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Un extrait du dernier roman
de Chawki Amari (Barzakh, 2007). Un texte où l’univers du Sahara fait
écho — non sans humour — aux questionnements traversant
l’histoire algérienne.
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De Tamanrasset plein Sud à Ghardaïa plein Nord, des hauteurs du plateau du Tadmaït au Tassili, Chawki Amari campe ses personnages dans un désert saharien dont il réussit à rendre l’immensité hostile familière, voire accueillante. A 45 ans, Trabelsi, « commerçant impénitent des déserts », avale des milliers de kilomètres toute l’année dans son camion ; Afalawas, le Touareg, fait de la contrebande dans sa Toyota ; Moussa et Aïssa sont « réparateurs de routes pour le compte de la wilaya de Tamanrasset », Yassina tient un « relais routier » en plein désert avec Rimitti, jeune femme de quarante ans sa cadette ; Lakhdar, jeune gendarme, patrouille, « à la recherche de contrebandiers sérieux et d’infractions majeures » ; et enfin, Ammi Fota, vieux retraité intello, a définitivement quitté le monde urbain pour se réfugier dans le camping géré par El Kono.
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Tout ce petit monde est intrigué par un « événement » qui vient bousculer leur quotidien lent et calme d’habitants du désert : un « faiseur de trous » a fait son apparition dans la région, creusant avec un acharnement systématique des trous de plusieurs mètres de profondeur. Si les mobiles de l’action d’Akli l’excavateur restent obscurs aux autres personnages, le lecteur, lui, a quelques clés de plus pour comprendre, à travers des passages en italique, étrangers à « l’intrigue » même : « Il y a quelque chose. C’est sûr qu’il a quelque chose. Regarde l’Egypte. Vieille civilisation, aussi vieille que les graveurs et peintres de pierres du Sahara d’ici. Tous les matins, les Egyptiens trouvent quelque chose. Ils se lèvent, creusent un peu et mettent au jour un pan de leur histoire ».
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Le narrateur guide ainsi le lecteur dans ses questionnements sur le rapport des Algériens à leur mémoire et à leur histoire lointaine. A travers ces excavations obsessionnelles, il donne corps à son espoir « qu’un jour peut-être, on retrouvera nos ancêtres quelque part sous le sable », contredisant l’affirmation péremptoire et franchement déstabilisante qu’il met, en guise de conclusion, dans la bouche de Zahra, fille d’Akli : « Les Sahariens ont ceci de particulier qu’ils caressent le présent la journée et s’endorment chaque soir sur un bout de futur. Ils n’ont pas de passé, sinon je le saurais ».
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En attendant de pouvoir, (qui sait ?), en sa qualité de géologue, partager avec nous de nouvelles découvertes sur le sous-sol algérien, Amari nous fait donc plonger dans le présent de ce désert, là où l’actualité s’impose au détour d’une phrase, à travers la recrudescence des attentats revendiqués par le GSPC, les réflexes bureaucratiques désormais bien enracinés, les références à l’histoire contemporaine (les essais nucléaires français dans le désert algérien). Il ramène ainsi le lecteur au « temps réel » de la narration, à l’année 2007 de l’histoire sociale et politique de son pays, qu’il connaît bien pour l’avoir décortiquée en tant que chroniqueur (au quotidien Al-Watan) et caricaturiste. Tout comme il connaît bien le désert, pour l’avoir sillonné pendant plus de vingt ans, et décrit dans Nationale 1, voyage-reportage tout au long de la route qui coupe l’Algérie du Nord vers le Sud.
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Le Faiseur de trous est à la croisée de toutes ces expériences. Un texte attachant et savoureux, dont l’humour n’est pas sarcasme, ni cynisme, mais tendresse et lucidité. Qui réussit à nous faire aimer et respecter ses personnages, avec cette douceur pénétrante propre aux gens du désert.
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Le faiseur de trous
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— Rtwstrour ! Rftrqriwnrdr !
Le soleil. Dur, constant, cruel et têtu. il est deux heures d’une après-midi aussi ensommeillée que les autres dans le Mouydir : Vaste ensemble rocheux qui délimite la frontière nord du Hoggar. Un autre désert. Pierres sombres et relief très accidenté, vallées encaissées et oueds furieux quand ils sont là.
C’est la grande route de Tamanrasset, avec son goudron troué, déchiqueté, qui se traîne péniblement sur 700 kilomètres. Un ensemble interminable de trous et de nids de poule collés les uns aux autres comme dans un poulailler et qui rendent le trajet très fatigant.
— Rtwsrtrour !
Une suite de jurons incompréhensibles. C’est du tamacheq, la langue des Touareg Imuhags avec ses nombreux « r » clairs et caractéristiques, qui ne sont pas roulés et sont communs à la plupart des langues sahariennes et subsahariennes.
