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L'Algérie croit investir, et jette l'argent par les fenêtres.
Même la Banque mondiale s'en émeut.
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Posséder beaucoup d'argent ne signifie pas être riche. L'Algérie en donne la preuve éclatante. Par contre, cela peut pousser à la gabegie, aux gaspillages, aux dépenses inutiles et à la corruption. Ce que tous les experts soulignaient depuis longtemps, la Banque mondiale vient de le rappeler dans un rapport plein de tact dans sa formulation, mais très clair dans ses propos.
Un expert algérien notait au début du mois que les importations algériennes se situeraient autour de 27 milliards de dollars en 2007, après avoir dépassé le cap des vingt milliards en 2006. A ce rythme, elles dépasseront les 30 milliards de dollars en 2008, pour atteindre un ratio de mille dollars par habitant. C'est énorme pour un pays en développement. C'est également inutile, et cela ne change pas grand-chose à la situation économique et sociale du pays.
Avec un tel ratio, le pays devrait connaître un taux de croissance à deux chiffres, d'autant plus que le pays s'est lancé dans un programme d'investissement gigantesque, qui dépasse largement les capacités de réalisation du pays. Dans les faits, la croissance ne dépasse guère les cinq pour cent. Ce paradoxe entre l'ampleur de l'argent englouti et les résultats obtenus serait suffisant pour tirer la sonnette d'alarme dans n'importe quel pays. Pas en Algérie, où les institutions en charge de ce type d'analyse n'existent pas. Chaque administration se contente d'additionner les chiffres de son secteur, souvent en trafiquant les chiffres, sans en tirer la moindre conclusion.
C'est donc la Banque mondiale qui vient de rappeler, dans un rapport publié le 14 novembre, les dangers que comporte une telle situation. Malgré un langage très élaboré, le constat est net. La Banque mondiale affirme que « le système national d'investissement public a besoin d'être modernisé ».
Autrement dit, ce système est archaïque et obsolète. Le rapport souligne que des « projets majeurs requièrent une supervision spécifique de la part d'une agence spécialisée ». Ce qui signifie que le suivi de projets d'envergure, tels l'autoroute, les grands barrages, les aéroports, ne peuvent être confiés à des bureaucrates qui se contentent de faire des rapports sur le taux de dépenses et d'avancement.
Le rapport de la Banque mondiale souligne aussi que la réforme budgétaire progresse « très lentement », et que « le niveau de compétences techniques du personnel en charge de l'exécution des projets est faible ». Un euphémisme pour dire que la réforme budgétaire est au point zéro, que le personnel chargé du suivi des projets est incompétent et, parfois, corrompu, et qu'il est exclu de voir une amélioration à court terme.
Où va l'argent ? Le premier chapitre des dépenses en Algérie est celui des gaspillages, à cause de projets inadaptés et mal gérés. Le rapport note en effet « une faible efficacité de l'investissement public », qui « découle principalement d'une qualité de projet inégale ». Mal étudiés, mal exécutés, sans suivi, les projets sont bâclés. « Les projets d'envergure ne sont souvent pas conformes aux standards techniques minimes et peu, voire aucun suivi n'est effectué », souligne le rapport, qui assène une lourde sentence : « Plusieurs projets ne devraient même pas être poursuivis », alors que « les coûts finaux sont très souvent surestimés ».
Problèmes institutionnels, problèmes d'encadrement, mais aussi problème de stratégie. Les projets s'accumulent, de manière incohérente, donnant l'impression que le pays ne sait pas ce qu'il veut. « La plupart des stratégies sectorielles sont obsolètes », souligne brutalement le rapport, qui relève des surcoûts importants auxquels vient s'ajouter le coût « très onéreux » d'un entretien non prévu dans les plans initiaux.
A partir de ce constat sans complaisance, le rapport de la Banque mondiale propose une série de remèdes, qui relèvent souvent du bon sens en premier lieu, de l'expertise ensuite : maîtriser les dépenses, engager les programmes de manière graduelle, en tenant compte des capacités d'absorption du pays, restructurer le système d'investissement et moderniser la gestion budgétaire.
C'est pourtant sur ce point que l'expertise de la Banque mondiale risque de montrer ses limites. Elle suppose en effet que l'Algérie dispose de systèmes d'évaluation et de prise de décision en mesure de mette en place ces recommandations. Dans les faits, ce système n'existe pas. S'il existait, il n'aurait pas permis toutes les dérives signalées par le rapport de la Banque mondiale.
Attendre de l'administration algérienne qu'elle corrige ces dérapages est illusoire. D'autant plus que l'argent est abondant. Le pays se trouve dès lors face à une alternative : continuer à jeter l'argent dans un gouffre sans fond, ou demander à la Banque mondiale elle-même de mettre en place ces dispositifs institutionnels qui permettraient de mieux gérer l'argent du pays.
Cela équivaudrait à reconnaître l'incapacité du pays à se gérer, diraient les nationalistes purs et durs. Mais l'argument ne tient plus depuis une décennie, lorsque l'Algérie, incapable de réformer son économie, en avait confié la tâche au FMI et à la Banque mondiale. L'aisance financière qui a suivi cette période difficile ne pousse guère à la rigueur. Bien au contraire.
Une reprise en main est-elle possible ? Peut-être. Elle dépend d'une décision politique centrale, qui ramènerait progressivement le pays à des normes de gestion acceptables. Il sera alors possible de gérer le pays par une expertise nationale. Mais dans l'intervalle, et malgré les préjugés idéologiques qu'elle peut susciter, l'expertise de la Banque mondiale semble incontournable, au moins pour signaler cette utilisation hasardeuse des ressources financières du pays.
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Abed Charef
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