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Les renforts envoyés d’Alger à Bougie avaient nécessité le départ de M. de Lamoricière. En son absence, les fonctions de chef du bureau arabe furent remplies par M. Delaporte, interprète de première classe et orientaliste distingué; mais, cassé par l’âge et les infirmités, M. Delaporte ne put, suivant les bonnes habitudes de son devancier, aller visiter les tribus, juger leurs querelles, dissiper leurs craintes, et surtout contenir leur humeur inconstante. C’était au mois d’août, époque d’oisiveté chez les cultivateurs de la plaine; les moissons sont alors terminées, et on ne songe pas encore aux semailles. Dans cet intervalle ils sont généralement disposés à la turbulence. Ils se mirent donc à attaquer les travailleurs français qui s’occupaient de l’assainissement de Boufarik. Le général Voirol ne sévit pas tout d’abord contre eux, faute grave; l’insolence des Arabes s’en accrut. Peu de temps après, ils assassinèrent le caïd des Beni Khalil (tribu voisine de Boufarik), homme respectable dont le seul crime était son dévouement à notre cause; le lendemain de cet attentat, un cantinier français et sa femme furent trouvés morts dans le même district. Tous ces crimes auraient demandé une prompte répression, le général se borna à ordonner une enquête: c’était accorder aux coupables un bill d’impunité. Alors les Hadjoutes, tribu féroce, à qui le bruit public attribuait la plupart de ces assassinats, marchent ouvertement contre les Beni Khalil nos alliés, les pillent et les massacrent. Pour cette fois c’en était trop : M. de Lamoricière fut chargé de châtier cette tribu, et s’en acquitta avec une grande vigueur.
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Cette affaire détermina le commandant en chef à étendre son système des milices indigènes dans tous les outhans amis. Les Beni Khalil et les Beni Moussa s’y rallièrent franchement; on organisa aussi les Aribs, espèce de parias venus du désert, et qui, repoussés de toutes parts, se livraient aux plus épouvantables brigandages. Les environs de la Rassautha, à l’est de la Metidja, leur furent assignés à titre de résidence, et pour prix de cette faveur ils s’engagèrent à prendre les armes chaque fois qu’ils en seraient requis, à monter la garde au fort de l’Eau et à la Maison Carrée, et à faire la police de la plaine. On ne tarda pas à ressentir les bons effets de cette sage mesure.
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Toujours haineux contre les Français et contre ceux de leurs compatriotes qui reconnaissaient la domination française, les Hadjoutes s’insurgèrent (17 mai 1834). Aussitôt les indigènes prirent les armes et se rallièrent à une colonne de deux mille hommes dirigée par le général Voirol en personne. Les auxiliaires servirent admirablement: grâce à la connaissance parfaite qu’ils avaient des lieux aussi bien que des ruses pratiquées par l’ennemi, nous pûmes éviter les fausses marches, nous garantir des surprises, et nous ménager les circonstances les plus favorables pour combattre. C’était la première fois que ces espèces de tribus margzen marchaient sous le drapeau français: les Hadjoutes furent battus dans toutes les rencontres, et aucune de leurs embuscades ne réussit. Désespérés, ils demandèrent la paix et la subirent comme ils sont capables de le faire. Cette expédition de courte durée rétablit la tranquillité autour d’Alger: le général Voirol en profita pour reconnaître les terres qui composaient le domaine de l’ancien odjak. Dans la Mitidja, il s’assura de l’existence de dix-neuf fermes, dont sept seulement occupaient une zone de cinq lieues de long; elles se composaient de vastes jardins, de superbes vergers et de terrains fertiles, bien boisés, bien arrosés. Certes, si le gouvernement l’eût voulu, il aurait eu là de quoi fonder de belles colonies militaires et agricoles, sans porter la moindre atteinte à la propriété des particuliers. On reconnut encore quatre fermes chez les Hadjoutes, trois à Soumata, une chez les Isser, domaines dont les Turcs tiraient un excellent parti et qui étaient exploités sous la surveillance des vieux officiers de l’odjak. Les Européens de l’ordre civil qui assistèrent à cette reconnaissance ne revenaient pas de leur surprise en voyant des terrains si fertiles, et sollicitaient vivement la permission de venir les exploiter; mais le gouverneur n’avait pas reçu d’instructions qui lui permissent de les y autoriser.
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A cette époque, une heureuse occasion se présenta de consolider la domination en Afrique. Abd-el-Kader n’était pas encore une puissance; le bey de Constantine était le seul ennemi embarrassant. Une réunion de chefs et de princes indigènes vint offrir une alliance offensive et défensive contre Ahmed, l’ennemi commun: c’était d’abord le prince de Tugurth, pays situé au sud de Constantine, puis le cheik de Merdjianab, qui par sa position est maître du fameux passage des Portes de Fer; Hasnavuy, cheik des Hanancha, tribu puissante et limitrophe de la régence de Tunis; Hil-Diaf-Ben-Hamed, cheik de la tribu nomade de Oulad-Maadi, et enfin Ben Kassem, cheik de Stora. Le général Voirol les écouta avec intérêt; mais, ne pouvant prendre aucun engagement, il dut en référer au ministère, dont les tergiversations rendirent inutiles toutes ces offres de service. Cependant, combien n’eût-il pas été opportun d’agir avec de tels auxiliaires ! Une campagne heureuse, et tout en garantissait la réussite, aurait empêché le développement des forces d’Abd-el-Kader, et amené peut-être la pacification complète de l’Algérie! Dix années de guerre ont expié cette faute.
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