam dans le peuple. Les contingents berbères, conduits par ces chefs dans de fructueuses conquêtes faites au nom de l’Islam, furent amenés tout naturellement à la conversion.
La pratique des otages pris parmi les fils de princes ou de chefs de tribus peut avoir également contribué au progrès de l’Islam. Ces enfants islamisés et arabisés, de retour chez leurs contribules, devenaient des modèles car ils étaient auréolés du prestige que donne une culture supérieure.
Très efficaces bien que dangereux pour l’orthodoxie musulmane avaient été, dans les premiers siècles de l’Islam, les missionnaires kharédjites venus d’Orient qui, tout en répandant l’Islam dans les tribus surtout zénètes, « séparèrent » une partie des Berbères des autres musulmans. Si le schisme kharédjite ensanglanta le Maghreb à plusieurs reprises, il eut le mérite de conserver à toutes les époques, la nôtre comprise, une force religieuse minoritaire mais exemplaire par la rigueur de sa foi et l’austérité de ses mœurs.
Autres missionnaires et grands voyageurs : les « daï » chargés de répandre la doctrine chiite. Il faut dire qu’en ces époques qui, en Europe comme en Afrique, nous paraissent condamnées à une vie concentrationnaire en raison de l’insécurité, les clercs voyagent beaucoup et fort loin. Ils s’instruisent auprès des plus célèbres docteurs, se mettant délibérément à leur service, jusqu’au jour où ils prennent conscience de leur savoir, de leur autorité, et deviennent maîtres à leur tour, élaborant parfois une nouvelle doctrine. Ce fut, entre autres, l’histoire d’Ibn Toumert, fondateur du mouvement almohade (1120) qui donna naissance à un empire.
Pour gagner le cœur des populations, dans les villes et surtout les campagnes, les missionnaires musulmans eurent recours surtout à l’exemple. Il fallait montrer à ces Maghrébins, dont la religiosité fut toujours très profonde, ce qu’était la vraie communauté des Défenseurs de la Foi.
Le ribât en fut l’exemple achevé [15]. Ce fut à la fois un couvent et une garnison, base d’opération contre les infidèles ou les hérétiques. Le ribât peut être implanté n’importe où, sur le littoral ou à l’intérieur des terres, comme le Ribât Taza, partout où la défense de la Foi l’exige. Les moines-soldats qui occupent ces châteaux s’entraînent au combat et s’instruisent aux sources de l’orthodoxie la plus rigoureuse. L’âge d’or des ribâts fut le IXe siècle, en Ifriqîya, où les fondations pieuses des émirs aghlabites se multiplient de Tripoli à Bizerte, particulièrement sur les côtes dé l’ancienne Byzacène. Le ribât de Monastir, le plus célèbre (il suffisait d’avoir tenu garnison pendant trois jours pour gagner le paradis !), fut construit en 796, celui de Sousse en 821. À l’autre extrémité du Maghreb, sur la côte atlantique, une autre concentration de ribâts assure la défense de l’Islam sur le plan militaire et sur celui de l’orthodoxie, aussi bien contre les pillards normands que contre les hérétiques Bargwarta. L’un d’eux, de fondation assez tardive par l’almohade Yaqoub el-Mansour, devait devenir la capitale du royaume chérifien en conservant le nom de Rabat. Arcila, au nord, Safi, Qoûz et surtout Massât, au sud, complètent la défense littorale du Maghreb el-Aqsa.
Ces morabitoûn sont aussi des « ibad », hommes de prière ; les gens des ribâts savent, le cas échéant, devenir des réformateurs zélés et efficaces. Ceux qui parmi les Lemtouna et les Guezoula, tribus sanhadja du Sahara occidental, avaient sous la férule d’Ibn Yasin fondé un ribât dans une île du Sénégal, furent, au début du XIe siècle, à l’origine de l’empire almoravide dont le nom est une déformation hispanique de morabitoûn.
Dans les zones non menacées, le ribât perdit son caractère militaire pour devenir le siège de religieux très respectés. Des confréries, qu’il serait exagéré d’assimiler aux ordres religieux chrétiens, s’organisèrent, aux époques récentes, en prenant appui sur des centres d’études religieuses, les zaouïas, qui sont les héritiers des anciens ribâts. Ce mouvement, souvent mêlé de mysticisme populaire, est lié au maraboutisme, autre mot dérivé du ribât. Le maraboutisme contribua grandement à achever l’islamisation des campagnes, au prix de quelques concessions secondaires à des pratiques antéislamiques qui n’entament pas la foi du croyant.
Il fut cependant des parties de la Berbérie où l’Islam ne pénétra que tardivement, non pas dans les groupes compacts des sédentaires montagnards qui, au contraire, jouèrent très vite un rôle important dans l’Islam maghrébin, comme les Ketama de Petite Kabylie ou les Masmouda de l’Atlas marocain, mais chez les grands nomades du lointain Hoggar et du Sahara méridional. Il semble qu’il y eut, chez les Touareg, si on en croit leur tradition, une islamisation très précoce, œuvre des Sohâba (Compagnons du Prophète) ; mais cette islamisation, si elle n’est pas légendaire, n’eut guère de conséquence, et l’idolâtrie subsista jusqu’à ce que des missionnaires réintroduisent l’Islam au Hoggar, sans grand succès semble-t-il. En fait la véritable islamisation ne semble guère antérieure au XVe siècle.
Il est même un pays berbérophone qui ne fut jamais islamisé : Les îles Canaries, dont les habitants primitifs, les Guanches [16], étaient restés païens au moment de la conquête normande et espagnole, aux XIVe et XVe siècles.
L’islamisation des Berbères ne fit pas disparaître immédiatement toute trace de christianisme en Afrique. Les géographes et chroniqueurs arabes sont particulièrement discrets sur le maintien d’églises africaines quelques siècles après la conquête et la conversion massive (?) des Berbères ; ce n’est que récemment que les historiens se sont vraiment intéressés à cette question.
