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Lors de la guerre, qu'avaient menée les Algériens contre le colonialisme français, la maison de Si Mourad était un lieu où les "tortionnaires", une brigade spéciale notamment, avaient commis sur les populations civiles des exactions sans nombre, inavouées et non reconnues bien évidemment par le gouvernement français.
Pour les autochtones elles étaient notoires parce qu'ils les subirent.
Un jour, ces "terroristes", de l'ordre nouveau établi, amenèrent dans la maison une très belle adolescente qu'ils qualifièrent de "rebelle". Le qualificatif était d'autant plus ridicule que l'on voyait bien que la jeune femme n'était rien d'autre qu'une pauvre paysanne. Mais, elle avait plu à l'un de ses tortionnaires.
Aux dires de celui qui me raconta les faits, la prisonnière était superbe et d'une beauté incomparable. Elle possédait une peau laiteuse, des traits fins, remarquables, comme sculptés dans le marbre. Son visage était parfait, gracieux, angélique même !
Comment ne pouvait-elle pas plaire aux hommes en général et à ses ravisseurs en particulier ?
Cette jeune femme était mémorable, parce qu'elle possédait des particularités qui étaient assez rares dans la région. Il n'est pas impossible d'ailleurs qu'elle fut issue du croisement d'un nordique et d'une autochtone, installés dans l'arrière pays à la suite des différentes invasions qu'avait connues l'Algérie.
Autres caractéristiques qui corroboraient ma vision, elle possédait de grands yeux étincelants, de couleur vert-clair et une belle chevelure blonde, bien fournie et soyeuse.
Elle fut amenée par ses ravisseurs au lieu du supplice. Ceux-ci, afin de justifier leur crime, trouvèrent le prétexte qui avait cours en cette époque, celui d'appartenir au Front de Libération Nationale (FLN).
L'officier, à qui la belle avait eu le malheur de plaire, l'avait dénichée, après les fameuses opérations de ratissage, dans un petit et bien pauvre village des environs, isolé, encaissé dans les monts environnants. Les parachutistes, tambours battant, l'avaient courageusement investi alors qu'il n'y avait que des civils faits de femmes, d'enfants et de vieillards. Ils en avaient incendié les quelques misérables maisons qui le constituaient. Les hommes et les enfants furent ligotés avec du fil barbelé les mains derrière le dos et exécutés sommairement d'une balle dans la nuque. Ils furent jetés massivement et comme des chiens dans une fosse commune mise au jour après l'indépendance du pays. Les femmes considérées comme un butin furent données en pâture aux soldats qui en usèrent et en abusèrent à leur gré.
La belle adolescente, qui ne devait pas avoir plus de dix sept printemps, avait vu sa famille exterminée de la manière la plus sauvage. Elle avait été cueillie par la section spéciale, qui l'amena au centre d'interrogatoire, afin qu'elle puisse l'informer sur les réseaux constitués et les contacts.
Elle fut donc interrogée comme seuls pouvaient le faire les parachutistes en Algérie ! Dans la pure tradition "démocratique" du colonialisme !
La jeune adolescente, vierge, subit d'abord à son corps défendant un viol collectif, puis d'autres crimes comme le supplice de la bouteille. Ses cris et ses gémissements s'entendaient à toute heure pendant trois jours. Ils étaient déchirants et certains affirment encore les entendre aujourd'hui dans les nuits d'orage.
Puis, les plaintes cessèrent. Le silence sinistre reprit son cours. On ne sut jamais ce qu'elle devint.
Néanmoins, on apprit plus tard que la martyre n'ayant pas consenti aux désirs du chef qui voulait son amour après son corps, celui-ci entra dans une rage folle et jura qu'elle n'appartiendrait à aucun autre. Il utilisa la méthode inhumaine qu'avait connue d'autres Algériens notamment celle du "chalumeau" . Il prit un malin plaisir à brûler le visage de sa victime, parcelle par parcelle, comme s'il enlevait les traces d'une ancienne peinture sur un mur.
La belle, jeune et innocente victime, mourut dans d'atroces souffrances. Elle était, paraît-il, méconnaissable, car totalement défigurée.
Il ne restait de son visage brûlé que les yeux et la chevelure !
Les parachutistes sortirent son cadavre à la dérobée et dans la nuit. Personne ne sut où ils l'enterrèrent. Victime anonyme à l'instar du million et demi d'autres inconnus assassinés.
Cette histoire n'eut même pas la reconnaissance du fait divers.
A l'issue du conte de cette chronique, mon camarade et moi ne pûmes
nous empêcher de pleurer à chaudes larmes. C'était une manière pour
nous de réagir contre l'injustice, la haine, la cruauté et la bêtise
des hommes !
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Bagdad Maata
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Bagdad, mon ami, mon frère, même si ta soif de vérité t'impose de nous
dire des choses difficiles à entendre pour nos compatriotes, je sais
que tu partages mon goût pour la modération et pour la paix !
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Certes, mes propos sont durs, car j'estime que l'on ne peut que l'être envers ceux qui se croient supérieurs aux autres, certes j'ai en mémoire de ce que les miens ont subi, car j'ai vu mon père humilié et torturé, mon frère de quinze ans enchaîné comme un chien...
Mais, je n'ai pas de haine et ne peux pas en avoir, car je n'oublierai jamais ce que mon père m'a dit à sa sortie du camp de concentration, à Oran en 1957 (eh oui!), alors qu'il avait été torturé. Il avait le visage tuméfié et le dos zébré, à tel point que, pour lui ôter sa chemise, ce fut un martyre pour lui. Le voyant dans cet état, les larmes perlèrent sur mes joues, la haine et la rage m'envahirent, je criais, à qui voulait m'entendre "Lorsque je serai plus grand, je tuerai tous les Français !"
Mon père, malgré ses souffrances, me dit : "Nous ne nous battons pas contre les Français, mais contre les colonialistes ! Les voyous, qui existent chez eux et qui m'ont fait cela, existent aussi chez nous !"
Depuis... J'ai compris !
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Bagdad Maata
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