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Menacer
fut un haut lieu de la résistance algérienne durant l’occupation
coloniale française. Cette contrée a aussi été, et ce durant des
siècles, le fief incontesté de tous les valeureux algériens qui ont
pris les armes contre toutes les formes d’asservissement au cours de
plusieurs révoltes face aux envahisseurs.
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Dans le cadre d’une cérémonie commémorative, l’association de
la zaouïa de Sidi Abdellah Bouamrane a organisé les 4 et 5 mai une
rencontre qui rentre dans le cadre de la préservation de notre
patrimoine national. En effet, ce saint homme en la personne de Sidi
Abdellah Bouamrane qui, selon Mahmoud Gheris, imam de la mosquée de
Menacer est lui-même descendant direct de la lignée de l’Emir
Abdelkader.
A ce propos , notre interlocuteur nous retracera les différentes
péripéties de ce wali Allah qui, selon l’histoire qui s’est perpétuée
oralement, est un descendant de la famille des Moulay Idrisse
El-Akhbar, né à Tafilelt au Maroc. Il avait décidé alors de s’installer
à Tlemcen selon les estimations au VIIIe siècle de l’hégire. Mais très
vite, il a eu un grave différend avec le hakem de Tlemcen, ce qui le
poussa à se réfugier dans les montagnes de l’Ouarsenis.
Sentant le danger venir de Tlemcen, il décida alors de partir en
Orient. Après quelques années, cet homme d’une piété incommensurable
décida de venir s’installer dans la région de Menacer pour fuir ses
ennemis. Sidi Ahmed Aberkane est le fils de Sidi M’hamed Ben Aissa El
Berkani, khalifa de l’Emir Abdelkader, le priy sous sa protection.
Durant quelques années, Sidi Abdellah Bouamrane gardait les troupeaux
de moutons de son protecteur et c’est ainsi que son hôte, ayant
découvert que son protégé était un homme très pieux, lui donna un lopin
de terre et l’autorisa à construire sa propre maison tout en continuant
de le servir.
Selon la légende, un jour, Sidi Abdellah Bouamrane qui partait tôt le
matin labourer les champs de son bienfaiteur, la fille aînée de Sidi
Ahmed Aberkane, comme à ses habitudes, lui apporta sa pitance sur les
lieux mêmes de son travail. Elle fut stupéfaite de voir le soc de la
charrue labourer les sillons alors que Sidi Ahmed Aberkane se reposait
sous un arbre. Affolée, la jeune fille se précipita chez son père pour
lui raconter ce qu’elle a vu de ses propres yeux. Intrigué par le récit
de sa fille, Sidi Ahmed Aberkane décide de suivre sa fille pour se
rendre compte lui-même de cette histoire. Du haut d’une colline, Sidi
Ahmed Aberkane observa, en effet, le soc des charrues en train de
creuser la terre sans aucune aide. Il rebroussa chemin sans éveiller
les soupçons de Sidi Abdellah Bouamrane et décida ainsi de lui accorder
la main de sa fille.
Quand ces deux journées sont commémorées, des voitures affluent de
toutes les régions, Miliana, Aïn Defla, Chlef, Relizane, Oran, Blida,
Alger, Biskra, Laghouat pour ne citer que celles-là. Deux jours durant,
les talebs récitaient des versets du saint Coran, organisant aussi une
fantasia, danses folkloriques typiques à la région.
Visite du mausolée de Sidi Abdallah Bouamrane
Le mausolée de Sidi Abdellah Bouamrane est perché à 900 mètres
d’altitude et pour y accéder, nous avons emprunté un chemin tortueux et
cahin-caha, nous sommes arrivés sur les lieux pour admirer les environs
de cet espace magnifique qui fut, jadis, un lieu où a éclaté la révolte
des Beni Menacer.
