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Quelques jours après, le général Trézel sortit d’Oran avec l’intention de faire un mouvement plus décisif. Il était à la tête d’une petite division composée d’un bataillon du 66e d’un bataillon du 1er de ligne, du 2e régiment de chasseurs d’Afrique, d’un bataillon et demi de la légion étrangère, et d’une batterie de campagne; en tout deux mille cinq cents hommes. Avec ces forces, il se proposait d’attaquer celui qui déjà se proclamait le souverain maître de l’Algérie. Nous voici parvenus à l’une des époques les plus critiques de notre domination; elle demande à être racontée avec détail.
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Le général s’établit au camp du Figuier, position militaire située à deux lieues au sud d’Oran; couvrant ainsi toute la partie du pays où s’étaient réunis les Douers et les Zmelas les alliés. De là, il écrivit à Abd-el-Kader pour lui déclarer qu’il resterait dans cette position jusqu’à ce qu’il eût renoncé publiquement à tout droit de suzeraineté sur les tribus qui avaient imploréla protection française. L’émir répondit à ce message, que sa religion ne lui permettait pas de laisser des musulmans sous la domination française, et qu’il ne cesserait de poursuivre les tribus rebelles partout où elles se réfugieraient. C’était une déclaration de guerre situation difficile et fâcheuse pour le général Trézel, qui demanda de nouveau des instructions à Alger et n’en reçut pas. Se retirer c’était abandonner les alliés; c’était consacrer par une nouvelle faiblesse l’usurpation d’Abd-el-Kader. Après quelques hésitations, que l’on comprendra sans peine, le général Trézel se décida à prendre l’offensive.
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Les troupes sortirent de leurs retranchements à quatre heures du matin, et s’engagèrent dans un épais taillis appelé Muley-Ismaël. L’avant-garde, commandée par le colonel Oudinot, ne se composait que de deux escadrons de chasseurs et trois compagnies de la légion étrangère. Assaillie tout à coup par la nombreuse cavalerie d’Abd-el-Kader, elle se trouva en un instant enveloppée de toutes parts ; le colonel Oudinot essaya plusieurs fois de rallier ses troupes ébranlées, mais il tomba mortellement frappé d’une balle. Alors, chasseurs et fantassins se replient en désordre sur le gros de la colonne; malheureusement le 66e, qui formait le centre, était lui-même attaqué, la panique s’empare de lui, et il plie à son tour. C’en était fait de la division, sans une inspiration soudaine du général; il dirige l’arrière-garde vers la tête de la colonne, et la fait avancer en bon ordre au pas de charge; l’énergie de ce mouvement culbute les Arabes; les compagnies se reforment, et par un vigoureux effort elles réparent le mouvement de faiblesse qui avait failli les perdre.
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A midi, il fallut faire halte en dehors du bois, dans la vallée du Sig, car l’ordre de marche ayant été rompu, les divers détachements s’avançaient pêle-mêle et se gênant les uns les autres. Durant cette halte, les soldats, irrités de leur défaite et oubliant toute discipline, se jettent sur les fourgons de vivres, pillent les approvisionnements, enfoncent les barils d’eau-de-vie et dévalisent même les cantiniers. Pour arrêter ces coupables excès, le général fit reprendre la marche, et arrivé sur les bords du Sig il y établit son camp; celui d’Abd-el-Kader se trouvait à deux lieues plus loin.
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Les désordres de la veille, la lassitude des soldats, le grand nombre de blessés qui encombraient les prolonges, ébranlèrent un instant le courage du chef. La journée se passa à observer l’ennemi, quatre fois plus nombreux, se tenait derrière ses retranchements. Cette impassibilité détermina le général Trézel à opérer son mouvement de retraite. Le bataillon d’infanterie légère d’Afrique prit la tête de la colonne; venait ensuite le convoi, sur trois files de voitures, et flanqué à droite et à gauche par deux compagnies de la légion étrangère et deux escadrons de chasseurs d’Afrique. L’arrière-garde, commandée par le lieutenant-colonel Beaufort, se composait du bataillon du 66e de ligne et de deux escadrons de chasseurs. Ce fut dans cet ordre que l’armée, entourée de tirailleurs, s’avança dans la plaine de Ceïrat. Dès qu’il la vit s’ébranler, Abd-el-Kader se mit à sa poursuite avec huit à dix mille cavaliers et quinze cents fantassins. Au lieu de suivre la route qui conduit directement à Arzew, le général Trézel aima mieux déboucher dans le golfe par les gorges de l’Habra, à l’endroit où cette rivière, sortant des marais, prend le nom de la Macta. Au premier coup d’œil, l’émir s’aperçut de la faute que commettait son adversaire, et lança à toute bride des cavaliers pour occuper le défilé. A peine l’avant-garde y fut-elle engagée, qu’une grêle de balles et de pierres vint l’assaillir. Après des efforts inouïs de courage, poursuivis sans cesse et harcelés par l’ennemi, les soldats se replièrent tumultueusement sur le gros de l’armée et y jetèrent le plus grand désordre. L’arrière-garde, tout à coup détachée du centre, fit un mouvement en avant pour joindre la tête de la colonne, et laissa le convoi à découvert. Alors l’épouvante gagne tous les détachements. Vainement la voix du général se fait entendre, partout elle reste sans pouvoir; les soldats jettent leurs armes, les hommes du train des équipages coupent les traits de leurs chevaux et abandonnent les caissons ; la déroute est complète. Aussitôt les Arabes se mettent, suivant leur usage, à piller les caissons et à égorger les blessés, mais leur attaque se ralentit. Quelques hommes énergiques profitent de ce moment de répit pour gravir un mamelon et y former un point de ralliement. On les voyait agiter leurs shakos et leurs mouchoirs; on les entendait chanter en chœur la Marseillaise, afin d’attirer vers eux les regards de leurs camarades. Ce noyau grossit rapidement; tous les détachements y accoururent pour se reformer, et bientôt de cette citadelle improvisée les Français prirent l’offensive. Des coups de canon à mitraille bien dirigés éclaircirent les masses compactes de l’ennemi; puis des charges à fond dégagèrent la voie, et le mouvement de retraite se continua; mais cette fois avec plus de calme et moins de désordre; car les Arabes, fatigués de ce long combat et chargés de butin, ralentirent successivement leurs escarmouches, et finirent même par laisser la colonne regagner tranquillement Arzew. Ainsi finit cette fatale journée de la Macta, qui coûta huit cents hommes à l'occupant et grandit la puissance d’Abd-el-Kader.
