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Une nation est, entre autres, construite sur des fondements patrimoniaux complexes composés d'un patrimoine matériel et d'un patrimoine immatériel. Leur non-intégration dans le conscient de l'individu ou leur occultation ne peut qu'aboutir à l'effritement de cette nation, voire sa disparition.
Or, l'histoire et le patrimoine historique algériens sont riches. Mais qu'en est-il de leur diffusion et de leur intégration dans le conscient du citoyen, notamment le citoyen de moins de trente-cinq ans ?
Ce citoyen enregistre un déficit énorme, dans le meilleur des cas, dans la connaissance et l'adoption de l'histoire de l'Algérie préhistorique et antique parce que l'intolérance et une certaine vision de notre histoire considèrent l'Antiquité, par exemple, et les siècles antérieurs comme des périodes de ténèbres ('Uhud al dhulumat). Ainsi saint Augustin, qui fut et reste un maître de la pensée universelle, a-t-il été «oublié» très longtemps au nom de cette conception sectaire de la culture nationale. La tentative de sa réintégration dans l'histoire nationale en 2002 n'a pas eu de suite concrète ! Le rideau est de nouveau tombé.
Ce citoyen se reconnaît-il dans Massinissa ? Considère-t-il le royaume numide des Massyles comme l'ancêtre de l'Etat algérien actuel ? Quelle place occupent Jugurtha et sa résistance dans la mémoire de ce citoyen ?
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Un héritage imposant
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Le patrimoine monumental laissé par les dynasties amazighes est imposant : le Medracen, la Soumaa du Khroub (mausolée de Micipsa fils de Massinissa), les Djeddars (mausolées royaux de la région de Tahirt), le mausolée royal mauritanien de Tipasa , etc. Tout cela est complètement occulté du paysage communicationnel. Alors que les Egyptiens arborent leur patrimoine pharaonique comme une bannière à tous vents, la mémoire de notre jeune citoyen est, à ce niveau, stérilisée ! On assiste ainsi à ce qui ressemble à une opération, voulue ou non, de négation d'un pan du processus constitutif de la mémoire nationale.
Notre citoyen est-il mieux loti quand il s'agit de l'histoire de l'Algérie avec l'avènement de l'Islam ? Lui a-t-il été et lui est-il possible, en l'état de la bibliographie et en l'état des programmes scolaires, de connaître le processus d'implantation de l'Islam, les courants de pensée qui l'ont traversé et les penseurs algériens durant les 14 siècles de son existence ? Le vice est tel qu'une maison d'édition libanaise a publié la traduction du livre d'Alfred Bel la Religion musulmane en Berbérie. La recherche dans ce domaine existe, certes, mais elle est calfeutrée au sein des universités. Les résultats circulent peu et ne parviennent au public, spécialisé ou non, que sporadiquement. Quelques thèses ont été publiées, elles ne représentent pas la réalité de la recherche, ni surtout sa valeur scientifique. Certaines, en effet, sont trop partisanes pour inspirer confiance. C'est l'exemple de deux thèses dont les auteurs étalent leur intolérance : Rôle des Kutama dans l'histoire de la khilafa fatimide (Dawr kutama fi tarrikh al khilifa al fatimiya), notamment pages 424-425, de M. Lukbal; la Politique intérieure de la khilafa fatimide (Al siyàsa al dakhiliya lil khilafa al fatimiya fi al Maghrib al islami), de M. S. Marmou qui compare le pouvoir fatimide à celui des colonialistes français dans les pages 72-73 et 76.
Ce citoyen a-t-il un éclairage objectif, loin des slogans réducteurs, sur le processus de l'arabisation culturelle de l'Algérie ?
A-t-on appris à ce citoyen qui est Maysara Al Matghari qui a levé l'étendard de l'opposition à la politique de rapine et d'humiliation poursuivie par les gouverneurs du khalife Umayyade Hicham Ibn Abd El Malik, réduisant les femmes berbères à l'esclavage par milliers pour les besoins du marché damascène ? Insurrection qui a été le prélude au mouvement qui a abouti à la restauration des pouvoirs souverains amazighes, d'abord avec Tihart, ensuite à Kala'at Bani Hammad, puis à Bidjaya ou Tlemcen ? Qui, eux-mêmes, (comme les pouvoirs numides) sont à l'origine de notre souveraineté contemporaine !
Au cours de ces siècles s'est dégagé un patrimoine architectural religieux et civil, expression identitaire de l'art algérien médiéval. Or, à ce citoyen, aujourd'hui, on impose une architecture religieuse et civile dépersonnalisée qui efface le patrimoine historique.
Revenons aux origines des prémices de la construction du «moi algérien». Ces prémices, qui commençaient à se consolider au tournant des XIIIème et XIVème siècles avec les pouvoirs zianides et hafsides, subissent les effets négatifs du pouvoir légionnaire des janissaires qu'utilisera le colonialisme pour envahir le pays et pour pratiquer une politique négationniste de tous les éléments constitutifs de la personnalité algérienne séculaire.
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Saïd Dahmani
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