Parmi les raisons essentielles ayant motivé le déclenchement de la
révolte, figure la politique du colonialisme français basée sur
l’injustice, l’oppression, la répression et la spoliation des biens
privés et publics, parallèlement à l’adoption par les autorités
françaises de la politique de «diviser pour régner», en essayant de
concilier la bienveillance de certaines familles auxquelles elle confia
la mission de veiller sur ses intérêts aux dépens de la majorité des
habitants. Dans cette région, les autorités coloniales réussirent à
créer de toutes pièces un conflit entre deux familles algériennes :
d’un côté celle de Brahim Ibn Mohammed Sîdi El Ghobrini, une des
familles ayant, dès le début, collaboré avec les autorités d’occupation
et pris les armes contre le bey du Titteri ainsi que le bey Boumezrag
et de l’autre, la famille d’El Berkani dont le fief était situé à
Miliana et qui était dirigée par le cheikh Malek Ibn al Sahraoui al
Berkani, neveu de Mohammed Ben Aïssa el Berkani, khalifa de l’Emir
Abdelkader au Titteri. Suite à la politique de la France, les deux
familles entrèrent dans un conflit sanglant d’autant que la famille El
Berkani commandait la partie orientale de Beni Menacer, chose que la
famille El Ghobrini n’a pas admise.
A cela, il convient d’ajouter les souffrances endurées par les
habitants de Cherchell et de Miliana du fait de la politique coloniale
fondée sur la collecte forcée des impôts, qui grèvent lourdement leurs
ressources ainsi que l’atteinte à leurs valeurs les plus sacrées en
matière de religion. La première étincelle de la résistance jaillit le
30 avril 1871, lorsque les autorités coloniales entreprirent de
provoquer les habitants, en ordonnant aux caïds qui leur étaient
soumis, de collecter les impôts sans tenir compte des conditions
dramatiques des habitants. Les habitants exprimèrent leur refus en
chassant à coups de pierres les agents du colonialisme.
Première étape
Les chouyoukh des Béni Menacer jugèrent nécessaire de tenir une réunion
extraordinaire pour étudier la situation sociale et économique dans la
région découlant de la politique française. Le 6 mai 1871 fut la date
fixée pour la réunion à la koubba du saint Sidi Ahmed Benyoucef, près
de la région de Souk El Had. La réunion s’achève sur la décision, dans
une première étape, de se débarasser des caïds alliés à la France. Tous
les présents s’accordèrent sur la nécessité d’éliminer El Mouloud El
Habbouchi, considéré comme étant l’homme de main de la France dans la
région. Toutefois, la France, craignant justement la réaction des
habitants, œuvra pour obtenir sa démission et il fut remplacé, le 20
mai 187, par Mohammed Saïd El Ghobrini, lequel figurait sur la liste
des personnes à abattre, dressée par les participants à la réunion du 6
mai 1871. La désignation de ce dernier provoqua le mécontentement et la
colère des habitants dont les chouyoukh se réunirent une nouvelle fois
les 28 et 29 juin 1871 pour convenir d’éliminer Saïd El Ghobrini.
Cependant, l’intervention du chef du bureau arabe, Varloud, empêcha
cela par la nomination d’un nouveau caïd, à savoir Ben El Mouloud
Abidi, qui fut également rejetée parce qu’il n’appartenait pas à la
région des Béni Menasra. Mais le gouverneur général Gueydon maintint sa
décision de désigner Ben El Mouloud, ce qui accrut le mécontentement
des habitants contre cette politique.
Deuxième étape
Lassés de la politique du gouverneur général, Gueydon, les habitants de
Beni Menacer décidèrent de passer à l’étape décisive du combat, le 13
juillet 1871. Le point de départ fut la région de Théniet El Had et le
mouvement s’étendit aux villages et dechras, entraînant une adhésion
populaire. Ben El Mouloud Abidi et Saïd El Ghobrini s’empressèrent
d’informer les autorités coloniales de ce mouvement populaire et de ce
qui s’était passé lors de la réunion au cours de laquelle fut prise la
décision révolutionnaire. Cela permit aux autorités françaises de
prendre des mesures pour faire face aux événements.
