Entretien avec MAISSA bey
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Maïssa Bey est une femme blessée dans sa chair.
Son père décéda en 1957, suite à des sévices endurés par la main du
colon. Maïssa Bey est née avec cette plaie, jamais cicatrisée. Son
salut, elle le doit aujourd’hui à l’écriture. Un don inculqué par son
père, jadis instituteur. Depuis, elle n’a de cesse décrire et de «créer»,
toujours des histoires qui rappellent étrangement son mal, mais un mal
parfois commun à tous les Algériens. C’est alors que les souffrances de
Maïssa se diluent dans la beauté du mot, la précision du verbe. L’amour
de la littérature tout simplement, y compris française, ce butin de
guerre cher à un autre grand écrivain, Kateb Yacine. Cette culture «plurielle»
n’est-ce pas ce qui nous constitue finalement? Aussi, depuis 1996,
cette femme de Sidi Bel Abbès n’arrête pas d’écrire, en français. Des
nouvelles, des romans, des récits. Certains sont adaptés sur les
planches grâce à un ami français, Jean-Marie Lejude qui a pris
l’habitude d’adapter ses textes en pièces de théâtre. Ce sera idem pour
ce dernier roman Pierre, sang, papier ou cendre, qui remonte le fil du
temps pour évoquer 132 années de spoliation de terres, de tortures, de
violence, d’exactions, de déculturation, de négation du droit. Un roman
fait de «sang», de «cris», et de «lamentations» à l’égard du peuple algérien. Mais aussi de «désirs
et de rêves nés d’histoires parfumées, d’épices enivrantes, d’histoires
saupoudrées d’exotisme...On appelle cela Désir d’Orient». Un roman, sur «les bienfaits de la colonisation» de cette Madame Lafrance qui a «remodelé cette terre (l’Algérie) à son image» et raconté par le regard de cette innocente sentinelle: Un enfant. «L’enfant marche dans les rues du village.
Partout, partout la mort a laissé son empreinte.
L’enfant court.
L’enfant retourne aux champs.
Il se cache au milieu des herbes.
Rouge. Rouge, le sang des coquelicots.
Jaune. Or des jonquilles..»
Alors,
les peurs et les hésitations écartées, ce texte, appuyé de recherches
approfondies, de quête historique, d’inspiration fortement poétique,
dans l’esprit et dans la forme, une première pour Maïssa Bey, est né.
Apres trois ans de préparation et de maturation. Il s’appellera Pierre,
sang, papier ou cendre, un titre qu’elle doit à Paul Eluard. Un ouvrage
saisissant aussi, dont le texte est écrit, précise Maïssa Bey pour la
campagne L’oeil du Tigre (Reims). Il a été créé sous le titre de Madame
Lafrance, au théâtre Nouveaux relax de Chaumont, en février 2008. Une
adaptation et mise en scène par Jean-Marie Lejude avec comme comédiens,
Fatima Aïbout et Lahcen Razzougui et comme accompagnement musical, un
accordéon signé Eric Proud, sur une scénographie de Thierry Vareille.
Avec
ce nouveau roman, Maïssa Bey gagne effectivement en intensité et en
lumière. Autant qu’en force poétique. Ses mots sonnent comme un vent,
hissant le voile d’un bateau prêt à se lancer dans mille
batailles...Comme avant-goût, voici cet extrait: «Elle avance.
Droite, fière, toute de morgue et d’insolence, vêtue de probité candide
et de lin blanc, elle avance. C’est elle, c’est bien elle,
reconnaissable en ses atours.
Tout autour d’elle, on s’écarte. On s’incline. On fait la révérence.
Elle avance, Madame Lafrance.
Sur des chemins pavés de mensonges et de serments violés, elle avance.
Claquez
pavillons! Aux armes, citoyens! Formez vos bataillons, en rangs
serrés:Tous derrière elle! Et vous, peuplades barbares, écartez-vous,
prosternez-vous!» Le ton est donné. Tranchant. Aiguisé. Un livre
impitoyable, à lire, celui d’une femme apaisée, qui se réconcilie enfin
avec l’autre et soi-même. Grâce à l’écriture...Ecoutons-la.
L’Expression:
Vous venez de publier aux Editions Barzakh, un nouveau livre sorti
aussi en France, intitulé Pierre, sang, papier ou cendre qui évoque 132
ans de colonisation, qui retrace l’histoire de l’Algérie de 1830 à
1962. L’histoire se veut donc antérieure à votre roman Bleu, blanc,
vert qui, lui, retraçait l’histoire de l’Algérie de 1962 à 1992. Je
crois savoir que ce livre devait être à l’origine une pièce de théâtre
sur les bienfaits de la colonisation. Qu’est -il vraiment?
