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La nouvelle des négociations de la Tafna fut accueillie en France avec un profond sentiment de répulsion; aussi le ministère s’empressa-t-il de déclarer à la tribune que le traité n’était point ratifié, et que des modifications importantes y seraient apportées. Mais, par un hasard assez singulier, il arriva que le même jour où M. Molé faisait cette déclaration solennelle, le télégraphe annonçait au gouverneur général que le roi approuvait ses conventions. Une pareille erreur (car c’est ainsi que M. Molé qualifie le démenti formel que lui donna le télégraphe) dénote de la part du cabinet une grande légèreté, ou une grande insouciance pour les affaires d’Algérie. Il suffit de jeter un coup d’œil sur la carte de l’ancienne régence, pour reconnaître combien peu les intérêts français avaient été ménagés resserrés autour d'Oran et d'Alger, Abd-el-Kader et Ahmed Bey étaient les véritables maîtres du pays. Des critiques véhémentes s’élevèrent contre le traité de la Tafna et surtout contre celui qui l’avait signé au nom de la France on connaissait les antipathies du général Bugeaud pour la colonie; lui-même les avait hautement proclamées à la tribune, et on disait partout qu’il ne s’était laissé aller à tant de condescendance que pour mieux annihiler la domination. Nous ne reproduirons pas ici ces récriminations; mais nous mettrons en lumière les observations pleines de justesse que le comte Damrémont adressa au ministère; elles émanent d’une source officielle, et ont le mérite d’avoir prédit tous les événements survenus à la suite de ce déplorable traité.
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« Cette convention, disait-il, rend l’émir souverain de fait de toute l’ancienne régence d’Alger, moins la province de Constantine et l’espace étroit qu’il lui a plu de nous laisser sur le littoral autour d’Alger et d’Oran. Elle le rend souverain indépendant, puisqu’il est affranchi de tout tribut ; que les criminels des deux territoires sont rendus réciproquement; que les droits relatifs à la monnaie et à la prière ne sont pas réservés, et qu’il entretiendra des agents diplomatiques chez nous comme nous en entretiendrons chez lui. Et c’est lorsqu’on a réuni à Oran quinze mille hommes de bonnes troupes, bien commandées, abondamment pourvues de toutes choses, lorsque des dépenses considérables ont été faites, lorsqu’une guerre terrible, une guerre d’extermination a été annoncée avec éclat, que, sans sortir l’épée du fourreau, au moment où tout était prêt pour que la campagne s’ouvrît avec vigueur à Oran comme à Alger; c’est alors, dis-je, que tout à coup on apprend la conclusion d’un traité plus favorable à l’émir que s’il avait remporté les plus brillants avantages, que si notre armée avait essuyé les plus honteux revers. Il y a peu de jours que l’on ne voulait permettre sous aucun prétexte à Abd-el-Kader de sortir de la province d’Oran, et voilà que, d’un seul trait de plume, on lui cède la province de Tittery, Cherchell, une partie de la Mitidja, et tout le territoire de la province d’Alger qui se trouve hors des limites qu’il nous a fixées, et sur lequel il n’avait encore ni autorité ni prétention. Enfin on abandonne sans pitié des alliés qui se sont compromis pour nous et qui paieront de leur tête leur dévouement !
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Si j’examine la délimitation qui résulte de l’art. 2, je vois que, dans la province d’Oran, Mostaganem et Mazagran resteront sépares d’Oran et d’Arzew, c’est-à-dire qu’ils seront en état constant de blocus. Puisqu'on gardait ces deux villes, il était naturel de les lier à la zone que nous conservons; pour cet effet, au lieu de se borner à la Macta, il fallait garder les montagnes au-dessous de cette rivière, qui s’étendent le long de la mer, et leurs versants dans la plaine, et ne s’arrêter qu’h l’embouchure du Chélif. Cette extension valait mieux que le Rio Salado et ses environs.
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Dans la province d’Alger, la délimitation est plus défectueuse encore. Qu’est-ce qu’une limite comme la Chiffa, qui, les trois quarts de l’année, n’a pas d’eau, qu’on peut franchir partout, et dont la rive opposée est habitée par la population la plus pillarde et la plus turbulente de la régence ? Pourquoi ne pas garder au moins toute la Mitidja ? Pourquoi en abandonner une des parties les plus riches, sans avantage et sans nécessité ?
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Enfin, quelle est la garantie de ce traité ? Quel gage Abd-el-Kader donne-t-il à la France, de son désir d’en observer les conditions, de sa sincérité et de sa bonne foi ? Aucun. Le général Bugeaud le dit lui-même, l’exécution du traité ne repose que sur le caractère religieux et moral de l’émir. C’est la première fois, sans doute, qu’une pareille garantie fait partie d’une convention diplomatique. Mais alors, comment serons-nous à l’abri d’une rupture imprévue, d’une invasion subite et générale qui ruinerait nos colons, et coûterait la vie d’un grand nombre d’entre eux ? »
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Ces observations pleines de force n’empêchèrent point la ratification du traité. Effrayé des dépenses toujours croissantes qu’entraînait l’occupation de l’Algérie, le ministère crut, en accordant à Abd-el-Kader plus qu’il ne devait espérer, en faire un allié reconnaissant; il ne fit qu’éterniser la guerre. Mais détournons les yeux de cette œuvre désastreuse, et suivons le comte Damrémont dans les préparatifs de l’expédition de Constantine. La sagesse et la fermeté du brave colonel Duvivier, qui commandait à Guelma, nous avaient concilié toutes les tribus voisines; le gouverneur général résolut donc de porter à quelques lieues plus avant, sur Medjez-Amar, sa base d’opération, et y fit travailler à un camp retranché. Mais, tout en s’occupant des préparatifs de la guerre, il cherchait h nouer des négociations avec Ahmed.
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