Les royaumes romano-africains qui s’étaient constitués pendant les époques vandale et byzantine étaient en majorité chrétiens. L’empereur Masties proclame son christianisme[17], le roi des Ucutamani, qui sont les Kotama des écrivains arabes, se dit « servus Dei » [18], les souverains qui se faisaient construire les imposants Djedar, monuments funéraires de la région de Frenda [19], étaient aussi chrétiens, comme vraisemblablement Masuna, « roi des Maures et des Romains » en Maurétanie vers 508 et Mastinas, autre prince maure qui frappa peut-être monnaie vers 535 [20]. En fait, seuls des chefs nomades, comme Terna adorateur du taureau Gurzil [21], sont encore païens. Tout semble indiquer qu’une part importante des populations paléoberbères dans les anciennes provinces de l’empire romain est évangélisée au VIe siècle. Les villes ont laissé les témoignages les plus nombreux, on ne saurait s’en étonner : basiliques vastes et nombreuses, nécropoles, inscriptions funéraires, en particulier la remarquable série de la lointaine Volubilis qui couvre la première moitié du VIIe siècle (595-655), celle d’Altava à peine plus ancienne (Ve siècle), celles encore de Pomaria ou d’Albulae, villes qui faisaient aussi partie du royaume de Masuna. On ne doit pas en tirer la conclusion que seule la population citadine était devenue chrétienne : de très modestes bourgades de Numidie, qui n’étaient en fait que de gros villages, possèdent leurs basiliques ; des textes précieux le montrent, tel que celui de Jean de Biclar[22] qui annonce la conversion, vers 570, de « gentes » qui, comme les Maccuritae, étaient restées païennes [23]. Faut-il s’étonner de ce qu’El-Bekri affirme qu’à l’époque byzantine les Berbères professaient le christianisme ? Le maintien de communautés chrétiennes en pleine période musulmane, plusieurs siècles après la conquête, ne fait plus, aujourd’hui, aucun doute. Aux découvertes épigraphiques, telles les fameuses inscriptions funéraires de Kairouan, datées du XIe siècle [24], et celles des sépultures chrétiennes d’Aïn Zara et d’En Ngila en Tripolitaine[25], s’ajoute le commentaire de textes jusqu’alors quelque peu négligés. T. Lewiki a montré qu’il existait une forte communauté chrétienne parmi les Ibadites, d’abord dans le royaume rostémide de Tahert, ensuite à Ouargla[26]. Nous connaissons un évêché de Qastiliya dans le sud tunisien, tandis que la chancellerie pontificale conserve la correspondance du pape Grégoire VII avec les évêques africains au Xe siècle [27]. H. R. Idriss reconnaît le maintien de la célébration de fêtes chrétiennes en Ifriqîya à l’époque ziride [28], et Ch. E. Dufourcq, reprenant le texte d’El Bekri, rappelle l’existence d’une population chrétienne et d’une église à Tlemcen au Xe siècle et propose même de retrouver la mention de pèlerinages chrétiens auprès des « ribâts » dans la ville ruinée de Cherchel-Caesarea [29]. Fort justement le même auteur met en rapport la survivance du latin d’Afrique (al-Lâtini al-afarîq) avec le maintien du christianisme [30].
Ce n’est qu’au XIIe siècle que semblent disparaître les dernières communautés chrétiennes ; encore cette extinction paraît plus le fait d’une persécution que d’une disparition naturelle. Les califes almohades furent particulièrement intolérants. Après la prise de Tunis, Abd el-Moumen, en 1159, donne à choisir aux juifs et aux chrétiens entre se convertir à l’islam ou périr par le glaive. À la fin du siècle, son petit-fils, Abou Yousouf Yakoub el-Mansour se vantait de ce qu’aucune église chrétienne ne subsistait dans ses états [31].
Les mécanismes de l’arabisation
L’arabisation suivit d’autres voies, bien qu’elle fût préparée par l’obligation de prononcer en arabe les quelques phrases essentielles d’adhésion à l’islam. Pendant la première période (VIIe-XIe siècles), l’arabisation linguistique et culturelle fut d’abord essentiellement citadine. Plusieurs villes maghrébines de fondation ancienne, Kairouan, Tunis, Tlemcen, Fès, ont conservé une langue assez classique, souvenir de cette première arabisation. Cet arabe citadin, en se chargeant de constructions diverses empruntées aux Berbères, s’est maintenu aussi, d’après W. Marçais, chez de vieux sédentaires ruraux comme les habitants du Sahel tunisien ou de la région maritime du Constantinois, ou encore les Traras et les Jebala du Rif oriental ; or, ces régions maritimes sont les débouchés de vieilles capitales régionales arabisées de longue date. Cette situation linguistique semble reproduire celle de la première arabisation [32]. Ailleurs, cette forme ancienne, dont on ignore quelle fut l’extension, fut submergée par une langue plus populaire, l’arabe bédouin, qui présente une certaine unité du Sud tunisien au Rio de Oro remontant largement vers le nord dans les plaines de l’Algérie centrale, d’Oranie et du Maroc. Cet arabe bédouin fut introduit au XIe siècle par les tribus hilaliennes car ce sont elles, en effet, qui ont véritablement arabisé une grande partie des Berbères.
