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Précis de la conduite des algériens dans les affaires qu’on nomme politiques, & de quelques-uns de leurs usages dans le Royaume d'Alger.
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Les plus grandes affaires de l’Etat s’y décident ordinairement sur le champ, & il ne faut qu’un Divan assemblé une fois, ou deux lorsqu’il manque quelque conseiller expérimenté, ou d’un caractère à faire désirer son avis. Le dey propose l’affaire dont il s’agit, & tous les officiers du conseil donnent leurs avis. Ceux des vieux officiers sont les plus estimés, ils citent les anciens cas qui ont du rapport au sujet qu’on traite, & ce qui arriva dans le temps ; & après avoir examiné tous les avis, le dey décide suivant l’opinion la plus convenable au bien présent du gouvernement.
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Ce n’est que dans les occasions, où toute la milice assemblée le jour de la paye, demande quelque chose, sous prétexte du bien de l’Etat & de leur avantage particulier, que le dey est obligé de s’abandonner à la multitude des voix, après avoir fait ses objections, ce qui arrive souvent lors des déclarations de guerre.
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Lorsqu’un envoyé ou consul étranger fait des plaintes ou demande justice & réparation d’un dommage fait par les algériens aux gens de sa nation, le secrétaire d’Etat qui tient le registre des traités avec les étrangers, produit l’article qui a rapport à la plainte. Après l’avoir vérifié avec celui dont l’envoyé ou consul a la copie en main, on décide à la lettre, sans interprétation, quand même ce dont il s’agit en désignerait une favorable à l’égard d’une des deux parties. Mais s’il s’agit d’une restitution considérable due à des corsaires turcs, c’est là la pierre d’achoppement. Le dey n’en est point maître. Il se contente de dire, que les effets pris ayant été partagés & dissipés, il ne lui est pas possible de les faire rendre par des gens qui n’ont rien ; que le trésor de l’Etat ne peut pas y pourvoir, & il tâche de s’accommoder à l’amiable, & de maintenir la paix avec la partie lésée. Mais aussi il ne néglige point les occasions de faire périr ceux, qui ont attiré au gouvernement ces sortes d’affaires.
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Les algériens vivent, tant grands que petits, dans une grande simplicité, avec beaucoup de frugalité & d’économie. Le dey en donne l’exemple, & sa plus grande attention est d’entretenir & d’augmenter les fortifications & les forces maritimes. Leurs vaisseaux sont toujours en mer pour croiser, ou transporter les garnisons des places maritimes ou voisines de la mer, ou prêts à faire voile. Ils font la course pendant toute l’année sans presque aucune dépense. Les capitaines doivent être intéressés aux vaisseaux qu’ils commandent, & n’ont part aux prise qu’ils font que comme armateurs. Ils n’ont point de salaires non plus que les équipages. On n’y embarque ni matelas, ni branles, ni coffres, ni autres choses semblables. Du biscuit noir & de l’eau sont la partie la plus essentielle des vivres. Deux ou trois cent piastres suffi sent pour mettre un vaisseau de 40 canons en état de croiser pendant deux mois ; au lieu que les armements des chrétiens coûtent des sommes considérables, à cause des commodités où nous sommes accou¬tumés, & ne peuvent être faits si promptement.
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Lorsqu’un capitaine corsaire est convaincu, à son tour, d’avoir manqué une prise pour n’avoir pas bien fait son devoir, il subit une bastonnade de 500 coups, & est envoyé en course. S’il rencontre un bâtiment ami, dont le passeport soit douteux, il doit l’amener à Alger sans lui faire aucun tort ; & là le Divan décide & relâche sur le champ le bâtiment pris, si le doute du corsaire n’est pas fondé. Le cas est arrivé en 1721 à l’égard du navire français nommé la Ville de Cette, capitaine Louis Pillet, arrêté par les algériens & repris le 7 octobre par l’escadre hollandaise sous le commandement de Mr. Le vice-amiral de Sommelsdyck. Mustapha Raïs Chakmaegy, qui visita ce navire, témoigna douter de la validité de son passeport, & allégua au capitaine que pour ne rien risquer & pour se disculper, il allait le conduire à Alger. Il ajouta que ce capitaine ayant déclaré aller à Marseille, on ne le ferait pas beaucoup dérouter, & qu’il n’attendrait pas longtemps pour être instruit de son sort ; qu’autrement les turcs qui étaient auprès de lui (Mustapha Raïs) pourraient l’accuser de s’être laissé corrompre pour laisser aller ce bâtiment. Effectivement dès que le corsaire fut arrivé au port d’Alger, la vérification du passeport fut faite. Le dey fit faire une déclaration en son nom, comme ce navire avait été mal à propos détenu, & il fut déclaré libre le même jour avec sa cargaison, ses effets & son équipage.
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Tous les habitants du royaume d’Alger, turcs, arabes ou maures, quoi que les deux dernières nations soient sous le joug & la tyrannie des turcs, concourent volontairement & sont attentifs à garder leurs côtes de l’invasion des chrétiens, qu’ils appellent l’ennemi commun. Dès qu’il paraît un bâtiment à voile ou à rames près de terre, il est observé ; & s’il s’approche beaucoup, ceux qui l’observent, crient aux chrétiens, & se répondent de l’un à l’autre ; de sorte qu’en peu de temps, les habitants des villes voisines & des adouars sont avertis qu’il y a à la côte un bâtiment suspect. On voit en un instant des milliers d’hommes armés de lances & de bâtons, à pied & à cheval, pour s’opposer à la descente que le bâtiment inconnu pourrait faire, sans pour autant qu’ils aient aucun ordre du gouvernement, qui très souvent ne pourrait être averti à temps.
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Lorsque le dey a besoin d’argent pour payer la milice, ou pour d’autres pressants besoins de l’Etat, il se fait donner la somme nécessaire par les riches maures ou juifs, connus pour avoir fait des profits considérables, & avoir amassé des richesses par le commerce des esclaves & des marchandises des prises. S’ils le font de bonne grâce, le dey les estime & les a en recommandation dans les occasions, où il peut leur faire plaisir, & leur procurer quelque avantage ; s’ils refusent, ils sont battus, & payent l’amende. Les riches maures & juifs trouvent bien tyrannique de ne pouvoir pas être maîtres de leur bien gagné légitimement. Les puissances allèguent pour justifier leur conduite, que le plus grand nombre des sujets est fort pauvre ; qu’ils payent tous, sans exception, les taxes & les tailles ordinaires, proportionnellement à leurs biens ou à leur industrie; qu’il est de la justice de ne pas les charger extraordinairement & au-delà de leur pouvoir, mais de faire contribuer aux pressants besoins de l’Etat, un petit nombre de gens qui embrassent toutes les bonnes affaires du pays, & amassent des trésors qui leur sont superflus. La meilleure raison est que si la paye manque, ou si le pays se trouve exposé à cause du mauvais état des fortifications, le dey est étranglé, sans que la milice s’embarrasse. Cette milice étant convenue, lors de l’établissement du deylick, que celui qui en aurait l’autorité, serait obligé d’entretenir le royaume avec les revenus qu’il en percevrait, c’est à lui seul à y prendre garde.
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Personne ne peut sortir d’Alger, soit habitant, soit étranger, sans avoir payé ses dettes, ou avoir donné une caution dont les créanciers témoignent au dey être contents ; nonobstant les teskerets, ou passeports de sortie, accordés de bonne foi.
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