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Les juifs sont en très grand nombre à Alger. Il y en a, selon Grammaye des descendants de ceux qui se réfugièrent après la destruction de Jérusalem par Vespasien, ou qui abandonnèrent la Judée pendant les persécutions qu’ils eurent à essuyer de la part des romains, des persans, des sarrasins & des chrétiens. Mais la plus grand nombre vient de ceux qui on été chassés de l’Europe, de l’Italie en 1342, des Pays-Bas en 1350, de France en 1403, de l’Angleterre en 1422, & de l’Espagne en 1462.
Chaque nation a ses tribus & ses synagogues. Dans chaque ville, ils ont des juges de leurs nation pour leurs affaires particulières & de peu de conséquence. Mais lorsque les parties ne sont pas contentes des décisions de leur juge, elles portent leurs causes devant la justice turque, qui décide souverainement & fait exécuter les jugements.
Ils sont obligés d’être habillés de noir depuis les pieds jusqu’à la tête, pour les distinguer par une couleur que les turcs méprisent. Ils portent une robe longue à mi-jambe & un turban noir, ou tout au plus autour de leur bonnet noir un turban d’une couleur obscure rayée.
C’est un usage de ne recevoir aucun juif dans la religion mahométane, qu’il ne soit chrétien, pour suivre l’ordre des religions. Mais on passe là-dessus, car il suffit qu’ils aient mangé publiquement de la chair de cochon ou de sanglier, ou fait quelque acte semblable, pour être réputés chrétiens.
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Il y a dans toutes les villes du royaume d’Alger des juifs d’Italie, qu’on appelle juifs francs, & particulièrement ceux de Livourne. Ils font le principal commerce de ce royaume, tant en marchandises que pour le rachat des esclaves, où ils font valoir leur industrie ou leur friponnerie. Ceux-là sont libres & considérés comme marchands étrangers, sujets des princes des lieux d’où ils sont originaires, ou des villes où ils ont été domiciliés. Ils peuvent s’en aller quand ils veulent, pourvu qu’ils ne laissent aucune dette, de même que les autres étrangers turcs, maures & chrétiens. Ce sont les juifs de Livourne qui ordinairement, de société avec les principaux juifs de la ville d’Alger, prennent les fermes d’huile, de la cire & autres semblables, où ils font des profits considérables. Les mahométans regardent les fermiers & les traitent, comme autrefois on regardait les publicains, & ne veulent point entrer dans ces sortes d’affaires.
Ces juifs étrangers se mettent en arrivant sous la protection du consul de France ; & lorsqu’ils ont quelques choses à démêler avec les français entre eux, ils portent leur cause devant le consul. Ses jugements sont exécutés, & on lui renvoie les parties lorsqu’elles s’adressent à la justice turque ; le consul de France y étant le protecteur & le juge de toute les nations étrangères qui n’y ont point de consul. Mais il dépend de ces étrangers d’aller en premier lieu devant le dey, qui selon les cas en décide, ou les renvoie au consul pour en décider.
Les juifs maures ont un quartier assigné pour leur demeure, & il ne leur est pas permis de se mêler parmi les mahométans, comme il est libre aux autres nations. Mais les juifs européens peuvent se loger où ils veulent : aussi se distinguent-ils des autres, & ne demeurent-ils jamais dans leur quartier. Il leur est aussi permis d’aller habillés à leur manière, & on les nomme ordinairement les juifs francs. Le peuple les appelle communément les juifs chrétiens, à cause de la conformité de leurs habits.
Les femmes juives vont habillées comme les femmes maures des villes, & aussi proprement qu’elles veulent. Mais elles doivent aller à visage découvert pour les distinguer des mahométanes.
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