sous les murs de la ville. Le sultan, se voyant
dans l’impossibilité de soutenir un siége, députa
au bey les principaux habitans, ainsi que les
grands de la cour, pour traiter de la paix avec lui,
moyennant une somme de trente mille ducats.
Mais Khaïr-ed-din fut sourd à leurs instances,
et il leur dit : « Cet homme n’a ni foi ni loi : on
ne peut se fi er ni à ses promesses, ni à ses sermens Tantôt cédant à ses caprices, d’autrefois se
laissant gagner par les chrétiens, je le vois sans
cesse prendre les armes contre moi : je ne me
prêterai plus à aucun accommodement. »
Les députés retournèrent auprès du sultan
avec cette réponse inquiétante. Mais Muleyabd-allah avait déjà éprouvé plus d’une fois la
générosité de Khaïr-ed-din, et il ne désespéra
pas de le fl échir. Il vint le trouver lui-même dans
son camp, et à force d’instances et de promesses, il obtint sa grâce. Le bey retourna triomphant à Alger.
Le roi d’Espagne reçut l’avis du mauvais
succès de ses intrigues dans la Barbarie, à l’époque où il s’occupait de l’expédition d’une fl otte
nombreuse pour le Levant, fl otte qui devait être
commandée par André Doria le maudit. Pour lui
ce fait un vrai coup de foudre, toutefois, après
— 275 —
que la fl otte eut mis à la voile, il se décida à
aller lui-même au secours du roi de Hongrie
qui ne cessait de lui représenter la détresse dans
laquelle il se trouvait. Comme il était en marche
pour se rendre auprès de ce prince, il apprit
que le sultan Suleiman-Khan avait emporté la
citadelle d’Ankerous qu’il allait défendre; et il
revint sur ses pas, ayant la douleur de voir que
tous ses efforts contre l’islamisme ne lui rapportaient que honte et confusion.
— 276 —
— 277 —
XXIV
Retour du bey à Alger; croisière sur les côtes d’Espagne ; le roi fait armer quinze vaisseaux gardes-côtes;
les Algériens s’en emparent ; expédition dirigée sur les
côtes de l’Andalousie, pour recueillir les Morisques du
royaume de Grenade ; soixante-dix mille fugitifs s’embarquent pour l’Afrique.
Khaïr-ed-din, à son retour d’Alger envoya
tous ses vaisseaux sur les côtes d’Espagne; les
corsaires, après avoir fait diverses prises, allèrent mouiller dans une des rades de ce royaume,
d’où ils étaient à portée de découvrir les vaisseaux qui passaient dans le détroit. Les habitans
— 278 —
des côtes se rendirent en foule auprès de leur
roi, et lui dirent : « Seigneur, tandis que tu t’occupes de tes plaisirs, Barberousse et ses Turcs,
détruisent notre navigation, ils viennent même
enlever nos femmes et nos enfans bien avant
dans les terres; si tu n’as pas quelques moyens
pour nous défendre, permets-nous au moins de
nous mettre sous leur protection. »Le maudit de
Dieu les consola du mieux qu’il lui fut possible
et les assura qu’il allait prendre des mesures
pour que leur tranquillité ne fût pas troublée ;
en conséquence, il fi t armer quinze navires pour
garder les côtes ; à ceux auxquels il en confi a le
commandement, il leur fi t jurer, non seulement
d’attaquer les corsaires d’Alger, partout où ils
les rencontreraient, mais de les combattre jusqu’à la mort. Par la permission de Dieu, sans
doute, il arriva que le vent conduisit ces vaisseaux gardes-côtes sur la rade où l’escadre de
Khaïr-ed-din était à l’ancre. Elle les aperçut à
la pointe du jour, et les chefs comprirent qu’ils
étaient assez forts pour en venir à bout. Toutefois, pour qu’aucun de ces vaisseaux ne pût
leur échapper, en se réfugiant sous le canon de
quelques châteaux voisins, le commandant de
l’escadre musulmane fi t des signaux pour qu’on
— 279 —
eût à cingler en haute mer en feignant de prendre la fuite, Ceux qui commandaient les vaisseaux espagnols se laissèrent aisément tromper
par cette manœuvre. Ils s’imaginèrent que les
Algériens avaient peur d’eux, et ils se mirent à
leur poursuite; mais dès que les corsaires musulmans les virent au large, ils virèrent de bord
les entourèrent, et, après un léger combat, Dieu
aidant, ils s’en rendirent les maîtres. Puis lorsque cette prise excellente fut assurée, ils retournèrent à Alger(1).
Le roi d’Espagne convoqua tous les prêtres
et tous les moines du royaume, et il leur dit : «Il
y a encore dans divers cantons de l’Andalousie,
soumise à mon empire, des Maures qui professent ouvertement leur religion ; les principes de
notre loi permettent-ils, ou non, de leur laisser
le libre exercice de l’islamisme ? Dans le cas où
nos livres sacrés prohiberaient cette tolérance,
veuillez bien me prescrire ce que j’ai à faire. »
Tous les prêtres et tous les moines se prononcèrent unanimement ; ils dirent que la religion
chrétienne ne pouvait souffrir un pareil scandale, et un vieil évêque, prenant la parole au
nom de l’assemblée, s’exprima de cette façon:
_______________
1. 1533
— 280 —
« Seigneur, le Messie est irrité contre nous; car
nous souffrons sur nos terres des gens qui professent l’unité de Dieu et qui suivent la loi du
Coran ; il est à craindre que nos femmes et nos
enfans, séduits par leurs exemples et convaincus par leurs argumens, ne viennent à déserter
notre religion et à embrasser leur croyance ; tu
sais que ces Maures sont nos ennemis secrets, et
qu’ils ne soupirent qu’après l’occasion où il leur
sera possible de se venger sur nous de toutes
les injustices que nous avons commises à leur
égard. D’ailleurs, deux cultes et deux lois ne
peuvent exister dans un même lieu, et les affaires de ce royaume ne commenceront à prospérer
que lorsque tu auras aboli l’islamisme sur toutes
les terres soumises à ton pouvoir. » En conséquence de cette remontrance, le roi ordonna
qu’on obligerait tous les musulmans qui étaient
en Espagne ; à envoyer leurs enfans à l’église,
pour être instruits des principes de l’évangile,
et pour être élevés comme des chrétiens; il fi t
même publier que tous ceux que l’on surprendrait lisant le Coran et accomplissant certains
actes de la religion mahométane, seraient condamnés au feu. Les Maures, justement indignés
d’une pareille barbarie, et animés d’un saint
— 281 —
zèle pour leur religion, se réunirent, s’armèrent, et prenant avec eux leurs femmes et leurs
enfans, allèrent se retrancher sur une montagne
de l’Andalousie nommée Pardona. Les chrétiens
vinrent les y assiéger, et après de longs combats,
les Maures Andaloux furent forcés par la faim
de retourner au sein des villes et des bourgades, qu’ils avaient abandonnés. Dans la cruelle
position où ils étaient tombés, ils s’adressèrent
à Khaïr-ed-din, et, lui représentant tout ce qu’ils
avaient à souffrir de la part des infi dèles, ils le
supplièrent au nom de l’envoyé de Dieu, le premier et le dernier des prophètes, sur qui soit
le salut de paix, de venir les délivrer du joug
affreux sous lequel on les voyait gémir. La peinture de leurs infortunes était faite pour toucher
les âmes les plus dures. Khaïr-ed-din assembla
tous les habitans d’Alger et leur fi t lecture de
la lettre qu’il venait de recevoir. Sur-le-champ
il fut décidé qu’on armerait trente-six vaisseaux
avec des troupes de débarquement, et qu’on irait
arracher les Maures d’Espagne à la persécution
de leur tyrans.
Lorsque les Maures Andaloux virent approcher de la côte la fl otte algérienne qui venait à
leur secours, ils gagnèrent cette même montagne
— 282 —
de Pardona qu’ils avaient été forcé d’abandonner précédemment; les chrétiens les poursuivirent; mais, tandis qu’ils gravissaient la
montagne, les Algériens qui avaient mis pied
à terre arrivèrent à temps pour mettre ceux-ci
entra deux feux. La victoire se déclara pour
les musulmans : les infi dèles prirent la fuite,
les Turcs les poursuivirent l’épée dans les reins
jusque sous les murailles de la forteresse, et ils
revinrent ensuite triomphans rejoindre les Andaloux. Ceux-ci, grâce à la protection des Algériens, allèrent dans la ville et les villages où
ils étaient jadis établis, enlever leurs femmes et
leurs enfans, ainsi que leurs meubles et tous les
effets qu’il leur était possible d’emporter, et ils
s’acheminèrent vers le rivage pour s’embarquer
sur la fl otte. Mais, comme il y avait impossibilité que les vaisseaux pussent transporter tout à
la fois un si grand nombre de familles maures,
on convint que celles qui resteraient, iraient se
retrancher sur la montagne de Pardona, et qu’on
laisserait auprès d’elles un corps de mille guerriers qui veilleraient à leur sûreté jusqu’à ce
que la fl otte musulmane pût revenir les prendre. Cette fl otte fut obligée de faire sept voyages
consécutifs, et elle transporta à Alger soixantedix mille âmes. Depuis ce temps-là jusqu’à
— 283 —
nos jours, les corsaires algériens se font une loi
de s’approcher des côtes de l’Andalousie pour y
recueillir les familles maures qui auraient pu y
rester.
— 284 —
— 285 —
XXV
Khaïr-ed-din est sur le point de se rendre à Constantinople ; convocation du divan ; André Doria essaie,
par un stratagème, de retenir le bey dans Alger; précaution prise contre une invasion annoncée ; capture
d’un bâtiment qui renferme des gens de distinction;
leur rançon est offerte et refusée ; crainte d’un soulèvement des esclaves chrétiens ; songe de Khaïr-eddin; ruse qu’il emploie pour s’assurer des véritables
sentiments des captifs.
Khaïr-ed-din n’attendait que la fi n de cette
bonne pour se rendre à Constantinople où il avait
été appelé par le sultan Suleiman Khan d’heureuse mémoire. Ce grand empereur avait conquis Ankerous, comme nous l’avons; déjà dit.
