19 Mars 1962
Dans la déclaration historique à la veille du déclenchement de la Révolution du 1er novembre 1954, les initiateurs et dirigeants algériens avaient invité, de façon claire, sans équivoque – et prémonitoire – les autorités coloniales françaises à : «l’ouverture de négociations avec les porte-parole autorisés du peuple algérien sur les bases de la reconnaissance de la souveraineté algérienne une et indivisible» . Plus loin, ils promettaient que «les intérêts français, culturels et économiques, honnêtement acquis, seront respectés ainsi que les personnes et les familles».
Mais il a fallu plusieurs années de durs combats, une résistance longue et acharnée, une héroïsme rarement égalé, pour contraindre les autorités coloniales à reconnaître, enfin, la réalité du combat libérateur du peuple algérien et à admettre sa justesse, pour consentir à s’asseoir à la table des négociations et parler de paix. Mais, avant d’en arriver là, combien de souffrances les Algériens ont-ils endurées, de lourds sacrifices consentis, et de blessures autant physiques que morales subies, et pas seulement de 1954 à 1962, mais qui remontent à bien avant.
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Juin 1830 : le débarquement et le parjure
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Déjà, après le funeste débarquement, en juin 1830, effectué par l’armée d’une nation soit-disant civilisée et qui avait pour slogan «Liberté, égalité, fraternité» et les massacres qui s’en suivirent aux portes d’El Djazaïr, pour s’étendre, rapidement, à toutes les autres régions de notre territoire, les habitants de ce pays avaient très vite compris à quoi s’en tenir. Ce fut le début d’un long cauchemar qui allait durer 132 années, jalonnées d’événements tragiques et rarement observés dans d’autres contrées du globe qui ont eu la malchance de subir le joug colonial de la France ou d’autres puissances européennes. Un authentique intellectuel algérien, à l’esprit éclairé et à la vision prémonitoire, affirmait à la Commission africaine (composée de parlementaires français) d’enquête, en 1833, que la cause était perdue, déjà, pour la France et vouée à l’échec d’avance. Car, Hamdan ben Othman Khodja, en parfait connaisseur de sa patrie et de ses concitoyens, savait que le peuple défendrait sa terre quelles que soient la durée de la résistance et la force adverse. Pour s’en convaincre, il n y a qu’à se reporter à son livre-plaidoyer rédigé en 1833, le Miroir, avec une sincérité et une objectivité tout à fait admirables. D’ailleurs, Michel Habart, en 1960, s’en inspirera, en étalant son admiration toute aussi sincère, dans son livre réquisitoire, Histoire d’un parjure.
C’est le parjure du régime de la Restauration (1815-1848), du roi Charles X et de ses ministres, de ses généraux – le maréchal de Bourmont en tête – et de ses administrateurs qui se sont relayés dans le pillage des richesses de la nation algérienne. Rappelons-nous que l’analphabétisme, quasi inconnu dans la société algérienne à l’époque du débarquement du corps expéditionnaire français, touchait 90 pour cent des habitants à peine un siècle plus tard. Même constat pour ce qui est de la famine, des inégalités sociales, du nombre de la population qui a dangereusement chuté en 40 ans, (vers 1870, approximativement), situation due non seulement aux fait militaires, très meurtriers en eux-mêmes, mais aussi aux maladies (dont certaines étaient presque inconnues, auparavant, sous nos cieux), à la sous-nutrition et au dénouement général qui caractérisaient le pays. Les autorités coloniales étaient sûres et certaines d’avoir maté le peuple jusqu’à effacer dans son esprit l’idée même de la révolte, et pour parvenir à cela, tous les moyens, tous les stratagèmes et tous les subterfuges avaient été employés (administratifs, militaires, législatifs…) même ce que la morale réprouve (Code de l’indigénat, promesses non tenues, contraintes multiples, poids des impôts, obligations de fournir l’effort de guerre et de participation comme chair à canon, durant les conflits de 1870-1871, de la Première et de la Seconde Guerre mondiales et dans les guerres de répression coloniales, etc.
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L’Algérie vivra-t-elle ?
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En 1930, lors de la célébration du Centenaire de la conquête, on pensait fort et naïvement que l’ordre colonial ne pouvait être ébranlé et que l’«Algérie de papa» était éternelle, avec ses richesses aux mains des Borgeaud, des Schiaffino et des Blachette, ses «yaouleds» et «ses fatmas». C’était si simple et si facile de faire suer le burnous des Arabes, ces «ratons», ces «bicots» et ces «troncs d’arbre» !