Pour comprendre l’arrivée inattendue de ces tribus arabes bédouines, il nous faut remonter au Xe siècle, au moment où se déroulait, au Maghreb central d’abord, puis en Ifriqîya, une aventure prodigieuse et bien connue, celle de l’accession au califat des Fatimides. Alors que les Berbères zénètes étendaient progressivement leur domination sur les Hautes-Plaines, les Berbères autochtones, les Sanhadja, conservaient les territoires montagneux de l’Algérie centrale et orientale. L’une de ces tribus qui, depuis l’époque romaine, occupait la Petite Kabylie, les Ketama[33], avait accueilli un missionnaire chiite, Abou Abd Allah, qui annonçait la venue de l’Imam « dirigé » ou Mahdi, descendant d’Ali et de Fatima. Abou Abd Allah s’établit d’abord à Tafrout, dans la région de Mila ; il organise une milice qui groupe ses premiers partisans, puis transforme Ikdjan, à l’est des Babors, en place forte. Se révélant un remarquable stratège et meneur d’hommes, il s’empare tour à tour de Sétif, Béja, Constantine. En mars 909, les Chiites sont maîtres de Kairouan et proclament Imam le Fatimide Obaïd Allah, encore prisonnier à l’autre bout du Maghreb central, dans la lointaine Sidjilmassa. Une expédition ketama, toujours conduite par l’infatigable Abou Abd Allah, le ramena triomphant à Kairouan, en décembre 909, non sans avoir, au passage, détruit les principautés kharedjites. La dynastie issue d’Obaïd Allah, celle des Fatimides, réussit donc un moment à contrôler la plus grande partie de l’Afrique du Nord, mais de terribles révoltes secouent le pays. La plus grave fut celle des Kharedjites, menée par Mahlad ben Kaydâd dit Abou Yazid, « l’homme à l’âne ». Mais la dynastie fut une nouvelle fois sauvée par l’intervention des Sanhadja du Maghreb central, sous la conduite de Ziri. Aussi, lorsque les Fatimides, après avoir conquis l’Égypte avec l’aide des Sanhadja, établissent leur capitale au Caire (973), ils laissent le gouvernement du Maghreb à leur lieutenant Bologgin, fils de Ziri. De cette décision, qui paraissait sage et qui laissait la direction du pays à une dynastie berbère, devait naître la pire catastrophe que connut le Maghreb.
En trois générations, les Zirides relâchent leurs liens de vassalité à l’égard du calife fatimide. En 1045, El-Moezz rejeta le chiisme qui n’avait pas été accepté par la majorité de ses sujets et proclame la suprématie du calife abbasside de Bagdad. Pour punir cette sécession, le Fatimide « donna » le Maghreb aux tribus arabes trop turbulentes qui avaient émigré de Syrie et d’Arabie nomadisant dans le Sais, en Haute Égypte. Certaines de ces tribus se rattachaient à un ancêtre commun, Hilal, d’où le nom d’invasion hilalienne donnée à cette nouvelle immigration orientale en Afrique du Nord. Les Béni Hilal, bientôt suivis des Béni Soleim, pénètrent en Ifriqîya en 1051. À vrai dire, l’énumération de ces tribus et fractions est assez longue mais relativement bien connue, grâce au récit d’Ibn Khaldoun et à une littérature populaire appuyée sur une tradition orale encore bien vivante, véritable chanson de geste connue sous le nom de Taghribât Bani Hilal (la marche vers l’ouest des Béni Hilal). Il y avait deux groupes principaux, le premier formé des tribus Zoghba, Athbej, Ryâh, Djochem, Rebia et Adi se rattachait à Hilal, le second groupe constituait les Béni Soleïm. À ce flot d’envahisseurs succéda, quelques décennies plus tard, un groupe d’Arabes yéménites, les Ma’qil, qui suivirent leur voie propre, plus méridionale et atteignirent le Sud marocain et le Sahara occidental. Des groupes juifs nomades semblent bien avoir accompagné ces bédouins et contribuèrent à renforcer les communautés judaïques du Maghreb [34], dont l’essentiel était d’origine zénète.
On aurait tort d’imaginer l’arrivée de ces tribus comme une armée en marche occupant méticuleusement le terrain et combattant dans une guerre sans merci les Zirides, puis leurs cousins, les Hammadites, qui avaient organisé un royaume distinct en Algérie. Il serait faux également de croire qu’il y eut entre Arabes envahisseurs et Berbères une confrontation totale, de type racial ou national. Les tribus qui pénètrent au Maghreb occupent le pays ouvert, regroupent leurs forces pour s’emparer des villes qu’elles pillent systématiquement, puis se dispersent à nouveau, portant plus loin pillage et désolation.
Les princes berbères, Zirides, Hammadites, plus tard Almohades, et Mérinides, n’hésitent pas à utiliser la force militaire, toujours disponible, que constituent ces nomades qui, de proche en proche, pénètrent ainsi plus avant dans les campagnes maghrébines.
Dès l’arrivée des Arabes bédouins, les souverains berbères songent à utiliser cette force nouvelle dans leurs luttes intestines. Ainsi, loin de s’inquiéter de la pénétration des Hilaliens, le sultan ziride recherche leur alliance pour combattre ses cousins hammadides et donne une de ses filles en mariage au cheikh des Ryâh, ce qui n’empêche pas ces mêmes Arabes de battre par deux fois, en 1050 à Haïdra et en 1052 à Kairouan, les armées zirides et d’envahir l’Ifriqîya, bientôt entièrement soumise à l’anarchie. Des chefs arabes en profitent pour se tailler de minuscules royaumes aussi éphémères que restreints territorialement ; tels sont les émirats de Gabès et de Carthage, dès la fin du XIe siècle. Parallèlement, les Hammadides obtiennent le concours des Athbej qui combattent leur cousin Ryâh, comme eux-mêmes luttent contre leurs cousins zirides.
En 1152, un siècle après l’arrivée des premiers contingents bédouins, les Béni Hilal se regroupent pour faire face à la puissance grandissante des Almohades, maîtres du Maghreb el-Aqsa et de la plus grande partie du Maghreb central, mais il est trop tard et ils sont écrasés à la bataille de Sétif. Paradoxalement, cette défaite n’entrave pas leur expansion, elle en modifie seulement le processus. Les Almohades, successeurs d’Abd el-Moumen, n’hésitent pas à utiliser leurs contingents et, fait plus grave de conséquences, ils ordonnent la déportation de nombreuses fractions Ryâh, Athbej et Djochem dans diverses provinces du Maghreb el-Aqsa, dans le Haouz et les plaines atlantiques qui sont ainsi arabisés.
