Camus me semble être l'Homme de notre siècle qui a donné la meilleure réponse à l'interrogation de Nietzsche " Qu'est ce qui est noble?"
Si la révolte est grande et continuelle, Camus sait que c'est parce que , justement, le bonheur est possible, et qu'il ne faut jamais désespérer de l'Homme.
Dans ce Tipaza méditerranéen, la nature montre l'exemple, elle aussi, prend la forme des grandes passions, soudaines, exigeantes, généreuses. Sur cette terre offerte, chaque instant est un instant d'union charnelle, avec la lumière, la mer, le vent, les parfums et les corps.
"Noces" avec les dieux de la terre, " Noces à Tipasa " :
" Au printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l'odeur des absinthes, dans la mer cuirassée d'argent, le ciel bleu écru, les ruines couvertes de fleurs et la lumière à gros bouillons dans les amas de pierre. A certaines heures, la campagne est noire de soleil ; l'odeur volumineuse des plantes aromatiques raclent la gorge et suffoque dans la chaleur énorme …
Nous entrons dans un monde jaune et bleu où nous accueille le soupir odorant et âcre de la terre d'été en Algérie.
Partout des bougainvillées rosat dépassent les murs des villas ; dans les jardins, des hibiscus au rouge encore pâle, une profusion de roses thé épaisses comme de la crème et de délicates bordures de longs iris bleus.
Toutes les pierres sont chaudes … Nous marchons à la rencontre de l'amour et du désir… c'est le grand libertinage de la nature et de la mer qui m'accapare tout entier"
Il n'y a pas de honte à être heureux à Tipasa !
Quelle paix, quelle sérénité trouvée dans cette terre méditerranéenne; sérénité des Sages ! Savoir que, au delà de toute tempête, est l'Harmonie ; et que la tâche essentielle de l'Homme, durant son existence, est de la découvrir!
"Heureux celui des Vivants qui a vu ces choses"
" ...voir cette terre , comment peut-on oublier la leçon ? "
La Terre, mais aussi la Mer… La mer, halètement de la Vie:
"Il me faut être nu et puis plonger dans la mer, encore tout parfumé des essences de la terre, laver celles-ci dans celle-là "
écrit-il dans " Noces ", noces de la mer et de la terre scellées dans l'Homme:
"Nouer sur ma peau l'étreinte pour laquelle soupirent, lèvres à lèvres, depuis si longtemps la Terre et la Mer… Puis, la nage et les bras vernis d'eau sortis de la mer pour se dorer dans le soleil ... la course de l'eau sur mon corps, cette possession tumultueuse de l'onde par mes jambes, et… sur le rivage, la chute dans le sable, abandonné au monde, rentré dans ma pesanteur de chair et d'os, abruti de soleil avec, de loin en loin, un regard pour mes bras où les flaques de peau sèche découvrent avec le glissement de l'eau le duvet blond et la poussière de soleil".
Quelle volupté !
C'est la volupté qu'éprouve Camus à aimer sans mesure.
Mer, campagne, silence, parfums de cette terre, je m'emplissais d'une vie odorante et je mordais dans le fruit déjà doré du monde, bouleversé de sentir son jus sucré et fort couler le long de mes lèvres. … J'aime cette vie avec abandon et veux en parler avec liberté ; elle me donne l'orgueil de ma condition d'homme.
Pourtant on me l'a souvent dit : il n'y a pas de quoi être fier … si il y a de quoi… c'est à conquérir cela que l'homme doit appliquer sa force et ses ressources.
Tout ici me laisse intact, je n'abandonne rien de moi-même, je ne revêts aucun masque ".
Ainsi la force du paysage du Chenoua et de Tipaza, c'est aussi cela ; par sa pureté, son dépouillement, la sécheresse de cette Nature fait tomber les masques. Elle entraîne l'innocence et l'honnêteté de celui qui la regarde.
"J'ai aimé passionnément cette terre... j'y ai puisé tout ce que je suis, et je n'ai séparé de mon amitié aucun des hommes qui y vivent, de quelque race qu'ils soient.
Bien que j'ai partagé et connu les misères qui ne lui manquent pas, à ce peuple, elle est restée pour moi, la terre du bonheur, de l'énergie et de la création".
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