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MALG - «Services», génération «Benbouzid» - génération UGEMA:
Histoire d'une filiation interrompue
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Pour le «compte-rendu», il s'agissait
d'une rencontre entre la génération des lycéens en grève contre la
France coloniale, un 19 mai 56, et ceux des générations actuelles, sous
l'égide de la Délégation régionale ouest du MALG.
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Pour le «fond», il s'agissait du spectacle d'une filiation interrompue
: entre l'histoire du MALG et l'histoire des «Services» algériens,
entre les lycéens du sacrifice et ceux du brouhaha.
Organisée
dans le musée du Moudjahid à Oran, la matinée du jeudi, la rencontre,
voulue comme «historique» et surtout pédagogique, avait tenté de casser
les cadres vides des commémorations creuses. Pour le délégué régional,
M. Mahi Bahi, ancien ministre de la Justice, mais surtout ancien du
MALG, la bonne formule a été d'inviter, en masse, des lycéens d'Oran, à
prendre la parole et à interroger les survivants de cette fameuse grève
des lycéens qui a donné ses lettres de noblesse au FLN, porté jusque-là
par l'image d'une révolte paysanne sans encadrement et isolé par la
propagande coloniale sous le sceptre d'un mouvement terroriste sans
incidence sur les classes moyennes et lettrées indigènes. Réduite à une
seule demi-journée pour éviter la dispersion de l'attention d'un public
difficile, la rencontre sera animée par cinq conférenciers, anciens du
MALG entre autres, sur des thèmes de vulgarisation de l'action des
lycéens algériens à cette époque : «nature de la participation
estudiantine dans le succès de la Révolution», par Salih Benkoubi,
«Rôle des étudiants en médecine après l'appel à la grève : cas des
étudiants de Montpellier», par Med Feradi, «Le Dr Med Seghir Nekkache
et moi», par Abdelalim Medjaoui, «La formation des cadres de l' ALN
dans les Hautes Ecoles : la naissance de l'Armée de l'Air», par Hocine
Senouci et, enfin, « Autour de la grève du 19 mai 1956», par Daho Ould
Kabila, venu sous la casquette du conférencier et pas sous celle du
ministre.
Pourtant, et malgré sa pédagogie, la rencontre
offrira surtout le spectacle étonnant d'une véritable filiation
interrompue. D'abord, entre la génération de 56 dont les survivants
présent à la salle, peinaient à accrocher la génération de Benbouzid,
sauf lorsque, signe d'une sociologie urgente à méditer, le conférencier
recourait à l'algérien courant pour exprimer une histoire qui devenait
soudain vivante pour le jeune public. Scène d'une transmission mais
aussi d'une narration impossible, l'observateur retenait surtout le
spectacle d'une grave rupture dans la transmission de l'histoire
algérienne, devenue impossible de part et d'autre. On avait même de la
peine à lier la jeunesse grave et enthousiaste, parée à jamais par
l'immobilité du portrait funéraire, d'un Cherfaoui Ali ou d'un
Belahcène Houari, morts avant leur véritable vingtaine à l'époque de la
guerre et les visages des lycéens invités de ce jeudi, enfants des
générations «Benbouzid», sortant eux-mêmes d'une grève inédite contre
le ministère de tutelle, pour dénoncer les cafouillages devenus
séculaires de l'Education algérienne après l'Indépendance. Face à des
