L’exception française
50e ANNIVERSAIRE DU PRIX NOBEL D’ALBERT CAMUS
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Philosophe ou écrivain ? Camus
échappe à toute classification. Et cinquante ans après le prix Nobel
qu’il a reçu pour l’ensemble de son oeuvre, il reste un SDF (Sujet à
Débats sans Fin) de la littérature.
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On a tous un lycée Albert Camus au fond du coeur. Quelle meilleure
illustration de la reconnaissance à laquelle a droit l’auteur de
'L'Etranger' ? Même le président américain Georges W. Bush
a déclaré en être un lecteur assidu ! Cependant, la philosophie de
l’absurde du prix Nobel 1957 ne semble pas complètement digérée (la
preuve, même George W. Bush...) : déjà soumise par ses contemporains à
certains amalgames avec l’existentialisme de Jean-Paul Sartre ou
l’écriture des 'Topismes' de 'Nathalie Sarraute,
ce dont Camus s’était plaint, elle n’a donné son nom à aucun courant
littéraire ou philosophique, au point qu’elle semble n’avoir été
défendue que par son créateur. Une situation d’autant plus paradoxale
que tout le monde en souligne la portée actuelle. A l’image du flou qui
entoure l’attitude de ce natif d’Alger lors de la décolonisation de
l’Algérie, c’est son personnage tout entier qui soulève des questions.
Sa mort dans un accident de voiture est comme une fin ouverte : elle
laisse à la pensée "camusienne" un caractère évolutif. Mais on retrouve
dans l’oeuvre et l’existence même de l’auteur les raisons de ce statut
ambigu.
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Une écriture plurielle
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Camus fut romancier (‘L’Etranger’ ou 'La Peste'), essayiste (Le Mythe
de Sisyphe') et dramaturge (le théâtre est son premier amour, 'Les
Justes' et 'Caligula'
restent ses pièces les plus connues). Mais jamais poète. Ce n’est pas
anodin : homme d’idées avant tout, l’écrivain a délaissé la poésie qui
reste dans la plupart des cas une exaltation de la langue et du style.
Chez Camus, l’écriture est secondaire, elle n’est que le véhicule de sa
pensée. Ainsi le prix Nobel précisait-il dans une lettre envoyée au
critique américain Robert D. Spector : "Les styles, pour moi, ne sont que des moyens mis au service d’une fin unique". Son
talent consistait justement à exprimer ses idées sous des formes
variées : le phrasé sec de ‘L’Etranger’ est bien différent de celui de
‘La Peste’, plus aéré. "J’ai adapté la forme au sujet"
ajoute l’écrivain dans sa lettre à Spector. Il y a pourtant bien un
style Camus dans cet art de raboter les contours inutiles des phrases
pour que jaillisse le sens : le critique Pierre-Henri Simon évoquait "le charme de cette narration nette sans sécheresse, rapide sans excès de tension, éclairée de formules percutantes".
Mais parce que l’écriture de Camus, par sa diversité et sa recherche
première de sens, ne représente aucune école particulière, il est
difficile de lui attribuer une descendance marquée.
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Une morale, pas une doctrine
Dans
‘L’Etranger’, Meursault, le personnage principal, est condamné à mort
après avoir tué un Arabe. Mais on découvre lors du procès que c’est
moins le meurtre qui est puni que l’attitude du héros à l’enterrement
de sa mère : il ne pleure pas. Et marcher des heures sous le soleil
l’ennuie profondément. Les juges en concluent qu’il a "un coeur de
meurtrier". Le roman va bien plus loin qu’une simple dénonciation des
conventions sociales, il étale ce réflexe humain qui consiste à vouloir
donner une direction unique à un monde pas forcément cohérent.
‘L’Etranger’, c’est l’acceptation de l’absurde, l’éloge de la nuance,
le poil de nez disgracieux dans la soupe du manichéisme. Et l’homme
évolue constamment chez Camus dans cet inconfort situé entre son besoin
d’interpréter et "le silence déraisonnable" que lui renvoie le monde en
guise de réponse. Cette idée impliquant qu’aucune doctrine
religieuse ou philosophique, par son caractère impérieux, ne rendrait
compte assez fidèlement de l’absurdité du monde, elle ne pouvait à son
tour donner naissance à un camusisme établi.
