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Ainsi Camus écrivait :
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A midi, sur les pentes à demi sableuses et couvertes d’héliotropes comme d’une écume qu’auraient laissée en se retirant les vagues furieuses des derniers jours, je regardais la mer qui, à cette heure, se soulevait à peine d’un mouvement épuisé et je rassasiais les deux soifs qu’on ne peut tromper longtemps sans que l’être se dessèche, je veux dire aimer et admirer.
Car il y a seulement de la malchance à n’être pas aimé : il y a du malheur à ne point aimer. Nous tous, aujourd’hui, mourons de ce malheur. C’est que le sang, les haines décharnent le cœur lui-même ; la longue revendication de la justice épuise l'amour qui pourtant lui a donné naissance. Dans la clameur où nous vivons, l’amour est impossible et la justice ne suffit pas. C’est pourquoi l’Europe hait le jour et ne sait qu’opposer l’injustice à elle-même. Mais pour empêcher que la justice se racornisse, beau fruit orange qui ne contient qu’une pulpe amère et sèche, je redécouvrais à Tipasa qu’il fallait garder intactes en soi une fraîcheur, une source de joie, aimer le jour qui échappe à l’injustice, et retourner au combat avec cette lumière conquise. Je retrouvais ici l’ancienne beauté, un ciel jeune, et je mesurais ma chance, comprenant enfin que dans les pires années de notre folie le souvenir de ce ciel ne m’avait jamais quitté. C’était lui qui pour finir m’avait empêché de désespérer. J’avais toujours su que les ruines de Tipasa étaient plus jeunes que nos chantiers ou nos décombres. Le monde y recommençait tous les jours dans une lumière toujours neuve. Ô lumière ! c’est le cri de tous les personnages placés, dans le drame antique, devant leur destin. Ce recours dernier était aussi le nôtre et je le savais maintenant. Au milieu de l’hiver, j’apprenais enfin qu’il y avait en moi un été invincible.
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Albert Camus, in L’Eté, (extrait du Retour à Tipasa), 1952.
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La stèle qui est dédiée à Camus à côté des ruines, devant un panorama superbe, la mer étincelante, porte cette inscription :
“Je comprends ici ce qu’on appelle gloire, le droit d’aimer sans mesure ”
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Pourquoi aller chercher ailleurs ce que lon a tout près de nous : les choses les plus humbles, parmi les hommes les plus simples ?
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« Sentir ses liens avec une terre, son amour pour quelques hommes, voilà beaucoup de certitudes pour une seule vie d’homme ».
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Et Camus se retourne alors vers le pays :
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« Pour ceux qui connaissent les déchirements du oui et du non, du midi et de minuit, de la révolte et de l'amour, pour ceux enfin qui aiment les bûchers devant la mer, il y a là-bas, une flamme qui les attend »
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Cette colline de Sainte-Salsa est un endroit très calme, en dehors du village, avec le mont Chenoua dans le fond.
Si on regarde vers le village, quand on est sur la colline, on a une vue splendide sur le port romain ; oh, il n'est pas bien grand, mais il est amusant à regarder, comme ça d'en haut, avec le peu qui reste du tombeau punique tout penché comme s’il se prenait pour la tour de Pise, et un petit bassin dans lequel mouillent encore quelques bateaux de pêche.
Quand on compare ce petit port romain au port moderne de Tipasa, où il n'est vraiment pas facile d'entrer quand la mer est grosse, on se dit que les pêcheurs de l'époque étaient drôlement culottés!
Au dessus du port moderne commence, encore sur une falaise, la seconde partie des ruines. En fait, il y a deux façons d'aborder cette partie de la ville : on peut entrer par la porte principale du champ de fouilles, en haut de la rue après le musée, les thermes et la maison Angelvi ; dans ce cas, on marche un peu le long de la route nationale, avant de tourner à droite vers le Capitole et la mer, et quand on arrive à la mer juste en-dessous du quartier des villas, on peut prendre encore à droite et remonter sur la falaise vers le phare de Tipasa ; à ce moment là, on passe devant une tombe de la famille Angelvi, cachée au milieu des lentisques et des arbousiers; on se tait pour ne pas réveiller celle ou celui qui dort en dessous sans savoir toutes les horreurs qui se sont passées au dessus.
Si, à la fin actuelle du Cardo, vous tournez à gauche, vous dirigez vos pas vers le nymphée, et vers le théâtre, c’est à dire vers le Tipasa des touristes pressés. Pourquoi "fin actuelle" ? tout simplement parce que depuis les Romains la mer a mangé un peu de Tipasa, et que les ruines s'avancent de 50 m environ (dans ma mémoire) dans l'eau; je regrette de n'avoir jamais pu, ou osé, me mettre à l'eau avec masque et palmes pour aller y faire un tour ; ça n'est pas profond, et certainement intéressant. A gauche, au bord de l'eau, on passe devant une usine, oui une usine romaine, pourquoi pas ? Tipasa était un "site de production" comme on dit maintenant de garum, c'est à dire de condiment à base de jus de poisson, c'est à dire de nuoc-man, vous savez ce qu'on trouve dans les restaurants vietnamiens ; on voit encore quelques débris des citernes dans lesquelles on faisait macérer les sardines dans l'eau salée, à 50 m des quartiers chics les matrones de Tipasa n'avaient pas besoin de ploum-ploum !
