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Les chrétiens qui sont dans le royaume d’Alger, si on en excepte les esclaves, sont en fort petit nombre. Le commerce y est fort petit, & d’ailleurs les juifs originaires, qui sont en grand nombre dans le pays, ne laissent échapper aucune occasion où il y a quelque chose à gagner.
Les esclaves sont ont nombre considérable. Ils seraient sans doute assez forts pour s’emparer des principales villes, s’ils pouvaient bien s’entendre ensemble, & s’ils n’étaient épouvantés par la sévérité des châtiments destinés à ceux qui sont convaincus de révolte.
Il n’y a point de domestiques libres. Depuis la maison du roi jusque dans celle du dernier des habitants, pour pauvre qu’il soit, il y a des esclaves chrétiens pour s’en faire servir. C’est d’ailleurs leur principal commerce, & ils y gagnent toujours, surtout lorsque les esclaves ont de quoi se racheter, ou que les rédemptions vont à Alger pour employer les deniers des charités publiques.
Les maîtres qui ont beaucoup d’esclaves, les louent aux armateurs des corsaires pour travailler aux armements ou pour aller en mer. Ils les louent aussi aux étrangers qui sont établis dans les villes, pour s’en servir dans leurs maisons comme des domestiques. Il est permis aux personnes de toute nation d’y acheter des esclaves chrétiens ; mais il n’est pas d’usage que les chrétiens en achètent.
Bien de gens croient qu’on force les esclaves chrétiens à se faire mahométans, ou du moins qu’on les y sollicite par des caresses. C’est sur la foi des moines qui y vont faire des rachats mais l’erreur est très grande. Bien loin de travailler à les séduire, les maîtres seraient bien fâchés que leurs esclaves se fissent mahométans, quoiqu’ils ne soient pas libres en changeant de religion. Leurs maîtres perdraient le profit qu’ils en retirent, lorsque les rédemptions viennent à Alger : & c’est pour cela uniquement que la plupart des algériens achètent des esclaves chrétiens. Il y a certains cas où le dey voulant sauver un esclave chrétien qui aura mérité la mort, lui donne à opter ou de mourir ou d’embrasser la foi mahométane, pourvu que la crime ne soit pas contre l’état.
Il n’y a que les jeunes esclaves au dessous de l’âge de douze ans, dont les maîtres se piquent de faire de bons musulmans, croyant faire une œuvre très agréable à Dieu. Ce sont les plus riches qui les achètent ; ils n’épargnent rien pour les bien élever, & les adoptent comme leurs enfants. Mais lorsque les esclaves sont pris en âge de connaissance, les maîtres les détournent de changer de religion ; car outre qu’ils ne peuvent pas les revendre, les esclaves trouvent mieux l’occasion de s’évader.
Les algériens disent communément, qu’un mauvais chrétien ne peut être bon musulman. Si l’on donnait la liberté aux esclaves qui embrasseraient le mahométisme, on n’aurait pas de la peine à faire les rédemptions ; & il n’est que trop sûr que la plupart des esclaves sont refusés.
On voit dans des mémoires anecdotes, qui sont dans l’hôpital d’Espagne à Alger, qu’en 1641, un français natif de Marseille, esclave de Ali, général des galères, voulant éviter de s’embarquer, demanda plusieurs fois à son maître de se faire recevoir dans la religion mahométane. Mais en ayant toujours été refusé, & les galères étant prêtes à partir, il se fit prêter à un renégat de sa nation des habits à la turque, & parut en cet équipage devant le général. Celui-ci le voyant de loin & connaissant la ruse, l’appela Jean. Jean s’approchant & dit, je ne suis pas Jean, je suis Mustapha. Ali le visita & le trouvant incirconcis, prétexta que l’on se moquait de la religion mahométane, & le fit mettre sous le bâton. A mesure qu’il été bastonné, son maître lui disait, es-tu Jean ou Mustapha ? L’esclave souffrit un certain nombre de coups ; mais ne pouvant plus endurer ce supplice, il cria, je suis Jean & non pas Mustapha ; je suis chrétien & non mahométan. De cette manière, il persista dans la foi chrétienne, & étant racheté quelques années après, il retourna dans son pays.
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