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V.- On regarde avec horreur les maximes que pratiquent les deys d’Alger, qui pour se maintenir dans leur souveraineté, font sans formalité étrangler ou périr autrement toutes les personnes qu’il savent être contraires à leurs intérêts, ou qui ont l’esprit de fraction & de cabale. Quelquefois sur de simples soupçons, il arrive que les deys se souillent du sang de leurs sujets, en leur coupant la tête eux-mêmes, ou en les faisant massacrer en leur présence.
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On a raison de détester de pareilles actions, qui ont ordinairement lieu après la mort tragique d’un dey, dont le successeur emploie des moyens violents pour prévenir un pareil sort. Il est bon de remarquer, que tous les turcs du royaume d’Alger étant habiles à parvenir au deylick, il y en a toujours qui plus inquiets, plus avares & plus ambitieux que les autres, ne cessent point de machiner contre la vie du dey qui règne & se font des partis pour le faire mourir & pour se faire proclamer. Quelquefois aussi un parti ayant connaissance qu’il y en a un autre animé du même dessein, hâte l’assassinat du dey, pour proclamer son chef à main armée, & toujours sous prétexte du bien public. Si ce parti a le dessus, son chef proclamé dey se défait d’abord de tous les autres chefs de cabale & de ses adhérents. Du moins il n’oublie rien pour les détruire, ou pour les obliger à prendre la fuite. Si aucun chef de cabale n’est élu, & qu’on proclame un dey parent du défunt ou de son parti, comme il arriva en 1710 en l’élection faite de Baba Ali dey, & en la dernière d’Abdi aga dey aujourd’hui régnant, celui-ci donne la chasse à tous ceux qui sont complices de la mort de son prédécesseur, & tâche de les exterminer entièrement ; persuadé que les mal-intentionnés continueront leurs trames, & qu’il ne pourra éviter le même sort. Il ne sont connus que des chefs de ces cabales, & donnent seulement leurs conseils pour leur faire prendre de justes mesures, afin de parvenir à leur fin. Ceux-là sont les plus dangereux & les plus difficiles à convaincre ; mais pour ne rien risquer, le dey s’en défait aussi sur des soupçons, parce qu’il est arrivé,
que de telles gens avaient causé ensuite la mort de celui qui les avait épargnés. Lorsque les conjurés sont turcs le dey les fait arrêter par les chaoux, qui les conduisent chez l’aga des janissaires qui les fait étrangler, sans que personne s’en aperçoive. Mais comme il y a toujours des maures, des juifs & même des juives dont les turcs se servent pour porter des lettres, ou porter la parole, le dey envoie brûler les juifs, & fait pendre ou noyer les autres, sans aucun ménagement. Il les fait pendre ou noyer les autres, sans aucun ménagement. Ils les fait quelquefois tuer devant lui, ou même il leur donnera le premier coup, & ceux qui sont auprès de lui achèvent de les faire mourir, estimant que c’est la même chose de donner un arrêt de mort contre quelqu’un ou de le tuer.
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Il arrive aussi quelquefois que le dey étant sur son siège, est averti qu’un officier du divan qui est dans le palais conspire contre sa vie. Alors il le fait appeler & fermer en même temps la porte, & lui reprochant sa perfidie le tue ou le fait tuer promptement de peur que s’il laissait aller le conspirateur, il ne fut lui-même bientôt sa victime.
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On peut seulement dire de tout cela, que c’est un grand malheur d’être dey, comme l’avouent tous les jours ceux qui sont élus & proclamés malgré eux, ainsi que l’ont été baba Ali prédécesseur de Mehemed ben Afcem & Abdi aga dey aujourd’hui régnant, qui a succédé au dernier. Ceux qui sont dans ce cas, n’étant pas les maîtres de refuser le deylick, ni de quitter, lorsqu’ils l’ont accepté de gré ou de force, ils se trouvent dans la cruelle nécessité, pour sauver leurs jours, de hâter la mort des gens suspects, & de ne rien négliger, même dans l’incertitude & dans le doute de la vérité. D’ailleurs comme les esprits turbulents qui forment des cabales contre un dey, sont de ces turcs qui n’ont aucun bien à Alger, on ne peut les châtier que personnellement; ceux qui ont des maisons, des terres, ou qui sont intéressés aux armements, se gardant bien de participer à des révoltes & à des conspirations.
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Enfin, puisque la milice ne passe rien à son chef, que si la paye manque d’un jour, s’il est convaincu d’avoir pris la femme d’autrui, d’avoir été la cause directe ou indirecte d’une disette de vivres ou d’un mauvais succès des affaires de l’État, il est condamné à perdre la vie, que ses sujets lui ôtent sans formalités & sans recevoir aucun moyen de justification; il ne fait que jouir à son tour du même droit, & c’est une espèce d’accord entre eux autorisé par un long usage, qui a force de loi & de traité.
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