Tandis que s’écroule l’empire almohade, les Hafsides acquièrent leur indépendance en Ifriqîya et s’assurent le concours des Kooûb, l’une des principales fractions des Soleïm. Au même moment, le zénète Yaghmorasen fonde le royaume abd-el-wadide de Tlemcen avec l’appui des Arabes Zorba. D’autres Berbères zénètes, les Béni Merin, chassent les derniers Almohades de Fez (1248). La nouvelle dynastie s’appuya sur des familles arabes déportées au Maroc par les Almohades. Pendant plus d’un siècle, le maghzen mérinide fut ainsi recruté chez les Khlot.
Partout ces contingents arabes, introduits parfois contre leur volonté dans des régions nouvelles ou établis à la tête de populations agricoles dont le genre de vie ne résiste pas longtemps à leurs déprédations, provoquent inexorablement le déclin des campagnes. Mais bien qu’ils aient pillé Kairouan, Mendia, Tunis et les principales villes d’Ifriqîya, bien que Ibn Khaldoun les ait dépeints comme une armée de sauterelles détruisant tout sur son passage, Béni Hilal, Béni Soleïm et plus tard Béni Ma’qil furent bien plus dangereux par les ferments d’anarchie qu’ils introduisirent au Maghreb que par leurs propres déprédations.
C’est une étrange et à vrai dire assez merveilleuse histoire que la transformation ethno-sociologique d’une population de plusieurs millions de Berbères par quelques dizaines de milliers de Bédouins. On ne saurait, en effet, exagérer l’importance numérique des Béni Hilal ; quel que soit le nombre de ceux qui se croient leurs descendants, ils étaient, au moment de leur apparition en Ifriqîya et au Maghreb, tout au plus quelques dizaines de milliers. Les apports successifs des Béni Soleïm, puis des Ma’qil qui s’établirent dans le Sud du Maroc, ne portèrent pas à plus de cent mille les individus de sang arabe qui pénétrèrent en Afrique du Nord au XIe siècle. Les Vandales, lorsqu’ils franchirent le détroit de Gibraltar pour débarquer sur les côtes d’Afrique, en mai 429, étaient au nombre de 80 000, (peut-être le double si les chiffres donnés par Victor de Vita ne concernent que les hommes et les enfants de sexe mâle). C’est dire que l’importance numérique des deux invasions est sensiblement équivalente. Or que reste-t-il de l’emprise vandale en Afrique deux siècles plus tard ? Rien. La conquête byzantine a gommé purement et simplement la présence vandale, dont on rechercherait en vain les descendants ou ceux qui prétendraient en descendre. Considérons maintenant les conséquences de l’arrivée des Arabes hilaliens du XIe siècle : la Berbérie s’est en grande partie arabisée et les États du Maghreb se considèrent comme des États arabes.
Ce n’est, bien entendu, ni la fécondité des Béni Hilal, ni l’extermination des Berbères dans les plaines qui expliquent cette profonde arabisation culturelle et linguistique.
Les tribus bédouines ont, en premier lieu, porté un nouveau coup à la vie sédentaire par leurs déprédations et les menaces qu’elles font planer sur les campagnes ouvertes. Elles renforcent ainsi l’action dissolvante des nomades « néo-berbères » zénètes qui avaient, dès le VIe siècle, pénétré en Africa et en Numidie. Précurseurs des Hilaliens, ces nomades zénètes furent facilement assimilés par les nouveaux venus. Ainsi les contingents nomades arabes, qui parlaient la langue sacrée et en tiraient un grand prestige, loin d’être absorbés culturellement par la masse berbère nomade, l’attirèrent à eux et l’adoptèrent.
L’identité des genres de vie facilita la fusion. Il était tentant pour les nomades berbères de se dire aussi arabes et d’y gagner la considération et le statut de conquérant, voir de chérif, c’est-à-dire descendant du Prophète. L’assimilation était encore facilitée par une fiction juridique : lorsqu’un groupe devient le client d’une famille arabe, il a le droit de prendre le nom de son patron comme s’il s’agissait d’une sorte d’adoption collective. L’existence de pratiques analogues, chez les Berbères eux-mêmes, facilitait encore le processus. L’épisode bien connu de la Kahéna adoptant comme troisième fils son prisonnier arabe Khaled est un bon exemple de ce procédé [35].
La compénétration des groupes berbères et arabes nomades ou semi-nomades fut telle que le phénomène inverse, celui de la berbérisation de fractions arabes ou se disant arabes, a pu être parfois noté. Nous citerons à titre d’exemple, qui est loin d’être isolé, le cas de la tribu arabe des Béni Mhamed inféodée à l’un des « khoms » (celui des Ounebgi) de la puissante confédération des Aït Atta [36].
L’arabisation gagna donc en premier lieu les tribus berbères nomades et particulièrement les Zénètes. Elle fut si complète qu’il ne subsiste plus, aujourd’hui, de dialectes zénètes nomades ; ceux qui ont encore une certaine vitalité sont parlés par des Zénètes fixés soit dans les montagnes (Ouarsenis), soit dans les oasis du Sahara septentrional (Mzab).
Avant le XVe siècle, les puissants groupes berbères nomades Hawara de Tunisie centrale et septentrionale sont déjà complètement arabisés et se sont assimilés aux Soleïm ; comme le note W. Marçais, dès cette époque la Tunisie a acquis ses caractères ethniques et linguistiques actuels ; c’est le pays le plus arabisé du Maghreb [37]. Au Maghreb central, les Berbères du groupe Sanhadja, longtemps dominants, sont de plus en plus supplantés par les tribus zénètes arabisées ou en voie d’arabisation qui, entre autres, fondent le royaume abd-el-wadite de Tlemcen, tandis que d’autres Zénètes, les Béni Merin, évincent les derniers Almohades du Maroc.