conférenciers dont on peinait à entrevoir la jeunesse interrompue par
l'engagement à l'époque et le sacrifice absolu que cela supposait et
dont on mesure à peine la facture aujourd'hui, les lycéens
d'aujourd'hui, brisés dans leur spontanéité par un système
d'apprentissage pavlovien incapable d'ouvrir la voie à la liberté de
ton, rateront même l'occasion d'un véritable débat avec le ministre,
par une série de questions conditionnées par les programmes et les
réflexes de la conformité et de conformisme. Etrange bouleversement des
situations, si pour les anciens grévistes de 56, l'engagement de cette
époque s'expliquait par l'histoire comme pour les convictions, celui
impossible du jeudi restera peut-être pour toujours un mystère. «C'est
seulement en 56, que la Révolution a reçu ses grandes lettres de
noblesse : l'engagement de l'association des ulémas, le ralliement des
modérés, la création de l'UGTA et de l'UGCA. L'ALN commençait à être
encadrée par des gens instruits», nous résumera l'une des figures de
l'UGEMA (Union générale des étudiants musulmans algériens). Pour la
petite histoire, «c'est la section d'Alger qui décida seule d'une grève
illimitée», nous racontera l'un des participants : le bureau de l'UGEMA
autant que le FLN ne feront qu'accompagner puis récupérer un mouvement
parti sur un prétexte, ne visant que les universitaires en principe,
mais aboutissant à l'expression d'un véritable engagement en faveur de
la Révolution. «Il ne faut pas oublier ce que signifiait le sacrifice
d'une carrière pour les étudiants algériens et les lycéens algériens à
l'époque de l'apartheid colonial», nous dira l'une des figures de
l'UGEMA. «Beaucoup d'entre nous ne reprendrons que difficilement leurs
études après l'Indépendance, et la grève illimitée avait été décidée à
01 mois des examens». Pour les chiffres, ceux-ci sont étonnants
lorsqu'on les mesure à partir des quatre décennies de l'Indépendance
algérienne : sur les 5.700 étudiants de l'unique université de
l'époque, 684 seulement étaient algériens dont 67 femmes. Et sur les
7.132 lycéens algériens, un millier rejoindront le maquis dès les
lendemains du mouvement. «C'est de cette grève que l'on peut dater le
début d'une véritable politique d'encadrement du FLN». Pour le tableau,
il faut aussi rappeler que «la France n'a formé, de 1860 à 1915 que 02
médecins, 01 pharmacien, et 02 sages-femmes», selon certaines sources.
«Les seules filières «ouvertes» aux indigènes restaient encore le droit
et la médecine par exemple». Les lendemains de cette grève seront eux
aussi terribles, selon les témoins de cette époque : en 57, il «ne
restait que 3.886 lycéens dans le cursus». Pour l'explication, il
s'agissait de la conséquence du départ de certains, plus d'un millier,
vers le maquis mais aussi du départ de beaucoup d'autres en exil, pour
poursuivre les études avec un soutien français, l'idée étant d'éviter
que le FLN ne profite de ces promotions. «Le FLN en fera de même en
finançant les bourses d'études de beaucoup d'Algériens envoyés pour
formation et études dans les pays du bloc de l'Est par exemple». Pour
les universitaires, «en 1957, sur le chiffre initial, seul 265
reprendront les cours». «C'est dire que l'histoire de cet engament
reste à approfondir». L'histoire mais aussi la psychologie collective
qui en sera la terrible conséquence.