Le roi de Hongrie, en fuyant devant lui, s’était
— 286 —
noyé dans un étang nommé l’Étang d’Argent.
Mais le cadavre de ce prince avait été tiré de
là, et, par les ordres du sultan, on l’avait transporté à Bellegrade, où il avait été enterré dans
le tombeau de ses pères. Maître du royaume
de Hongrie, qu’il avait réuni à ses vastes états,
et voyant qu’il ne lui restait plus dans son voisinage d’ennemis à combattre, cet invincible
sultan des Ottomans s’était proposé d’aller en
personne faire la conquête de l’Espagne. Pour
arriver à l’exécution de ce projet, il lui fallait
un homme qui connut les côtes de ce royaume
et les lieux les plus propres à y débarquer une
grande armée. Il jeta les yeux sur Khaïr-ed-din
dont la réputation, était alors si justement célèbre dans l’univers, par sa sagesse dans le commandement, par son habileté dans l’art de la
navigation, par son intrépidité dans les combats
et enfi n par la conquête d’un vaste pays de la
Barbarie, où il faisait respecter le nom des Ottomans que l’on y connaissait à peine avant lui :
il lui recommandait d`établir à Alger un 1ieutenant qui devait commander en son nom, et il lui
proposait de lui en envoyer, un lui-même ; s’il
ne trouvait personne sur les lieux qui fût digne
de sa confi ance. Sinan-Chiaoux, un des esclaves
de la Sublime Porte, avait été chargé de porter
— 287 —
cette dépêche. En arrivant à Alger, cet envoyé
du sultan fut conduit avec pompe à l’hôtel du
gouvernement, où il remit au bey le fi rman de
sa Majesté impériale. Khaïr-ed-din le prit avec
respect, le baisa, le mit sur sa tête, puis il le lut
avec attention. Ensuite, il convoqua un divan
général, où les gens de loi, les cheiks, les imans,
les desservans des mosquées, et des zaviés, les
habitans les plus considérables de la ville, et
enfi n les principaux offi ciers de la milice furent
invités à se rendre. Après leur avoir fait lecture
de l’ordre qu’on venait de lui transmettre de la
part de sa Majesté impériale, il fi t entendre à
cette assemblée qu’il n’était point en son pouvoir de différer plus longtemps son départ; qu’il
avait déjà tout disposé pour .son voyage. Il termina en disant qu’il avait choisi pour son lieutenant un homme qui était digne d’être à leur tête.
« Je n’ai pas manqué ajouta-t-il, de lui recommander de vous regarder comme ses enfans, et
de se diriger en toute chose par les conseils de
l’équité et de la justice; j’espère que, de votre
côté, vous mériterez, par votre attachement pour
sa personne, et votre amour pour le bon ordre,
les égards et les bontés qu’il est disposé à avoir
pour vous. »
— 288 —
Lorsque André Doria eut appris ce projet
de la conquête de l’Espagne, dont s’occupait le
sultan Suleiman, et l’intention où il était de se
servir du bey d’Alger pour l’exécution de son
plan, il pensa que ce serait gagner beaucoup
que d’empêcher le départ de Khaïr-ed-din. Voici
donc la ruse qu’il mit en oeuvre pour arriver à
ses fi ns : il expédia un navire à Alger, chargé
de diverses marchandises pour la valeur de six
à sept mille ducats, et, il le fi t suivre d’un autre
bâtiment portant soixante-dix esclaves musulmans dont il proposait le rachat. Le subrécargue
qui fut choisi pour cette expédition mercantile,
avait ordre de dire, lorsqu’on lui demanderait
des nouvelles de la chrétienté, que le roi d’Espagne faisait de grands préparatifs de guerre,
et que l’on assurait que ces préparatifs étaient
dirigés contre Alger où il voulait se rendre luimême. A l’arrivée de ce navire, Khaïr-ed-din
acheta les objets composant la cargaison, et il
paya la rançon des esclaves musulmans au prix
fi xé par l’usage. En conséquence de la leçon
qui lui avait été faite par André Doria, le subrécargue, de son côté, ne manqua pas de débiter
confi dentiellement les projets imaginaires qu’on
prêtait an roi d’Espagne contre Alger. Khaïr-eddin en fut sur-le-champ avisé, et quoiqu’il se
— 289 —
doutât bien que cette nouvelle avait été faite à
plaisir, il n’en ordonna pas moins de travailler à
la réparation des tours et des châteaux, et il fi t
même placer quelques batteries nouvelles dans
les endroits qui lui paraissaient les plus faibles.
Après avoir terminé ses affaires et pris
une cargaison de retour, le navire marchand fi t
voile pour Gênes, où se trouvait André Doria.
Le subrécargue lui raconta les diligences qu’il
avait vues faire à Khaïr-ed-din pour mettre la
ville d’Alger en état de défense. André Doria
s’applaudit de l’idée qu’il avait eue, et malgré
la haine qui l’animât contre le bey d’Alger, il
ne put s’empêcher de rendre justice aux talens
et au génie de l’ennemi implacable de la chrétienté.
En ce temps-là quelques corsaires algériens
qui parcouraient les mers, prirent quatre navires
appartenant aux infi dèles. Ces navires transportaient en Espagne un grand nombre de passagers, parmi lesquels se trouvaient vingt offi ciers
de marque, et cent quarante de ces individus que
les chrétiens nomment gens de condition, tous
êtres efféminés et nourris dans la mollesse, qui
portent des gants et des mouchoirs au cou de
peur que l’air et le soleil ne ternissent la blancheur de leur peau. Parmi ces derniers, il y en
— 290 —
avait un qui était fi ls(1) d’un des baillis de Rhodes.
Les chrétiens furent vivement affl igés de leur
perte; et pendant plus de huit jours consécutifs
ils dirent des prières publiques dans leur église
pour demander au Messie la délivrance de ces
captifs. Immédiatement après, ils envoyèrent
des agens à Alger afi n de traiter de leur rançon :
ils offrirent pour le rachat du fi ls du Lailli, son
poids en argent monnayé; mais Khaïr-ed-din,
n’écoutant que son zèle pour les intérêts de l’islamisme, rejeta toutes les offres qu’on lui adressait, et voici même comme il s’exprima devant
ceux qui avaient été expédiés pour terminer cette
négociation : « Ces chiens-là gardent rancune et
ne respirent que la vengeance; ils ne seraient
pas plus tôt arrivés dans leur pays qu’ils s’occuperaient à faire des armemens contre nous : je
refuse. »
Les négociateurs ne purent s’empêcher
d’approuver intérieurement sa façon de penser,
malgré l’envie qu’ils avaient de réussir dans
l’objet de leur mission. A leur retour, la consternation des chrétiens augmenta, et ils cherchèrent à se venger du refus de Khaïr-ed-din par les
_______________
1. L’auteur ignorait sans doute que les chevaliers
de Rhodes faisaient vœu de chasteté : c’était peut-être le
neveu d’un bailli. (Note du traducteur.)
— 291 —
mauvais traitemens qu’ils fi rent éprouver aux
esclaves musulmans qui étaient chez eux dans
les fers.
Khaïr-ed-din, en s’occupant des préparatifs de son départ pour Constantinople, n’était
pas sans inquiétude relativement à la quantité d’esclaves infi dèles qu’il y avait à Alger :
leur nombre montait à sept mille. Il disait en
lui-même : « Si je pars, et si je laisse tous ces
chrétiens dans la ville, ils pourront se réunir et
causer du désordre; d’un autre côté, si je les
emmène avec moi, une tempête peut leur rendre
la liberté, et alors, les tourmens de nos frères
qui gémissent dans la captivité entre les mains
des infi dèles, n’auront plus de bornes. » Ces
réfl exions le rendaient indécis sur les moyens
qu’il avait à prendre.
Cependant dès qu’il eût connaissance de
la manière cruelle dont les musulmans étaient
traités dans la chrétienté, il usa de représailles
envers les chrétiens qui se trouvaient en son
pouvoir, et il n’allégea le poids de leurs chaînes
que lorsqu’il eut appris que les infi dèles étaient
devenus plus humains envers leurs esclaves.
Lorsque ceux qui étaient à Alger virent que
Khaïr-ed-din ne voulait point écouter de propositions relatives à leur rachat, ils fi rent entre eux
— 292 —
le complot de se rendre maîtres de la ville ou
de se sauver à main armée. Leur révolte devait
commencer par le massacre de l’offi cier que
Khaïr-ed-din avait chargé de veiller sur eux.
C’était un Turc de l’île de Mételin, dans lequel
le bey avait mis sa plus grande confi ance. Khaïred-din, préoccupé des dispositions qu’il avait
à faire pour assurer la tranquillité d’Alger, eut
une nuit un songe qui l’inquiéta. Il se vit transporté à Mételin au moment même où le plancher de la maison du Gardian-Bachi semblait
prêt à s’écrouler ; dans son rêve, il s’élançait
vers lui et le soutenait de ses mains.
Lors de son réveil, l’explication toute naturelle que le bey donna à ce songe, ce fut que le
Gardian-Bachi était menacé de quelque malheur
dont lui-même devait le préserver. Il l’envoya
chercher immédiatement, et lui raconta le songe
qu’il avait eu, en lui communiquant aussi l’interprétation qu’à son avis il devait lui donner.
Puis il lui vint une idée, ce fut d’ordonner à cet
offi cier de s’en aller déclamant contre lui parmi
les chrétiens; son but était de leur inspirer par
ce moyen de la confi ance, et il espérait pouvoir
pénétrer ainsi jusque dans le fond de leur âme.
Il a existé peu d’hommes plus prévoyans et
— 293 —
plus sages que Khaïr-ed-din. Toutes les grâces
que Dieu lui a faites dans ce monde, nous sont
un garant de la félicité dont il jouit dans l’autre
vie.