Un autre facteur d’arabisation qui fut moins souvent retenu par les historiens du Maghreb est l’extinction des tribus qui, ayant joué un rôle important, ont vu fondre leurs effectifs au cours des combats incessants ou d’expéditions lointaines. J’avais attiré l’attention, voilà quelques années, sur le cas des Ketama de Petite Kabylie ; solidement implantés dans leur région montagneuse, ils contribuèrent, nous l’avons vu, à fonder l’empire fatimide, firent des expéditions dans toutes les directions : Ifriqîya, Sidjilmassa, Maghreb el-Aqsa, puis Sicile et Égypte, le tout entrecoupé par une coûteuse rébellion contre le calife qu’ils avaient établi. Dispersés dans les garnisons, décimés par les guerres, les Ketama disparaissent comme dans une trappe ; aujourd’hui leur pays, depuis le massif des Babors jusqu’à la frontière tunisienne, est profondément arabisé [38].
À la concordance des genres de vie entre groupes nomades, puissant facteur d’arabisation, s’ajoute, nous l’avons vu, le jeu politique des souverains berbères qui n’hésitent pas à utiliser la mobilité et la force militaire des nouveaux venus contre leurs frères de race. Par la double pression des migrations pastorales et des actions guerrières accompagnées de pillages, d’incendies ou de simples chapardages, la marée nomade qui, désormais, s’identifie, dans la plus grande partie du Maghreb, avec l’arabisme bédouin, s’étend sans cesse, gangrène les États, efface la vie sédentaire des plaines. Les régions berbérophones se réduisent pour l’essentiel à des îlots montagneux.
Le paradoxe maghrébin
Mais ce schéma est trop tranché pour être exact dans le détail. On ne peut faire subir une telle dichotomie à la réalité humaine du Maghreb. Les Nomades ne sont pas tous arabisés : il subsiste de vastes régions parcourues par des nomades berbérophones. Tout le Sahara central et méridional, dans trois États (Algérie, Mali, Niger), est contrôlé par eux. Dans le Sud marocain, l’importante confédération des Aït Atta, centrée sur le Jbel Sarho, maintient un semi-nomadisme berbère entre les groupes arabes du Tafïlalet, d’où est issue la dynastie chérifienne, et les nomades Regueibat du Sahara occidental qui se disent descendre des tribus arabes Ma’qil. Il faut également tenir compte des petits nomades du groupe Braber du Moyen Atlas : Zaïan, Béni M’Guild, Aït Seghouchen...
Le berbère n’est donc pas exclusivement un parler de sédentaire, ce n’est pas non plus une langue exclusivement montagnarde. Une île aussi plate que Jerba, les villes de la Pentapole mzabite, les oasis du Touat et du Gourara, les immenses plaines sahéliennes fréquentées par les Touareg Kel Grès, Kel Dinnik, Oullimiden, sont des zones berbérophones au même titre que les massifs marocains ou la montagne kabyle.
Il ne faut pas non plus imaginer que tous les Arabes, au Maghreb, sont exclusivement nomades ; bien avant la période française qui favorisa, ne serait-ce que par le rétablissement de la sécurité, l’agriculture et la vie sédentaire, des groupes arabophones menaient, depuis des siècles, une vie sédentaire autour des villes et dans les campagnes les plus reculées. C’était, en particulier, le cas des habitants de Petite Kabylie et de l’ensemble des massifs et moyennes montagnes littorales de l’Algérie orientale et du Nord de la Tunisie. Tous ces montagnards et habitants des collines sont arabisés de longue date ; cependant, vivant de la forêt, d’une agriculture proche du jardinage et de l’arboriculture, ils ont toujours mené une vie sédentaire appuyée sur l’élevage de bovins. Bien d’autres cas semblables, dans le Rif oriental, l’Ouarsenis occidental, pourraient être cités.
Mais il n’empêche qu’aujourd’hui, dans le Maghreb sinon au Sahara, les zones berbérophones sont toutes des régions montagneuses, comme si celles-ci avaient servi de bastions et de refuges aux populations qui abandonnaient progressivement le plat pays aux nomades et semi-nomades éleveurs de petit bétail, arabes ou arabisés. C’est la raison pour laquelle, au XIXe siècle, l’Afrique du Nord présentait de curieuses inversions de peuplement : montagnes et collines au sol pauvre, occupées par des agriculteurs, avaient des densités de population bien plus grandes que les plaines et grandes vallées au sol riche parcourues par de petits groupes d’éleveurs.
Certains groupes montagnards sont si peu adaptés à la vie en montagne que leur origine semble devoir être recherchée ailleurs. Des détails vestimentaires, et surtout l’ignorance de pratiques agricoles telles que la culture en terrasse dans l’Atlas tellien, amènent à penser que les montagnes ont été non seulement des bastions qui résistèrent à l’arabisation, mais qu’elles furent aussi de véritables refuges dans lesquels se rassemblèrent les agriculteurs fuyant les plaines abandonnées aux déprédations des pasteurs nomades. Si la culture en terrasse est inconnue chez les agriculteurs des montagnes telliennes (alors qu’elle est si répandue dans les autres pays et îles méditerranéens), elle est, en revanche, parfaitement maîtrisée, et certainement de toute antiquité, chez les Berbères de l’Atlas saharien et des chaînes voisines [39].