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Camus
est un enfant du XXe siècle. Il a connu la guerre, la bombe atomique et
les plus grands crimes commis au nom de doctrines humanistes. Dans le
discours qui succède à la remise de son prix Nobel, il dépeint son
époque à travers "les révolutions déchues, les techniques devenues
folles, les dieux morts et les idéologies exténuées, où de médiocres
pouvoirs peuvent aujourd’hui tout détruire mais ne savent plus
convaincre, où l’intelligence s’est abaissée jusqu’à se faire la
servante de la haine et de l’oppression". ‘Les Justes’ ou 'La Chute'
portent la trace de cette culpabilité générale, de ces idéaux salis. Et
quel remède l’écrivain donne-t-il pour contrer le mal ? Rien d’autre
que la vigilance. "Le bacille ne meurt ni ne disparaît jamais"
prévient le docteur Rieux dans les dernières lignes de ‘La Peste’.
Camus ne donne aucune solution miracle mais une réponse à échelle
humaine, sans illusions : ses détracteurs parlaient d’ailleurs d’une
"morale du juste milieu" pour railler l’absence d’un système de pensée
abouti, facilement étiquetable. Voilà pourquoi l’auteur de
‘L’Etranger’, aussi célèbre soit-il, n’occupe pas le statut de
théoricien, plus confortable pour la postérité.
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Un engagement difficile à situer
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A l’aube et au lendemain de la guerre 1939-45, nombre d’intellectuels
français se revendiquent proches du Parti Communiste (Jean-Paul Sartre
est leur chef de file). Albert Camus a lui aussi adhéré au PC dès 1935
mais pour le quitter un an plus tard. Il ne s’en rapprochera plus
jamais. Au contraire, en 1968, lorsque Sartre déclare en revenant de
Moscou que "la liberté de critique est totale en URSS", Camus,
lui, met en doute le modèle démocratique prétendument offert par la
Russie, ce qui lui vaudra la rancoeur de toute la gauche française.
Impossible cependant de le rapprocher du camp adverse. D’ailleurs, lors
de l’obtention du prix Nobel, la presse conservatrice avait accusé le
jury suédois d’avoir "favorisé un homme de gauche". Dans ‘La
Chute’, Camus désigne ses ennemis : "Moscovites, bostoniens, athées et
dévots". C’est-à-dire gauche, droite, rationalistes et religieux. Bref,
presque tout le monde ! Quand on connaît en plus son mépris pour
l’intelligentsia littéraire, il est décidément difficile de l’affilier
à une famille.
Le comportement de l’écrivain pendant la guerre
d’Algérie illustre cet engagement mené en solitaire. Si Camus a
toujours dénoncé une colonisation entretenant un rapport de soumission
entre la France et sa terre natale, il rechigne à voir les deux pays se
séparer. Fidèle à la défiance exprimée dans ‘Les Justes’ à l’égard des
crimes d’intérêt général, il s’oppose aux exécutions perpétrées par
l’armée française autant qu’aux attentats du FLN : "J'ai toujours condamné la terreur. Je dois condamner aussi un terrorisme qui s'exerce aveuglément dans les rues d'Alger". Jusqu’à
sa mort en 1960, il ne rejoindra ni le camp des anti ni celui des
pro-Algérie française, préférant défendre une solution intermédiaire
fondée sur la reconnaissance des deux populations et leur cohabitation.
Le but n’est pas de savoir si Albert avait raison, s’il était indécis,
schizophrène, plus lucide que ses contemporains ou s’il votait François
Bayrou. Simplement, ces querelles démontrent une nouvelle fois son
point de vue insaisissable. En politique comme en littérature et en
philosophie, Camus occupe une posture en équilibre, personnelle, en
tous cas difficile à rattacher à une quelconque idéologie.
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Camus, écrivain préservé
A l’image de certains de ses personnages, Meursault ou Jean-Baptiste
Clamence, Camus ne peut être réduit à un archétype. Sa réflexion reste
trop marginale pour qu’on l’intègre à un courant de pensée.
L’inconvénient, c’est qu’il n’est pas une référence, un prototype aux
multiples descendances dont tout le monde revendique plus ou moins
l’héritage. Ainsi, en dépit de sa notoriété, l’auteur algérois semble encore s’adresser à des initiés
: il n’a même pas eu droit à son biopic à la télé avec Enrico Macias
dans le rôle-titre. L’avantage, c’est que sa pensée n’est pas
dénaturée. Alors que Sartre, Sade ou Céline,
mieux connus pour leur doctrine, leur orientation politique ou le
parfum de scandale qui les entoure que pour leurs ouvrages, ne sont
plus que des "figures", l’oeuvre de Camus continue d’exister pour ce
qu’elle est. Elle n’est pas figée dans une lecture communément acquise,
elle continue d’interpeller. Bref, elle vit encore.
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Julien Demets - Novembre 2007
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Il y a cinquante ans
Albert Camus reçoit le Prix Nobel de littérature…..
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"
Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La
mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est
peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se
défasse."