— Rftrqriwnrdr !
Afalawas est en colère. Une roue est foutue. Pas seulement le pneu, mais toute la roue. Sa Toyota vient de tomber dans un énorme trou. Afalawas est très énervé ; pourtant, en tamacheq, son prénom signifie « le souriant ». Mais là, il n’a pas du tout envie de rire. Un imbécile a creusé un énorme trou. Ca se voit, c’est un homme qui a fait ça et pas les intempéries ou les gros camions qui cassent tout en passant. Un trou ici ? Afalawas voulait éviter le goudron troué justement et, comme tous les habitués, a contourné la route, prenant des chemins parallèles à quelques mètres de la route officielle. La Toyota est tombée dans un trou non prévu par la wilaya. Une Toyota presque neuve, bien qu’elle ait cinq ans. Mais en temps saharien, c’est neuf.
— Hassi Khenig est à quelques dizaines de kilomètres. Peut-être trouver un réparateur ?
C’est Moussa qui a parlé, calmement, sa pelle à la main. Avec Aïssa, ils sont cantonniers, réparateurs de routes pour le compte de la wilaya de Tamanrasset. Nonchalants travailleurs, ils étaient là, debout à évaluer les réparations du goudron de la Nationale quand ils ont vu Afalawas tomber dans un trou.
— Un trou en dehors de la route n’est pas dans nos attributions, ont pensé en substance Aïssa et Moussa.
Mais il ne faut pas le dire à Afalawas, il est déjà assez énervé comme ça.
— Si la route était bonne, on ne serait pas obligés de dévier et de tomber dans ces trous, a marmonné Afalawas comme s’il avait entendu.
Afalawas est Targui. De Tazrouk exactement au nord-est du Hoggar.
Tazrouk, qui avec ses 2 000 mètres d’altitude a la particularité d’être le village le plus haut d’Algérie. Tout comme Afalawas, avec son mètre 70, a la particularité d’être à 26 ans, le Targui le plus petit de son village, les Touareg étant généralement grands, particulièrement à Tazrouk. Moussa et Aïssa sont plus grands mais ne sont pas Touareg.
S’ils viennent d’Illizi, tout à l’est, autre région targuie, ils sont un mélange de tout et de rien. Des habitants du désert aussi mais résultats de nombreux mixages transsahariens. Afalawas est dans son pays, ici dans le Mouydir. Targui au pays des Touareg. Il a le droit de s’énerver. Contre l’Etat qui est partout mais qui semble être contre tout.
— Que fait la wilaya ?! Vous êtes censés réparer les routes ! Y en a marre de cette route cassée ! Qui va payer les réparations de ma voiture ?!
— On fait ce qu’on peut, a lentement répondu Aïssa, désignant leur camion bleu de la wilaya garé au bord de la route. Mais la route est longue …
— … et les budgets très courts, poursuit Moussa.
— On te dépose à Hassi Khenig ? Demande Aïssa, conciliant.
Afalawas n’a pas d’autre solution. Il se frotte le visage sous son chèche orange.
— Et mes affaires ?
— Afalawas allait vers In Salah. Dans la benne de son pick-up, un lot de matériel, qu’il allait vendre. Des espèces de panneaux bizarres, du verre, assortis d’un câblage compliqué et de tout un ensemble de pièces étranges.
— On les prend avec nous.
Une heure pour transborder la cargaison d’Afalawas. Mais Moussa et Aïssa sont serviables. Ce sont surtout des rigolos.
— Tu connais la blague du camion qui transportait des trous ?, demande Moussa à Aïssa en chargeant une poignée de câbles.
— Non, répond ce dernier, connaissant pourtant parfaitement l’histoire.
— Et bien un des trous est tombé du camion en roulant.
— Et alors ?
— Alors quand il a vu ça, le conducteur s’est arrêté et a fait marche arrière.
— Et alors ?
— Alors il est tombé dedans. Dans son trou.
Aïssa part d’un rire très aigu et contagieux, découvrant une rangée impressionnante de dents couleur de sable. Afalawas a failli retrouver le sourire. Presque.
— Et en plus il fait chaud, se contente-t-il de dire.
C’est vrai qu’il fait chaud, Afalawas n’exagère pas, bien qu’exagérer soit un grand sport targui. On a beau dire que les Sahariens sont habitués à la chaleur, que cette chaleur est sèche donc supportable, mais quand il fait chaud il fait chaud. Pour tout le monde. Les trois hommes ont essuyé leur sueur avec leurs chèches respectifs, posés différemment sur leurs têtes comme autant de signes d’appartenance. Sont montés tous les trois à l’avant du camion bleu. Moussa a démarré, direction Hassi Khenig.
— Mais qui creuse des trous pendant qu’on les répare ? S’est demandé Moussa à voix haute en regardant dans son rétroviseur .
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Dina Heshmat
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