Quelles que soient leurs origines, les Berbères qui occupent les montagnes du Tell sont si nombreux sur un sol pauvre et restreint qu’ils sont contraints de s’expatrier. Ce phénomène, si important en Kabylie, n’est pas récent. Comme les Savoyards des XVIIIe et XIXe siècles, les Kabyles se firent colporteurs ou se spécialisèrent, en ville, dans certains métiers. L’essor démographique consécutif à la colonisation provoqua l’arrivée massive des montagnards berbérophones dans les plaines mises en culture et dans les villes. Ce mouvement aurait pu entraîner une sorte de reconquête linguistique et culturelle aux dépens de l’arabe, or il n’en fut rien. Bien au contraire, le Berbère arrivant en pays arabe, qu’il soit Kabyle, Rifain, Chleuh ou Chaoui (aurasien), abandonne sa langue et souvent ses coutumes, tout en les retrouvant aisément lorsqu’il retourne au pays.
Cette disponibilité des masses berbères est d’autant plus remarquable qu’elles constituent la quasi totalité du peuplement, qu’elles soient arabisées ou non. Par leur venue dans le plat pays et dans les villes, les montagnards des zones berbérophones, qui demeurent les grands réservoirs démographiques du Maghreb, contribuent à développer ce phénomène paradoxal qu’est l’arabisation de l’Afrique du Nord. Les pays du Maghreb ne cessent de voir la part de sang arabe, déjà infime, se réduire à mesure qu’ils s’arabisent culturellement et linguistiquement.
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Gabriel Camps
Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, n°35, Aix-en-Provence, 1983, pp. 7-24
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[1] Cette question a été maintes fois traitée, en dernier lieu par Ch. E. Dufourcq, « Berbérie et Ibérie médiévales, un problème de rupture », Revue historique, 488, oct.-déc. 1968, pp. 293-324. Cette étude, d’une grande perspicacité, de notre regretté collègue succède à de nombreux essais, tant ceux d’E. F. Gautier dans Le passé de l’Afrique du Nord, Payot, Paris 1937, que de W. Marçais, « Comment l’Afrique du Nord a été arabisée », Annales de l’Instit. d’étud. orient. d’Alger, t. IV, 1938, pp. 1-2 et t. XIV, 1956, pp. 6-17, de Ch. Courtois, « De Rome à l’islam », Revue africaine, t. 86, 1942, pp. 24-55 et surtout de G. Marçais, La Berbérie musulmane et l’Orient au Moyen Âge, Paris, Aubier, 1946.
[2] On ne saurait cependant brosser un tableau trop désolé de l’Africa à la fin de l’Antiquité, ni exagérer les déprédations des Berbères nomades tels que les Austoriani, Arzuges, Levathae ou Laguantan, futur Louata des auteurs arabes. Les olivettes n’ont pas complètement disparu en un ou deux siècles ; l’existence d’huileries ou de pressoirs isolés dans les villes ruinées apportent la preuve du maintien d’une production oléicole : nous citerons comme exemple la petite huilerie, d’époque certainement très tardive, construite sur le dallage d’une rue de Suffetula, ou le pressoir établi dans les ruines du capitole de Thuburbo Majus. On connaît l’anecdote, rapportée par Ibn al-H’akam (trad. Gâteau, Alger, Carbonnel, 1942, p. 43), qu’au moment de l’expédition d’Ibn Sa’d, celui-ci s’étonnait de l’abondance de l’argent monnayé chez les habitants de l’Africa. « D’où cela vous vient-il ? », demanda Ibn Sâ’d ; l’un des Africains se mit alors à fureter comme s’il cherchait quelque objet. Il trouva enfin une olive et la montrant à Ibn Sa’d : « Voici, dit-il, la source de notre argent ». Sur l’importance de la culture de l’olivier dans l’Afrique romaine, voir H. Camps-Fabrer, L’olivier et l’huile dans l’Afrique romaine, Alger, 1953.
[3] Ch. Courtois, Les Vandales et l’Afrique, Paris, 1955, p. 350, fixe avant 523 cette première manifestation des nomades sahariens en Byzacène. Le chameau, au moins celui de bât, mais guère le méhari, était connu en Afrique antérieurement à ces incursions, comme le prouve, entre autres, la mention, dans les Tablettes Albertini, d’une « via de camellos » dans le secteur de Tebessa-Thelepte (cf. Ch. Courtois, L. Leschi, Ch. Perret, Ch. Saumagne et J. P. Miniconi, Tablettes Albertini. Actes privés de l’époque vandale (fin du Ve siècle), Paris, A.M.G., 1952). Le tarif de Rades, malheureusement non daté, fixe à 5 folles la taxe perçue sur un chamelier accompagné d’un chameau chargé (C.I.L., VIII 24512).
[4] II est très difficile de déterminer le pourcentage des Berbères christianisés par rapport à la population totale. Les sources arabes permettent cependant certaines approximations. On retiendra qu’El-Bekri (traduction de Slane, Description de l’Afrique septentrionale, Alger, 1913, p. 74), parlant il est vrai de l’Ifriqîya, dit qu’à l’époque byzantine les Berbères professaient le christianisme. Ces Berbères christianisés et romanisés furent soumis au kharadj en tant qu’infidèles par H’assan ben an-Nu’mân (Ibn el-Hakam, Conquête de l’Afrique du Nord et de l’Espagne, traduction A. Gâteau, Alger, 1942, p. 77). Ce même texte apporte pour l’époque de la conquête un renseignement très précieux : « des Berbères qui professaient le christianisme, des Branis pour la plupart et un petit nombre de Botr ». Les Botr (Louata, Zénètes…) étaient restés en majorité païens (Corripus, Johannide, passim), une partie avait été judaïsée (G. Camps, « Réflexions sur l’origine des juifs des régions nord-sahariennes ». Communautés juives des marges sahariennes du Maghreb, Institut Ben Zvi, Jérusalem, 1982, pp. 57-67), mais ils furent aussi les plus rapidement islamisés.