Petite curiosité alimentée par des discussions de couloirs, l'on ne pourra pas en effet éviter la question de la filiation supposée ou fausse entre les «Services» algériens sous leur différents sigles et le fameux MALG présenté comme l'ancêtre de cette institution qui perpétua la légende et la clandestinité des maquis. «Pour comprendre, il faut remonter justement à la grève du 19 mai 56 : le départ des étudiants et lycéens algériens vers le maquis donnait un avantage immense au FLN. L'armée française y répondra, un an et demi après, par une grosse opération d'intoxication qui laissera des séquelles jusqu'à aujourd'hui, dans les rapports de l'intellectuel algérien avec les détenteurs du pouvoir ou de la légitimité». La fameuse Bleuïte fera des ravages parmi les nouveaux maquisards instruits soupçonnés de trahison et d'infiltration par une hiérarchie guerrière traquée. «Il faut reconnaître à Boussouf cette initiative de sauvetage des intellectuels et lettrés algériens de l'époque, par la création de ce fameux MALG (Ministère de l'Armement et des Liaisons générales). Ce sont donc ces promotions de grévistes qui seront, quelque part, le noyau dur de ce corps, mis en berne juste après l'indépendance. «Si Mabrouk» - l'usage des pseudo pour nos services vient-il de ce premier réflexe ? - payera un peu son parrainage d'un autre illustre inconnu, Boumediene, «qui récupéra ce qui resta du MALG après 1962», nous résumera l'un des interrogés. «Il faut dire aussi qu'il n'en restait plus grand-chose : la plupart se sont retirés ou ont repris leurs études. N'y sont restés que ceux qui n'avaient pas d'autres perspectives, souvent». Le lien entre le MALG et les «Services algériens» est-il donc une fiction ? «Un peu», nous répond-on avec le sourire : «il s'agissait d'allégeances presque personnelles et de raisons d'animosité entre Boussouf et Boumediene». Le reste de l'histoire des« Services » algériens ne vient pas du MALG dont l'association ne verra le jour que durant les années 90. «Lorsque, après l'indépendance, on me demanda de rester dans les «Services», j'ai répondu : avant j'avais un ennemi et maintenant ? Dois-je surveiller et dénoncer mes voisins ?», répondra l'un des hommes faiseurs de cette époque. L'histoire de cette rupture sera dramatique pour le pays et ses élites : on datera de la fameuse Bleuïte ce rapport de psychologie de la méfiance entre l'homme au pouvoir et l'homme des lettres, le Chef et le Clerc. On datera aussi de l'histoire de Boumediene avec Boussouf et du parricide de cette époque, la psychologie de méfiance entre l'intellectuel et l'homme des «Services», le premier se complaisant dans un rôle fixé d'opposant non négociable et le dernier, dans celui du commissaire politique piégé par son statut de gardien des commandes, de l'orthodoxie. Le faiseur d'opinion et d'Idées contre les faiseurs de manipulation et de PV. Dans le panthéon, Merbah, Bellaroussi le père de Abdelmoumène Khalifa ou Zerhouni n'y sont que des noms et des épisodes. Toute une histoire de filiation interrompue entre les lycéens et les «anciens» dans le musée du Moudjahid à Oran ou entre le MALG et ses pseudo-héritiers, à méditer et à écrire un jour.
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Kamel Daoud
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Guerre de libération
L'empreinte des étudiants
. L’Algérie
commémore le 19 mai de chaque année la Journée de l’étudiant. Cette
commémoration atteste donc que cette frange de la population a
profondément marqué de son empreinte l’histoire de la lutte de
Libération nationale.
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En effet, le 19 mai 1956, l’Union générale des étudiants algériens (Ugema), créée une année auparavant sous l’égide du Front de libération nationale, dont elle constituait le prolongement idéologique et politique, décidait souverainement de lancer un appel à la cessation des études et au ralliement de la jeunesse estudiantine au combat pour l’émancipation du joug colonial. Cet appel fut unanimement entendu au niveau des universités, des médersas, des instituts, des lycées et collèges tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Je ne m’étalerai pas sur les circonstances de la création de l’Ugema ni sur son rôle