àLe peuple algérien dont la résistance militaire avait duré jusqu’en 1916, résistance unique dans les annales modernes, avait compris, consciemment ou dans son subconscient, qu’il fallait changer de fusil d’épaule et adopter une autre stratégie et de nouvelles méthodes de combat. Courageusement, patiemment et laborieusement, il reprenait des forces, accumulant les énergies et fructifiant les expériences du passé et les erreurs commises (ce qui était normal et tous les peuples de la Terre en ont connues), se préparant à l’ultime combat. Les dramatiques événements du 8 mai 1945 furent une sorte de répétition générale à l’issue desquels un officier supérieur français avait déclaré – après la terrible répression que tout le monde sait – en s’adressant aux autorités coloniales : «Je vous ai garanti la paix pour dix ans ! » Vision d’avenir ? Phrase prémonitoire ? Ce cri d’alerte ne manquait pas de rappeler, curieusement et même si le contexte avait quelque peu changé, le titre du fameux livre de Maurice Violette, gouverneur général de l’Algérie après le premier conflit mondial. Ce livre portait, en effet, le titre – sous forme de questionnement – de l’Algérie vivra-t-elle ?, car, son auteur n’était pas le premier venu, mais un cadre chevronné de l’administration française et un politicien avéré et rompu aux affaires de pouvoir au sein des cercles politiques d’un pays avancé – la France – et qui est une puissance mondiale incontestable, de surcroît.
Cela était loin de l’avis d’un autre gouverneur général de l’Algérie et dirigeant socialiste, en plus, le fameux Naegelen, qui s’était rendu célèbre par de fameux tours de passe-passe dans toutes les élections locales qu’il avait organisées durant son mandat, élections truquées avec un art tout à fait diabolique et de manière vraiment inédite. Elections truquées ou pas, l’Histoire suivait inéluctablement son cours et aucune force humaine ne pouvait l’arrêter. Et ce fut…
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… la nuit de la Toussaint !
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Une poignée d’admirables jeunes dirigeants nationalistes, enthousiastes et croyant profondément en la justesse de la cause de leur peuple, songeait – et préparait – le déclenchement du combat libérateur programmé, de façon magistrale et surprenante, pour le 1er novembre 1954. En vérité, c’était des hommes d’exception par leur patriotisme, leur honnêteté, leur bravoure, leur courage, leur intégrité et leur sens du sacrifice élevé à un niveau difficilement égalable. Sans aucune exagération, disons qu’ils étaient d’une génération vraiment exceptionnelle, comptant, également, sur le sens de sacrifice d’un peuple qui n’avait rien à perdre que ses chaînes auxquelles il était attaché depuis près d’un siècle et demi. Les forces en présence ? D’un côté, quelques centaines de paysans, sans formation militaire ni expérience (excepté ceux qui ont acquis les rudiments du combat moderne durant leur incorporation dans l’appareil militaire français), pas d’armes dignes de ce nom, aucun soutien extérieur (les premières années) mais une foi et une volonté inébranlables qui ont fini par payer, n’est-ce-pas ?
Du côté adverse, c’était tout à fait le contraire, et on ne présentait pas la France avec sa puissance économique, politique, militaire, médiatique, son poids dans l’échiquier international et ses alliés surpuissants. Les dirigeants du FLN et de l’ALN n’ignoraient rien de cela, mais ils savaient aussi que la confrontation était autre que militaire et qu’il était certain de battre l’Etat colonialiste sur le plan politique, en profitant, souvent, des grossières erreurs de l’ennemi ; et elles furent nombreuses.
L’ennemi utilisa tous ses moyens colossaux et de toutes natures (opérations militaires gigantesques, répression aveugle, torture systématique, isolement du pays dans les faits et par la diplomatie, propagande à grande échelle, complots sordides comme la bleuite, l’affaire K, l’affaire l’Oiseau bleu, la Paix des braves, les contre-maquis, Bellounis ou l’affaire Si Chérif, le contre-espionnage ou la désinformation… Ces actions indignes d’une grande nation, conçues avec la plus grande minutie par des stratèges de la «contre-révolution» et des spécialistes de l’«action psychologique» connurent le même sort, causant en plus de la honte à leurs auteurs, à leur tête les gouvernements successifs de la France coloniale
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Et la victoire était au bout comme prédit !
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Après son arrivée au pouvoir, le général de Gaulle entreprit, à son tour, de mater la Révolution algérienne, comme ses prédécesseurs, et, comme eux, il essuya un échec plus cuisant encore. Mais il était assez lucide pour comprendre qu’il fallait, tôt ou tard, négocier avec les responsables de la lutte armée.
Il le fit mais avec beaucoup d’hésitations et d’innombrables atermoiements, passant par plusieurs rounds : Lugrin, Melun, Evian I et II. Le Gouvernement provisoire de la République algérienne était intransigeant sur la souveraineté territoriale nationale et ne faisait aucune concession sur les questions de principe. Résultat attendu : le 18 mars, à Evian, Louis Joxe, ministre français des Affaires étrangères et homme de confiance du chef de l’Etat français, opposait sa signature, en compagnie du colonel Krim Belkacem, vice-président du GPRA, au bas du document consacrant la fin d’un conflit qui aura duré près de huit années, et déclarant le 19 mars, à midi, comme la fin officielle des hostilités et le début du cessez-le-feu qui a couronné le triomphe de la lutte du peuple algérien et ce jour historique comme Fête de la Victoire.
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20-03-2008
Mihoubi Rachid
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