Ne pas confondre avec 'L'Etranger' de Camus. :-)
Un amour au gré de l’histoire
L’Etrangère de Tipaza est une belle histoire d’amour, ponctuée de mélancolie et de moments forts, de tensions et d’infaisabilité. C’est une écriture affectueuse, qui abonde d’émotions et d’impressions.
C’est l’histoire de Yacine, un jeune archéologue qui, un jour, tombe amoureux de l’étrangère, cette touriste française. Cette rencontre se fait à Tipaza, dans la cité antique, au milieu des ruines ; il a suffit d’un seul regard, d’un petit sourire, d’une belle parole pour que Yacine et Florence tombent amoureux l’un de l’autre. Yacine décide d’aller rejoindre Florence en France.
Mais cet amour, cette belle histoire qui fait s’articuler les deux protagonistes ne dure pas. Au bout de quelques mois, Yacine n’arrive pas à trouver de travail. De plus, son visa expiré, il est contraint de rentrer au pays. D’autre part, Florence se montre hésitante à l’idée de se marier avec Yacine, elle refuse de s’unir à lui afin de ne pas aller à l’encontre de sa famille bourgeoise, notamment son père ancien tortionnaire lors de la guerre d’Algérie.
Les deux protagonistes sont revêtus d’une référence socioculturelle, ils représentent, chacun, une histoire, une société, un pays. La rencontre de Yacine et Florence signifie celle des deux rives de la Méditerranée, de l’Algérie et la France. Elle montre ces deux pays, chacun représenté par un personnage, qui sont unis par les liens sacrés de l’histoire qui, au fil du temps, détermine et régit les rapports entre deux acteurs, deux peuples condamnés à se rencontrer mais aussi à se séparer. C’est l’amour qui a fait se rapprocher et s’aimer Yacine et Florence, mais les vicissitudes de l’histoire provoquent la rupture, empêchent l’alliance, l’union et la réconciliation.
L’amour, d’une rive à l’autre
“Tipaza le prit sous son aile envoûtée, la mer bleue pour l’évasion, les pierres pour la mémoire et les oliviers pour s’y reposer à l’ombre de leur feuillage”.
Yacine, archéologue de son état, avait tout pour mener une vie paisible et heureuse, même si son pays traverse une des périodes les plus critiques de son histoire. Comment peut-il ne pas être satisfait du cours de ses jours ?
Lui qui, après de brillantes études en architecture en Algérie puis en Italie et une courte escale au ministère de la Culture, se retrouve responsable d’un lieu de mémoire et de culture aussi important que le site romain de Tipaza. Une situation que lui jalouseraient nombre de ses copains d’études, pour la majorité au chômage.
Seulement, l’espace d’une virée sur ce site féerique, c’est tout le destin du jeune archéologue qui va basculer. C’est dans un monde d’amour et de rêve.
L’histoire d’amour de Yacine n’a rien d’exceptionnel. Une banale rencontre, au milieu des ruines romaines, avec une touriste française chamboulera toute sa vie. Un regard, un sourire, une parole, une phrase, un échange, une rencontre, une fusion ou une rupture...
Deux semaines d’amour avant que le jeune archéologue ne décide de tout plaquer et d’aller rejoindre sa dulcinée. Les retrouvailles sont un moment de plaisir des mois durant, avant que la routine et la monotonie ne viennent meubler la vie du couple. Ne parvenant pas à trouver du travail, le jeune Algérien sombre dans la déprime. L’expiration du visa et la sommation de quitter le territoire français tomberont comme une sentence.
La situation va s’aggraver ; Florence refuse l’idée du mariage “sous le biais d’un chantage de l’administration”, mais aussi afin de ne pas froisser sa bourgeoise famille et plus particulièrement son père ancien “tortionnaire” de la guerre d’Algérie. A travers une écriture fluide et un style plus journalistique, Brahim Hadj Smaïl revisite l’histoire contemporaine de l’Algérie avec, par moments, un clin d’œil à la culture algérienne et arabe. Une histoire qui s’écrit au moyen du sang versé hier et aujourd’hui.
Au-delà d’une simple histoire d’amour qui a mal tourné, L’Etrangère de Tipaza nous plonge dans la spirale tumultueuse de vie d’immigrés et des rêves qui se dissipent en cours de route vers l’eldorado européen. Passion, nostalgie, rêve et illusion, le livre de Hadj Smaïl est un ensemble de sentiments contradictoires et d’un avenir préalablement prescrit par une histoire qui suit son cours.
Si tu rencontres un amoureux éperdu
Tu devineras dans sa faim la satiété
Dans sa quête du beau une retenue
Les hommes diront de lui, c’est un fou !
Que veut-il de l’amour ? Qu’espère-t-il ? Qu’attend-il ?
(Khalil Gibran).
Un roman à clé
L’amour, s’il incite à l’exil, n’ouvre pas toujours les portes du bonheur.
On dit souvent que histoires d’amour sont éphémères, même si les deux êtres s’aiment profondément. De fait, lorsque les relations deviennent sérieuses, l’une des deux personnes recule et hésite à faire le saut, du fait des contraintes induites par cet amour, notamment lorsque les amoureux émargent de culture différente et que l’un ou l’autre des partenaires n’est pas prêt à franchir le rubicon.