mobilisateur à la veille de cet événement historique. Ces faits sont connus. J’insisterai pour dire que cette importante décision fut d’abord un acte politique. Un acte politique majeur qui situait clairement et irrémédiablement la place de la jeunesse intellectuelle algérienne dans le camp des opposants à la présence française dans notre pays, ce qui ruinait l’argumentaire de l’administration coloniale qui s’évertuait à présenter les combattants de l’Armée de libération nationale comme des groupes marginaux de rebelles incultes, manipulés de l’extérieur, coupés de la population qu’ils soumettaient et dominaient par la terreur. Cette décision politique, pour importante qu’elle fut, n’était pas cependant une fin en soi. En écho à l’invite contenue dans l’appel à la grève, elle allait avoir des prolongements naturels dans l’engagement pour l’action à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Cet engagement fut massif, en proposition, si l’on considère que sur les trois à quatre mille étudiants qui fréquentaient universités, lycées ou instituts, plus des deux tiers ont rejoint le FLN et l’ALN. Il a scellé l’unité de la jeunesse en lutte, cette jeunesse qui figurait désormais toutes les couches de la société, femmes et hommes, ruraux et habitants des villes, paysans et ouvriers, instruits et non instruits. La seule problématique que cet engagement allait poser : comment les utiliser. Au plan qualitatif, l’étendue de leur niveau intellectuel et la diversité de leur formation les prédisposaient à jouer des rôles importants au vu de leur compétence, de leur engagement patriotique et de leur détermination. C’est ainsi qu’à l’intérieur du pays, des centaines d’entre eux vont rejoindre, dès l’été 1956, les pionniers du 1er Novembre 1954 parmi lesquels figuraient déjà des aînés intellectuels engagés, à l’image de Chihani Bachir, Abbès Laghrour, Mohamed Lamouri, Ali Kafi, Hachemi Hadjerès, Benbaâtouche, les frères Zaâmoum, Amara Rachid, Taleb Abderahmane, Si El Haouès, Mohamed Chaâbani, Brahim Zeddour, Houari Boumediène, Lotfi, Akbi, Medeghri... tous issus des instituts islamiques ou de l’université, ce qui permet d’affirmer que l’élément intellectuel ou ceux que l’on appelait prosaïquement « Al qaryine » (les instruits) n’était pas absent du théâtre opérationnel. Toujours à l’intérieur, l’intégration de ces « grévistes » au sein du FLN/ALN se fera dans les structures politiques urbaines clandestines, dans les missions spécifiques de santé (médecins et infirmiers), dans la presse et la propagande et surtout, pour la majorité d’entre eux, dans les unités combattantes. Ce dernier point mérite toutefois une explication pour répondre à une interrogation récurrente souvent occultée. Ces jeunes de l’intérieur ont-ils eu les mêmes chances que leurs frères travailleurs et paysans de se voir valorisés afin d’atteindre les responsabilités auxquelles ils pouvaient aspirer compte tenu de leurs aptitudes ? Je réponds : pas toujours. Dans beaucoup de régions, en effet, ils ont fait l’objet d’une marginalisation et d’un ostracisme évident. La raison en est que de nombreux responsables militaires de régions ou de zones appréciaient la qualité de combattant à l’aune de la rusticité physique, de l’ampleur de la personnalité, du sens du commandement et surtout de la faculté d’insertion dans la société rurale afin de mieux développer leur instinct de survie : ces étudiants, ces lycéens n’ont cependant pas démérité. Dans tous les cas de figure, ils ont relevé le défi, bravant les difficultés, allant jusqu’au sacrifice suprême. Des milliers d’entre eux ont payé ainsi de leur vie, par la main de l’ennemi, leur engagement sans faille. D’autres, malheureusement et ils furent nombreux, connurent un sort injuste. Ils payèrent de leur vie l’incapacité de leurs chefs à déjouer le complot diabolique tramé par les officines des services psychologiques spécialisés de l’armée ennemie, les désignant à la liquidation physique par leurs propres frères. Il est vrai que la sécurité des maquis, vitale pour la survie de la révolution, imposait la vigilance la plus extrême et légitimait le fait de faire face avec rigueur et rapidité à la moindre suspicion, à condition que les choses ne perdurent pas dans le temps et ne gagnent