[5] Je ne partage pas l’opinion de Ch. Courtois sur les nombreux royaumes maures qu’il propose de situer entre la Tingitane et la Tripolitaine (Les Vandales et l’Afrique, pp. 333-348 : Royaume d’Altava, royaume de l’Ouarsenis, royaume de la Dorsale, royaume de Cabaon, etc.). Je pense que ces royaumes étaient à la fois moins nombreux, plus étendus et par conséquent, mieux organisés et plus puissants. Masuna devait régner, comme je me propose de le montrer un jour, sur les royaumes d’Altava et de l’Ouarsenis. On trouvera une opinion très différente de celle de C. Courtois chez E. Dufourcq, « Berbérie et Ibérie médiévales… », Revue historique, 1968, pp. 293-324. Sur Masties, voir J. Carcopino, « Un empereur maure inconnu », Revue des études anciennes, t. XL VIII, 1944, pp. 94-120 et id., « Encore Masties l’empereur maure inconnu », Revue africaine, t. C, 1956, pp. 339-348. Ch. E. Dufourcq accorde une importance, à mon sens exagérée, à ce personnage, l. l. p. 296.
[6] Ch. Diehl, L’Afrique byzantine, Paris, 1898.
[7] Ch. Courtois, L. Leschi, Ch. Perrat, Ch. Saumagne et P. Miniconi, Tablettes Albenini, Actes privés de l’époque vandale (fin du Ve siècle), Paris, A.M.G., 1952.
[8] La date de la fondation de Kairouan et l’emplacement exact du premier établissement prêtent à discussion. Un premier « qaïrawan » avait été fondé par Moawia ibn Hodeidj, alors que, suivant le récit rapporté par Ibn Abd el-H’aqam, Oqba conquérait les principales villes du Fezzan. Abûl Muhâjir bâtit lui-même une autre ville, à deux milles du Kairouan d’Oqba. Voir H. Abdul-Wahab, « Sur l’emplacement de Qaïrawan », Revue tunisienne, numéro 41-42, 1940, pp. 51-53.
[9] D’après Ibn Abd el-H’aqam, ayant poussé son cheval jusqu’à ce que l’eau lui baignât le poitrail, Oqba s’écria : « Mon Dieu, je vous prends à témoin ! Il m’est impossible d’aller plus avant, mais si je trouvais un passage, je poursuivrais ma chevauchée » (traduction A. Gâteau, p. 69).
[10] L’emplacement de cette bataille ne doit pas servir à fixer les limites du « royaume » de Koceila. La tribu des Aouréba était établie dans les confins de l’Algérie et du Maroc, dans la région de Tlemcen, où Koceila avait été fait prisonnier et s’était converti, pour la deuxième fois, à l’Islam (Ibn Khaldoun, traduction de Slane, t. I, p. 211). D’après une ingénieuse supposition de Ch. E. Dufourcq (« La coexistence des chrétiens et des musulmans dans Al-Andalus et dans le Maghrib au Xe siècle », Occident et Orient, Congrès de Dijon, Paris 1979, pp. 209-234 : p. 222, numéro 19), Koceila portait un nom latin : Caecilius, déformé par les Arabes.
[11] D’après Ibn Khaldoun, Hassan ben Noman, une première fois vaincu par la Kahéna, revint en Ifriqîya avec des renforts en 74 de l’Hégire (693-694). La politique de la terre brûlée pratiquée par la reine Djeraoua aurait, selon l’auteur, provoqué la désunion qu’Hassan sut attiser… Ces péripéties exigent plusieurs mois sinon des années. Ch. E. Dufourcq, se fondant sur d’autres traditions, pense que la mort de la Kahéna se situerait plutôt en 702-703, l. l., p. 308.
[12] J’ai peine à souscrire à l’opinion de Ch. E. Dufourcq, l. l., p. 297, qui veut que tous les Berbères formaient, au moment de la conquête « une vaste confédération » sur laquelle, tantôt une tribu brânis, tantôt une tribu botr « exerçait l’autorité suprême ».
[13] W. Marçais, « Comment l’Afrique du Nord a été arabisée », Annales de l’Institut d’études orientales d’Alger, t. IV, 1938, pp. 1-22 et t. XIV, 1956, pp. 6-17.
[14] Ibn Khaldoun affirme que les Berbères abjurèrent l’Islam 12 fois avant de se convertir définitivement (traduction de Slane, t. I, p. 215), mais ces apostasies, sans doute celles de chefs comme Koceila, se succèdent à un rythme très rapide puisque, suivant le même auteur, la conversion « définitive » était acquise au moment de la conquête de l’Espagne. Il écrit même qu’en 101 de l’Hégire (719-720) « le reste des Berbères embrassa l’Islamisme ». Ces affirmations doivent être tempérées, car les preuves ne manquent pas, jusqu’au XIe siècle, du maintien de chrétiennetés, voire d’évêchés, au Maghreb, cf. infra.
[15] Le ribât, dans sa forme primitive, carrée et flanquée de tours, reproduit assez fidèlement le modèle des forteresses byzantines (A. Lezine, Le ribât de Sousse, suivi de notes sur le ribât de Monastir, Notes et documents, XIV, Tunis, 1956 : G. Marçais, « Les Ribât de Sousse et de Monastir d’après A. Lezine », Les Cahiers de Tunisie, numéro 13, 1956, pp. 127-135). L’étude la plus pénétrante sur les ribât d’Occident me paraît être celle de G. Marçais, « Notes sur les Ribât en Berbérie », Mélanges André Basset, t. II, 1925, pp. 395-450.
[16] C’est par abus de langage que le nom des Guanches a été étendu à l’ensemble des populations canariennes. À l’origine, Guanche (Guan-chinec) signifiait « habitant de Tenerife » (Espinosa, Historia de nuestra Senõra de Candeleria, Tenerife, 1962). Guan est manifestement l’équivalent du berbère wan qui signifie « celui de… ».