Le Gardian-Bachi sortit en effet de l’hôtel du gouvernement, affectant les airs d’un
homme qui aurait éprouvé quelques duretés de
la part du bey; il rencontra sur ses pas un de ces
chrétiens qui, sachant lire et écrire, sont chargés de tenir quelques registres et de veiller sur
les autres esclaves. Il commença à murmurer
en sa présence contre Khaïr-ed-din, et se prit à
dire : « Voyez, il y a un temps infi ni que je suis
au service de cet homme, et je n’ai encore reçu
aucune faveur de sa part; bien loin de là, quelque peine que je me donne, je ne puis jamais
réussir à le satisfaire, et je n’entends sortir de
sa bouche que des propos durs, si ce ne sont des
menaces. »
Le Gardian-Bachi prononçait ces paroles en
gardant le ton d’un homme vraiment courroucé ;
un des esclaves du bagne qui venait d’entendre
ses plaintes, dit à ses camarade : « Avez-vous fait
attention à la colère de ce Turc... ? » Chacun fi t
là-dessus ses réfl exions et tira ses conjectures...
Un moment, après, le Gardian-Bachi aborda
une troupe d’esclaves qui étaient rassemblés, et
— 294 —
continuant à s’emporter, il alla jusqu’à blasphémer contre le bey, et leur dit : « Convenez que mon sort est bien à plaindre : je sers
Khaïr-ed-din depuis son départ de Mételin, je
l’ai accompagné dans toutes ses campagnes de
mer et de terre, je me suis exposé pour lui à tous
les dangers, et il croit avoir fait beaucoup pour
moi lorsqu’il m’a chargé du service pénible et
désagréable qui s’attache aux soins du bagne.
Ne devais-je pas attendre de sa reconnaissance
qu’il une donnât le commandement de quelque
district de ce royaume, avec le titre de bey, ou
tout au moins avec celui de kaid ; mais non, les
faveurs sont réservées pour des étrangers, et il
suffi t de lui appartenir de prés pour n’obtenir
aucun emploi distingué : encore s’il me dédommageait par quelques égards particuliers, si,
lorsque je lui demande de diminuer vos travaux,
d’accorder quelque soulagement à vos peines,
il écoutait favorablement mes représentations, il
me serait peut-être aisé de prendre patience; mais
il suffi t que je m’intéresse en votre faveur dans
ce qui regarde les choses les plus justes et les
plus raisonnables pour exciter sa fureur contre
moi, et pour me voir accabler d’injures qu’il me
serait impossible de vous rendre... » Puis, ce
rusé Gardian-Bachi, continuant à jouer son rôle
— 295 —
avec une adresse supérieure, se tourna vers
le fi ls du bailli de Rhodes, qui l’écoutait avec
attention, et il lui dit : « O Seigneur;un homme
tel que moi est-il donc fait pour commander, à
des gens qui ont été, comme beaucoup d’entre
vous, gouverneurs de grandes villes et de grandes provinces; et vous surtout dont le père tient
un rang élevé dans l’île de Rhodes ! Je suis né
à Midilli qui n’est pas éloignée de cette île, j’ai
eu occasion de connaître votre père, et j’en ai
reçu mille bienfaits ; il est si triste pour moi de
ne pouvoir vous en témoigner ma juste reconnaissance, que je n’ose plus lever les veux sur
vous. Ah ! S’il m’était possible de fuir d’ici,
j’en saisirais l’occasion avec empressement,
et je ne désespère pas d’en trouver un jour les
moyens. »
Le Gardian-Bachi continua à leur tenir
durant plusieurs jours de pareils propos, qu’il
appuyait de procédés pleins de douceur et
d’honnêteté. A la fi n, les esclaves, trompés pas
ses fausses confi dences, s’ouvrirent à lui, et lui
dirent : « Nous avons conçu le projet de nous
délivrer des mains de notre tyran: ce projet doit
nécessairement réussir, si tu veux le seconder, et
quelque chose que nous fassions pour toi, nous
— 296 —
ne saurons assez payer le service que tu nous
auras rendu. » Hé ! de quoi est-il question ? reprit
le Gardian-Bachi, expliquez-moi votre idée , et
comptez sur mon dévouement; il n’y a certainement rien que je ne sois disposé à faire pour
rompre vos fers. Alors les esclaves lui fi rent voir
une lettre qu’ils avaient écrite au commandant
de Bégiajé. Il est bon de se rappeler que cette
place était alors entre les mains des chrétiens,
auxquels elle n’a été enlevée que sous le gouvernement du Salah-Pacha, qui fut plus heureux
dans cette entreprise qu’Aroudj et Khaïr-eddin. Voici ce que contenait en somme la lettre
adressée aux chrétiens par le commandant de
Bégiajé : ils l’informaient qu’ils avaient formé
le complot de se rendre maître d’Alger ; puis
ils le priaient d’envoyer un de ses vaisseaux au
cap Témantefous; pour les recevoir dans le cas
où, leur coup venant à manquer, ils se verraient
contraints à prendre la fuite ; ils tâchaient en
outre d’exciter sa pitié par la peinture exagérée
de leur esclavage, et ils fi nissaient en lui demandant une prompte réponse, ainsi que l’indication
du jour où le vaisseau dont ils avaient besoin
se trouverait à Témantefous. Après avoir fait
lecture de leur missive au Gardian-Bachi, qui
— 297 —
entendait et parlait fort bien la langue italienne,
les chrétiens lui dirent : « Il y a déjà plusieurs
jours que cette lettre est prête, mais il nous a
été impossible de trouver quelqu’un qui pût la
porter à sa destination. Tu sais mieux que personne combien on nous surveille dans cette
prison. Le Messie a eu compassion de notre
sort, et c’est lui qui t’a inspiré les sentimens de
générosité dont ton cœur est animé pour nous.
Il faut te faire un aveu complet, nous te regardions comme notre plus grand ennemi, et notre
premier acte ce devait être de te massacrer. » En
ce moment le Gardian se rappela avec surprise
le songe de Khaïr-ed-din, et l’explication qu’il
en avait tirée. Il dit aux chrétiens, ce n’est pas
chose facile que de trouver une personne assez
sûre pour lui confi er cette lettre; mais je vous ai
promis de mériter votre amitié par toute sorte
de sacrifi ces : de ce pas, je vais trouver Khaïred-din pour le prier de me donner un poste dans
les maisons de Bégiajé, et je me chargerai moimême de porter votre demande au gouverneur
de cette ville.
Les esclaves chrétiens, transportés de reconnaissance, lui fi rent les plus magnifi ques promesses et lui remirent leur pli. Le Gardian-Bachi ne
— 298 —
tarda pas de se rendre à l’hôtel du gouvernement, et après avoir baisé la main de Khaïr-eddin, il lui dit : « Pour le coup, Seigneur, j’ai des
preuves convaincantes de ta sainteté et du crédit
dont tu jouis auprès de l’Être suprême; prends
et lis cette lettre.»Lorsque Khaïr-ed-din en eut
fait la lecture, il lui dit .: «Fais seller ton cheval,
et va-t’en toi-même rendre ce pli au commandant de Bégiajé. » Le Gardian-Bachi partit le
même jour, et, dès son arrivée à Bégiajé, il se
présenta au commandant, auquel il remit mystérieusement la lettre dont il était porteur. Le commandant le prit à part, et lui dit : « J’enverrai
certainement le vaisseau qu’ils me demandent,
mais je crains que Barberousse ne devine tous
nos projets. »
Le Gardian-Bachi, en attendant que 1a
réponse fût prête, se promenait dans les rues
de Bégiajé ; les musulmans qui étaient en captivité dans cette ville, l’accablaient d’injures et
lui crachaient au visage, dans la persuasion où
ils étaient, qu’il avait été envoyé par les esclaves d’Alger et ils se disaient les uns aux autres:
« Cet homme a été comblé de biens par Khaïred-din, et le monstre d’ingratitude pousse la
perfi die jusqu’à devenir l’espion et le messager
— 299 —
de ses ennemis. » Les bons musulmans étaient
bien loin de soupçonner, on le voit, qu’il agissait par ordres formels, et pour les intérêts de
Khaïr-ed-din.
Lorsque le commandant infi dèle eut remis
au Gardian-Bachi la dépêche par laquelle il
faisait savoir aux esclaves d’Alger le jour où
le vaisseau qu’ils demandaient se trouverait
mouillé à l’abri de Témantefous, il reprit le
chemin d’Alger.
En approchant de la ville, il trouva un
détachement de Turcs que Khaïr-ed-din avait
envoyés à sa rencontre pour l’arrêter. Ils se
saisirent de lui, et le menèrent lié et garrotté
devant le bey. Khaïr-ed-din lui dit : « Âme vile
et ingrate, est-ce ainsi que tu abuses de ma confi ance et de mes bontés ; tandis que tu devrais
veiller plus que personne à la sûreté publique,
tu oses te charger du message des infi dèles qui
conspirent contre l’état. » Le bey, après avoir
prononcé ces paroles d’un air irrité, ordonna de
le fouiller ; et on trouva naturellement sur lui la
lettre que le commandant de Bégiajé adressait
aux esclaves. Khaïr-ed-din commanda à l’instant qu’on enlevât ce perfi de de devant ses yeux,
et qu’on le conduisît dans la prison même où
étaient enfermés les chrétiens.
— 300 —
Lors donc qu’il se trouva au milieu d’eux,
il leur dit : « Voyez le sort où m’ont réduit mon
zèle et mon attachement pour vous. J’ai porté
moi-même votre lettre au commandant de
Bégiajé, et je revenais avec sa réponse ; Barberousse, ce démon incarné, a deviné le mystère ;
il m’a enlevé le pli que je devais vous remettre. Dieu seul sait maintenant la vengeance
qu’il médite contre vous et contre moi. » Les
chrétiens à cette nouvelle, pâlirent d’effroi, ils
s’arrachèrent la barbe, et se tordirent les bras de
repentir.
