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En arrivant en Algérie, le duc de Rovigo prit une détermination pleine de sagesse il ne laissa qu’une petite partie des troupes en ville et dissémina le reste sur les points principaux du Sahel et du Fahs; ces postes circonscrivaient un espace d’environ six lieues carrées. Ce terrain fut limité par une ligne de blockhaus et de camps retranchés qui, partant de la pointe Pescade, passait par Bouzaréah, Dely-Ibrahim, Kadous, Tixeraïn, Oued-el-Kerma, la Ferme modèle, et venait se terminer à l’embouchure de l’Harrach. Des routes stratégiques relièrent ces divers postes entre eux ainsi qu’avec Alger, et devinrent l’origine de l’admirable réseau de chemins qui sillonnent aujourd’hui le Massif. Dans cet espace si bien gardé et si bien coupé, la colonisation pouvait s’y épanouir en toute sécurité. Eh bien ! Qui le croirait ? Cette mesure si sage, si en harmonie avec les forces de l'armée et les projets incertains de la métropole, trouva à Alger d’inexorables détracteurs, et l’intendant civil fut le premier à soulever les mécontentements. Les routes, disait-il, froissaient un grand nombre de propriétaires ; on les faisait passer à travers des enclos, à travers des cimetières; l’établissement des camps retranchés et des blockhaus détruisait les fermes et les maisons de plaisance. « Ces maudits chrétiens, ajoutaient les Maures toujours exagérés dans leurs plaintes comme dans leurs éloges, ne nous laissent ni un lieu pour vivre, ni un lieu pour mourir ! » Le duc de Rovigo voulait faire occuper et cultiver un grand nombre de propriétés abandonnées ou appartenant au domaine public, par des émigrants alsaciens que des spéculateurs avaient attirés à Alger, et qui restaient à la charge de la ville. « Mais, à qui, disait le baron Pichon, appartiennent les terrains sur lesquels on veut les installer ? Quelles indemnités donnera-t-on aux propriétaires en cas de réclamation ? Où est le cadastre parcellaire du Fahs ? » Telles étaient les raisons que M. l’intendant civil opposait à ces prises de possession précipitées, illégales même si l’on veut, mais commandées par la nécessité. M. le duc de Rovigo ne se laissa pas arrêter par ces plaintes, bien décidé à gouverner en maître absolu, il poursuivit la route qu’il s’était tracée.
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Depuis dix-huit mois que nos troupes occupaient l’Afrique, ni le gouvernement ni les généraux n’avaient songé à établir un système de casernement régulier; les soldats n’avaient pour toutes fournitures que des sacs de campement, remplis tant bien que mal de paille hachée; la plupart même étaient privés de cette ressource. Le duc de Rovigo songea à remédier à cet inconvénient; il voulut donner au moins un matelas à chaque soldat. Il savait que les états barbaresques produisent de la laine en abondance, et pensa qu’Alger devait en renfermer des quantités considérables sans autre formalité, il frappa la ville d’une contribution forcée de quatre mille cinq cents quintaux métriques de laine à livrer immédiatement. Les Maures et les Juifs hurlèrent à cette nouvelle « C’est pire que du temps des janissaires, disaient-ils, on nous ruine ! » et M. le baron Pichon de les soutenir, de crier encore plus fort qu’eux à l’injustice! Prévenu par les Maures et par l’intendant de cette mesure acerbe, qui au fond accusait son imprévoyance, le ministère cassa l’ordonnance de M. le duc de Rovigo, et passa un marché d’urgence afin de pourvoir sous le plus bref délai au casernement de la troupe en Algérie. Le général en chef ne voulut pas laisser invalider son ordonnance; il en poursuivit l’exécution par tous les moyens possibles, et ne s’arrêta que parce qu’en définitive il n’y avait pas de laine à Alger. Mais ce conflit des deux autorités était fatal à la stabilité de la domination; les deux chefs, ne marchant jamais d’accord, se contrariant sans cesse, donnaient aux indigènes un déplorable exemple de l'habileté administrative. Les Maures surtout profitaient de ce désordre pour ruiner l'autorité française auprès des Arabes.