pas d’autres régions, ce qui fut malheureusement le cas. Ces victimes innocentes ont été, par conséquent et sans contestation possible, les victimes directes de l’armée coloniale et ont mérité le titre de chahids. Il faut savoir que l’élimination de l’élite était un objectif prioritaire permanent de la soldatesque ennemie, pour ce qu’elle représentait de double danger, dans l’immédiateté de la guerre d’une part, et pour l’avenir en tant que réservoir de cadres de l’Algérie indépendante, d’autre part. Pour tempérer ce tableau au trait forcément sombre, je dirai quand même qu’une minorité de ces jeunes, purs produits de la grève de l’Ugema, ont tenu le coup et sont devenus, grâce à la force de leur volonté et à la constance de leur conviction, de grands cadres de l’ALN : responsables d’unités combattantes, commissaires politiques de haut niveau, chefs de région ou de zone, membres de conseils de wilaya, chefs de wilaya tel le colonel Khatib Youcef, membre du GPRA, tel Lamine Khène, sans omettre l’artisan de la création de l’Ugema, Mohamed Seddik Benyahia devenu, très tôt, membre du Conseil national de la révolution algérienne et un de ses principaux animateurs. Qu’en est-il par ailleurs de ceux qui ont rejoint le FLN à l’extérieur du pays, dans les capitales de pays frères ou directement dans les bases arrières de l’ALN ? Leur destin sera différent et directement lié aux besoins induits par les nécessités politiques ou techniques de la stratégie d’appui et de soutien à la lutte armée menée par l’intérieur. Partant de l’évidence que l’ALN ne manquait pas de bras, tous ceux qui pouvaient être utilisés autrement se verront confier, par des responsables lucides, des tâches immédiates en rapport avec leur niveau ou bien seront tenus de suivre une formation appropriée pour une qualification opérationnelle spécifique. Pour les tâches immédiates, les contingents qualifiés, politiquement parlant, seront désignés en qualité de chefs de mission du FLN dans les capitales des pays frères et amis à l’exemple, entre autres, de Tewfik Bouattoura, Lakhdar Brahimi, Ali Lakhdati, Mohamed Kellou, Salah Benkobbi, Abdelmalek Benhabylès, Hafidh Kerramane, Djamel Houhou, etc. Un autre contingent rejoindra l’appareil administratif du CCE ainsi que les services de l’information (presse nationale et radio) Belaïd Abdesslam, Rédha Malek, Mohammed Bedjaoui, Mohamed Harbi.
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Les jeunes médecins et étudiants en médecine, pour leur part
fort nombreux, seront repartis dans les unités de l’ALN aux frontières,
dans les bases arrières au service des réfugiés et dans les hôpitaux
civils marocains et tunisiens qui disposaient de pavillons
exclusivement réservés aux combattants algériens malades ou blessés.
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Enfin,
les contingents de moindre qualification, les plus nombreux, ont été
pris en charge par les commandements militaires des zones frontalières.
A l’Ouest, en particulier, où leur nombre était grand, car issus de
l’importante communauté algérienne résidant au Maroc, leur présence
n’embarrassa guère le colonel Boussouf, commandant la Wilaya V.
Celui-ci, tirant la leçon des lacunes organisationnelles et matérielles
de deux années de lutte, imagina rapidement le profit qu’il pouvait en
tirer avec une formation rapide dans des domaines où le déficit était
patent : les liaisons et le renseignement, le contrôle, la
communication, les transmissions, la logistique... Une école des cadres
politico-militaire fut créée, des centres de formation des
transmissions érigés. Les résultats furent rapides. En quelques mois,
l’ALN s’est dotée d’opérateurs radio facilitant les liaisons et les
communications. L’aspect opérationnel fut modifié avec la mise en place
de centres d’écoute de l’ennemi ; les services de renseignements et de
contre-renseignement développèrent un maillage couvrant plusieurs
régions géographiques, y compris le territoire français. La plus grande
réussite fut la mise sur pied d’un centre d’émission radio qui fit
entendre la voix du FLN dès le 16 décembre 1956. Cette formation ne
s‘arrêtera pas. Elle se déploiera à l’Est du pays sous la houlette des
colonels Krim Belkacem et Amar Ouamrane et ira en s’amplifiant jusqu’à
