Plus jamais ca !
CIMETIÈRE CHRÉTIEN DE LAKHDARIA
.
Un acte que même un barbare ne saurait accomplir de sang-froid, un acte dont la seule vue rend malade pendant des jours, des tombes ouvertes, d’autres souillées d’immondices.
S’il existe un comble de l’abomination, les profanateurs du cimetière chrétien de Lakhdaria peuvent être assurés de l’avoir atteint. Deux confrères, habitant ce chef-lieu de daïra, à 45 km au nord-ouest de Bouira, et une association culturelle nous signalaient déjà ce sacrilège, mais un responsable local, contacté à ce sujet, le démentait. Il a fallu qu’un internaute, qui a visité un site consacré à la profanation de ce cimetière chrétien, attire de nouveau notre attention sur cette abomination. Et c’en est une, en effet. Un acte que même un barbare ne saurait accomplir de sang-froid, un acte dont la seule vue rend malade pendant des jours : des tombes ouvertes, d’autres souillées d’immondices, voilà le spectacle qui nous attendait mercredi après-midi à notre déplacement en ce lieu qui, naguère était paisible, s’est transformé en un endroit innommable, un enfer. On chercherait en vain la place d’une grille et d’une entrée. Rien ne défend le repos des morts de ce cimetière. Les personnes et les animaux le traversent librement. Le côté Sud est longé dans toute sa longueur par un grand poulailler. A l’ouest, le cimetière est défendu par un grand ravin qui plonge directement dans l’oued Issers. Mais les profanateurs viennent de l’est et du nord, c’est-à-dire de la ville. Que voyons-nous en arrivant ? Deux jeunes, dont un barbu, assis sur une tombe, dont le dessus en marbre gît dans l’herbe. Ce barbu sait-il que la religion musulmane interdit de s’asseoir sur les tombes ? Il tripote un portable, un couteau sur le rebord de la tombe. Le lieu retiré nous interdit de faire la moindre remarque désobligeante. Nous nous contentons de réprouver et de condamner sans vouloir accuser personne. D’autant plus que surgissent, d’on ne sait où, d’autres jeunes qui nous observent à la limite du cimetière. Enfin, Rabah, un jeune gaillard, s’approche et mêle sa désapprobation à la nôtre. Ali, beaucoup moins jeune, et qui prétend être le propriétaire du terrain où se trouve le cimetière, se joint à nous. Ensemble, nous examinons les tombes. Les parois de certains caveaux sont noircies par le feu qu’on y a allumé. D’autres sont pleins de gros cailloux. Dans l’un d’eux, une main, parfaitement conservée, se dresse parmi un tas de gravats comme pour un salut ou pour dire halte à la profanation. Rabah s’engouffre dans le trou et, au prix d’un certain effort, la retire et la montre. C’est l’avant-bras d’une femme, identifiable aux ongles maculées et aux doigts effilés, l’horreur nous laisse sans voix pour interdire à notre guide d’y toucher. Enfin, il replace respectueusement la main là où elle était. Plus loin, une autre tombe. Un os long, tibia ou péroné, est visible. Où sont les autres os ? Un peu plus loin, une autre tombe béante livre à notre vue des touffes de cheveux longs et noirs. Une quatrième, une bière en bois, est vide. D’autres caveaux, qui ont essuyé des tentatives de profanation, ont résisté grâce à des grilles en acier. « Regretté par ses parents et ses amis » dit cette tombe devant laquelle les profanateurs ont échoué dans leur abominable œuvre. Une date 1832 et une autre 1889, marquant la vie du défunt. Parents et amis doivent être quelque part dans le cimetière, pas plus défendus que le cher regretté. Mais voilà qu’Ali nous fait une révélation qui, en rapport avec ce qu’il nous a dit plus tôt, à savoir que certains morts ont été transférés ailleurs, nous frappe : ce sont des Espagnols, des Allemands qui seraient, selon lui, enterrés ici. Les noms sur les tombes sont si peu français, nous semble-t-il, et paraissent lui donner raison. Le même Ali nous apprend qu’une équipe de TF1 nous a précédés. Curieux que son reportage n’ait pas suscité de réaction de part et d’autre de la Méditerranée. Rabah et Karim, deux jeunes chômeurs, proposent de veiller sur le repos des morts et de rendre le cimetière plus propre et plus sécurisé, si on les employait à cette tâche. Entre-temps, le groupe de jeunes a grossi. L’un d’eux nous prend en photo avec son portable. A quelle fin ? Quant à nous, nous quittons cet endroit blessé et écœuré par ce manque de respect aux morts qui est une insulte aux vivants que nous sommes.
.
.
.
.
Ali D. In El Watan du 4-2-07
.
.
.
.
Les commentaires récents