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VILLE-COBAYE DE LA BOMBE ATOMIQUE
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Hiroshima a pu se relever. La tête haute, la ville se remet de son passé douloureux de cobaye atomique. Mais Hiroshima n’oublie pas l’horreur vécue un 6 août 1945. Car ce jour, comme l’a écrit le romancier et philosophe Albert Camus dans Combat du 8 août 1945 :
«Le monde est ce qu’il est, c’est-à-dire peu de chose. C’est ce que chacun sait depuis hier grâce au formidable concert que la radio, les journaux et les agences d’information viennent de déclencher au sujet de la bombe atomique. On nous apprend, en effet, au milieu d’une foule de commentaires enthousiastes, que n’importe quelle ville d’importance moyenne peut être totalement rasée par une bombe de la grosseur d’un ballon de football. Des journaux américains, anglais et français se répandent en dissertations élégantes sur l’avenir, le passé, les inventeurs, le coût, la vocation pacifique et les effets guerriers, les conséquences politiques et même le caractère indépendant de la bombe atomique. Il est permis de penser qu’il y a quelque indécence à célébrer une découverte qui se met d’abord au service de la plus formidable rage de destruction dont l’homme ait fait preuve depuis des siècles.»
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Hiroshima. Un nom mythique. Un nom qui vaut tout son pesant d’histoire. Un poids tristement lourd et pesant. Hiroshima qui, dans une traduction littérale veut dire large île, se trouve être la capitale de la préfecture de Hiroshima. Située sur la côte Nord de la mer intérieure de Seto, sur l’île de Honshu, l’ouest du Japon, la ville se veut tristement célèbre du fait qu’elle a été la victime du premier bombardement atomique de l’Histoire, le 6 août 1945.
En ce 28 janvier 2007, lorsque le Tgv (Nozomi 31) entre en gare de Hiroshima, rien ne laissait entrevoir que la ville fut entièrement rasée 61 ans plus tôt. Les gratte-ciel s’y côtoyaient et la modernité y avait fini d’y trouver un terreau fertile. C’est que Hiroshima fut entièrement reconstruite après la guerre grâce à une volonté à nulle autre pareille de la population. Et aujourd’hui, elle est devenue une métropole dynamique de plus de 1,1 million d’habitants et l’un des principaux centres industriels et portuaires du Japon.
Pourtant, c’est cette volonté et cette énergie à la base de la reconstruction de la ville qui ont été à l’origine du bombardement de Hiroshima. Car vers le milieu des années 45, tous les pays ennemis des Etats-Unis avaient fini de capituler. Seul restait en guerre, le Japon. Et ses dirigeants, avec à leur tête l’empereur Hiro Hito, s’entêtent à vouloir faire face, dans une résistance désespérée, mais vigoureuse. C’est ainsi qu’à la mort du Président Franklin Roosevelt, le 12 avril 1945, son successeur, le vice-président Harry Truman reprend à son compte le projet d’un bombardement atomique sur le Japon. Un projet qui avait été conçu d’abord pour freiner l’hégémonie de l’Allemagne hitlérienne.
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8H 15, LE MOMENT FATIDIQUE
Faisant fi des éventuelles connaissances de l’arme atomique sur les populations, la décision fut prise de larguer la bombe sur le Japon. Et au petit matin du 6 août 1945, un bombardier B-29 américain s’envole vers l’archipel nippon. Aux commandes, le colonel Paul Tibbets qui avait donné à son appareil, la veille de son départ, le nom de sa mère Enola Gay. Son unique passager avait pris place dans la soute et se trouvait être une bombe à l’uranium 235 de quatre tonnes et demie, surnommée Little Boy. Un passager plus que puissant car étant l’équivalent de 12 500 tonnes de Tnt (trinitrotoluène, plus puissant explosif conventionnel) avec des effets néfastes terribles (mécaniques, radio-actifs et surtout thermiques).
C’est pendant le vol que la cible fut déterminée. Il y en avait plusieurs (Hiroshima, Kyoto, Kokura et Nigata). Et en fonction des conditions météorologiques, l’Etat-major américain choisit la ville de Hiroshima qui comptait à ce moment 300 000 habitants. A 8h 15 heure locale (23h 15 Gmt), la bombe fut larguée. Elle explose à 600 mètres du sol, lance un éclair fulgurant puis dégage le panache en forme de champignon caractéristique des explosions atomiques. 70 000 personnes sont tuées et parfois volatilisées sur le coup. On dénombre beaucoup de morts dans les incendies consécutifs à la vague de chaleur. Plusieurs dizaines de milliers d’autres sont grièvement brûlées et beaucoup d’autres mourront des années plus tard des suites des radiations (on évoque un total de 140 000 morts des suites de la bombe).
Présenté de cette manière, le bombardement perd une bonne partie de sa vision dramatique et de son vécu cauchemardesque.