« Je comprends qu’on discute mon œuvre.
C’est à moi qu’elle parait discutable, et en profondeur. Mais je n’ai
rien à dire si on fait le procès de ma personne. Toute défense devient
ainsi apologie de soi. Et ce qui est frappant, c’est cette explosion
d’une détestation longtemps réprimée (…) Je ne m’explique pas l’extrême
vulgarité de ces attaques. (…) Ces messieurs veulent, appellent,
exigent la servitude. Ils seront probablement servis. A leur santé. »
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L’annonce
Le 16 octobre 1957, Albert Camus est
attablé au premier étage d’un restaurant du Quartier latin lorsqu’un
jeune chasseur vient lui annoncer qu’il a reçu le prix Nobel de
littérature. Camus devient pâle, parait bouleversé et commence à
répéter inlassablement qu’il aurait dû aller à André Malraux. Il est
vrai que le nom de Malraux avait été suggéré par divers groupements
littéraires en France comme en Suède, et avait fait l’objet de
nombreuses spéculations ; le Roi de Suède l’avait même reçu lorsqu’il
était venu, sous les acclamations, donner une conférence sur Rembrandt
à Stockholm. En cette année 1957, d’autres noms circulaient, comme ceux
de Boris Pasternak, Saint-John Perse ou Samuel Beckett…. qui tous
allaient recevoir plus tard le Prix Nobel.
C’est donc Albert Camus, à peine âgé de 44 ans qui aura le plus
prestigieux des prix littéraires. L’annonce est un coup de tonnerre,
car l’idée généralement admise est que le Prix récompense, couronne une
œuvre déjà achevée, une carrière déjà accomplie. Il est vrai que vingt
auparavant, Roger Martin du Gard avait été préféré à son aîné et maître
André Gide, qui avait dû attendre encore dix ans pour se voir décerner
le prix…. Mais Camus n’est le candidat d’aucun groupe extérieur,
d’aucune chapelle littéraire. Bien au contraire, il doute de lui à ce
moment, il fait aveu de stérilité, ne se croit plus capable de
créativité. Il est aussi l’objet d’attaques venant de tous les milieux
de droite comme de gauche…. Dans l’Express, François Mauriac fustige
son jeune rival qui a pris position contre la peine de mort au moment
où éclatent les affaires de torture commises pendant la « Bataille
d’Alger » : « Abolir la peine de mort quand on rétablit la torture ? Un
peu de logique, voyons, Camus ! » Sur le plan littéraire, il publie un
de ses plus beaux livres, L’Exil et le Royaume, et Gaëtan Picon écrit
dans la revue Mercure de France en mai 1957 : « Ici nous sommes ramenés
à l’entre-deux, à la confusion, au mixte discret de l’existence
ordinaire ». Le bruit de l’attribution du Prix court pourtant avec
insistance… « Quand son éditeur américain, Blanche Knopf, rendit visite
à Camus à Paris au mois d’août, au retour de Stockholm, elle lui
raconta qu’elle avait entendu mentionner son nom à propos du prix.
« Nous en avions tous ri – cela nous paraissait impossible », raconta
t-elle plus tard » .
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Les réactions.
Bien sûr, les réactions sont
innombrables dès l’annonce de l’attribution. Pour les milieux
conservateurs, Albert Camus n’a jamais hésité sur la question
algérienne. Il est, au contraire, un dangereux ami des « rebelles »,
une sorte de gauchiste dangereux de l’époque. Les milieux proches
aujourd’hui des pieds-noirs « ultras » (toujours favorables cinquante
ans après l’indépendance algérienne aux thèses de l’Algérie française)
ont oublié tout cela, préférant ne retenir que le Camus du silence
avant sa mort…. L’hebdomadaire de droite Carrefour, observe
qu’habituellement le prix Nobel est décerné après consultation du
ministre des Affaires étrangères du pays concerné, mais que cette fois
l’Académie suédoise a délibérément « favorisé un homme de gauche »
plutôt qu’un partisan de l’Algérie française. « Quelle étrange et
nouvelle forme d’ingérence dans nos affaires intérieures ! » Le
commentaire le plus cruel venant de droite est celui d’Arts, où parait
en première page une caricature de Camus en tenue de cow-boy, avec des
pistolets en mains, sous ce titre : « En décernant son prix à Camus, le
Nobel couronne une œuvre terminée ». L’auteur de l’article, Jacques
Laurent (rédacteur en chef d’Arts, polémiste de droite et romancier
populaire) écrit : « Les académiciens ont prouvé par leur décision
qu’ils considéraient Camus comme fini… ».
