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Nous sommes au temps du meurtre, les meurtriers sont juges et l'innocent accusé. Camus veut comprendre et d'abord il va poser le problème du meurtre :
« Puis-je tuer les autres ? Et à cette question il va répondre -il le fera sans sensiblerie inutile- dans la peine capitale, il a très nettement déclaré : Je suis aussi éloigné que possible de ce mol attendrissement où se complaisent les humanitaires et dans lequel les valeurs et les responsabilités se confondent, les crimes s'égalisent, l'innocence perd finalement ses droits ». Et il rejoint le mouvement ouvrier révolutionnaire.
L'Homme Révolté est l'œuvre capitale de Camus. On l'affleure dans les revues, on l'ignore à la télévision, à la radio. Mais qu'est-ce que la révolte ? La révolte c'est d'abord le refus de l'homme d'être ce qu'il est. Une négation de l'absurde qui le confine dans une position dégradante. Une volonté de transformation des êtres et des choses. Un refus de la divinité. Mais écoutons Camus : « Le révolté au : sens étymologique, fait volte face. Il marchait sous le fouet du maître. Le voilà qui fait face. Il oppose ce qui est préférable à ce qui ne l'est pas. » Et Camus va analyser dans son ouvrage la révolte moteur de l'Histoire.
La révolte métaphysique est la révolte absolue. Elle s'affirme dans Stirner qui balaie toutes les certitudes et qui est la négation de tout ce qui nie l'individu et l'exaltation de tout ce qui l'exalte » pour se poursuivre à travers Nietzsche et le nihilisme. Puis elle débouche sur la révolte littéraire née avec Sade et qui enjambant le romantisme se prolongera vers le surréalisme. Camus a très exactement situé la révolte littéraire, insolente. Excentrique, exhibitionniste, stérile, qui débouche sur le conformisme et dont Rimbaud qui finira trafiquant attaché à son bien, est la plus probante illustration.
La révolte historique qui enfante la révolution est la suite logique de la révolte métaphysique. La révolte était innocence, refus d'accepter ou plutôt négation de la condition imposée, exhalation du droit. La révolution : « c'est l'effort pour imposer l'Homme en face de ce qui le nie » ; « La révolution est l'insertion de la révolte dans l'Histoire » ; «La révolte tue les hommes qui s'opposent au bon droit » dit Camus. La révolution détruit les hommes et les principes, ajoute-t-il, c'est la raison pour laquelle il n'y a pas eu de véritables révolutions dans l'histoire. » Et il en tire rapidement les conclusions qui s'imposent en écrivant : Gouvernement et révolution sont incompatibles en sens direct car tout gouvernement trouve sa plénitude dans le fait d'exister, accaparant les principes plutôt que les détruire. Tuant les hommes pour assurer la continuité du césarisme. Mais tuer les hommes ne mène à rien qu'à tuer encore. Pour faire triompher un principe, c'est un principe qu'il faut abattre, Et au terrorisme d'Etat, arme du gouvernement révolutionnaire, la révolte qui se veut révolution en faveur de la vie oppose la mesure qui garantit l'innocence du meurtrier et assume la responsabilité de l'acte devant l'Histoire. » Et de ce thème qui est au centre de la pensée révolutionnaire, il devait cette pièce magnifique : « Les Justes qui a donné à la révolte sa limite. »
Le cercle est bouclé, la révolte définie ses limites tracées, elle est l'état naturel de l'homme qui a pris conscience de l'absurde. Elle est l'innocence que confère le droit. Elle refuse d'ériger le meurtre en principe de gouvernement. Elle est réalité en ce sens qu'elle oppose la vie à l'abstraction politique. Elle dénonce la prophétie qui enserre l'homme dans un devenir inéluctable. Pour elle, l'homme est tout et les moyens doivent plier devant son exigence. La révolte protège la révolution, de la violence systématique, du calcul, du mensonge, du silence imposé.
Leur rapport est total ou alors la myslification commence. La révolution devient césarienne « Devenue impériale, la révolution est dans l'impasse. Si elle ne renonce pas à ses principes faux pour revenir aux sources de la révolte, elle signifie seulement le maintien pour plusieurs générations d'une dictature totale sur des centaines de mi1lions d'hommes » Et dans cet ouvrage qui devrait être une bible pour le mouvement syndical libre, Camus se refusait à sacrifier des générations pour des constructions abstraites. Il se vouait collant à la vie. Comment ?
Dans sa conclusion de « L'Homme Révolté », et la pensée de Midi, il allait nous le dire : « Alors quand la révolution, au nom de la puissance de l'Histoire devient une mécanique meurtrière et démesurée, une nouvelle révolte devient sacrée au nom de la mesure et de la Vie ».
La proposition que nous fait Camus repose sur deux constatations : Le monde est absurde et lorsque l'homme en prend conscience, il débouche alors sur la révolte. Toute l'œuvre de Camus tient en cette évidence qu'il a analysée dans ses deux essais.
Il reprendra le problème dans L'Etranger , le roman de l'absurde, dans La Peste , le roman des révoltes intimes des êtres contre ce qu'ils sont et qui refusent d'être lorsqu'ils sont placés devant l'absurdité, en l'occurrence un fléau. Il sensibilisera sa pensée dans son théâtre. Il essaiera à travers un récit magnifique par la forme, La Chute, de dégager une morale de sa constatation.
Mais pour Camus, essentiellement homme d'action et homme d'équipe, l'analyse doit déboucher sur le réel, sur la vie, Il a débroussaillé le chemin. Une question reste posée : Sur quoi débouche la révolte ? Il va y répondre clairement.
Que voulez-vous donc monsieur Camus ? Se sont écriés un certain nombre d'intellectuels de gauche, après avoir lu L'Homme Révolté .
Ce que veut Camus, c'est la libération de l'Homme de l'absurde. Son
moyen, c'est la révolte et son expression la plus achevée : Le
Syndicalisme révolutionnaire. Camus repousse les idéologies abstraites.
Il veut rester avec l'homme qui travaille. Il veut participer à la
grande aventure de sa libération.
Camus est le seul des grands écrivains contemporains et peut être le seul de tous les écrivains qui se sont penchés sur le problème social, à avoir universalisé le syndicalisme. Il lui a donné ses lettres de noblesse. Il l'a sorti du ghetto où les « idéologues distingués » le maintiennent. De cette force d"appoint des partis, de cette courroie de transmission des politicien. Camus en a fait l'outil de la libération contre l'absurde.
Camus est de chez nous. Camus est à nous. La révolution, touchée au visage par l'œuvre magistrale d'Albert Camus, sentant le danger qu'il représentait pour elle, a voulu le chasser du monde ouvrier. Autre part des spiritualités fatiguées par des divinités de carton pâte le guettent. Il faut se dresser contre les prétentions des uns et des autres.
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Maurice Joyeux
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