Cependant le jour où l’on devait voir arriver
le vaisseau de Bégiajé à Témantef’ous approchait. Khaïr-ed-din y envoya un de ses navires
pour l’attendre et pour s’en emparer. A l’époque
fi xée, en effet, le vaisseau parut équipé de cent
vingt hommes. Toutefois, en entrant dans le
golfe, le commandant chrétien découvrit le vaisseau turc qui était à l’affût; il voulut fuir, mais
les Algériens lui coupèrent le chemin et s’en
rendirent maîtres. Cette prise fi t le plus grand
plaisir à Khaïr-ed-din, et répandit la joie dans
toute la ville. Le bey fi t traduire devant lui les
nouveaux esclaves, ainsi que ceux qui étaient à
la tête de la conspiration ; puis, il leur montra la
— 301 —
lettre du commandant de Bégiajé. La preuve de
leur crime était complète; ils restèrent tous confondus, et ne purent articuler une seule parole.
Pour Khaïr-ed-din, il fi t trancher la tête à vingt
d’entre ces chrétiens qui lui paraissaient les plus
coupables, et il envoya les autres dans la prison
destinée aux captifs.
— 302 —
— 303 —
XXVI
Départ de Khaïr-ed-din pour Constantinople ; arrivée à Prevesa ; André Doria s’éloigne de ces parages;
entrée dans la rade de Navarin ; Khaïr-ed-din écrit à
Suleiman, qui l’invite à se rendre auprès de lui; accueil
qui lui est fait à Constantinople; voyage à Alep; accueil
du grand-visir; Khaïr-ed-din e st crée pacha à trois
queues; retour à Constantinople ; Khaïr-ed-din s’empare de quelques forteresses en Grèce, puis il ravage
les côtes d’Espagne et celles du royaume de Naples ;
descente en Sardaigne.
Après cette exécution qui assurait la tranquillité d’Alger, Khaïr-ed-din remit entre les
mains du lieutenant qu’il avait choisi(1) les rênes
_______________
1 Hassan-Aga, renégat Sarde. Ce fut lui qui défendit Alger contre Charles-Quint.
— 304 —
du gouvernement ; et il se mit en mer pour se
rendre à Constantinople auprès de sa Majesté
impériale le sultan Suleiman-Khan. Il partit
avec une fl otte de quarante-quatre voiles, et fi t
route pour Gênes. Chemin faisant, il brûla et
ravagea toutes les côtes de cette république. De
là, il passa en Sicile, et il s’y empara de dix-huit
bâtimens chrétiens auxquels il mit le feu après
en avoir retiré les équipages. Il s’informa des
esclaves qu’il avait pris, où il lui serait possible
de rencontrer André Doria le maudit; il apprit
qu’il était parti pour les côtes de la Morée avec
vingt-quatre demi-galères et vingt gros vaisseaux. Sur cet avis, il s’empressa de quitter la
Sicile, et de faire route pour Prévesa(1) où il se
fl attait de trouver son ennemi.
Dès qu’il eut mouillé dans ce port, les habitans vinrent lui témoigner la joie qu’ils éprouvaient de son arrivée. Car sa présence, selon
eux, devait nécessairement empêcher l’irruption dont ils étaient menacés de la part d’André
Doria. En effet, ce maudit de Dieu avant eu avis
que Khaïr-ed-din était à sa poursuite avec une
_______________
1 Prévesa, en Albanie, à l’entrée du golfe de l’Arta,
tout à fait dans le voisinage de l’ancienne Actium. (Voy. pour
plus amples détails sur ce voyage à Constantinople, et sur le
séjour de Khaïr-ed-din dans le Levant, les notes de la fi n.)
— 305 —
fl otte de quarante-quatre vaisseaux, s’était éloigné des lieux où il aurait pu être rencontré. Il y
avait déjà six jours que les habitans de Prévesa
l’avaient vu passer près de leur côte. Dès que
Khaïr-ed-din fut informé de sa fuite, il congédia vingt-cinq vaisseaux, et il en garda dix-neuf
pour son voyage à Constantinople.
Les vaisseaux qu’il renvoya à Alger rencontrèrent, dans leur navigation, sept bâtimens
napolitains; ils en prirent deux, les autres se sauvèrent.
Khaïr-ed-din en quittant Prévesa, entra dans la
rade de Navarin, où il trouva la fl otte du sultan Suleiman. Il salua de son artillerie le pavillon du GrandSeigneur, et on lui rendit le salut selon l’usage.
Ensuite ils partirent tous ensemble pour Coron(1)
, _______________
1 La fl otte ottomane, à laquelle venait de se réunir la
division de Khaïr-ed-din se composait en tout de soixante
galères, sans compter d’autres navires moins considérables;
elle était commandée par Zay Olupat-bey, de Galipoly, et elle
se dirigeait sur Coron, que les Espagnols occupaient depuis
quelque temps. Pressée du côté de la mer par cette fl otte, et du
côté de la terre, par l’armée de Zizim qui l’enveloppait, cette
ville fut bientôt une proie aux horreurs de la famine; mais elle
ne se rendit pas. André Doria arrivant sur ces entrefaites avec
une fl otte nombreuse, livra bataille aux Ottomans, qui furent
contraints de lever le blocus. Néanmoins, peu de temps après,
les habitans de Coron étant réduits à la plus grande misère,
abandonnèrent la ville et rentrèrent dans leur pays. Ce fut le 1er
avril 1534.
— 306 —
d’où Khaïr-ed-din écrivit à sa Majesté impériale
pour l’informer de son arrivée, et lui demander
la permission d’aller baiser la poussière de ses
pieds.
Le Grand-Seigneur l’invita à se rendre
promptement auprès de lui. En conséquence, et
à la simple réception de cet ordre, Khaïr-ed-din
quitta Coron et fi t voile pour Constantinople où
il arriva peu de jours après avec tous les navires de son escadre. En se présentant devant le
sultan, il se prosterna, baisa la terre, et attendit
ensuite debout, dans un silence respectueux, les
ordres de sa Majesté impériale. Le sultan Suleiman le fi t revêtir d’un caftan d’honneur; et non
content de lui fi xer des appointemens pour son
entretien, il lui désigna un des hôtels appartenant au gouvernement, pour sa demeure. Le
soin des arsenaux et la construction des navires
furent remis dès ce moment sous sa direction.
Dans ce temps-là, le grand visir se trouvait
à Alep, occupé à rétablir le bon ordre dans la
Syrie. Il apprit l’arrivée de Khaïr-ed-din à Constantinople ; et tout ce qu’il avait entendu raconter de ses exploits, lui donna envie de connaître
personnellement ce héros. Il écrivit au GrandSeigneur pour le supplier de le lui envoyer.
Et voilà ce que le sultan fi t dire par un de ses
— 307 —
offi ciers à Khaïr-ed-din : « Mon serviteur, que les
affaires de l’empire retiennent à Alep, désire te
voir ; voudrais-tu bien entreprendre ce voyage ? »
Khaïr-ed-din répondit : « Je suis l’humble esclave
de sa Majesté impériale et tous ses ordres, je dois
les exécuter. » Sur sa réponse, le sultan lui fi t
donner des chevaux avec une escorte pour le conduire à Alep. Il passa sur un bâtiment à Madania(1)
et, de là, il s’achemina par terre vers Alep. Lorsqu’il fut à une journée de la ville, il se fi t devancer
par un courrier que le sultan avait envoyé avec lui
pour porter ses dépêches au grand-visir.
Le premier ministre fut vraiment fl atté de la
visite que Khaïr-ed-din lui faisait. Il envoya à sa
rencontre tous les offi ciers du divan; et ceux-ci
l’accompagnèrent dans la ville, et même jusqu’à l’hôtel qu’on avait préparé pour lui , musique en tête et drapeaux fl ottans. Le lendemain
au matin, le grand-visir lui envoya de nouveau
tous les offi ciers du divan pour l’accompagner
jusqu’au château. Khaïr-ed-din en se présentant
dans la salle du conseil, alla baiser le bas de la
robe du grand-visir, qui le fi t asseoir à ses côtés.
Ce ministre lui fi t servir le café, le sorbet et les
_______________
1 Ville de l’Anatolie, située non loin de la mer de
Marmara.
— 308 —
parfums. Et, après cette cérémonie, on lut à
faute voix le fi rman de sa Majesté impériale,
dont Khaïr-ed-din avait été le porteur. Pendant
cette lecture, le bey d’Alger se tint respectueusement debout; et, lorsqu’elle fut terminée, il
prit congé du grand-visir et retourna à son logement. Deux jours après son arrivée à Alep, il
vint en cette ville un courrier de la part du
sultan, pour porter à Khaïr-ed-din un caftan et
les trois queues, avec ordre du premier ministre
d’installer le bey dans la dignité de pacha(1). En
conséquence, le grand-visir convoqua un divan
_______________
1 Le motif qui engagea Suleiman à confi er les hautes
fonctions de capitan-pacha, ou amiral de la mer à Khaïr-eddin est facile à deviner. II voulait sans doute opposer à André
Doria un homme puissant, d’une célébrité égale à la sienne,
à une époque où il n’existait autour de lui que des hommes
inférieurs depuis la mort de Camali. En effet, Doria venait
récemment d’enlever Coron, Patras et d’autres points importans. Ses galères avaient fait subir à la Porte de grandes pertes
sur mer. II n’y avait que Barberousse qui, grâce à sa hardiesse,
à son habileté, à son heureuse étoile même, pût tenir tête eu
fameux Doria, et balancer ses succès par des succès égaux. Ce
fut en effet depuis une lutte constante entre ces deux marins
célèbres, lutte dans laquelle tous deux se distinguaient également. Plusieurs historiens contemporains ont remarqué la
circonspection avec laquelle ces deux hommes habiles se
traitaient : c’est ce qui fait que Brantôme leur appliquait le
proverbe espagnol : De corsario à corsario, no hay que ganar,
que los barriles de agua.
— 309 —
général dans lequel Khaïr-ed-din; revêtu de l’habit d’honneur, et où i1 mit sur sa tête le mudjèwèzè(1). Il retourna à son hôtel, accompagné
de tous les offi ciers du divan qui marchaient
en ordre devant lui. Durant le cortége, il était
monté sur un superbe cheval qui avait une selle
enrichie de pierres précieuses; les étriers étaient
en or, et la bride ornée la même façon; c’était un
don du grand-visir(2).