Miraculé grâce à un concours de circonstances qui l’amena au village d’Hesaka, à trois kilomètres environ du nord d’Hiroshima dans la nuit du 5 au 6 août pour une urgence médicale, le docteur Shuntaro Hida soutient qu’au moment de l’impact, du village où il était, un éclair éblouissant le frappa au visage et lui transperça les yeux. Une chaleur violente s’abattit sur son visage et ses bras, et l’instant qui suivit, il se retrouva au sol, le visage dans les mains, essayant instinctivement de fuir au-dehors où il pensait trouver des flammes. Mais entre ses doigts, il ne vit qu’un ciel bleu. Aussitôt, son regard se dirigea vers Hiroshima. «Un grand cercle de feu flottait dans le ciel, un anneau gigantesque qui s’étendait au-dessus de la ville. Immédiatement, une masse de nuages blancs se forma au centre de l’anneau et se mit à grossir rapidement, se déployant toujours davantage dans le cercle incandescent. En même temps, un long nuage noir apparut qui recouvrit toute la surface de la cité, puis se répandit sur le versant de la colline, s’éleva au-dessus de la vallée de l’Ohta vers le village d’Hesaka, submergeant tout, les bois, les bocages, les rizières, les maisons, les fermes. C’était un énorme cyclone soufflant la poussière et le sable de la ville. Le délai de quelques secondes qui sépara l’éclair et le rayonnement thermique de l’irruption de ce raz de marée noir m’avait permis d’observer son aspect et son avancée», confie-t-il. Et là où il se trouvait, dans un village situé à trois kilomètres de la ville, la déflagration fit ses effets. Le toit de l’école primaire fut arraché par le nuage de poussière, et lui-même fut emporté à son tour avant d’avoir pu gagner un abri.
Les volets coulissants et les panneaux s’envolèrent autour de lui comme autant de bouts de papier, le lourd toit de chaume fut balayé par le vent ainsi que le plafond, le ciel bleu apparut dans le trou béant, et il vola sur plus de dix mètres à travers deux pièces avant d’être finalement projeté contre un grand autel bouddhique qui se trouvait au fond de la maison. L’énorme toit et une bonne quantité de bois retombèrent sur lui dans un vacarme assourdissant. Lorsqu’il put se dégager, il regarda à nouveau vers Hiroshima : une colonne de flammes en jaillissait et sa tête se masquait sous un nuage énorme. Elle s’éleva de plus en plus haut dans le ciel, comme si elle voulait franchir le firmament lui-même. Un kinoko gumo (nuage en forme de champignon) se développait et se dilatait en hauteur comme pour étouffer la luminosité du ciel.
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AMAS DE CORPS DANS LA VILLE
Mais, l’horreur se trouvait encore plus en ville. A côté du parc se situant à quelques centaines de mètres du lieu de l’impact, une rivière coule. Certains habitants, pour échapper aux flammes et à la chaleur plus qu’insupportable, vont s’y jeter, pensant trouver ainsi une voie de salut. Ce fut peine perdue car l’eau était devenue bouillante. Ce qui donna une image insoutenable : une berge couverte de corps brûlés et des cadavres flottant au fil de l’eau. Au même moment, les survivants traînaient sur les rives, se marchant dessus. Ou plutôt se rampant dessus.
Quand on pense que des milliers d’enfants se trouvent dans le lot, on mesure davantage le seuil de perfection de la bêtise humaine. Myoko, 13 ans, en fait partie. La dernière image que sa maman retient d’elle, c’est lorsqu’elle lui remettait sa gamelle contenant son repas d’école. Partie à sa recherche, la pauvre femme ne va retrouver que la gamelle avec à l’intérieur, un repas calciné et une sandale de son enfant. Plus chanceux (si l’on peut parler ainsi), un père de famille va laisser son jeune garçon jouer au tricycle dans le jardin de la maison. Après le passage de la bombe, le petit garçon, mort, était à peine reconnaissable. Traumatisé, il va l’enterrer dans le jardin familial avec son tricycle quarante ans durant.
Sur un rayon de trois kilomètres, la bombe atomique avait fait des dégâts. Et l’image la plus répandue, à ce moment précis, était celle de voir des humains ou ce qu’il en restait titubant, la peau s’arrachant de leurs corps.
Aujourd’hui, la ville-martyre, malgré sa totale reconstruction avec un développement de la ville plus que réussie, ne veut point oublier. C’est ce qui est l’origine de l’ouverture en 1955, du Musée d’Hiroshima pour la paix se trouvant à une centaine de mètres du lieu de l’explosion. Un musée qui, certes, contient toutes ces histoires poignantes, documents et objets témoins (gamelle, tricycle,…), mais un musée qui se veut «un hymne à la paix et à l’amour», ce d’autant plus que Hiroshima a été proclamée «Cité de la Paix» par le Parlement japonais depuis 1949. A ce propos d’ailleurs, la ville milite pour l’arrêt complet des essais nucléaires et la disparition totale des armes à destruction massive.