[17] J. Carcopino, « Un empereur maure inconnu », Revue des études anciennes, t. XLVIII, 1944, pp. 94-120 ; id., « Encore Mastios, l’empereur maure inconnu », Revue africaine, t. C, 1956, pp. 339-348.
[18] C.I.L., VIII, 8379 et 20216.
[19] Sur les Djedar, on consultera en particulier R. de la Blanchère, « Voyage d’étude en Maurétanie césarienne », Archives des Missions, IIIe série, t. X, 1883, pp. 1-131 ; S. Gsell, Les monuments antiques de l’Algérie, t. II, pp. 418-427, et surtout la thèse de F. Khadra (Aix, 1974) qui fait suite à d’importants travaux de dégagement et de fouilles.
[20] P. Grierson, « Mathasuntha or Mastinas, a reattribution », Numismatic Chronicle, 6e série, XIX, 1959, pp. 119-130.
[21] Corippus, Johannide, II, 106 et sq.
[22] Johanes Biclarensis, édition Mommsen, Monumenta germ. hist. Script, antiq., XI, 1. Ch. Diehl, L’Afrique byzantine, pp. 327-328.
[23] Contrairement à ce que pensait Ch. Diehl, il ne semble pas que les Maccuritae soient des Maures. Le fait qu’ils aient offert une girafe au Basileus invite à les situer plutôt en Afrique orientale qu’en Maurétanie Césarienne.
[24] A. Mahjoubi, « Nouveau témoignage épigraphique », Africa, t. I, 1966, pp. 87-96.
[25] P. A. Février, « Évolution des formes de l’écrit en Afrique du Nord à la fin de l’Antiquité et durant le Haut Moyen Âge », Academia dei Lincei, numéro 105, 1968, pp. 211-216. G. Gualandi, « La presenza cristina nell’ Ifriqîya. L’Area cimiteriale di En-Ngila (Tripoli) » Félix Ravenna, CV-CVI, 1973, pp. 257-259.
[26] T. Lewicki, « Une communauté chrétienne dans l’oasis de Ouargla au Xe siècle », Études maghrébines et soudanaises, 1976, pp. 79-90.
[27] Ch. Courtois, « Grégoire VII et l’Afrique du Nord », Revue historique, t. CXCV, 1945, pp. 97-122 et 193 -226.
[28] H. R. Idriss, « Fêtes chrétiennes célébrées en Ifriqîya à l’époque ziride (IVe siècle de l’Hégire – Xe siècle après J.-C.) ». Revue africaine, t. XCVIII, 1954, pp. 221-276.
[29] Ch. E. Dufourcq, « La coexistence des chrétiens et des musulmans dans Al-Andalus et dans le Maghrib au Xe siècle », Occident et Orient, Congrès de Dijon, Paris, 1979, pp. 209-234.
[30] T. Lewicki, « Une langue romane oubliée de l’Afrique du Nord. Observations d’un arabisant », Rocznik orientalistyczny, t. XVII, 1953, pp. 415-480. T. Canard, « Les travaux de T. Lewicki concernant le Maghreb », Revue africaine, t. CIII, 1959, pp. 356-371.
[31] Ch. E. Dufourcq, « La coexistence des chrétiens et des musulmans… » Id., « Berbérie et Ibérie… ».
[32] W. Marçais, « Comment l’Afrique du Nord a été arabisée », Annales de l’Institut d’études orientales d’Alger, t. XIV, 1956, pp. 6-17.
[33] Malgré la prudence exagérée de certains, il est difficile de rejeter l’identité des Ketama, des (U)cutamii (C.I.L., VIII, 8379 et 20216) et des Koidamousioi (Ptolémée) qui, à travers les siècles, occupent la même région. Voir G. Camps, « Une frontière inexpliquée, la limite de la Berbérie orientale de la Protohistoire au Moyen Âge », Mélanges offerts à Jean Despois, Maghreb et Sahara, 1973, pp. 59-67. L. Golvin, Le Magrib central à l’époque des Zirides. Recherches d’archéologie et d’histoire, Paris., A.M.G., 1957, pp. 23-26 et 51.
[34] L. Saada, « Un type d’archive. Les chansons de geste », Communautés juives des marges sahariennes du Maghreb, Institut Ben Zvi, Jérusalem, 1982, pp. 25-38. G. Camps, « Réflexions sur l’origine des Juifs des régions nord-sahariennes », ibid., pp. 57-67.
[35] Ces adoptions et alliances sont confirmées au Maroc par des pactes de « tata », qui établissent entre les groupes des liens de parenté fictive qui sont perçus avec tant de force que cette parenté est considérée comme réelle, au point que les mariages sont interdits entre les deux groupes réunis par le pacte. Cette parenté est affirmée par des gestes symboliques, en particulier celui de la colactation : au cours d’un repas de communion est consommé du couscous arrosé de lait de femme, au même moment les femmes qui allaitent échangent entre les deux groupes leurs nourrissons. Voir G. Marcy, « L’alliance par colactation (tâd’a) chez les Berbères du Maroc central », Deuxième congrès de la Fédération des sociétés savantes du Nord, Tlemcen, 1936, p. 17.
[36] Sur l’organisation complexe mais fort sage du pouvoir chez les Aït ‘Atta, voir D. M. Hart, « Segmentary System and the role of ‘five fifths’ in tribal Morocco, case II : The A ‘Atta », Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, t. 3, 1967, pp. 65-95 ; et M. Morin-Berbe et G. Trécolle, « ’Atta (Aït ‘Atta) », Encyclopédie berbère, édition provisoire, Aix, 1975, cahier numéro 14.
[37] W. Marçais, l. l., p. 7.
[38] G. Camps, « Une frontière inexpliquée… », p. 65.
[39] J. Despois, « La culture en terrasse en Afrique du Nord », Annales, janvier-mars 1956, pp. 42-50
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