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Au début du XIX° la course barbaresque n'est plus que l'ombre d'elle-même. Le bagne d'Alger ne contient que 2 000 esclaves contre 30 000 au XVII° siècle. De 1800 à 1827, seulement trois vaisseaux espagnols sont arraisonnés par ces corsaires. La course rapportait au Dey de moins en moins : 3 millions de francs or par an de 1805 à 1815, 700 000 après.
Donc la France n'avait aucune raison logique d'envahir l'Algérie, lointaine vassale du sultan d'Istanbul, si ce n'est d'affaiblir l'Espagne. Aux congrès de Vienne (1815) et d'Aix la Chapelle (1818), le duc de Richelieu refuse de participer à une expédition contre les Barbaresques, demandée par les petits pays qui étaient encore victimes de la course.
Mais comme pour l'Irak, les bons arguments ne manquaient pas : même Montesquieu a écrit dans l'Esprit des lois : " Que le gouvernement modéré convient mieux à la religion chrétienne, et le gouvernement despotique à la mahométane. "
Au début du XIX° siècle, la régence d'Alger est un vilayet ottoman peuplé de trois millions d'habitants. Elle est composée de quatre gouvernorats dont celle d'Alger gouvernée par un dey nommé par Istanbul, et ceux de Titteri, Oran et Constantine.
Cette régence est administrée par 10 000 Turcs, dont l'administration, comme, dans le reste de l'empire, est réduite, assurant ainsi la tranquillité publique. C'était une région riche, qui exportait du blé, comme dans l'Antiquité, vers l'Europe, et particulièrement la France, exportation qui sera à l'origine de l'altercation entre le Dey et le " consul de France. Le fait que dix ans plus tard, l'émir Abd el Kader puisse entretenir une cavalerie de 15 000 chevaux prouve la richesse de l'Algérie des Turcs.
En fait, les tribus arabes et berbères des campagnes sont pratiquement autonomes du pouvoir auquel, elles ne participent pas.
Or depuis 1800, le Dey avait avancé 350 000 francs or aux négociants israélites Bacri et Busnach pour la vente de blé à la France. Ni Napoléon, ni Louis XVIII, ni Charles X n'honorèrent la dette de la France.
Le 29 avril 1827, le Dey convoque le consul français Deval. Le ton monte et le Dey soufflette le " diplomate " avec son éventail. Pour Charles X, c'est à la fois une insulte et un bon prétexte. Un bon prétexte car le Deval en question avait une sinistre réputation : exclu de la Chambre de Commerce de Marseille, Charles André Julien le décrit comme " taré, considéré à Alger comme proxénète ".
Les ministres de Charles X s'opposent à la guerre car le Trésor est à sec. Malgré tout, en mars 1929, l'escadre de l'amiral Collet se présente devant Alger. De la Bretonnière rencontre le dey Hussein, mais le Turc, soutenu par le consul anglais Saint John, refuse de faire des excuses, arguant de l'insolence de Deval. La flotte fait francaisefait le siège d'Alger et les Janissaires saccagent les comptoirs de Lacane et Bône.
Derrière tout cela, il y avait d'un côté de la Méditerranée une situation financière du royaume désastreuse - les impôts rentraient mal du fait de la propagande de l'opposition, notamment bonapartiste - de l'autre un Trésor du Dey estimé, par les consuls anglais et américains, à au moins 150 millions de francs ors, soit un demi-milliard d'euros, partie en numéraire, le reste en objets et denrées précieuses.
On peut toutefois se demander comment les deys avaient pu accumuler une telle fortune en cachette de La Sublime Porte qui en avait tellement besoin ! Le dey n'était en fait tenu d'envoyer à Istanbul chaque année que des cadeaux. En retour il recevait du sultan des " bontés ".
Historiquement il y avait déjà eu une tentative de colonisation :le consul de France à Alexandrie, Drouetti, dans l'Égypte en plein nahab de Mehmet Ali, avait proposé à Polignac, Premier ministre de Charles X, de confier au pacha d'Égypte le soin de conquérir l'Algérie pour le compte de la France. Bourmont ainsi que le pacha refusèrent.
Concernant cette expédition, la France était partagée en deux :
Charles X était pour : le trésor de la Régence d'Alger renflouera celui du Roy et paiera l'expédition qui détournerait la population des soucis intérieurs. Les militaires et les hommes d'affaires étaient pour. À ces derniers, le gouvernement de Polignac avait fait miroiter une exploitation prometteuse de ce riche pays. Tous les gouvernements européens, sauf la Grande-Bretagne naturellement, encourageaient la France dans cette aventure.
Mais la majorité des Français étaient contre. Dix ans de guerres républicaines, plus quinze années de campagnes napoléoniennes, oh combien meurtrières, avaient largement suffit. Seule la ville de Marseille était pour !
Le 2 mars 1830, Charles X annonce dans la salle des Gardes du Louvre, devant les pairs et les députés : " Je ne peux laisser plus longtemps l'insulte faite à mon pavillon ; la réparation éclatante, je veux obtenir, en satisfaisant à l'honneur de la France, tournera, avec l'aide du tout puissant, au profit de la Chrétienté. "
Les députés accueillent froidement l'annonce. Mais après un débat houleux, l'expédition est votée avec 221 voix contre 181.
Le général Bourmont est chargé de la préparation de l'expédition qui commence à enflammer l'armée. Il établit un ordre du jour éloquent à l'intention de ses troupes : " ...Trop longtemps opprimé par une milice avide et cruelle, l'Arabe verra en nous des libérateurs. Il implorera notre alliance. Rassuré par votre bonne foi, il apportera dans nos camps les produits de son sol. "
La logistique est confiée à l'affairiste François Alexandre Sellières. Il obtient 2 % de commission sur un " prix moyen " des denrées, mais en faisant jouer la concurrence, il augmente d'autant celles-ci. Il rassemble 120 vaisseaux français et 240 étrangers pour transporter les 700 tonnes de farine, les 500 tonnes de biscuits, 1 000 bœufs et un million de litres de vin, soit 80 000 ballots en double enveloppe étanche.
Côté propagande, rien n'est négligé : le marquis de Clermont Tonnerre rédige plusieurs proclamations destinées aux Algériens. Celle destinée aux murs d'Alger est remarquable : " ... Et je vous promets d'une manière irrévocable et sans équivoque que vos mosquées et chapelles seront respectées, que votre culte sera toujours exercé librement, comme auparavant. Envoyez-nous vos parlementaires. Nous nous entendrons avec eux. "
Le drame est que les Algériens prirent ces mots à la lettre. La Grande Nation, selon les mots de Hamdan Khodja écrits en 1833, ne venait-elle pas aussi pour les libérer des Turcs ? Ces déclarations devaient rendre les dialogues ultérieurs difficiles, voire impossibles.
La Royale, elle, traîne des pieds. L'amiral Duperré met un temps fou pour ramener la flotte de Brest à Toulon. Le corps expéditionnaire commence à embarquer le 11 mai. Le 25, Bourmont quitte Toulon et le 30, le Provence, vaisseau amiral, approche Alger quand Duperré ordonne de remonter vers les Baléares. Duperré tergiverse jusqu'au 13 juin, date à laquelle il finit par faire débarquer la troupe.
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Louis AGHETTA
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