Trois jours s’étant écoulés, Khaïr-ed-din
pacha monta à la forteresse pour aller faire
sa cour au premier ministre. Celui-ci le retint
encore trois jours auprès de lui, à la fi n desquels
le nouveau pacha lui demanda la permission de
retourner à Constantinople. Le grand-visir la lui
accorda, et il fi t préparer tout ce qui était nécessaire à son voyage, conformément à sa nouvelle
dignité.
_______________
I. Le Mudjèwèzè est le bonnet de cérémonie des
pachas et des grands dignitaires; il se distingue des autres
en ce qu’il est haut, cylindrique et recouvert d’une mousseline blanche.
2 Ici le traducteur porte dans une note la nomination
de Khaïr-ed-din à la dignité de pacha, à l’année 1521.
C’est une erreur Khaïr-ed-din fut nommé pacha en 1534, et
immédiatement après, ayant reçu le commandement d’une
fl otte ottomane, il eut ordre d’aller ravager l’Italie, Gênes,
et d’attaquer Tunis. (Voyez les notes à la fi n.)
— 310 —
Khaïr-ed-din sortit donc d’Alep avec un
train digne d’un souverain, et il passa par
Conia(1), où il s’arrêta pour Visiter le tombeau
de Molla-khun-kiar, ainsi que celui d’un autre
grand personnage mort en odeur de sainteté,
et que l’on nomme Emiri sultan. Dans la visite
qu’il fi t à ce dernier mausolée, il récita d’un
bout à l’autre la parole de Dieu. De Conia, il
partit pour la ville de Brousse, puis se rendit
à Madania(2), où il s’embarqua pour passer à
Constantinople. Dès que le sultan fut instruit de
son arrivée il lui donna ordre de se rendre auprès
de lui. Khaïr-ed-din accourut, se prosterna, et
après avoir baisé la terre devant le trône, alla
se placer debout à la fi le des visirs. Ce fut alors
que le sultan lui fi t signe de s’approcher; il lui
passa sa main sur la tête, et il attacha lui-même
à son turban une aigrette en or, d’un travail
exquis. Khaïr-ed-din pacha, conformément aux
intentions de sa Majesté impériale, s’occupa de
la construction des navires. En peu du temps, il
y en eut dans les arsenaux quatre-vingt-quatre;
bientôt le sultan lui ordonna de les équiper et
d’entrer en campagne. Le nouvel amiral se mit
_______________
1. Konieh, ville de Caramanie, dans le milieu des
terres.
2. Brousse, ville de l’Anatolie ; proche de la mer de
Marmara
— 311 —
en mer avec cette fl otte redoutable, et il alla
attaquer la forteresse d’Estila qui appartenait
aux Grecs. Ceux-ci n’avaient aucun moyen de
résister : ils abandonnèrent donc la forteresse
et s’enfuirent dans les montagnes, laissant les
Turcs prendre possession du château et de tout
ce qu’ils y avaient abandonné. Khaïr-ed-din, en
partant de cette île, s’enfonça dans un golfe peu
éloigné de là ; vers l’heure de midi, il fi t jeter
l’ancre, et il passa au mouillage tout le reste du
jour, ainsi que la nuit. Le lendemain, au matin,
il mit à la voile, et vint mouiller devant une forteresse qui était au fond du golfe, et qui appartenait aussi aux Grecs ; il l’assiégea par mer et par
terre. Les Turcs se rendirent d’abord les maîtres
de tous les environs, et les Grecs se virent contraints de se retirer dans la forteresse où ils se
défendirent avec courage et opiniâtreté. Durant
les divers assauts que l’on ordonna, beaucoup
d’entre les musulmans obtinrent la palme du
martyre et ils allèrent recevoir la récompense
que Dieu leur avait préparée dans son palais. La
résistance des Grecs ne fi t qu’enfl ammer le courage des vrais croyans. Vers l’asr, le Tout-Puissant leur facilita la conquête de ce château qui
avait coûté tant de sang ; ils y entrèrent de force
— 312 —
et le sabre à la main : le carnage fut affreux:
cette forteresse était défendue par sept mille
huit cents hommes; Khaïr-ed-din la fi t détruire
de fond en comble. Le jour suivant, de grand
matin, il donna le signal de partir, et il dirigea
sa route sur Gênes. Il opéra une descente dans
les environs de cette ville, et il s’y empara d’un
château, ainsi que de huit bâtimens qui étaient
mouillés sous son canon ; mais il fi t mettre le
feu à ces navires, et le château lui-même fut
incendié. Tous les chrétiens de la côte se retirèrent au sein des montagnes escarpées qui existent dans ces parages, et il ne fut pas possible
de les y poursuivre. Khaïr-ed-din alla porter
ensuite le ravage et l’incendie sur tout le littoral de l’Espagne. De là, il vint sur les côtes de
Naples, où il se rendit maître d’un fort considérable. Le nombre des esclaves chrétiens qu’il fi t
dans ces descentes et dans le cours de sa navigation, montait à onze mille individus des deux
sexes. Après avoir dévasté les côtes du royaume
de Naples, il voulut retourner à Alger: le vent le
poussa sur la Sardaigne, et là encore il fi t quelques descentes sur divers points où il mit tout à
feu et à sang.
— 313 —
XXVII
Khaïr-ed-din essaie d’entrer a Alger ; il va mouiller
à Bizerte ; soulèvement des habitans en sa faveur ; le
sultan de Tunis se retire avec les siens dans le Beledel-djerid ; il soulève les Arabes; Khaïr-ed-din marche
contre lui, emploi de la voile, pour faire marcher l’artillerie en plaine ; El-Hafsi demande des secours à Charles-Quint; départ de l’empereur pour l’expédition de la
Goulette.
En quittant la Sardaigne, Khaïr-ed-din fi t
voile pour Alger, mais le vent contraire l’empêcha d’y aborder ; il fut contraint d’aller dans
la rade de Bizerte qui est de la dépendance du
royaume de Tunis.
A la vue de la fl otte de Khaïr-ed-din, les
habitans abandonnèrent la ville et se retirèrent
— 314 —
dans la forteresse; le commandant même qui ne
se sentait pas le courage de résister à des forces
si considérables, faisait déjà des préparatifs pour
conduire sa famille à Tunis , et pour abandonner
son poste. Mais les habitans qui s’étaient enfermés dans la forteresse, s’opposèrent à sa fuite,
et ils s’écrièrent ; Que Dieu fasse prospérer les
armes du sultan Suleiman ! Le commandant de
la forteresse feignit d’adopter leurs sentimens,
et les assura que le lendemain matin les autorités iraient en corps porter les clefs de la forteresse à Khaïr-ed-din pacha. Mais, pendant la
nuit, il trouva moyen de s’échapper, et il arriva à
Tunis au soleil levant. Il se rendit sur-le-champ
auprès du sultan El-Hafsi(1) pour l’informe de
l’arrivée de Khaïr-ed-din, à Bizerte, et de la
résolution qui avait été prise de se soumettre :
au sultan Suleiman. Cette nouvelle lui causa les
plus vives inquiétudes, tandis que, au contraire,
_______________
1 La plupart des auteurs désignent avec raison ce roi
de Tunis par le nom de Muley-Hassen ou Hassan. D’après
la généalogie rapportée par Marlnol, il serait le trentième
roi de la famille d’ Abduledi, de la tribu de Mucamuda;
mais il parait, et le nom de El-Hafsi inscrit dans notre
chronique arabe, semble le confi rmer, qu’il descendait
des Hentètes ; les Hentétes forment une seconde branche
de la tige de mucamada que l’on nomme Aba-Hafsas.
— 315 —
les habitans du royaume que Khaïr-ed-din avait
de tout temps favorisés, désiraient ultérieurement sa venue ; et étaient bien décidés à seconder ses intentions. L’armée turque prit donc
possession de la ville et du château de Bizerte
aux acclamations générales des habitans. Le
sultan de Tunis instruit de cet événement, jugea
qu’il aurait bientôt sur les bras Khaïr-ed-din et
son armée ; il se rappelait combien étaient nombreux les sujets de haine qu’il lui avait donnés;
et, d’un autre côté, il savait qu’il ne fallait pas
compter sur les Tunisiens dont il s’était aliéné
le cœur par une multitude de vexations. L’état
des choses ne lui permettant pas d’attendre de
pied ferme un si redoutable ennemi, il ramassa
tous ses trésors, et prenant avec lui sa femme,
ses enfans et ses serviteurs les plus affi dés, il se
retira du côté du Beled-el-gérid(1) au milieu des
Arabes, en attendant qu’une révolution heureuse
fi t changer sa situation. Dès que les habitans de
Tunis apprirent la fuite du sultan, ils écrivirent
une lettre à Khaïr-ed-din, en l’invitant à venir
prendre possession de la ville qui lui serait
ouverte, malgré ceux qui pourraient encore
_______________
1.Beled-el-djerid (pays des dattes). C’est cette contrée
où confi ne la Barbarie dans le nord au milieu de laquelle le
Sahara.
— 316 —
secrètement tenir pour la famille des Hafsis.
Aussitôt la réception de ce message, Khaïr-eddin partit avec toute sa fl otte, et vint mouiller à la
Goulette. Les habitans , au nombre de dix mille,
ayant les ulémas et les cheiks à leur tête, allèrent
au devant de lui et l’accompagnèrent jusqu’au
palais, où il s’assit sur le trône des sultans pour
recevoir leur serment de fi délité.
Cependant il était resté dans la ville beaucoup de gens attachés au service du roi : ils
étaient perpétuellement en éveil, et lorsqu’ils
pouvaient rencontrer à l’écart des gens de l’armée de Khaïr-ed-din, ils les massacraient sans
pitié. Cette guerre clandestine avait déjà détruit
un grand nombre de Turcs; bientôt elle excita
l’audace des partisans du sultan au point qu’ils
se ralliaient ouvertement dans certains quartiers
pour concerter leurs entreprises. Les Turcs irrités s’armèrent à la fi n, et ils vinrent les attaquer.