l’indépendance. La jeunesse algérienne venait d’intégrer, en
l’assimilant, le domaine de la techno-science, chose impossible à
imaginer au départ de la lutte. Un deuxième saut qualificatif sera
atteint avec l’ouverture des académies et instituts militaires des pays
frères, Egypte, Syrie, Jordanie, Irak. Des centaines d’Algériens
intégreront ces centres pour maîtriser les métiers de l’aviation dans
toutes ses dimensions : pilotes, navigants, radaristes, ingénieurs
mécaniciens, météorologues, parachutistes. Ceux de la marine avec son
corollaire les commandos et les hommes grenouilles. Le plus grand
nombre allant cependant à l’armée de terre dans ses variantes
infanterie, arme blindée, artillerie, génie. Les officiers sortants de
cette dernière formation d’infanterie seront appelés, pour partie, par
le chef d’état- major général, le colonel Boumediène, pour renforcer
son état-major, les autres pour l’encadrement au fur et à mesure des
bataillons de l’ALN et pour la formation des nouvelles recrues dans les
centres d’instruction de l’ALN des frontières à côté de plusieurs
dizaines de leurs frères officiers et sous-officiers déserteurs des
centres de formation de l’Armée française (Saint-Maixent notamment). Le
lieu d’accueil de cette formation militaire spécifique et multiforme ne
se limitera pas aux pays frères. L’Union soviétique et la Chine
ouvriront, à leur tour, leurs centres aux pilotes stagiaires algériens
pour un complément de formation sur les appareils les plus
perfectionnés de l’époque : chasseurs à réaction MIG 15, avions de
transport Ilyoutchine, hélicoptères MI.5 à un point tel que ces pilotes
étaient opérationnels dès 1961. J’ai parlé jusqu’à présent de la
formation à caractère ou à usage militaire qui a servi directement au
soutien de la lutte menée par l’ALN, se traduisant par le renforcement
de ses capacités opérationnelles grâce à la maîtrise de la
technoscience. La vision et les objectifs du FLN allaient cependant
bien au delà de ce cadre. Dès 1959, après le discours du général de
Gaulle, où celui-ci acculé par la pression militaire, politique et
diplomatique du FLN, concède au peuple algérien le droit de se
prononcer sur son avenir par un référendum d’autodétermination, le FLN
va initier une politique de formation de grande ampleur pour les cadres
de l’après-indépendance. Le GPRA, en coordination avec l’UGEMA, optera
pour les filières les plus sensibles : pétrochimie, économie,
mécanique, hydraulique, génie rural, génie nucléaire, agronomie,
géologie, métallurgie, toutes les sciences interdites aux algériens
dans les universités françaises de l’époque. Au niveau de l’association
que je préside, l’Association des anciens du MALG, nous disposons des
données complètes sur l’ensemble de ces actions de formation tant en ce
qui concerne le contenu, que le niveau, la durée des études et la liste
quasi-complète de ceux qui en ont bénéficié. Nous tiendrons, le moment
venu, ce dossier à la disposition des historiens et des chercheurs. Il
me reste à présent à conclure et comme je suis en présence de lecteurs
avertis, je sais bien que je suis attendu sur un bilan chiffré pour
leur permettre d’apprécier, au final, l’apport des étudiants algériens
à la glorieuse lutte de Libération nationale. Au plan militaire, j’ai
déjà évoqué leur contribution. Au plan politique, la diplomatie
algérienne, menée par ces cadres, a marqué des points dans toutes les
capitales ciblées et à l’ONU. Au plan politique toujours, les cadres du
service de renseignement du GPRA/MALG (plus d’une centaine) prirent une
part importante dans la confection des dossiers de négociation avec
l’adversaire français dès 1960, grâce à la somme d’informations de
grande qualité recueillies aux sources les plus proches du pouvoir
français. Au plan de la santé et de la médecine au service de l’ALN, je
n’y reviens que pour dire que sur les 200 à 300 médecins et étudiants
en médecine que comptait le pays entre 1954 et 1956, plus de la moitié
a rejoint l’ALN, dont plusieurs dizaines dans les maquis de l’intérieur
du pays. Plus de la moitié y laissera la vie. Parallèlement, des
centaines d’infirmiers ont été formés sur le tas. Ceux qui ont été
formés, quant à eux, dans d’autres secteurs, se comptent également par
centaines.