Troisième étape
Il était impératif pour les notables et chouyoukh des Béni Menacer de
prendre des mesures le plus rapidement possible afin de ne pas perdre
la direction des affaires et fournir l’occasion aux autorités
d’occupation d’étouffer dans l’œuf la révolte. Pour cela, il fut
convenu de désigner le cheikh Malek El Berkani, en tant que chef après
que la trahison d’El Ghobrini et Ben El Mouloud fut avérée. Le titre
d’agha des combattants lui fut attribué et les troupes furent réparties
en trois groupes. Le groupe principal, dirigé par Malek El Berkani,
assisté de son frère Brahim ainsi que Mustapha Ibn Abdelmalek et
Mohammed Oudjelloul, fut chargé de se diriger sur Cherchell, siège de
l’autorité d’occupation et de l’attaquer. Un deuxième groupe, celui des
Beni Menacer est, dont le commandement fut confié à Ali Ibn Ahmed
Oukerjouj, ami d’El Berkani et qui fut l’un des dirigeants éminents de
cette révolte, fut chargé de se diriger vers la région de Zourikh. Un
troisième groupe, celui des Béni Menacer ouest, dont le commandement
fut confié à Ahmed Ouddadi, assisté par les chefs de douars et dechras
et qui devait se diriger vers la région de Noufi. Cette étape fut
également caractérisée par les correspondances adressées par Malek El
Berkani, chef de la révolte, à bon nombre de régions avoisinantes, pour
les inciter à entreprendre la guerre sainte contre les mécréants. Il
obtint ainsi le ralliement de Kaddour Ben El Moubarek de Koléa et
Abdelkader Ben El Mokhtar de Miliana, deux personnalités fortes dont le
ralliement donna un nouveau souffle à la révolte, et permit aux
combattants de mener de nombreuses attaques contre l’ennemi et ses
alliés le 17 juillet 1871.
En effet, ils affrontèrent une troupe militaire dirigée par le
capitaine Varloud dans la région de Noufi. De là, ils se dirigèrent
vers Hadjout, incendièrent l’hôtel de Hammam Righa et tuèrent de
nombreux français. Devant le développement du phénomène des révoltes et
leur intensification, les autorités françaises furent contraintes
d’envoyer des troupes supplémentaires de Koléa sous le commandement du
colonel Desandre.
Cependant, ces renforts n’entamèrent pas la détermination des
combattants, dirigés par El Berkani puisqu’ils parvinrent à étendre la
révolte dans la région de Hadjout, arrivant jusqu’aux confins de la
capitale. Au cours de cette étape, la révolte enregistra de nombreuses
victoires contre les Français et leurs alliés. Ainsi, le 23 juillet, un
certain nombre de colons furent tués et leurs usines incendiées parmi
lesquels une minoterie et une huilerie, parallèlement aux incendies de
fermes des colons et de leurs plantations érigées aux dépens des
habitants.
La journée du 25 juillet 1871 fut caractérisée par les attaques menées
par les combattants contre les troupes militaires. C’est ce jour-là
également qu’eut lieu la bataille d’Oued Bellagh, près du mont Chenoua,
à l’issue de laquelle les combattants furent victorieux, de même qu’ils
réussirent à couper l’alimentation en eau de la ville de Cherchell et à
incendier certaines fermes de colons dont la ferme Nicolas.
Conséquences de la résistance des Béni Menacer
Les autorités françaises acquirent la conviction que pour faire face à
cette révolte, l’intensification de sa présence militaire s’avérait
nécessaire. Pour cela, ordre fut donné à ses forces terrestres et
maritimes d’attaquer les foyers de la révolte. Elles arrivèrent donc de
Miliana, d’Alger et de Béjaïa sous le commandement de l’officier
Ponsark. Par ailleurs, des troupes françaises dirigées par l’officier
Bousquet, et appuyées par les escorteurs Aviso -Kleber et Desax firent
route vers les régions concernées. De ce déséquilibre du rapport de
forces, il résulta la mort au champ d’honneur du dirigeant Malek El
Berkani, le 2 août 1871, au cours d’une bataille près de la région de
Zourikh, la destruction de la zaouïa El Berkani à Miliana, la
succession de son frère Ibrahim à la tête de la révolte qu’il
poursuivit en engageant plusieurs batailles entre le 19 et le 20 août,
la reddition de ce dernier le 21 août 1871, ce qui mit fin à la
révolte. Les familles des révoltés firent l’objet de sanctions sévères
parmi lesquelles la confiscation de leurs terres, la destruction de
leurs maisons, l’incendie de leurs biens et le jugement de bon nombre
parmi eux par les cours martiales et leur condamnation à des peines
allant de la perpétuité aux travaux forcés et à la déportation.
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(Sources : site de la Wilaya IV historique)
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Mohamed El-Ouahed
08-06-2008
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