Des combats très vifs s’engagèrent dans la plupart des rues, et les habitans effrayés se réfugièrent dans les mosquées ou dans les zaviés.
Khaïr-ed-din, au premier avis qu’il eut de
ce désordre, monta à cheval pour éteindre l’incendie, et son premier soin fut d’ordonner à ses
troupes de se retirer. Dans les divers combats
qui se livrèrent durant cette journée, il y eut
— 317 —
quatre-vingts Turcs tués, et plus de trois cents
d’entre les partisans des Hafsis perdirent la vie.
Le nombre de ceux-ci augmentait cependant chaque jour dans la ville, et ils ne cessaient
de presser le sultan de venir soutenir leur zèle
et leurs efforts. A la fi n, cédant à de telles instances, il s’approcha des environs de Tunis. Il
osa même entrer déguisé dans la ville, pour
examiner de plus près l’état des choses, et afi n
de s’assurer des moyens qu’il y aurait à prendre pour exterminer Khaïr-ed-din et son armée.
Cela fait, il envoya des émissaires de tous côtés,
pour engager les habitans à se réunir à lui. L’argent qu’il distribuait, les menaces qu’il faisait
de se venger cruellement de ceux qui refuseraient de coopérer à ses desseins, ces deux raisons surtout attirèrent auprès de lui un nombre
considérable de combattans. Tout cela se passait
la nuit même où il entra dans la ville. Le lendemain, à la pointe du jour, il se mit à la tête de
ses partisans et marcha sur la Cassauba, pour
tâcher de surprendre Khaïr-ed-din et ses troupes
qui y étaient renfermés ; mais comme ils avançaient, ils trouvèrent les Turcs déjà prévenus et
qui venaient au devant d’eux. Les partisans du
sultan soutinrent assez bien le premier choc,
mais ensuite ils commencèrent à reculer, et
— 318 —
bientôt on les vit aller à la débandade. Les Turcs
les poursuivirent dans toutes les rues et dans
tous les carrefours, si bien que la ville était jonchée de cadavres. A la fi n, les Hafsites(1), reconnaissant leur impuissance, jetèrent leurs armes
et demandèrent quartier. Khaïr-ed-din le leur
accorda et fi t cesser partout le carnage. Lorsque
le sultan El-Hafsi s’aperçut du mauvais succès
de son entreprise, il prit la fuite sans en attendre le dénouement, et se réfugia de nouveau
au milieu des Arabes. Durant le désordre, la
partie la plus saine de la population s’était retirée ans les maisons; et bien loin de se repentir
d’avoir remis entre les mains de Khaïr-ed-din
les rênes du gouvernement, les habitans qui
s’étaient tenus à l’écart faisaient des vœux sincères pour la prospérité de ses armes et pour
le règne des Ottomans. Ce peuple politique et
industrieux jugeait que ses liaisons avec le vaste
empire de la Turquie donneraient un accroissement considérable à son commerce, et que ce
nouvel état de choses deviendrait pour lui une
source intarissable de richesses.
Le sultan de Tunis n’avait plus de ressource
_______________
1 Le traducteur désigne sous ce nom tous ceux des
hahitans de Tunis qui étaient restés attachés à la race des
Hafsis.
— 319 —
que parmi les Arabes ; et ceux-ci, il est vrai,
étaient plus nombreux et plus puissans alors
dans le royaume de Tunis qu’ils ne le sont
aujourd’hui. Khaïr-ed-din tâcha de les attirer à
son parti en fl attant leur avidité et leur avarice. Il
écrivit aux principaux cheiks des Deridis et des
Nemachichis, en leur envoyant des bournous de
drap et des présens, que celui d’entre eux qui
pourrait saisir le sultan El-Hafsi et le lui amener,
recevrait une récompense de trente mille ducats,
tandis qu’au contraire celui qui protégerait son
évasion, outre qu’il encourrait son indignation,
aurait à subir sa vengeance. Les Arabes répondirent que les sultans de la famille de Beni-Hafsi
avaient coutume de leur donner annuellement et
depuis un temps immémorial des subsides convenus en espèces et en denrées, et que si Khaïred-din voulait se soumettre aux mémos usages,
ils passeraient à son service.
Khaïr-ed-din, satisfait de cette ouverture,
leur fi t dire qu’il consentait volontiers ü leur
payer les redevances établies en leur faveur, à
condition, toutefois, qu’ils ne feraient point de
tort à ses sujets, et qu’ils n’établiraient leurs
campemens que sur les bords du Sahara ou dans
les plaines éloignées des villes. En conséquence,
il les invita à leur apporter leurs registres, afi n
— 320 —
de prendre note de ce qu’il revenait à chacun
d’eux annuellement, et pour s’assurer de ce
qu’ils avaient reçu et de ce qu’on pouvait leur
devoir encore pour l’année courante; car les
Arabes ont grand soin de conserver les pièces
authentiques qui constatent leurs droits et leurs
privilèges, et de tenir un compte exact des paiemens faits ou à faire par le gouvernement, aux
époques fi xées par l’usage. Les cheiks arabes
commencèrent à donner la preuve de leur bonne
volonté en se retirant dans le Beled-el-gérid,
et ils envoyèrent leurs registres à Khaïr-ed-din
Le pacha fi t l’observation alors qu’ils n’avaient
plus rien à prétendre du gouvernement pour
l’année courante, et il les assura qu’au printemps prochain ils n’auraient qu’à se présenter
pour recevoir leur awaid(1). En outre, et afi n
de leur inspirer plus de confi ance, il envoya à
chacun des cheiks arabes qui avaient des droits
aux bienfaits du gouvernement, un teskeré(2 )
scellé de son cachet, et, spécifi ant la somme qui
lui était due, avec l’ordre du paiement. Cette
_______________
1.Awaid (arabe), avaid (turc), retours, revenus, droits
légitimes. Lors de la régence, les chrétiens avaient francisé
ce mot par celui d’avoides.
2 .Teskréré (turc), du mot zikr, qui veut dire mention ;
teskéré, billet, passeport.
— 321 —
générosité de sa part disposa favorablement
l’esprit des Arabes et les mit dans ses intérêts.
Lorsque Khaïr-ed-din eut vu que la tranquillité
commençait à s’établir solidement dans toute
l’étendue du royaume, grâce à la sagesse des
mesures qu’il avait prises : il donna ordre à son
lieutenant qui résidait à Alger de lui envoyer
trois cents joldachs et quatre cents cavaliers
pour renforcer l’armée et les garnisons. A leur
arrivée à Tunis, il fi xa leur solde et leur entretien, et il tira cette dépense des charges ainsi que
des contributions qu’avait coutume de payer le
peuple, sans augmenter néanmoins l’impôt.
Les tunisiens virent avec reconnaissance quels
étaient les moyens que Khaïr-ed-din prenait
pour assurer leur tranquillité : ils ne cessaient de
louer sa prudence, son humanité, son désintéressement, et ils se trouvaient heureux de vivre
sous ses lois. Khaïr-ed-din informa sa Hautesse,
le sultan Suleiman-Kan, de la position dans
laquelle il se trouvait et non seulement il lui
donna le détail de toutes les opérations qu’il avait
faites depuis son départ de Constantinople, mais
il accompagna ses dépêches d’un présent composé des objets les plus précieux que ses expériences maritimes lui avaient procurés, et il y
— 322 —
joignit quatre-vingts jeunes chrétiens de fi gure
agréable. Ce présent arriva à Constantinople à
une époque où le sultan était absent, ayant été
en personne faire la guerre aux Kisil-Bachs(1).
Cependant le sultan El-Hafsi ne s’endormait pas; il allait de hordes en hordes excitant
les Arabes à la révolte contre Khaïr-ed-din, en
leur faisant un étalage pompeux de tous les
biens dont il récompenserait leurs services s’ils
voulaient l’aider à remonter sur le trône. Il n’y a
rien de si léger et de si inconstant que le peuple
arabe : ennemi de toute domination, il est toujours prêt à écouter celui qui fl atte son amour
pour l’indépendance; n’ayant rien à perdre et
tout à gagner dans une révolution, il est toujours
prêt à s’armer en faveur du parti qui lui offre le
plus d’avantages. Le sultan El-Hafsi n’eut pas
de peine à persuader les cheiks arabes, et ils
commencèrent à se rassembler dans les plaines
du Kairwan. Khaïr-ed-din, en apprenant leurs
_______________
1. Ce sont les Persans qu’on désigne ainsi, Suleiman fi t son expédition contre eux en l’an 949 de l’hégire
(1542), et cependant il n’est point encore question de la
descente de Charles-Quint à Alger. (Note du traducteur.)
Le traducteur a raison, puisqu’il ne s’agit encore ici
que de la prise de Tunis par les Turcs, qui n’eut lieu que
le 22 août 1534.
— 323 —
mouvemens, se contenta de leur écrire ces mots :
« Que celui d’entre vous qui reconnaît l’empire
de notre souverain Seigneur et maître le sultan
Suleiman, quitte au plus tôt l’armée des rebelles et vienne se réunir sous mes drapeaux ; car
ceux qui ne profi teront pas de ce moment de
clémence, et qui s’obstineront dans leur révolte,
auront lieu de se repentir de leur témérité. » En
même temps Khaïr-ed-din assembla ses troupes
et fi t tous ses préparatifs pour aller dissiper cette
armée d’Arabes, dont le nombre augmentait
tous les jours. On prétend qu’il se servit dans
cette expédition d’une invention singulière, pour
faciliter le transport de son artillerie; il fi t faire
des affûts auxquels il adapta un mât et une voile
qui, poussée par le vent, tendait à les faire avancer sur terre, comme des bâtimens qui fendent
l’eau(1). Quoi qu’il en soit, ce furent les pièces
_______________
1 Ce fait, qui n’a rien d’improbable, et qui peint à
merveille le caractère du corsaire guerroyant sur terre,
parait d’autant plus curieux, qu’il prouve l’ancienneté
d’une invention que l’on cherche à exploiter en France
depuis quelques années, et qui ne s’est pas montrée sans
succès dans quelques circonstances.
