.
.
Quoique les puissances & les gens de bien aient à Alger beaucoup de vénération pour les marabouts, ceux-ci n’ont aucune juridiction ecclésiastique, & sont sujets aux mêmes lois & aux mêmes peines que les laïques. Ils ne doivent se mêler directement ou indirectement des affaires du gouvernement. Le muphti & les docteurs de la loi qui ont une réputation bien établie par leur conduite, sont appelés quelquefois au Divan général, lorsqu’il s’y traite quelque affaire de très grande importance, mais ils n’y ont aucune voix. Ils ne donnent leur avis, que lors qu’on le leur demande ; & le dey fait cette démarche seulement par déférence, & pour faire voir qu’il ne fait rien qui soit opposé aux préceptes de l’al-Coran. Les turcs d’Alger sont fort attentifs à exclure entièrement ces gens-là de toute sorte d’affaires ; parce qu’autrefois des marabouts se sont rendus maîtres du royaume, & l’ont rendu héréditaire dans leurs familles. D’ailleurs n’y ayant dans l’état ecclésiastique que des maures & des descendants des arabes, ils sont toujours suspects au gouvernement.
.
Lorsqu’un criminel est condamné à mort, il marche seul au lieu du supplice, accompagné seulement d’un chaoux, sans être attaché, sans gardes & sans le moindre tumulte ni fuite. Personne n’assiste à l’exécution que des enfants ou ceux que le hasard y fait trouver. Ces peuples trouvent bien étrange, que parmi d’autres nations on fasse mourir des pauvres misérables avec grand apparat & cérémonie, & que la foule soit aussi grande, pour voir détruire un homme, que s’il s’agissait d’un spectacle bien réjouissant ; & même qu’on y loue des places autour du lieu de l’exécution pour repaître les yeux à son aise du sang d’une personne, que la prédestination & sa mauvaise destinée ont conduit sur un échafaud.
.
Il n’y a rien de si particulier & de si admirable, que la manière dont la ville d’Alger est gardée pendant la nuit, sans qu’il en coûte rien à l’Etat, & même par les maures, qui payent un tribut annuel au dey, pour y être soufferts à travailler. Ce sont des habitants de la province de Biscara, dont il a été parlé. Ils sont distribués dans chaque quartier pour dormir dans les rues, à la porte des boutiques & des magasins, & faire la garde alternativement. Ils répondent des vols qui se commettent, ils payent solidairement le dommage qui en revient ; & ceux qui ont été postés en sentinelle à l’endroit où le vol a été commis sont punis de mort. Aussi est-ce une chose bien rare, que des maisons, des boutiques, ou des magasins soient volés pendant la nuit.
.
On doit avouer que les algériens sont louables de ce qu’ils n’attribuent aucune honte aux défauts du corps, soit naturels, soit arrivés par accident, & qu’ils ne s’offensent point quand on les appelle, ou qu’on les désigne par ces sortes de défauts.
Un borgne, un bossu, un boiteux, un manchot & autres veulent bien qu’on les nomme tels, & se désignent eux-mêmes par leurs défauts corporels pour qu’on les distingue de leurs parents ou autres qui ont le même nom qu’eux.
.
Les maris, que nous appelons maris à la monde, ne sont point responsables, ni flétris de la mauvaise foi de leurs femmes qu’ils répudient seulement.
.
L’adultère est puni de mort, mais comme il faut surprendre les coupables en flagrant de lit, ou qu’il y ait des preuves claires comme le jour, on se contente de répudier les femmes suspectes d’infidélité.
.
On doit aussi approuver que les jeux de hasard soient entièrement défendus & hors d’usage. On y joue aux échecs, aux dames & à d’autres jeux très simples. Encore ne joue-t-on point pour de l’argent , mais seulement pour des bagatelles, comme des prises de café, sorbet & autres choses semblables.
Le lecteur aura l’esprit libre & dégagé des préjugés, que bien des personnes de chaque nation & religion ont en leur faveur au préjudice des autres, conviendra sans peine que le cœur de l’homme est le même partout plus ou moins suivant les lieux, l’éducation, la science ou l’ignorance & la superstition des peuples. Il sera sans doute étonné qu’un gouvernement tel que celui d’Alger, si rempli de devoirs épineux & de peines pour les chefs & pour les sujets, qui supportent une tyrannie inévitable, puisse subsister si longtemps, ayant la guerre avec tant de puissances chrétiennes en état de mettre des forces en mer, pour combattre les leurs, qui en comparaison des autres, sont si peu de chose.
.
.
.
.
.
FIN
Les commentaires récents