A l’autre extrémité de l’éventail politique, Roger Stéphane, dans
France-Observateur, affirme plus ou moins la même chose : « On se
demande si Camus n’est pas sur son second versant et si, croyant
distinguer un jeune écrivain, l’Académie suédoise n’a pas consacré une
précoce sclérose ». Roger Stéphane qui avait servi de cible au mépris
de Camus, croit tenir maintenant sa revanche. Il voit Camus très au
dessous de Malraux, Camus étant pour lui une sorte de Sartre
domestiqué…. Dans Paris-Presse, Pascal Pia déclare que son ancien
camarade n’est plus un « homme révolté » mais un « saint laïque » au
service d’un humanisme suranné. Et dans l’ancien journal de Camus,
Combat, le critique Alain Bosquet note que « les petits pays admirent
les parfaits petits penseurs polis ». Albert Camus reçoit de la part
des communistes dans l’Humanité une virulente critique, ce qui n’est
pas étonnant compte tenu des positions de l’écrivain contre l’invasion
soviétique de la Hongrie un an auparavant : « C’est le « philosophe »
du mythe de la liberté abstraite. Il est l’écrivain de l’illusion. »
Jean-Paul Sartre y va de sa formule assassine en disant de ce Nobel
attribué à Camus : « C’est bien fait ! ». Dans son autobiographie, La
force des choses, Simone de Beauvoir écrit : « Devant un vaste public,
Camus déclara : « J’aime la Justice, mais je défendrai ma mère avant la
justice », ce qui revenait à se ranger du côté des pieds-noirs. La
supercherie, c’est qu’il feignait en même temps de se tenir au dessus
de la mêlée, fournissant ainsi une caution à ceux qui souhaitent
concilier cette guerre et ses méthodes avec l’humanisme bourgeois. »
Saint John Perse écrit : « C’est assez pour le Poète, d’être la
mauvaise conscience de son temps. ». Henriette Levillain propose de
lire cette clausule comme une attaque adressée à Albert Camus . En
effet, Perse, comme il l’avouait à Claudel dans des lettres datant des
années 1940-1950, méprisait l’existentialisme de Sartre et la pensée de
Camus, qui amoindrissaient l’homme, et se détournaient de la recherche
du divin dans le monde pour se contenter d’en constater l’absurdité.
Camus, à qui on avait reproché son silence sur la guerre d’Algérie,
serait la « mauvaise conscience de son temps ».
.La société parisienne de dénigrement, comme la baptise Camus, ignore
et ne s’intéresse pas au fait que ce prix Nobel enthousiasme l’Europe
tout entière et la jeunesse. « Elle s’adonne à la dérision aux dépens
d’un écrivain décrété mineur tandis que tous les dissidents de l’Est
explosent de joie. Dans leur presse clandestine, leurs « samizdat »
célèbrent le livre qui fut et demeure celui de leur délivrance
projetée : L’homme révolté. », note Jean Daniel Lisons à ce propos
Milan Kundéra parler de Camus, de ce Prix Nobel attribué, des jalousies
et des mesquineries parisiennes, du mépris à l’égard de ses origines
sociales, des accusations de vulgarité portées contre cet homme du Sud,
de l’Algérie :
« Après l’anathème politique jeté contre lui par Sartre, après le prix
Nobel qui lui valut jalousie et haine, Albert Camus se sentait très mal
parmi les intellectuels parisiens. On me raconte que ce qui, en plus,
le desservait, c’étaient les marques de vulgarité qui s’attachaient à
sa personne : les origines pauvres, la mère illettrée ; la condition de
pied-noir sympathisant avec d’autres pieds-noirs, gens aux « façons si
familières » (si « basses ») ; le dilettantisme philosophique de ses
essais ; et j’en passe. Lisant les articles dans lesquels ce lynchage a
eu lieu, je m’arrête sur ces mots : « Camus est un paysan endimanché.