Allez, on grimpe un peu pour arriver à la basilique chrétienne, je passe vite car vous avez déjà vu les photos partout. Si vous repartez par la gauche, vous allez arriver directement au théâtre ; passez plutôt à droite, longez à nouveau la mer et plongez dans les bouquets de lentisques vers la nécropole de l'ouest, que vous traversez pour arriver à la chapelle de l'évêque Alexandre : vous ne croyez pas que j'aurais passé le plaisir de vous parler de ce saint dont je porte le nom ? Les ruines s'arrêtent juste après, dans un petit jardin qui va jusqu'à l'aplomb de la falaise, dans lequel on trouve une stèle dédiée à Albert Camus, vous savez celui qui a écrit "Noces à Tipasa", et d'ailleurs sur la stèle vous pouvez lire la première phrase de "Noces" : "Au printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil".
Dans les années 1970-1974, Fernand Pouillon a construit l'ensemble balnéaire de Tipasa-Matarès à cet endroit, avec un hôtel, des restaurants, des piscines, des magasins, des appartements.?
Je ne vous raconte pas le théâtre non plus, ouvrez un guide touristique ; remarquez quand même comme il est beau, tout couvert de végétation, et puis prenez la voie romaine d'Alger à Cherchell (pardon de Icosium à Iol Cesarea), et regardez le Nymphée, fontaine monumentale, le plus beau d'Afrique Romaine, où venait boire le bétail, et les rainures des roues des chars dans les pierres de la chaussée.
Tipasa, c'est aussi le musée, vraiment différent des musées actuels ; entre les sarcophages et les flacons en verre il y a de belles choses dans ce petit musée, avec les statues et les sarcophages du jardin Angelvi.
Mais Tipasa, c'est aussi le village.
Au centre de Tipasa, au dessus de la route nationale, il y a un petit jardin public en terrasses et escaliers blanc "Légion étrangère" (c'est à dire blanchi à la chaux directement sur la pierre), tout encadré et ombragé de bellombras, ces arbres splendides dont les plus beaux se trouvent sur la Place Romaine de Cherchell ou au Square Bresson à Alger ; ils ont un tronc court et noueux et portent suffisamment de feuillage pour faire de l'ombre par le plus chaud des soleils. Du haut de ce jardin, la petite église de Tipasa surveillait le calme et la tranquillité du village ; j'y suis allé à la messe quand nous étions à la villa du Chenoua, le curé de Marengo (Hadjout) venait le dimanche voir la mer !
Moitié par tradition locale, moitié à cause des touristes, Tipasa est aussi un endroit ou on trouve de jolies poteries, une jolie vaisselle.
A Tipasa, la pierre est belle, elle a la couleur du soleil, elle se laisse tailler facilement, on y trouve souvent des fossiles inclus dans la roche. Tout autour de Tipasa, les Romains ont laissé des carrières bien visibles, et en particulier dans une série de criques avant Sainte-Salsa ; lorsque les carrières sont envahies par le mer, elles deviennent piscines, viviers, réservoir à oursins, et aussi terribles pour les pieds nus car la roche sous l'effet de l'eau salée s'use en pointes acérées et cassantes, et malheur à qui oublie ses sandales ; je l'ai fait une fois, j'en ai encore les pieds pleins de trous ! "
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TIPASA, comptoir phénicien (« punique ») du temps - dont le nom signifie lieu de passage -, est installée au fond d’une baie - abritée des vents d’ouest, par ce Djebel Chenoua où nous subirons des pluies diluviennes deux mois plus tard ! - elle-même située au débouché d’une plaine fertile, encadrée de part et d’autre d’une côte rocheuse et découpée; et offrant donc, à cet endroit un cadre où la végétation méditerranéenne a pu s’épanouir autant qu’elle favorisait l’implantation d’un port.
Elle conserve, surtout des vestiges remarquables de cette époque romaine qui s’ensuivit, après l’assassinat de Ptolémée # - fils de Juba II #-, par Galigula, aux fins vraisemblables d’annexer ce royaume indigène et de Maurétanie d’alors, à l’empire (dont forum, théâtre, rue commerçante et emplacement du marché entr’autre -, ainsi que villas, remarquablement situées au bord de mer).
Encore que des fouilles permettraient sans doute de mettre à jour des restes plus anciens.
Quarante ans plus tard réalisant à nouveau le fait, que là aussi, comme le reste, l’Histoire a pris peu à peu le pas sur la légende, puisque l’on sait désormais, que plutôt que tombe d’une « Chrétienne », ce mausolée auprès duquel nous passons en 1962, servit vraisemblablement de sépulture à des rois maurétaniens du IIIème au Ier siècle av. J.C; et que cette « enluminure » ultérieure, d’une figure féminine emblématique du christianisme apparu au IIIème siècle par conséquent - saint Augustin naît à Hippone - devenu Bône puis Anaba - à peu près au même moment - correspond vraisemblablement à cet épisode où la ville (ayant résisté victorieusement - « rassemblés autour des reliques de sa sainte » - s’agit-il effectivement de sainte Salsa ? -, aux assauts d‘un chef berbère révolté contre Rome), va commettre la « confusion ».
Il est là, malgré tout ce monument, qui nous domine de ses quarante mètres, sur soixante de diamètre.
Sorte de pyramide conique au pied de laquelle nous nous sentons complètement dépaysés, désorientés même, comme si nous commettions un sacrilège, juchés que nous sommes sur cet engin barbare; et tant ce paysage paisible, et resté intact, depuis plus de deux mille ans, nous impressionne, après ces images de la matinée; au point que le contexte historique s’en trouve totalement ignoré.
Mais comment s’en étonner !
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