Ainsi :
900
agents des transmissions, (opérateurs, dépanneurs, chiffreurs) ont été
formés au sein de 16 promotions et affectés aux unités combattantes de
l’ALN et aux services du FLN et du GPRA. 119 parmi eux sont tombés au
champ d’honneur dans les maquis de l’intérieur.
250 jeunes ont été formés dans la maîtrise des explosifs, la maintenance et la fabrication des armes.
150 jeunes sont devenus des spécialistes du renseignement.
70
pilotes et techniciens, 40 officiers de marine, 10 hommes grenouilles,
40 officiers de police ont été formés dans les écoles du Moyen-Orient
et du camp socialiste.
20
ingénieurs en pétrochimie ont été formés aux Etats-Unis (dont le
commandant Abderrahmane Meguatelli, Chakib KheIil et Aït Hocine) et en
Roumanie (dont Abdelmadjid Kazi Tani et Mellouk) pour ne citer que les
plus connus.
8
spécialistes des mines, de l’électronique et du génie nucléaire ont
rejoint en 1959 la RDA et la Tchécoslovaquie. Je les cite parce que
c’est important (Ihaddadène Abdelhafidh, Mered Djelloul, Mouffok
Hocine, Bennini Abdelouahab, Djebbar Mustapha, Maâchou, Bekhoucha).
Trois d’entre eux, les premiers cités, spécialistes en science
nucléaire, feront l’objet d’un attentat des services spéciaux français.
Leur avion, un Ilyoutchin 18 de la compagnie tchécoslovaque, assurant
la liaison Prague-Casablanca, a été abattu le 11 juillet 1961 dans le
ciel marocain.
15 ingénieurs électroniciens ont été formés à Leningrad.
83
jeunes ont été envoyés en janvier 1962 à Belgrade à l’Institut
métallurgique des fabrications militaires. Cela conforte, on ne peut
mieux, ce que le président Abdelaziz Bouteflika a écrit en préfaçant
récemment un livre de mémoires Bezouiche le Malgache, d’un jeune et
dynamique combattant, Abdelmadjid Maâlem. « Le lecteur d’aujourd’hui
doit savoir qu’en sept ans de guerre, l’Algérie combattante a formé
dans ses centres, en comptant d’abord sur ses propres forces, un nombre
incommensurablement plus élevé de techniciens, de spécialistes et de
gestionnaires que la France coloniale n’en a formé en 132 ans. » Soit
un bilan largement positif de la contribution de ces jeunes
intellectuels, comparativement à ce qui a été fait par des mouvements
de résistance dans d’autres pays du globe, y compris le Vietnam, Cuba,
l’Afrique du Sud ou même la Résistance française contre l’occupant
allemand. Je rappelle pour caricaturer l’apport « civilisationnel » de
la France en Algérie, que l’armée française privilégiait dans ses rangs
la chair à canon constituée par la plèbe des tirailleurs et des spahis
au lieu de la formation élitiste. Nous avons pu dénombrer seulement 4
aviateurs formés (Mahieddine Lakhdari, Abderrahmane Serri, Tahrat
Abdelkader et Saïd Aït Messaoudène) qui ont tous rejoint l’ALN
d’ailleurs et un seul marin du grade de sous-officier technicien dans
l’aéronavale également revenu vers l’ALN (Charef Abdelkader).
