…de Gilbert Meyner : Un ouvrage fascinant
Dans son avant-propos, il rappelle que «les Algériens d’aujourd’hui, dans leur culture et leur organisation sociale, sont les héritiers d’une riche histoire millénaire, qui ne se réduit pas aux siècles écoulés depuis l’avènement de l’islam, et aux cent trente-deux ans de la domination coloniale française».
C’est à la découverte de cet héritage antéislamique de l’Algérie, trop méconnu, qu’invite Gilbert Meynier dans ce livre accessible à tous, synthétisant les acquis des recherches les plus récentes. Après l’évocation des découvertes archéologiques qui montrent que le territoire de l’actuelle Algérie fut l’un des premiers berceaux de l’humanité, il retrace l’histoire, à partir des IVe-IIIe siècles avant l’ère chrétienne, des Etats qui s’y constituèrent alors.
Ils étaient en relation – commerciale, technique et culturelle – avec le Proche-Orient et, à une plus grande échelle, avec les pays qui bordent la Méditerranée : l’influence punique puis romaine seront déterminantes pour modeler l’organisation politique et économique, la culture et les orientations religieuses des ancêtres des Algériens, même s’ils restaient largement tributaires du vieux substrat libyco-berbère.
Analysant avec finesse l’étonnante permanence de certains de ces traits ancestraux, sans pour autant négliger l’impact des multiples ruptures historiques précédant l’arrivée des conquérants arabes et de l’islam, Gilbert Meynier offre ici les clés nécessaires pour comprendre les racines de l’Algérie d’aujourd’hui.
Une lecture indispensable pour dépasser, en France comme en Algérie, les simplifications et les stéréotypes fabriqués aussi bien par la colonisation que par l’histoire officielle de l’Algérie indépendante. Le lecteur découvrira que les luttes de pouvoir romaines apparaissent étroitement liées au sort de la Numidie indépendante que, après la destruction de Carthage en 146 av.
J.-C., Rome finit pas vassaliser, avant de l’annexer purement et simplement. «Cela n’empêcha pas le plus célèbre des princes maures vassaux de Rome, Juba II, d’incarner, depuis Caesarea (Cherchell), capitale de son royaume de Maurétanie, un apogée raffiné de l’art, de l’architecture et des sciences.
Deux ans après la mort de son successeur Ptolémée, son royaume fut finalement annexé par l’empereur Claude.» Dans la deuxième partie de son ouvrage, il aborda les Romano-Africains, à l’époque classique de la domination romaine, du Ier au IVe siècles après J.-C.
Cette «colonisation», dit l’auteur, n’eut pas grand-chose à voir avec la colonisation entreprise dix-huit siècles plus tard sous l’égide conjointe du national français et de l’avancée du capitalisme. Gilbert Meyner étudia «l’administration romaine et l’encadrement militaire du dispositif défensif du territoire conquis par Rome, ainsi que les normes d’une société, que «certains ont donnée pour romaine, mais que d’autres ont prétendu rétive à la romanisation, sans omettre les modalités de l’aménagement de l’espace, dont la rationalité organisatrice et comptable n’exclut pas une forte injustice dans la répartition de la richesse porteuse d’explosions sociales».
L’auteur décrit la civilisation romano-africaine dont il a dit qu’«elle fut, au premier chef, une civilisation centrée sur un épanouissement sans précédent des villes : les cités, avec leur connotation sacrée, avec les sépultures qu’elles abritaient pieusement, étaient aussi le lieu d’une vie sociale – marchés, théâtres, jeux de cirque, sens du décor … Dans un tel contexte seront abordées les manifestations de l’art, de la littérature et de la culture, tant dans les espaces privés que publics».
Dans la troisième partie, il fait en quelque sorte le bilan de l’Antiquité tardive et, notamment, des modalités de passage du christianisme à l’islam (IVe-VIIIe siècles). Ile tente de mettre la lumière sur les origines et les raisons de l’expansion du christianisme nord-africain, dont les prémices remontent au IIe siècle, mais dont l’épanouissement fut plus tardif.
Non sans indiquer que les manifestations du christianisme furent marquées par des spécificités – «l’hérésie donatiste» notamment, en laquelle certains ont voulu voir la manifestation d’un particularisme africain quand d’autres ont souligné sa signification au regard des violentes luttes internes qui ébranlèrent la société africaine.
Il écrit que «toujours est-il que l’Antiquité tardive connut des révoltes multiformes où le courant de la protestation sociale fut intriqué, in fine, avec les ambitions de pouvoir des princes berbères sur fond de recul du pouvoir romain.
Pour revenir sur terre, une époque proche de la nôtre, aux XIXe et XXe siècles, si les colonisateurs exploitèrent tant la vigne pour produire du vin en Algérie, la viticulture était aussi une activité importante dans l’Antiquité : la production et la consommation du vin y étaient fort développées».
Et depuis plus longtemps encore, les humains se nourrissaient principalement de blé – le couscous est resté l’élément de base de leur alimentation – tout comme sur l’ensemble des rivages méditerranéens. Dans le sud de la Palestine, on en connaît une variété moins finement roulée, le maftûl (le roulé); et au couscous équivaut le burghul turc – qui ressemble au frîk constantinois (blé ou orge verts concassés) –, voire la pasta italienne, qui a largement conquis l’espace culinaire maghrébin».
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Dans le second volume, Gilbert Meynier traite la période «classique» (royaumes berbères, empires maghrébins, période ottomane). Le troisième volume concerne l’Algérie contemporaine (de la période coloniale à l’Algérie indépendante).
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par Belkacem Rouache
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