(…) un homme du peuple qui, les gants à la main, le chapeau encore sur
la tête, entre pour la première fois dans le salon. Les autres invités
se détournent, ils savent à qui ils ont à faire ». La métaphore est
éloquente : non seulement, il ne savait pas ce qu’il fallait penser (il
parlait mal du progrès et sympathisait avec les Français d’Algérie)
mais, plus grave, il se comportait mal dans les salons (au sens propre
ou figuré) ; il était vulgaire. Il n’y a pas en France de réprobation
plus sévère. Réprobation quelquefois justifiée, mais qui frappe aussi
le meilleur : Rabelais. » L’éditeur Gallimard organise le 17 octobre
une réception en l’honneur de Camus. Albert Camus arrive de bonne heure
pour s’entretenir avec les journalistes, vêtu d’un élégant complet bleu
marine à fines rayures, avec une cravate bleu sombre et une chemise
blanche. On lui demande comment il a appris la nouvelle. « Avec
beaucoup de surprise et de bonne humeur », répond-il. Son nom avait été
mentionné à plusieurs reprises cette année-là, mais il n’avait pas
pensé que cela pût vraiment se produire. « Je pensais, en effet, que le
prix Nobel devait couronner une œuvre achevée ou du moins, plus avancée
que la mienne. » Il déclare également : « Je tiens à dire que si
j’avais pris part au vote, j’aurai choisi André Malraux pour qui j’ai
beaucoup d’admiration et d’amitié, et qui fut un des maîtres de ma
jeunesse. » Plus tard, André Malraux, quoi qu’il ait pensé de
l’attribution du prix décerné à Albert Camus, n’hésitera pas à le
féliciter et à bien marquer qu’il est sensible aux propos tenus par
Camus à son sujet : « Cette réponse nous honore tous les deux. »
Interrogé sur ses projets, il mentionne qu’il se consacre à son nouveau
roman, dont le titre provisoire est Le premier homme, qu’il appelle un
« roman d’éducation »….. Toujours l’Algérie, le tourment de la guerre
et de ses origines, la fidélité aux siens et à la justice pour les
« indigènes »….. Son plus beau livre, publié après sa mort.
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Le 17 octobre, arrive une lettre de Kateb Yacine….
Mon cher compatriote,
Exilés du même royaume nous voici comme deux frères ennemis, drapés
dans l’orgueil de la possession renonçante, ayant superbement rejeté
l’héritage pour n’avoir pas à le partager. Mais voici que ce bel
héritage devient le lieu hanté où sont assassinées jusqu’aux ombres de
la Famille ou de la Tribu, selon les deux tranchants de notre Verbe
pourtant unique. On crie dans les ruines de Tipasa et du Nadhor.
Irons-nous ensemble apaiser le spectre de la discorde, ou bien est-il
trop tard ? Verrons-nous à Tipasa et au Nadhor les fossoyeurs de l’ONU
déguisés en Juges, puis en Commissaires-priseurs ? Je n’attends pas de
réponse précise et ne désire surtout pas que la publicité fasse de
notre hypothétique co-existence des échos attendus dans les quotidiens.
S’il devait un jour se réunir en Conseil de Famille, ce serait
certainement sans nous. Mais il est (peut-être) urgent de remettre en
mouvement les ondes de la Communication, avec l’air de ne pas y toucher
qui caractérise les orphelins devant la mère jamais tout à fait morte.
Fraternellement, Kateb Yacine.
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Le discours
Le 10 décembre 1957, au moment de la
clôture des cérémonies des remises des Prix Nobel, Albert Camus
prononce un discours magnifique et prophétique sur l’avenir du monde
privé de « ses dieux » et victime « d’une folle technologie ». sur le
poids qui pèse sur les générations : […] Chaque génération, sans doute,
se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne
le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à
empêcher que le monde se défasse. Héritière d’une histoire corrompue où
se mêlent les révolutions déchues, les techniques devenues folles, les
dieux morts et les idéologies exténuées, où de médiocres pouvoirs
peuvent aujourd’hui tout détruire mais ne savent plus convaincre, où
l’intelligence s’est abaissée jusqu’à se faire la servante de la haine
et de l’oppression, cette génération a dû, en elle-même et autour
d’elle, restaurer, à partir de ses seules négations, un peu de ce qui
fait la dignité de vivre ou de mourir. Devant un monde menacé de
désintégration, où nos grands inquisiteurs risquent d’établir pour
toujours les royaumes de la mort, elle sait qu’elle devrait, dans une
sorte de course folle contre la montre, restaurer entre les nations une
paix qui ne soit pas celle de la servitude, réconcilier à nouveau
travail et culture, et refaire avec tous les hommes une arche
d’alliance. […]
Albert Camus dit que chaque génération,
jusqu’à la fin de l’humanité, devra se battre contre l’instauration des
« royaumes de la mort ». Mais la génération à venir aura surtout à se
battre pour éviter que le « monde ne se défasse ». Comme Sisyphe, il
lui faudra poursuivre l’effort, malgré l’atroce constatation que nous
marchons sur les talons de la destruction, de la guerre et des
fanatismes aux innombrables visages sous toutes les latitudes, tous
points cardinaux confondus. Comment devancer les fléaux qui menacent ?
« Le discours que prononce Camus à Stockholm est d’une si grande
importance que l’on pourrait en recommander la lecture, aussitôt après
le Premier homme, son roman posthume, à ceux qui veulent s’initier à
son œuvre », note justement Jean Daniel. Camus tient souligne qu’avec
lui, c’est un Français d’Algérie qui reçoit cette distinction mondiale.
