C'était
une des dernières activités de Monseigneur Henri Tessier:
l'inauguration de la bibliothèque augustinienne André Mandouze, le 5
mai dernier, au Centre d'études diocésain, relevant de l'Evêché
d'Alger. L'homme savourait l'indicible bonheur de constater que les
amis musulmans étaient là, pour remercier encore une fois Mandouze, ce
chrétien sans concession, engagé dans le combat anticolonial, pour son
nouveau don. Les amis étaient bien là, comme toujours. En dépit de
tout. Un bonheur modeste mais précieux en ces temps ridicules.
C'est que ces derniers mois, le doute avait été instillé. Ceux qui le
connaissent devinaient, derrière le silence pudique de l'homme,
toujours affable et souriant, une profonde peine. On devinait Henri
Tessier accablé par la campagne aveugle - et totalement stupide - qui,
sous le prétexte de combattre l'évangélisation, tentait de briser cette
action inlassable qu'il a menée pour la fraternité entre musulmans et
chrétiens. Sous le patronage posthume d'André Mandouze, il a pu
constater combien étaient forts ces liens, tissés de longue date, entre
ces chrétiens qui vivent leur foi, sans la moindre agressivité, et les
musulmans qui les apprécient.
Henri Tessier et les autres
sont bien nos frères. Seuls ceux qui inventent de fausses guerres pour
de faux prétextes cherchent à en faire douter. Mgr Henri Tessier,
l'Oranais, l'Algérois, l'Algérien, vient d'être remplacé par le père
Ghaleb Moussa Abdallah Bader, du Patriarcat latin de Jérusalem. Nous ne
doutons que cet homme précieux, attaché au dialogue islamo-chrétien,
continuera à servir, même dans sa retraite. Ce grand chrétien est un
grand Algérien. Tous ceux qui l'ont connu personnellement ne peuvent
que témoigner de son immense capacité d'écoute, de son souci constant
des autres.
Cela ne rendait que plus blessant pour nous,
Algériens et musulmans, ces «unes» idiotes de journaux en état de
guerre, mettant en évidence la basilique de Notre-Dame et la photo
d'Henri Tessier pour parler de prosélytisme. Pour des hommes et des
femmes qui ont veillé à rester présents parmi nous aux heures les plus
dures, ces attaques étaient incompréhensibles. Pour nous, musulmans
pratiquants ou non, qui connaissons ces hommes et ces femmes d'église -
certains ont laissé leur vie dans notre décennie de sanglante folie -
et les services qu'ils rendent, dans le silence, aux humbles parmi les
humbles, ces campagnes de presse sont profondément blessantes pour
notre foi. Pour notre histoire aussi.
Cet homme - comme tant
d'autres hommes et femmes - a traversé des périodes cruciales de
l'histoire du pays où il était si facile de se tromper. Mais comme le
cardinal Léon-Etienne Duval ou l'amoureux de Saint-Augustin, André
Mandouze, il ne s'est pas trompé. Il a été du côté de la justice, du
côté des musulmans qui cherchaient à s'émanciper du colonialisme. C'est
pour cela que nous disons à Henri Tessier, l'Oranais, l'Algérois,
l'Algérien, nous t'aimons, frère. Reste parmi nous !
.
.
.
.
par K. Selim
26-05-2008
.
.
.
.
Pourquoi
sommes-nous devenus aussi intolérants? A chaque crise de vocation
collective, ce pays trouve la plus tragique et la plus haïssable des
formules: «La valise ou la mer», tout juste après l'Indépendance pour
chasser les Français qui voulaient être algériens. «La mer ou le
cercueil» à l'époque du FIS contre ceux qui voulaient réfléchir ou
s'opposer. «La mosquée ou le tribunal», selon un représentant de
l'inquisition religieuse, lors d'un procès, à Tiaret, contre une femme
qui a choisi le Christianisme après l'Islam hérité.
Pour
trouver la réponse, il faut donc creuser. Dire que nous avons été si
souvent colonisés, que chaque étranger est pour nous une menace et
chaque différence, une trahison, ne suffit plus que pour les
historiens. Dire que c'est l'école et son dressage idéologique qui ont
fait de nous ce que nous ne sommes pas, nous approche un peu de la
vérité. Tout le monde le sait mais personne ne le dit: les
égyptianneries des années 70 ont ravagé l'âme de ce peuple, sa langue
et son esprit presque autant que la dernière colonisation. La
décolonisation populiste aura même fait pire que la colonisation
massacreuse. Qu'en restera-il? Un peuple qui n'aime pas qu'on ne lui
ressemble pas et qui ne ressemble à personne justement. Aujourd'hui, à
l'époque des grands charmes et des appels à l'investissement et au
tourisme, le pays de la RADP vient d'ouvrir la chasse contre lui-même.
Il s'Iranise avec vigueur, s'isole comme son propre Président dans le
soufisme panthéiste, se sabote et cède au ridicule. A la fin, encouragé
par son gouvernant principal qui parle comme un imam, par sa télé qui
parle comme une barbe et par des partis qui parlent à la place de Dieu,
le pays populiste a compris le message: la barbe c'est bon, les autres
c'est mauvais, le problème c'est la croix. Dès lors, il suffit de
chasser la croix même celle des poteaux, d'arrêter ceux qui lisent la
Bible pour passer le temps dans les bus, de crier à la menace de dix
églises contre le parc de cent mille mosquées, pour occuper on
histoire. A la fin, on arrête une simple jeune femme à qui on offre un
choix strict, hideux, loin de l'esprit de cette religion: la mosquée ou
le tribunal. Pourquoi sommes-nous devenus aussi intolérants? Parce que
nous n'avons rien à faire et que nous sommes terrifiés. Face à la
terrible angoisse de la modernité, chacun répond selon ses capacités:
pour nous, cela sera par la chasse à la différence.
Et comble
dans cette affreuse histoire d'une jeune Algérienne qui risque d'être
brûlée (deux fois après l'intervention malencontreuse des Français) sur
un bûcher, sous les huées de la peuplade excitée, c'est que cela
intervient même où l'Etat affirme, à Nouakchott, par la bouche de notre
ministre de l'Intérieur que pour lutter contre le terrorisme, il faut
lutter contre l'intégrisme, faire accepter l'altérité, dissocier les
religions de leur réduction, expliquer qu'être juif n'est pas être
sioniste, être musulman n'est pas être terroriste et être chrétien
n'est pas être évangéliste. C'est dire que le paradoxe est de taille:
il fait 2 millions de kilomètres carrés et réclame la lutte contre le
terrorisme sans la lutte contre les intégrismes de tous bords.
Pourquoi, donc, islamistes, musulmans, laïcs, hystériques ou
modernistes, sommes-nous tous devenus aussi intolérants et de la façon
la plus ridicule? Parce que nous n'avons rien à faire sur terre sauf se
réclamer de Dieu ou des Pouvoirs. Au sud c'est le Sahara, au nord c'est
le désert. D'où cette nouvelle mission qui, à la différence de l'Islam
des origines qui s'en prenait à deux empires géants, se réclame d'un
Islam local qui s'en prend à une jeune femme dans un bus. L'affreuse
histoire de «Le nom de l'Islam contre le prénom de Habiba» sur les
écrans géants de cette nation, avec le reste de l'humanité pour
spectateurs. Dieu! Que faire pour se laver de cette honte de l'âme?
.
.
par Kamel Daoud
le 27-05-2008
.
.
.
.
Les commentaires récents