Et en guise de témoignage, et à la mémoire des disparus, les ruines du Genbaku Dome, l’un des seuls bâtiments à ne pas avoir été entièrement détruits par l’explosion, furent conservées. Egalement un vaste parc, le Parc de la Paix, s’étendant sur 12 hectares, à proximité de l’hypocentre de l’explosion, abrite de nombreux monuments à la mémoire des victimes de la bombe. Le cénotaphe contient le nom de toutes les victimes connues de la bombe; une flamme de la paix y brille, destinée à rester allumée tant que des armes nucléaires existeront.
Et aujourd’hui, 6 août 2007, comme le 6 août de chaque année, une cérémonie commémorative est organisée dans le Parc de la Paix. Pour que nul n’oublie et que chacun évite de faire comme le quotidien français Le Monde au matin de 8 août 1945, avec une titraille qui renvoie à un exploit scientifique : «Une révolution scientifique. Les Américains lancent leur première bombe atomique sur le Japon.»
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Cheikh Fadel BARRO
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Comme disait Albert Camus : < l'enfer c'est les autres >.
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Les reportages effectués sur place au lendemain de l’immense conflagration sont, pour le moins, insoutenables eu égard à l’ampleur de la barbarie décrite. Un éclair aveuglant «comme dix mille soleils», selon le témoignage d’un rescapé, déchira le ciel de cette ville, transformant les lieux, en moins de deux secondes, en un terrifiant paysage d’Apocalypse. La «Bombe» avait une puissance de… douze mille cinq cents tonnes de TNT. Dans la zone d’explosion, la chaleur atteignit 3000 degrés, soit le double du niveau de degré de chaleur nécessaire pour faire fondre le fer ! Le plus gros de la ville fut soufflé, rasé, rayé de la carte dans un enfer de flammes.
Plus de cent-vingt mille personnes — certains rapports avancent le chiffre de 250 mille — sont mortes sur le coup. «Leurs corps étaient complètement brûlés, leurs orbites vides, et le fluide de leurs yeux fondus coulait sur leurs joues. Leurs bouches n’étaient plus que blessures enflées et couvertes de pus…», écrit le journaliste américain John Hersey, qui s’était rendu sur les lieux deux jours après l’explosion, dans son livre «Hiroshima».
Les survivants, les irradiés dont bon nombre connurent une mort horrible, empoisonnés, brûlés, suffoqués. Beaucoup d’autres, qui semblaient épargnés, succombèrent des années plus tard, victimes de cancers et d’autres affections. Aujourd’hui encore, les séquelles de la Bombe A dont une seconde copie a été larguée sur Nagasaki trois jours plus tard, continuent à faire des victimes.
Face à ce génocide organisé, l’Amérique n’éprouve aucune crise morale, aucun cas de conscience, aucun repentir. Au contraire, Harry Truman, le président US qui avait pris la funeste décision, est considéré comme un héros national de stature universelle, tandis que les morts d’Hiroshima et de Nagasaki n’empêchent, aux States, personne de dormir. Selon un sondage d’opinion, organisé en 2005 à l’occasion du soixantenaire du bombardement des deux villes japonaises, 68% des Américains pensent que l’arme nucléaire était nécessaire pour mettre fin rapidement à la guerre. Seuls 16% des sondés sont persuadés qu’elle aurait pu être évitée. Quant à la poste étasunienne, elle n’a pas trouvé mieux, pour “fêter” cet anniversaire, que d’émettre un timbre représentant un champignon atomique !
La doctrine militaire des USA repose sur l’emploi foudroyant des armes les plus meurtrières. L’ennemi doit rompre sous le déluge de feu et ne point se relever. Les bombardements de Dresde, durant la Deuxième Guerre mondiale, ont provoqué, en une seule nuit, la mort de 100.000 (oui, cent mille morts parmi la population civile). En l’espace de vingt-quatre heures, en mars 1945, la ville de Tokyo fut noyée sous les bombes : 80.000 morts. Pendant la deuxième guerre du Golfe, les frappes aériennes US ont fait plus de cent trente mille morts. Quant à celle qui se poursuit en Irak, elle est encore plus horrible.
Les vertiges philosophiques provoqués par les destructions
apocalyptiques d’Hiroshima auraient dû conduire la morale occidentale à
un impératif catégorique : la prohibition absolue de l’arme nucléaire.
C’est une autre voie qu’elle décida de choisir : l’interdiction de la
bombe à tous les Etats sauf aux grandes puissances. On comprend mieux,
à partir de là, la “crise de conscience” qui… tourmente l’Occident.
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Tahar SELMI
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