Il veut rappeler que parmi cette population, désignée sous le nom de
« pieds-noir » que l’on dit alors constituée de colons aisés et sans
scrupules, il peut se trouver des êtres issus des milieux les plus
pauvres et capables de faire honneur à l’humanité. Le Camus algérien
est entièrement dans ce rappel (ou ce défi) et on l’y retrouve mieux
encore que dans la fameuse réplique, d’ailleurs toujours tronquée quand
on la cite, qui fut celle de Camus en réponse à des étudiants algériens
résidant à Stockholm : « Entre ma mère et la justice, je préférerai
toujours ma mère ».
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La polémique
Cette phrase célèbre, « la mère contre
la justice », signifiant simplement qu’il redoute que sa mère, modeste
femme européenne d’Alger, soit victime des violences qui secouent la
ville, le poursuivra jusqu’à sa mort.…… Cette phrase, passée à une
malheureuse postérité, (« ma mère contre la justice ») n’est pas tout à
fait exacte, si l’on en croit les Oeuvres complètes d’Albert Camus.
Rendant compte de la conférence de presse donnée par Albert Camus le 13
décembre 1957, Le Monde publiait dans son édition du 14 décembre 1957
l’article suivant : « Interrogé sur un ton véhément par un jeune
Algérien présent, il [Albert Camus] aurait alors répondu : « Je n’ai
jamais parlé à un Arabe ou à l’un de vos militants comme vous venez de
me parler publiquement... Vous êtes pour la démocratie en Algérie,
soyez donc démocrate tout de suite et laissez-moi parler... Laissez-moi
finir mes phrases, car souvent les phrases ne prennent tout leur sens
qu’avec leur fin... » Constamment interrompu par le même personnage, il
aurait conclu : « Je me suis tu depuis un an et huit mois, ce qui ne
signifie pas que j’aie cessé d’agir. J’ai été et suis toujours partisan
d’une Algérie juste, où les deux populations doivent vivre en paix et
dans l’égalité. J’ai dit et répété qu’il fallait faire justice au
peuple algérien et lui accorder un régime pleinement démocratique,
jusqu’à ce que la haine de part et d’autre soit devenue telle qu’il
n’appartenait plus à un intellectuel d’intervenir, ses déclarations
risquant d’aggraver la terreur. Il m’a semblé que mieux vaut attendre
jusqu’au moment propice d’unir au lieu de diviser. Je puis vous assurer
cependant que vous avez des camarades en vie aujourd’hui grâce à des
actions que vous ne connaissez pas. C’est avec une certaine répugnance
que je donne ainsi mes raisons en public. J’ai toujours condamné la
terreur. Je dois condamner aussi un terrorisme qui s’exerce
aveuglément, dans les rues d’Alger par exemple, et qui un jour peut
frapper ma mère ou ma famille. Je crois à la justice, mais je défendrai
ma mère avant la justice. »
Amplifiée par la presse française de
gauche, la polémique est énorme. La célèbre réplique de Camus à
l’étudiant algérien à Stockholm éclipse la réception du prix dans la
capitale suédoise. Pendant « La Bataille d’Alger », et durant toute
l’année 1957, Albert Camus a suivi avec attention, intensément,
différentes « affaires algériennes ». A plusieurs reprises, Yves
Dechezelles et sa jeune assistante Gisèle Halimi lui demandent son
appui pour sauver différents algériens musulmans condamnés à mort. Et,
comme le souligne Herbert Lottmann dans sa biographie de Camus,
« défendre un musulman accusé de terrorisme constituait un acte de
bravoure »… Mais contrairement à d’autres intellectuels « libéraux »
originaires d’Algérie, Albert Camus n’a pas pris de position tranchée
sur l’indépendance de l’Algérie. Profondément attaché à sa terre
natale, il tente d’adopter un discours plus nuancé, dénonçant les
violences commises aussi bien par le FLN que par les forces françaises.