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Le duc de Rovigo continua néanmoins, impassible, son système, et comme en définitive il voyait bien que les officiers arabes et maures qui l’entouraient apportaient beaucoup de mauvaise volonté dans l’accomplissement de leurs devoirs, il redoubla de rigueur et mit le comble à son impopularité.
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Dans les premiers jours d’avril 1832, une députation d’Arabes du grand désert se présenta aux portes d’Alger elle venait de la part du cheik Farhat-ben-Saïd, implorer l'assistance contre le bey de Constantine. Le duc de Rovigo reçut ces envoyés avec beaucoup d’égards, leur fit de grandes promesses et leur distribua quelques présents. Ils regagnaient le désert, satisfaits de leur démarche et forts de la protection française, lorsque à peine parvenus au-delà de la Maison Carrée, sur le territoire de la tribu d’El-Ouffia, ils furent attaqués par des bandits arabes et totalement dépouillés. On ne leur laissa que la vie. Les malheureux envoyés rebroussèrent chemin et vinrent faire part de leur funeste rencontre au général en chef. Le duc de Rovigo improvise aussitôt une expédition, et sans plus de renseignements fait attaquer de nuit la tribu des Ouffia, brise, saccage les douars, et extermine tous ceux qui essaient d’opposer la moindre résistance. M. le baron Pichon assure que cette tribu ne prit aucune part à l’attentat commis sur les envoyés de Farhat. N’importe, l’exécution avait eu lieu, et le général en chef la fit célébrer par des illuminations; les troupeaux de la tribu furent vendus, et le cheick, traduit devant un conseil de guerre, fut jugé, condamné et exécuté quelques jours après, malgré les protestations de l’intendant et de plusieurs fonctionnaires maures. Cet acte cruel et impolitique souleva toutes les tribus voisines, et l’aga se déclara impuissant à les contenir. Chaque jour les patrouilles tombaient dans de nouvelles embuscades et payaient de leur vie la pétulance irascible du duc de Rovigo. Sidi Saadi, l’instigateur des troubles de 1831, se mit de nouveau à prêcher la guerre sainte, et, à sa voix, l’insurrection ne tarda pas à s’organiser Koleah, Miliana et Blida en devinrent le centre. Furieux contre notre aga Sidi-Mahiddin-M’Barak, qui ne prenait aucune mesure pour arrêter l’orage, le général en chef le manda près de lui; mais, au lieu de venir à Alger, le vieux marabout gagna les montagnes, et les insurgés s’avancèrent sans obstacle jusqu’à Boufarik.
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Devant une détermination si hardie, il n’y avait pas à hésiter le général Faudoas fut chargé de disperser l’ennemi par la force et y parvint sans peine; pendant ce temps le général Brossard manœuvrait sur Koleah pour s’emparer de l’aga, qui sut se soustraire à toutes les recherches. Les Arabes dispersés, Mahiddin en fuite, le duc de Rovigo ne se trouvait pas encore assez vengé il frappa une contribution de douze cent mille francs sur les villes qui avaient favorisé l’insurrection, contribution monstrueuse, sans rapport avec les ressources des habitants; aussi demeura-t-elle sans effet. Le gouverneur se crut alors autorisé à diriger une nouvelle expédition contre Blida: les troupes entrèrent dans cette ville, la saccagèrent, renversèrent une partie de ses murailles, et retournèrent à Alger plus chargées de butin que de gloire. Ces représailles ne lui suffirent pas. On lui avait désigné deux caïds comme des chefs d’insurrection très influents; il leur promit un pardon absolu, les attira à Alger sous la foi d’un sauf-conduit, et les fit exécuter. « Cette action criminelle, dit le commandant Pélissier, détruisit toute confiance chez les Arabes, et maintenant les noms de Messaoud et d’el-Arbi (les deux caïds traîtreusement mis à mort) ne peuvent être prononcés sans réveiller des souvenirs de trahison et de mauvaise foi bien funestes à notre domination. »
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