Maïssa Bey:
Le fait que j’avance dans l’histoire à rebours, pas exactement dans le
sens chronologique, c’est parce que dans Bleu, blanc, vert je reviens
sur la période post-indépendance (1962-1992). J’ai essayé donc
d’éclairer notre présent à la lumière de cette histoire-là. Je me suis
rendu compte qu’il fallait aller plus loin, creuser encore plus pour
savoir de quoi nous sommes faits et construits. A la suite d’un
entretien avec un metteur en scène qui monte tous mes livres au
théâtre, qui s’appelle Jean-Marie Lejude, dont Entendez-vous dans les
montagnes qui a été joué ici au Centre culturel français d’Alger, nous
discutions un jour, en 2005, après la promulgation de la loi du 23
février sur les bienfaits de la colonisation. Il me dit: «Ecoute, Maïssa tu devrais écrire quelque chose sur "ces bienfaits"». Il voulait montrer ce qu’était réellement la colonisation
Vous avez, au départ, je suppose, rejeté la proposition.
Oui,
tout à fait car je ne suis pas historienne et je ne voulais pas revenir
sur cette période...Il est revenu à la charge au moment où des
écrivains africains, français et autres réagissaient à cette loi et au
discours de Sarkozy à Dakar. J’ai pensé qu’il fallait quand même, nous,
Algériens réagir à elle, nonobstant les journalistes et autres
historiens. Je me suis demandé comment, moi romancière, je pourrais
écrire quelque chose sur le sujet. Une lettre ouverte n’aurait pas
suffi et n’aurait pas eu l’impact escompté. J’ai donc essayé d’imaginer
dans quelle mesure je pouvais rentrer dans cette histoire-là, mais d’un
point de vue d’écrivain et non d’historienne. Je voulais revenir sur la
réalité, sur le fait colonial lui-même. Et comment revenir sur le fait
colonial autrement qu’en essayant d’imaginer la vie quotidienne en ce
temps. Imaginer un personnage confronté à cette réalité coloniale. Il
s’agissait pour moi d’imaginer un enfant..
Pourquoi le regard d’un enfant?
Le
regard d’un enfant est important et intéressant. D’abord parce qu’il
est porteur d’innocence. Parce qu’un enfant se pose des questions que
des adultes ne se posent plus ou ne savent plus se poser. Aussi, je me
méfie du mot vérité, car s’agissant de la colonisation, elle reste chez
nous, toujours tributaire du subjectif, du vécu.
Cela a été dur de recouper tous ces faits historiques et de se documenter autour de la question coloniale.
Cela
a été surtout très long. Je croyais connaître l’histoire de l’Algérie.
Je connaissais les faits les plus marquants, certaines dates, mais
quand je me suis replongé dans cette histoire, je me suis rendu compte
qu’il y avait beaucoup de choses que je ne connaissais pas. Donc j’ai
essayé, à travers ce regard d’enfant, de voir d’abord quel était
l’effet de la colonisation sur le peuple algérien, l’individu et non
pas la masse comme on le considère de manière générale historiquement.
Vous avez, dans ce livre, évoqué ce que la France a laissé en vous comme empreintes..
Il
y a une tendance à faire l’impasse sur des choses qui nous ont
constitués. Par exemple, aujourd’hui, on parle de colonisation
française, mais je suis et je le répète, un produit de cette
colonisation, ne serait-ce que par l’emploi de la langue française dans
laquelle j’écris, je m’exprime, la langue dans laquelle j’ai appris à
être, je suis, voilà. Ce sont des choses que je ne veux pas nier.
Beaucoup de gens en France n’ont pas encore digéré d’avoir perdu
l’Algérie. Je dis, certaines personnes n’ont pas encore accepté la
réalité historique. Ce sont là des faits pervers de la colonisation. Je
cite quelques exemples: Les ponts, les routes, les hôpitaux etc. On
nous dit, voilà ce que la France a laissé. Or, ce n’était pas pour les «indigènes».
Parce que c’était un territoire français et il fallait qu’il y ait
l’architecture d’un territoire français. Cela n’a pas été fait pour le
bien des indigènes, mais celui des Français. Il se trouve
qu’aujourd’hui, ce pays n’est plus la France. Il y a même des gens qui
me disent aussi: imaginez si la colonisation française n’avait pas eu
lieu, que serait l’Algérie d’aujourd’hui? Je leur réponds: Elle se
serait forgée, peut-être difficilement, peut-être avec un certain
retard, par rapport, entre guillemets, aux démocraties occidentales
mais moins douloureusement. Elle aurait une réalité, une culture, une
histoire, des racines qui nous seraient propres et personnelles. Alors
qu’aujourd’hui, on est faits de tous ces fragments qu’on essaie de bien
rassembler pour constituer un Algérien.
C’est un peu provocateur ce terme «Madame la France»..
Je
n’ai rien inventé. C’est un terme qui existait et que beaucoup
employaient ici. Quand on considère les représentations picturales ou
les statuts, la France s’est toujours représentée sous des traits
féminins. C’est une allégorie que je n’ai pas inventée et que j’ai
reprise, bien sûr, avec cette dose d’ironie qui est nécessaire pour
faire passer le propos.
Comment ce livre a-t-il été perçu depuis sa sortie en France?