De fait, lui qui dès les années 1930 dénonçait la misère des
« indigènes » et l’oppression coloniale et qui était favorable à une
décolonisation des esprits, vit comme un véritable déchirement la
perspective d’un « divorce » entre l’Algérie et la France, semblant
anticiper l’inévitable exode de la population européenne
(« pied-noire ») au sein de laquelle il a grandi. Cela lui est
amèrement reproché par les anticolonialistes « radicaux » français
aussi bien qu’Algériens, tandis que les ultras le considéraient comme
un « traître » favorable à l’indépendance. Ces derniers scandent
« Camus au poteau » lorsque l’écrivain a voulu organiser une « trêve
civile » en janvier 1956, avec l’accord du FLN et des libéraux d’Alger
…. Profondément ébranlé par le drame algérien, l’écrivain pressent très
vite la profondeur du déchirement entre les deux principales
communautés. Il plaide pour le rapprochement, tente d’éviter
l’irréparable, dit combien les « deux peuples se ressemblent « dans la
pauvreté et une commune fierté ». En avril 1957, un lecteur du
périodique anglais Encounter écrit à Camus pour lui demander
d’expliquer ses positions sur « la campagne française en Algérie ». La
réponse parait dans Encounter du mois de juin est un « résumé » des
positions adoptées par Camus pendant la guerre d’Algérie. Il s’y
déclare favorable à la proclamation par la France de la fin du statut
colonial de l’Algérie (avec les deux collèges de vote réduisant les
Algériens musulmans à la catégorie de sous-citoyens), à la constitution
d’une nation autonome fédérée à la France sur le modèle suisse des
cantons (c’était en quelque sorte la position exprimée par Ferhat Abbas
après la seconde guerre mondiale), qui garantirait les droits des deux
populations vivant dans ce pays. Mais il ne peut, explique-t-il aller
plus loin. Il ne veut pas s’engager dans un soutien aux maquis
algériens, approuver le terrorisme, la violence qui frappe aveuglement
les civils, plus d’ailleurs les Musulmans que les Européens. Il ne peut
protester contre la répression française déployée pendant la « Bataille
d’Alger » et garder le silence sur la violence exercée par les
nationalistes algériens….. Jean Daniel revient sur ce silence et la
position de Camus :
« Dans cette affaire algérienne, Camus, si proche en cela d’une
Germaine Tillion, toujours « solidaire et solitaire », refuse qu’un
écrivain puisse s’exclure de l’histoire de son temps. Mais il en arrive
à penser, dès l’apparition du terrorisme et de la répression, qu’une
certaine forme d’engagement s’impose. Toute dénonciation de la barbarie
de l’un encourage celle de l’autre. Or il refusera toujours que la
revanche puisse tenir lieu de justice, que le mal réponde au mal, que
la violence soit encore accoucheuse d’histoire et que même Auschwitz
puisse jamais justifier Hiroshima ».
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Camus, de Lourmarin à Oran. La fin d’un exil ?
Le 12 juin 2005, à Oran s’est tenu le
premier colloque en Algérie autour de la grande figure d’Albert Camus.
En juin 2007, deux universitaires algériennes, Afifa Berhi et Naget
Khadda, écrivent dans l’Introduction d’un recueil d’essais publiés
autour de la figure de Camus, et publiés en Algérie : « Eminemment
universelles, la pensée et l’écriture d’Albert Camus sont en même temps
passionnément arrimés à la terre d’Algérie. Pourtant l’intelligentsia
algérienne, parmi lesquels il comptait bien des amis et de nombreux
admirateurs, l’a boudé au lendemain de l’indépendance de l’Algérie.
Indexé sur le nœud gordien de la question nationale à un moment où
celle-ci se négociait par les armes, le différend, sans avoir été
rééllement apuré à ce jour, a cependant enregistré au cours de ces
dernières années, un recul de la polémique, révélateur d’un apaisement
des passions. » L’écrivain « pied-noir » fait lentement retour dans
l’espace public algérien. Celui qui avait été cloué au pilori pour
avoir, en pleine guerre d’Algérie, déclaré « préférer sa mère à la
justice » parle de plus en plus aux jeunes générations, des côtés de la
méditerranée. En mai 2006 le président de la République algérienne,
Abdelaziz Bouteflika, déclare que la préférence ainsi donnée par Camus
à la mère traduit un sentiment vraiment et profondément algérien….
De nouveaux écrivains se revendiquent ouvertement de son héritage.
Ainsi, prisonnier de labyrinthes absurdes, Yasmina Khadra, comme
l’auteur de l’Etranger cherche l’explication des destins imperceptibles
aux autres. Dans son dernier ouvrage, L’attentat, comme Meursault,
l’innocent Amine au bout de son chemin est condamné à mort. « Privé,
comme l’écrivait Camus des souvenirs d’une patrie perdue ou de l’espoir
d’une terre promise. ». Et dans un autre de ses livres, l’écrivain,
Khadra, dans les pas de Camus, osait écrire : « Pourquoi faut-il, au
crépuscule d’une jeunesse, emprunter à celui du jour ses incendies,
puis son deuil ; pourquoi la nostalgie doit-elle avoir un arrière-goût
de cendre ? »
A contre courant de la haine qui se déverse pendant la guerre
d’Algérie, Camus tente de comprendre pourquoi ce couple, la France et
l’Algérie, apparemment soudé, se brise à grands fracas. Y a-t-il jamais
eu de l’intimité entre eux ? Il en doute, l’exprime, et se réfugie dans
sa « communauté » celle des Européens d’Algérie, comme plusieurs
témoignages le laissent penser. A l’affût des âmes blessées, prenant
comme toujours le parti de celui qui crée le trouble, Camus ne cesse
d’intriguer. Rapport à la violence, refus du terrorisme, peur de perdre
les siens et sa terre, nécessité d’égalité et cécité devant le
nationalisme des Algériens : son œuvre apparaît comme un palais dans la
brume. Plus le lecteur s’en approche, plus l’édifice se complique sans
pour autant perdre sa splendeur.
