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VI.- On impute aux algériens d’être des pirates insatiables, & de faire les chrétiens esclaves pour les tourmenter, même ceux des pays où par une loi douce & humaine, il est défendu d’en avoir.
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On ne peut que convenir que c’est un métier fort odieux, que celui d’écumeur de mer. Mais que font-ils de plus, que les sujets des princes chrétiens lorsqu’ils sont en guerre ? L’ordre de Malte par un motif de religion ne leur fait-il pas une guerre continuelle ? Et les chevaliers, en faisant leurs vœux, ne jurent-ils pas de ne faire jamais la paix avec les mahométans ? N’a-t-on pas vu autrefois de fréquentes croisades des chrétiens de tout pays, pour conquérir l’Asie & l’Afrique, & exterminer le mahométisme ? Par quel droit les européens, & par quelle voie ont-ils enlevé les vaste pays des Indes Orientales & Occidentales à des peuples, dont ils n’avaient jamais été offensés, ni même connus ? Il les ont massacrés & exterminés avec toute sorte d’inhumanité, comme il paraît, à la honte des chrétiens par les relations de la conquête du Pérou par les espagnols, écrites par les auteurs de la même nation ? N’est-ce pas piraterie ? Avouons donc que la loi du plus fort est reconnue la dominante parmi tous les hommes.
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Quant aux esclaves, les algériens suivent un usage immémorial, de même que les autres peuples de Barbarie, de faire captifs leurs ennemis, & le commerce des esclaves est devenu leur principale richesse. Les nations auxquelles il n’est pas permis d’avoir des esclaves, lorsqu’elles prennent des mahométans, les vendent à d’autres nations : ce qui revient au même. D’ailleurs, ce n’est point par humanité que ces chrétiens n’en tiennent pas, puisqu’ils en ont dans leurs colonies d’Orient & d’Occident & en font le trafic ; mais uniquement, parce que les souverains ne veulent pas le permettre, autrement on en serait très bon algérien sur cet article.
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On ne maltraite point cruellement les esclaves à Alger, comme bien de gens le croient, & se persuadent même qu’on les tourmente pour les obliger à se faire mahométans. On se trompe fort. Les esclaves ne sont maltraités ni châtiés, que lors-qu’ils manquent grièvement à leur devoir. On ne les fait point travailler au-dessus de leurs forces, & on les ménage de peur de les rendre malades & de les perdre. Il y en a qui se trouvent si bien, qu’ils ne veulent point se racheter, quoiqu’ils en aient les moyens. D’autres n’ont d’autre peine, que celle d’être privés de liberté. Il y en a même de qui les maîtres, en attendant leur rachat, souffrent au moins autant de leurs imperfections qu’on est obligé de souffrir des domestiques en quelque villes de Hollande ; & quelquefois les maîtres sont obligés d’en faire des trocs, croyant en recouvrer de plus dociles & moins scélérats, & se trompent ainsi les uns les autres. Il est vrai que la sobriété & la vie laborieuse & pénible des algériens, dénués de commodités & des plaisirs que se procurent les chrétiens dans leur pays, n’est pas de leur goût & leur fait paraître leur esclavage bien dur.
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Lorsqu’on châtie sévèrement les esclaves, c’est qu’ils l’ont mérité par quelque crime, comme l’assassinat, vol considérable, révolte & autres semblables cas ; & l’on fait passer ces châtiments pour cruautés.
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Il arrive quelquefois que les maîtres ont des parents esclaves dans le pays des leurs ; & pour obliger les chrétiens à solliciter fortement un échange, ils les traitent avec dureté. Mais cela ne prouve rien contre l’usage général & accoutumé. Ce n’est pourtant rien, en comparaison du mauvais traitement que les espagnols faisaient aux algériens, lorsque Oran appartenait aux premiers. J’ai été prisonnier de guerre des espagnols en 1706, & j’y ai été traité avec tant d’inhumanité & de rigueur, que je préfèrerais dix ans d’esclavage à Alger à un an de prison en Espagne.
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Il arrive quelquefois que les personnes riches donnent gratuitement la liberté à des esclaves qui les ont servis avec attachement pendant un nombre d’années, les comblent de biens & entretiennent correspondance d’amitié avec eux, lorsqu’ils sont en chrétienté. Cela est plus rare à Alger qu’à Tunis ; mais voici un fait qui prouve que les esclaves ne se trouvent point toujours si mal avec les barbares. Ramadan dey de Tunis s’étant réfugié en 1695 pendant les troubles de ce royaume, auprès du grand duc de Toscane, avait à sa suite, 25 esclaves italiens, la plupart toscans de nation. Lorsque Ramadan fut rappelé pour être fait bey en 1696, ces esclaves eurent beau être sollicités de rester dans leur patrie, par leurs parents, leurs amis & par les ecclésiastiques, ils ne voulurent point quitter leur maître, & retournèrent avec lui à Tunis, en représentant, qu’ils avaient libre exercice de leur religion, tous les secours spirituels qui leur étaient nécessaires ; qu’ils avaient toutes leurs commodités temporelles en vivant en gens de bien ; au lieu qu’ils se verraient misérables en Italie s’ils y restaient.
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VII.- Pour ce qui regarde la religion, les mahométans se servent tout au plus de la voie de la persuasion pour faire des prosélytes, encore cela est-il très rare. Il n’y a que ceux qui sont faits esclaves dans l’enfance, que les maîtres élèvent à leur manière dans leur religion, & qu’ils adoptent. On peut dire qu’il y a dans ce pays une parfaite tolérance. Ils la fondent sur des passages réitérés de l’Alcoran, qui portent, que Tout homme soit chrétien, soit juif qui adore Dieu, & ne pratique que ce qui est bon, s’attire sans doute le bénédiction de Dieu. Tous les efforts qu’ont fait les chrétiens pour extirper les mahométans, ne les ont point éloignés de la pratique de la tolérance. Ils disent être persuadés, qu’un chrétien que la force oblige d’embrasser la loi de l’Al'Coran, n’est jamais bon musulman, & qu’il ne paraît l’être que jusqu’à ce qu’il trouve l’occasion de s’échapper. Plusieurs même croient, qu’on fait mal d’abandonner la religion dans laquelle on est né & élevé, dans l’opinion où ils sont qu’un homme de bien peut se sauver dans toutes les religions, avec cette différence que les musulmans seront les plus favorisés de Dieu.
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