Beaucoup
m’ont dit que c’est un livre nécessaire. Pour ceux qui ne connaissent
pas l’histoire de ce pays. Quand ils ont découvert, par exemple, à
travers les yeux de cet enfant les répercussions du Code de l’indigénat
sur le quotidien des Algériens, il y a des gens qui m’ont dit: «Nous
ne savons pas. Nous avons lu des livres d’histoire, mais nous
n’arrivions pas à visualiser. Tandis que là, c’est l’enfant qui raconte
cette privation de liberté que représente cette entreprise
d’acculturation qu’est le Code de l’indigénat. C’est raconté au
quotidien par un enfant.» Cela rend les choses beaucoup plus
proches. D’autres me disent aussi, c’est ce que nous retrouvons dans
vos livres. Il n’y a pas de haine, mais il n’y a pas de pardon non plus.
Cela
se traduit aussi par la forme d’écriture, nouvelle chez vous, et la
veine poétique dans laquelle vous avez puisé pour transmettre cette
histoire.
Le côté poétique est un parti pris. Quand j’ai
entrepris ce texte qui est quand même assez ambitieux, je me suis dit
que je n’avais pas droit à l’erreur. D’abord au plan historique.Il
fallait que tous les faits historiques soient vérifiés. La deuxième
chose, c’était sur le plan de l’écriture parce que dire des choses
atroces telles qu’elles se sont passées, le napalm, les tortures, c’est
horrible! Je ne pouvais pas les décrire comme elles se sont déroulées.
Il fallait transcender cela par l’écriture. Vous savez, quand on lit
des tragédies grecques où il y a les pires des choses qui se passent,
les parricides, les matricides, etc. et pourtant, c’est très beau parce
que c’est de la littérature, c’est de la création. Je crois que c’est
ça que j’ai gardé en tête durant toute la rédaction de ce texte.
On
ne peut faire l’impasse sur cette question. Récemment, s’est tenu le
Salon international du livre de Paris qui a été consacré au 60e
anniversaire d’Israël. Il se trouve que vous êtes un des rares
écrivains algériens à ne pas avoir boycotté ce Salon. Pourquoi ce
choix? D’autant qu’avec ce livre, un peu brûlot, sorti donc à
l’occasion du Salon - c’est un peu provocateur de votre part - Est-ce
finalement votre réponse (ce livre) à vos détracteurs?
J’ai
toujours refusé de répondre à cette question. Car il y a des propos qui
ont été rapportés et déformés sciemment. Je le sais. Mais comme vous le
dites, c’est tout à fait ça. Ma réponse est que je suis écrivaine. Ma
seule réponse, c’est ce livre-là.
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Propos recueillis par O. HIND
22 mai 2008
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M. Delanoé : "De l'audace!"
''Il faut dire la ''vérité" sur les crimes coloniaux''
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Le maire de Paris, M. Bertrand Delanoe, a souligné la nécessité pour la France de "dire la vérité"sur ses crimes coloniaux, dans un livre titré "De l’audace !" devant paraître jeudi.
"Si nous étions plus nets sur ces questions (de colonisation) qui nous font mal, les relations avec le Maghreb seraient moins douloureuses", a estimé le maire de Paris dans un livre compilant une série d’entretiens avec Laurent Joffrin, directeur du journal Libération. Dans ce livre, dont des extraits sont publiés par le Nouvel Observateur, le maire de Paris, répondant à des questions sur la colonisation, a évoqué la question de la repentance face aux crimes coloniaux. "Est-il si humiliant d’exprimer des regrets", s’est-il demandé, ajoutant qu’en "tout cas, ce qui me choque dans le propos de Nicolas Sarkozy c’est que la repentance n’a été exprimée par la France qu’à propos de Vichy (régime pétainiste pro-nazi)".
"Pour ce qui concerne la colonisation au Maghreb et notamment là où elle a été la plus douloureuse, en Algérie, il faut simplement dire la vérité", a-t-il souligné dans son livre (éditions Robert Laffont).
Il a rappelé que "l'ambassadeur de France en Algérie nous avait pourtant mis sur la bonne voie en allant reconnaître en février 2005 les massacres de Sétif, qui ont fait tant de morts en 1945". Il a appelé à "dire la vérité, notre vérité et même notre vérité commune. Car elle est faite de domination, d'exploitation, de souffrance imposées aux colonisés en même temps que de liens culturels et affectifs que personne n'a envie de nier, pas plus les Algériens que les Français".
"Le fait colonial reste ce qu'il a été : une domination illégitime et le plus souvent brutale, découlant d'intérêts économiques et militaires ou d'une volonté impérialiste", a ajouté le maire de Paris, soulignant encore que "le jugement de l'histoire est sans appel : la colonisation a été négative".
"Disons toute la vérité, pour ce qui nous concerne (...) C'est nous qui avons colonisé l'Algérie, ce ne sont pas les Algériens qui ont colonisé la France. Alors disons-le et que chacun prenne ses responsabilités", a-t-il martelé, espérant que "les choses évolueront ensuite" car, selon lui, "les dirigeants algériens sont des personnes intelligentes".
21-5-08
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