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Résonances
Une grande partie de l’œuvre d’Albert
Camus est habitée, hantée, irriguée par l’histoire cruelle et
compliquée qui emportera l’Algérie française. Ses écrits rendent un son
familier dans le paysage politique et intellectuel d’aujourd’hui. A la
fois terriblement « pied-noir », et terriblement algérien, il adopte
cette position de proximité et de distance, de familiarité et
d’étrangeté avec la terre d’Algérie qui dit une condition de l’homme
moderne : une sorte d’exil chez soi, au plus proche. La sensation de se
vivre avec des racines, et de n’être ni d’ici, ni de là . Lorsqu’on le
voit être un étranger chez lui, avec cette présence énigmatique,
fantomatique, lointaine des « indigènes » simple figurants fondus dans
un décor colonial, cela signale aussi une étrangeté au pays, et à
soi-même. Camus est, pour moi, d’abord notre contemporain pour ce
rapport très particulier d’étrangeté au monde.
Il est aussi celui qui cherche, qui fouille dans les plis de sa mémoire
les commencements d’une tragédie, d’une guerre, et décide de n’être pas
prisonnier des deux communautés qui se déchirent. Il sera donc un
« traître » pour les deux camps. A l’intersection de deux points de
vue, ceux qui veulent se réapproprier une terre qui est la leur à
l’origine, les Algériens musulmans, et ceux qui considèrent que cette
terre leur appartient désormais, les Français d’Algérie, Albert Camus
annonce ce que peut être la position d’un intellectuel : dans
l’implication passionnée, ne pas renoncer à la probité, dans
l’engagement sincère, se montrer lucide. Ses Chroniques algériennes
(1939-1958) révèlent ce regard critique et subtil. Albert Camus est,
enfin, celui qui refuse l’esprit de système et introduit dans l’acte
politique le sentiment d’humanité. A ceux qui croient que seule la
violence est la grande accoucheuse de l’histoire, il dit que le crime
d’hier ne peut autoriser, justifier le crime d’aujourd’hui. Dans son
appel pour une Trêve civile, préparée secrètement avec le dirigeant
algérien du FLN Abane Ramdane, il écrit en janvier 1956 : « Quelques
soient les origines anciennes et profondes de la tragédie algérienne,
un fait demeure : aucune cause ne justifie la mort de l’innocent ». Il
pense que la terreur contre des civils n’est pas une arme politique
ordinaire, mais détruit à terme le champ politique réel. Dans Les
Justes, il fait dire à l’un de ses personnages : « J’ai accepté de tuer
pour renverser le despotisme. Mais derrière ce que tu dis, je vois
s’annoncer un despotisme, qui, s’il s’installe jamais, fera de moi un
assassin alors que j’essaie d’être un justicier ». Les « années
algériennes » de Camus résonnent toujours dans les conflits du présent,
de la Tchétchènie au Moyen-Orient. Le tout-militaire affaiblit le
politique et installe progressivement dans les sociétés une dangereuse
culture de la force, de la guerre. A contre courant de la haine qui se
déverse pendant la guerre d’Algérie, Camus a tenté de comprendre
pourquoi ce couple, la France et l’Algérie, apparemment soudé, se brise
à grands fracas. Y a-t-il jamais eu de l’intimité entre eux ? Il en
doute, l’exprime, et se réfugie dans sa « communauté » celle des
Européens d’Algérie, comme plusieurs témoignages le laissent penser. A
l’affût des âmes blessées, prenant comme toujours le parti de celui qui
crée le trouble, Camus ne cesse d’intriguer. Rapport à la violence,
refus du terrorisme, peur de perdre les siens et sa terre, nécessité
d’égalité et cécité devant le nationalisme des Algériens : son œuvre
apparaît comme un palais dans la brume. Plus le lecteur s’en approche,
plus l’édifice se complique sans pour autant perdre sa splendeur.
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Benjamin Stora
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