L’indépendance, chèrement acquise grâce aux multiples sacrifices du
peuple (un dixième de la population décimé) et à l’effort surhumain des
valeureux combattants de l’intérieur qui n’ont pas plié devant la
quatrième puissance militaire du monde, n’a pas pris au dépourvu le FLN
qui, en plus de sa mission principale de conduite de la Révolution, a
accueilli, encouragé et forgé une élite d’hommes et de femmes, à partir
d’une jeunesse intellectuelle motivée pour l’action, au point d’en
faire, au niveau de l’Etat algérien restauré, les piliers
incontournables et l’ossature solide de l’armée, la haute
administration centrale et territoriale, la diplomatie, les services de
sécurité, les services techniques les plus sophistiqués, en toute
responsabilité et en toute souveraineté.
Gloire à nos martyrs.
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L’auteur est : Ancien étudiant, ancien officier de l’ALN, président de l’association AN/MALG
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Finalement tout s'explique par tout. Pour les archéologues du chaos algérien, si un intellectuel algérien adopte immanquablement l'attitude de l'opposant systémique ou celle de l'indicateur organique face au Pouvoir et à l'uniforme, cela vient de loin : de la Montagne fondatrice de l'espace algérien et de ses maquis. Grosso modo, l'histoire du 19 mai, fête des Etudiants que le FLN de l'époque n'avait pas liquidé, explique un peu l'étrange posture de l'homme qui peut écrire face à l'homme qui peut tirer. Un 19 mai 1956, des lycéens et des étudiants algériens ont entamé une grève qui les mena à l'Europe pour les uns, à la rentrée scolaire 1957 pour les autres et au maquis maquillé pour les derniers.
La Révolution algérienne, étant d'abord un mouvement paysan, comme le sera son socialisme, puis son architecture et enfin son électorat majeur, très tôt se leva une barrière de méfiance entre les paysans en arme, gens durs, soupçonneux, endurcis et fortement marqués par une guerre de deux ans et ces nouveaux venus, descendants inconscients des modérés assimilationnistes, des collaborateurs passifs et de tous les scolarisés indigènes de la France et représentant d'une menace de coup d'Etat par la noblesse du verbe, la maîtrise de la langue des colons et l'aptitude à la réflexion et à la stratégie. Toujours, selon les souvenirs de nos ancêtres, la France réussira à intoxiquer les maquis par de fausses listes de collabos et laissera venir une véritable purge anti-intellectualiste et la très fameuse Bleuite. Pour faire encore très vite, les survivants seront récupérés par le MALG, prendront leur retraite en 62, ou finiront leurs études, leurs vies ou leurs illusions. La psychologie du scribe algérien se retrouvera profondément marquée par cet épisode inaugural, autant que les « services » de ce pays et son Etat amoureux des casemates et des buissons. En naîtra une fascination réciproque et triangulaire entre l'intellectuel algérien (généralement de gauche par culpabilité), les « services » algériens (généralement sensibles, fascinés et occupés par la dissidence, intellectuels plus que par le crime organisé ou la sécurité du territoire) et le Pouvoir qui reconduira la méfiance paysanne des origines, l'usage des purges et des listes, et la crainte de se voir démis de ses fonctions par les Abbanistes ou les hommes qui savent lire et écrire mieux que lui. Du coup, un intellectuel algérien théorique n'a jamais plus que deux choix possibles pour poursuivre son périple vers la reproduction et la production : s'opposer absolument et critiquer radicalement ou s'allier dans le cadre d'un contrat de service, d'allégeance et de larbinisme alimentaire. Collaborateur ou Dissident face à un Pouvoir borné ou méfiant, encadré par des « services » soupçonneux ou tentateurs. Rien qui puisse aider à la promotion de la santé publique, de la réconciliation historique ou à l'acceptation des rôles dans le cadre de la division du travail pour le bien de la nation du moment. Symbolisme on ne peut fascinant : c'est un 19 mai qu'a eu lieu la grève des étudiants et c'est un 19 juin qu'a eu lieu le coup d'Etat de Boumediene. Que s'est-il passé un 19 mars ?
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par Kamel Daoud
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