En fait, L’étrangère de Tipasa se présente comme un roman à clé, où l’auteur trouve le prétexte de cette idylle entre Florence et Yacine pour poser en filigrane le problème récurrent de la fuite de la matière grise ou cerveaux, d’Algériens à l’étranger et les difficultés inhérentes à l’exil. Tout commença lorsque Florence lit une citation dans la première page du livre d’Albert Camus: «Loin de la mer et du soleil, tout me paraît futile» décrivant la beauté des ruines romaines de Tipaza. Florence, une antiquaire française, bourgeoise, passionnée par son travail, de nature indépendante, menant une vie trépidante viendra pour la première fois en Algérie pour explorer et découvrir le secret de ces merveilleux paysages. C’est là que le destin réunira deux personnes de cultures différentes.
Quoique des passerelles existent entre eux, les deux tourtereaux partagent des points communs mais leurs objectifs semblent assez contradictoires. Pour sa part, Yacine journaliste par métier, archéologue par tempérament, assidu dans son travail, vit à Tipaza où il fera la connaissance de Florence.
L’intrusion de cette Française dans sa vie marquera profondément le jeune homme qui finira par succomber à son charme.
L’irruption de Florence dans son quotidien ouvre à Yacine de nouveaux horizons, d’autant plus que le jeune homme est lassé par les turpides d’une vie sans lendemain, sans illusion sur un pouvoir corrompu, révolté par un terrorisme à son paroxysme, au moment où la misère et l’injustice sont le lot quotidien.
Aussi décida-t-il d’aller rejoindre sa bien-aimée en France laissant tout derrière lui, sa mère, son boulot, ses amis, le soleil, la mer...et son pays natal.
Une fois arrivé en France, Yacine espérait trouver refuge et assurance chez sa Florence. Toutefois, rapidement, Yacine se retrouve dans la peau d’un sans-papier avec toutes les vicissitudes et misères que cela implique.
Dès lors, vivre sans papiers, à plus forte raison quand on est Algérien, ne lui facilitera pas la tâche. Considéré comme «un métèque», aucun poste de travail ne lui sera accordé. Yacine se sent rejeté et par la société et indirectement par sa bien-aimée Florence, qui très attachée à son indépendance, refuse de se marier avec lui l’empêchant de s’intégrer à la société d’accueil. Yacine, fera ainsi l’expérience de l’exclusivisme de sa partenaire et les aléas d’une société «libérée».
D’un exil à l’autre, Yacine finira par atterrir à Londres où la xénophobie est moins marquée envers les étrangers. Roman à clé, L’étrangère de Tipasa met en scène les difficultés de l’intellectuel algérien à s’établir chez lui et le déclassement dont il est souvent victime à l’étranger.
Un amour en ruine
Le ton est ainsi donné dès la page de garde du roman avec cette épigraphe tirée des Noces camusiennes où il est dit : « Hors du soleil et de la mer, tout me paraît futile à Tipaza. »
En un mot, focaliser sur les deux éléments fondateurs qui ont inspiré le mouvement et que Camus a immortalisé avec le personnage de Meursault dans son uvre majeure L'Etranger.
Pour mémoire : « Meur renvoie à mer » et « sault pour soleil ». C'est cette même affirmation qui convainc Florence, antiquaire de son état, de braver toutes les mises en garde pour venir en pleine tourmente intégriste passer quelques jours en Algérie.
Tipaza s'offrait comme un lieu de ressourcement et de reconstruction après une relation amoureuse désastreuse.
Le hasard lui fit rencontrer Yacine qui essayait tant bien que mal de conserver les vestiges romains des multiples dégradations engendrées par le temps et la négligence humaine. Florence et Yacine se promirent sur les décombres de cette civilisation antique l'amour éternel. Et cet amour ne pourrait s'accomplir que lorsque ce dernier devait quitter son pays pour aller s'installer à Paris. Mais les procédures d'acquisition du visa s'avérèrent décourageantes, une entrave supplémentaire qui vient s'ajouter à la situation sécuritaire du pays. Parcours du combattant mais au bout des retrouvailles où les câlins et les haleines se mêlent.
Cet amour qui se déroulait comme un long fleuve tranquille est guetté par des embûches tapies dans l'ombre. D'abord, il y a le père de Florence. Ancien de la Guerre d'Algérie pour qui le temps s'était arrêté à cette période. Il nourrissait sa mémoire par une aversion à tout ce qui est algérien.
En apprenant l'existence de cet homme venu de la rive sud, il enjoignit à sa fille de mettre un terme à cette relation qui lui semblait contre nature. Ensuite, c'est l'Administration qui se saisit de l'affaire.
Yacine est sommé de régulariser sa situation de présence sur le territoire français. Le seul moyen d'y parvenir reste le mariage entre les deux tourtereaux. Or là aussi Florence fit obstruction car elle tenait à sa liberté. Elle proposa une solution qui parut à Yacine indécente. Pour le garder, elle voulut qu'il acceptât un mariage blanc avec une autre femme.
Ecoeuré par la conduite de Florence, il se réfugia à Londres. C'est aussi une oeuvre montrant une réalité algérienne en rupture avec celle véhiculée par certains médias qui culpabilise les victimes et fait la part belle aux vrais assassins.
L'Etrangère de Tipaza de Brahim Hadj Smaïl, paru aux éditions France Maghreb, est l’écriture de la rencontre, du rapprochement. Serait-il le roman de la réconciliation et de l’humilité ?
Docteur en sociologie et professeur de français, l’auteur est directeur de Radio France-Maghreb, dont il est l’un des fondateurs. L’ouvrage qui traverse la Méditerranée d’une rive à l’autre est un interminable voyage dans le temps. Celui de deux pays unis par les sacrés liens de l’histoire qui, au fil du temps, détermine les rapports entre deux peuples condamnés à se rencontrer.
Brahim Hadj Smaïl http://dzlit.free.fr/bhsmail.html
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