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Cependant, en arrivant à Arzew, la démoralisation des troupes était telle, que le général Trézel crut devoir les faire embarquer pour Oran; la cavalerie et l’état-major suivirent la voie de terre. En les voyant entrer seuls à Oran, on crut que la division tout entière avait succombé; mais bientôt l’arrivée des sandales chargées de l’infanterie et de l’artillerie dissipèrent ces alarmes. Dans tous les détails de cette expédition, la conduite du général Trézel fut digne et noble; il avait été brave dans l’action, il fut impartial dans le compte rendu; ses ordres du jour, ses rapports n’accusaient personne; toutes les fautes, il les assuma sans restriction. Une conduite si loyale rachète bien des fautes !
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A la nouvelle de cette fâcheuse affaire, le comte d’Erlon, qui n’avait voulu ni approuver ni combattre les résolutions du général Trézel, lui donna l’ordre de résigner sur-le-champ son commandement entre les mains du général d’Arlanges ; puis, pour avoir des renseignements exacts sur la situation des affaires, il envoya Ben-Durand à Oran. Celui-ci ne vit dans cette mission que les intérêts de son maître, et tous ses efforts tendirent à accroître le plus possible la prépondérance d’Abd-el-Kader dans le beylick. Complètement subjugué par les manœuvres de ce juif, le comte d’Erlon voulait à quelque prix que ce fût renouer la paix avec l’émir, et aurait volontiers livré à sa vengeance les Douers et les Zmelas, sans les énergiques représentations de la majorité des membres du conseil de régence. Contrairement aux intentions du gouverneur, il fut décidé que ces deux tribus étaient définitivement acquises à la France, et de nouveau elles vinrent se grouper autour d’Oran, sous le commandement immédiat de l’ancien caïd de Mostaganem. La grande considération personnelle dont jouissait Ibrahim parmi les Arabes en faisait pour l’émir un puissant adversaire.
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Par ces heureuses dispositions, les désastres de la Macta se trouvaient en quelque sorte réparés, lorsqu’une malencontreuse décision du ministère vint remettre tout en question. La guerre civile se prolongeait en Espagne, et ses résultats commençaient à inquiéter la France. Dans l’intérêt des principes que la révolution de Juillet avait consacrés, il aurait bien voulu intervenir directement pour assurer le triomphe de Marie-Christine; mais les puissances du Nord s’opposaient énergiquement à une telle démonstration. On recourut alors à un moyen terme: la France céda à l’Espagne sa légion étrangère composée de cinq mille hommes; elle assistait ainsi son alliée, tout en respectant le principe de la non-intervention. Depuis 1832 la légion étrangère avait été affectée à l’armée d’Afrique, et se trouvait en très grande partie dans la province d’Oran. Sans s’inquiéter de la situation des affaires en Algérie, le ministère la fit embarquer pour sa nouvelle destination; et le comte d’Erlon se prêta avec sa complaisance habituelle à cette dislocation qui allait devenir le signal d’un redoublement d’efforts contre la domination. française. Bientôt après, les Arabes et les Kabyles se montrèrent en armes partout où il y eut des Européens à égorger ; et, dans ces affreuses incursions, les Hadjoutes comme toujours se signalèrent . Des rapports et des remontrances adressés au cabinet réveillèrent enfin sa sollicitude pour les possessions d’Algérie; il reconnut qu’il y avait péril à laisser plus longtemps le gouvernement entre les mains du comte d’Erlon, et se décida à le rappeler.
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Le comte d’Erlon quitta Alger le 8 août, emportant avec lui une réputation de probité irréprochable, et laissant dans la colonie, malgré ses fautes et ses faiblesses, de sincères regrets.
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