Nous croyons qu’il ne faut pas voir dans la pensée
de Khaïr-ed-din un moyen de faire marcher son artillerie,
mais seulement d’aider à sa marche, et par conséquent
— 324 —
de campagne qu’il employa contre les Arabes
lorsque, sous les ordres du sultan de Tunis, ils
vinrent lui présenter le combat, qui les mirent
sur-le-champ en déroute. Ces machines infernales, que les hommes dont nous parlons ne connaissaient pas encore, fi rent une telle impression
sur leur, esprit, qu’ils écrivirent à Khaïr-ed-din
pour implorer sa miséricorde. Le pacha était trop
bon politique, on le pense bien, pour se refuser
un accommodement avec des gens qu’il est si
diffi cile de poursuivre. Il leur expédia donc des
lettres de grâce, et lorsqu’ils les eurent reçues,
les principaux cheiks se rendirent auprès de
lui pour lui jurer foi et hommage. Sa bonté, sa
bienfaisance et ses libéralités, leur donnèrent la
plus haute idée de son cœur, et ils parurent s’attacher sincèrement à lui. Khaïr-ed-din n’ayant
plus tien à faire, retourna a Tunis se reposer de
ses fatigues et jouir du bonheur qu’il procurait à
ses nouveaux sujets par un gouvernement doux
et juste.
Lorsque l’infi dèle sultan d’Espagne vit
Suleiman tout occupé, en Perse, du siège de Ti-
_______________
d’accélérer le mouvement sans donner trop de fatigue
aux hommes ou aux chevaux. Au surplus, un moyen
analogue est employé en Chine depuis longtemps pour
le transport des produits du sol.
— 325 —
bris(1), il crut que l’occasion était favorable pour
aller ravager les côtes de la Romélie; et pour
réaliser son plan, il fi t armer tous ses vaisseaux
en même temps qu’il rassembla vingt mille
hommes de débarquement. Ces préparatifs se
faisaient avec beaucoup d’éclat dans les ports
d’Espagne. Le sultan de Tunis en fut informé, et
il écrivit cette lettre au maudit de Dieu : « Barberousse, ce misérable reis turc, né pour le malheur de la Barbarie, vient de s’emparer de mes
états, et une des grandes raisons qui l’ont décidé
à me persécuter, c’est l’attachement sincère que
j’ai toujours eu pour toi; il est donc de ton honneur, et il y va de tes intérêts, ô grand roi ! de
venir à mon secours et de me rendre l’héritage
de mes pères. Les forces que tu rassembleras
sont plus que suffi santes pour me venger de
Barberousse, et me replacer sur un trône qu’il a
usurpé. J’ai encore à mon service soixante mille
hommes, avec lesquels j’irai l’assiéger par terre,
tandis que tu viendras l’assiéger du côté de la
mer. Lorsque le royaume de Tunis sera rentré
sous mon obéissance, je t’en ferai l’hommage,
et je me contenterai du titre de ton lieutenant. »
A la réception de cette lettre, le roi infi dèle
_______________
1 .Tauris.
— 326 —
convoqua toits les grands de sa cour pour les
consulter : leur avis fut qu’il devait s’empresser d’aller secourir le sultan de Tunis, et ils lui
dirent : « O grand roi ! rien n’est si vrai que ce
qu’avance cet infortuné sultan maure; Barberousse ne lui a fait la guerre et ne l’a dépouillé
de ses états, que par rapport à toi. Le royaume
de Tunis est l’héritage de ses pères et de ses
aïeux; il n’est pas juste qu’un étranger le lui
ravisse. C’est en pareille circonstance que les
rois doivent se secourir : la politique leur en
fait une loi; d’ailleurs cette affaire ne peut être
de longue durée. Avec les ressources qui restent à ce sultan détrôné, ses sujets reviendront
à lui, dès qu’ils verront qu’on embrasse sa
défense. Les Turcs ne sont pas propres à faire
aimer longtemps leur empire. Dès que nous
nous serons emparés du royaume de Tunis,
nous nous occuperons des grands projets que
tu médites. »
Ce discours décida le roi d’Espagne, et il
prit sur-le-champ la résolution d’employer les
forces qu’il avait rassemblées à chasser Khaïred-din de Tunis, et à replacer sur le trône son
légitime souverain, en attendant l’occasion de
le lui ravir pour son propre compte. Conformément au parti qu’il avait adopté, il écrivit au
— 327 —
sultan El-Hafsi qu’il allait se mettre en route
pour Tunis, et qu’il se tînt prêt à attaquer Khaïred-din dès que sa fl otte paraîtrait; il voulut luimême avoir la gloire de commander durant cette
expédition. En conséquence, il mit à la voile et
vint mouiller, peu de jours après son départ,
dans la rade de la Goulette, auprès du château
qu’on nomme Bordj-ul-oioun(1).
_______________
1 Bordj-ul-oioun veut dire en turc Château des
sources. C’est cette forteresse si connue sous le nom de
la Goulette, qui, placée à l’entrée de l’étang qui mène à
Tunis, forme la principale défense de cette place.
— 328 —
— 329 —
XXVIII
Débarquement des troupes de Charles-Quint ; les
chrétiens sont repoussés ; stratagème employé par les
chrétiens et par les Maures ; les retranchements de
l’armée chrétienne sont emportés ; nouveaux secours
venus d’Espagne ; avantage remporté par CharlesQuint; entrevue de l’empereur et du roi de Tunis ; conquête de la Goulette (1).
Le roi d’Espagne passa toute la journée sans
faire aucun mouvement, attendant toujours que
le sultan El-Hafsi vînt favoriser le débarquement
de ses troupes. A la fi n, ennuyé de ne le point
_______________
1 Voir, pour l’expédition de Charles-Quint contre
Tunis, les notes à la fi n.
— 330 —
voir paraître, et ne sachant que penser, de ce
retard, il donna ordre à son armée de mettre pied
à terre et de débarquer l’artillerie. La garnison du
château profi ta, le cet intervalle pour creuser de
larges fossés autour de la place, et pour aviser le
pacha de l’arrivée de la fl otte chrétienne. Khaïred-din, à la tête de douze mille hommes, vint
livrer bataille aux infi dèles, qui s’avancèrent fi èrement sur lui dès qu’ils l’aperçurent. Le combat
fut des plus vifs et des plus sanglans; mais à 1a
fi n les chrétiens furent forcés de céder le champ
de bataille, et ils reculèrent jusqu’au bord de la
mer, soirs la protection de leurs vaisseaux. Les
Turcs les y poursuivirent avec acharnement, et
sans les canons de la fl otte qui ne leur permirent pas de les serrer de plus près, leur triomphe
eût été complet. Ils allèrent camper vis-à-vis
de l’ennemi, se mettant ainsi à portée de suivre
tous ses mouvemens.
Afi n de s’emparer de Bordj-ul-oioun, les
infi dèles imaginèrent de fabriquer une tour de
bois assez élevée pour dominer les remparts; ils
l’approchèrent du fort, mais la garnison rendit
cette ruse inutile.
Non loin de Bordj-ul-oioun, il y avait un
autre petit château qui défendait la rade, et dont il
— 331 —
était très important pour l’ennemi de s’emparer.
Les musulmans le fortifi èrent par un fossé et ils
usèrent d’un stratagème qui réussit complètement. Sur les bords du fossé, ils établirent une
batterie masquée et composée de plusieurs pièces
chargées avec des chaînes et de la mitraille ;
cette batterie était encore soutenue par un grand
nombre de fusiliers qu’on ne pouvait apercevoir. Au moment que les chrétiens s’avancèrent
pour battre ce fort, on fi t sur eux une décharge
générale qui leur tua six mille hommes, sans
que nous comptions ici ceux qui eurent un bras
ou une jambe emportés. Les musulmans profi tèrent de ce désordre pour tomber sur les faibles
restes de cette armée, qui alla se rallier dans les
retranchemens. Les Turcs y pénétrèrent jusqu’à
trois fois, et ils y tuèrent le commandant en chef
de l’artillerie(1) ; peu s’en fallut qu’ils ne se rendissent maîtres du camp.
Le roi d’Espagne voyant qu’il ne pouvait
plus continuer ses opérations avec le peu de
troupes qui lui restait, fi t venir de son royaume
de nouveaux secours en hommes et en artillerie ;
_______________
1. Probablement le comte de Sarno, dont la tête et
la main droite furent coupées et envoyées à Khaïr-eddin. La perte des chrétiens est du reste fort exagérée
dans ce récit.
— 332 —
et lorsqu’il les eût reçus, il ordonna qu’on dressât devant Bordj-ul-oioun une batterie de cent
vingt canons, en outre d’une batterie fl ottante
de quatre-vingts canons(1), qui battait lu fort du
côté de la rade. Ce siège dura trente-deux jours,
jusqu’à ce que les canons du château étant hors
de service, les infi dèles purent s’approcher et
faire brèche. Alors la garnison n’ayant plus de
moyens de résister, abandonna le fort et se retira
à Tunis avec Khaïr-ed-din.
Lorsque le sultan de Tunis eut appris que le
roi infi dèle s’était emparé du château de la Goulette, il vint le trouver suivi d’une nombreuse
cavalerie, et, en l’abordant, il lui baisa la main
(on le prétend du moins), il la posa sur son front.
Le roi d’Espagne lui fi t un accueil très affectueux, et témoigna prendre à son sort le plus vif
intérêt.
Khaïr-ed-din, à son retour à Tunis, s’aperçut que l’échec qu’il avait reçu avait beaucoup
refroidi les habitans à son égard, et il sut même
qu’une grande portion d’entre eux penchait
déjà pour le parti des chrétiens. II fi t appeler les
cheiks et les principaux de la ville, sous prétexte
_______________
1. C’était la grande caraque de Malte; mais elle ne
portait que la moitié tout au plus du nombre de canons
indiqués ici.
— 333 —
de les consulter, et pour mieux juger de leurs
sentimens, il leur parla ainsi : « Mes frères, nous
avons été forcés de céder aux forces supérieures
des ennemis de notre sainte loi. et j’ai la douleur de voir que, tandis qu’il leur vient chaque
jour de nouveaux secours de leur pays, le zèle
des musulmans s’attiédit, leurs efforts, on le
voit, diminuent. Dans la circonstance critique
où nous nous trouvons, veuillez bien me faire
connaître si vous croyez à propos d’entrer en
accommodement avec les infi dèles, on si vous
voulez continuer la guerre. » Les habitans de
Tunis ne répondirent que d’une manière vague
à sa question ; car la divergence de leurs opinions était due à leur mésintelligence et à leur
faiblesse. Khaïr-ed-din se leva, et d’un air fi er,
il leur dit : « Tâchez du vous mettre d’accord,
pour moi je pars avec mes fi dèles Turcs, je vais
combattre et mourir pour la défense de l’islamisme et pour votre liberté. »
Ces paroles réveillèrent l’honneur endormi
dans leurs cœurs, et ils s’écrièrent : « Nous suivrons notre digne chef partout où il voudra nous
conduire.» Khaïr-ed-din aussitôt fi t arborer le
drapeau hors de la ville, et à son armée qui était
composée de six mille quatre cents Turcs, on
— 334 —
vit bientôt réunis neuf’ mille sept cents Tunisiens
avec lesquels il s’achemina vers la Goulette.
Chemin faisant, il lui arriva un secours qu’il avait
demandé à Alger, secours qui se composait de
quelques régimens turcs et d’un petit nombre de
cavaliers. Les chrétiens vinrent à sa rencontre,
et le combat s’engagea. Il s’était rassemblé aux
environs du champ de bataille plus de cent mille
Arabes, accourus de différens points de la contrée. Pendant longtemps ils restèrent tranquilles
spectateurs du combat ; néanmoins, dès qu’ils
eurent vu que la victoire semblait pencher du
côté des musulmans, ils vinrent se mêler parmi
les troupes de Khaïr-ed-din, sous le prétexte
apparent de l’appuyer de leurs efforts; mais peu
de temps après ils se mirent à la débandade, et
on les vit fuir avec l’intention d’entraîner toute
l’armée par leur exemple. Khaïr-ed-din se portait partout pour réparer ce désordre, qui donna
cependant le temps aux chrétiens de se rallier et
de faire venir un renfort de la fl otte. Le combat
recommença avec encore plus d’ardeur de part et
d’autre; mais, à la fi n, les infi dèles lurent oblige
de reculer jusque sur le rivage, où le canon de
leurs vaisseaux les mit à l’abri d’un massacre
général. Khaïr-ed-din, content de sa journée,
— 335 —
retourna à Tunis; il entra dans la Cassauba avec
les gens de sa maison, et il laissa ses troupes
campées hors de la ville.
La résistance qu’éprouvaient les infi dèles; commençait à les dégoûter du projet d’une
conquête qu’ils avaient jugée plus facile. Les
maladies s’étaient mises dans leur armée, et il y
avait beaucoup d’offi ciers qui opinaient pour le
retour. Khaïr-ed-din, informé par ses espions du
découragement qui se manifestait dans le camp
des chrétiens, se fl attait de revoir bientôt, la tranquillité rétablie, et son zèle couronné. Mais le, roi
d’Espagne, avant de mettre à la voile, voulut tiré
encore une nouvelle tentative, et ayant rassemblé
toutes ses forces, il s’avança vers Tunis. Khaïred-din ne l’attendit pas; il alla à sa rencontre,
et il était déjà à environ deux milles de la ville,
lorsque des cris tumultueux partant de Tunis vinrent frapper ses oreilles. Il prit avec lui quelques
cavaliers et retourna sur ses pas, pour s’instruire
de la cause de ce désordre. Alors il apprit que
les habitans s’étant persuadés qu’il avait pris
la fuite et que les ennemis venaient s’emparer
de la ville, l’avaient abandonnée avec précipitation, tant ils craignaient le pillage et la captivité. Il envoya à l’instant des émissaires de tous
— 336 —
côtés pour arrêter cette populace pusillanime
et pour dissiper la terreur panique qui s’était
emparée d’elle; mais, comme il s’approchait
lui-même de la ville, on vint lui dire que les
chrétiens en avaient déjà fermé plusieurs portes.
Khaïr-ed-din, pensant d’abord aux troupes
du roi d’Espagne, ne pouvait comprendre par
quelle route elles avaient pu sitôt pénétrer dans
Tunis. Et en effet, les chrétiens qui s’étaient
rendus maîtres de la ville n’étaient autre chose
que les esclaves qu’il y avait laissés, et qui se
trouvaient être au nombre de onze mille. Dès
l’instant où ils avaient vu la ville déserte, ils
avaient rompu leurs liens et étaient sortis de
leurs prisons; et tandis que la plus grande partie
s’était déjà établie dans la Cassauba, plusieurs
d’entre eux avaient jugé convenable de se détacher pour s’assurer des portes. Saisis de surprise
à la vue de Khaïr-ed-din, beaucoup de ces esclaves allèrent de nouveau reprendre leurs fers et
se cacher dans leurs prisons; mais les captifs qui
s’étaient réfugiés dans la Cassauba en fermèrent
les portes lorsque le bey se présenta. N’ayant
aucun moyen pour les forcer (car le nombre de
cavaliers qu’il avait autour de lui ne se montait
guère qu’à deux cents), il pensa à remédier au
— 337 —
mal le plus pressant, et courut lui-même après
les habitans de Tunis pour les faire rentrer dans
la ville; il les trouva qui se dirigeaient sans
réfl exion vers un camp que l’on avait en vue :
c’était celui du sultan El-Hafsi, qui attendait
l’arrivée des chrétiens pour s’approcher de
Tunis. Khaïr-ed-din atteignit enfi n les habitans, que sa vue et ses discours rassurèrent,
et qui reprirent heureusement le chemin de la
ville avant que le sultan El-Hafsi eût pensé à
les attaquer.
Pendant que tout cela se passait, quelques
traîtres étaient allés trouver le roi d’Espagne,
pour l’informer que Khaïr-ed-din avait pris la
fuite, et que les Tunisiens avaient eux-mêmes
abandonné leur ville. Il ne savait encore ce qu’il
devait penser de cet avis, lorsqu’une troupe
d’esclaves chrétiens de Tunis vinrent le lui
confi rmer. Alors il donna ordre à son armée de
doubler le pas; il trouva en chemin les Arabes
qui accouraient. au devant de lui pour le féliciter de son triomphe. En voyant s’approcher ces
hordes qui couraient la campagne, il s’imagina
que c’était un parti ennemi qui s’avançait pour
le combattre, et il ordonna à ses soldats de faire
feu sur eux et avant que le roi d’Espagne pût être
— 338 —
instruit qu’il exterminait ainsi ses partisans,
le massacre fut horrible. C’est ainsi que Dieu
permit que Khaïr-ed-din fût vengé de la perfi die
de ces mêmes arabes qui, peu de jours auparavant, avaient tenté de porter la déroute dans son
armée.
Le roi d’Espagne, en se présentant à Tunis,
trouva les portes ouvertes, et il alla s’établir
dans 1a Cassauba(1). Les Tunisiens se soumirent sans résistance, et lui jurèrent foi et hommage. Alors Khaïr-ed-din, cédant aux décrets
du destin, s’achemina avec toutes ses troupes
vers Annaba(2), où il arriva le cinquième jour. Il
y trouva quinze de ses vaisseaux qu’il y avait
envoyés par prévoyance. Le roi d’Espagne,
sur l’avis qu’il en eut, expédia trente des siens
pour s’en emparer; mais Khaïr-ed-din avait eu
le temps d’établir sur la côte des batteries qui
forcérent les chrétiens à renoncer à leur projet.
Ils revinrent à Tunis, annoncer au roi le mauvais succès de leur entreprise. Celui-ci voulut
d’abord expédier à Annaba toute sa fl otte ; mais
ensuite, faisant réfl exion aux ressources que
possédait encore Khaïr-ed-din, il abandonna ce
_______________
1. Le 21 Juillet 1535.
2. Bône.
— 339 —
projet, et garda auprès de lui les forces qui lui
étaient nécessaires pour consolider sa nouvelle
conquête.
FIN DU PREMIER VOLUME.
— 340 —
— 341 —
TABLE
DES MATIÈRES DU PREMIER VOLUME.
Pages.
Avant-Propos…......................................................................................1
I. Naissance d’Ishaac, d’Aroudj et de Khaïr-ed-din ; captivité d’Aroudj
dans l’île de Rhodes ; propositions faites pour son rachat ; sa
fuite..............................................................................................1
II. Un bâtiment est confi é à Aroudj, il se rend en Egypte ; ses premiers
succès; accroissement de fortune ; retour dans sa famille; course
sur les côtes d’Italie ; prise importante; Aroudj va chercher de
nouveau fortune en Egypte........................................................13
III. Aroudj, protégé par le sultan Gouri, se remet de nouveau en course;
premier voyage à Tunis; Aroudj jette l’épouvante sur les côtes
d’Espagne; Khaïr-ed?din rejoint son frère ; riches captures; pré
sens faits au roi de Tunis............................................................21
IV. Aroudj et Khaïr-ed-din,à la tête d’une escadre, vont au secours de
Bégiajé (Bougie), tombée au pouvoir des chrétiens ; Aroudj est
blessé au bras, l’amputation est jugée nécessaire; Khaï-ed-din
prend le commandement, il croise le long des côtes d’Espagne
pour recueillir les Morisques chassés à cette époque de Grenade ;
— 342 —
Pages
échauffourée de l’île de Minorque ; nouvelles prises, armement
des chrétiens...............................................................................33
V. Aroudj et Khaïr-ed-din , réunis de nouveau, sortent de la Goulette ;
siège de Gisel ; présens envoyés au grand-seigneur ; siège de
Bégiajé ; le sultan de Tunis refuse son aide aux deux frères; les
Génois envoient au secours de Begiajé; Aroudj et Khaïr-ed-din
incendient volontairement leurs navires ; Aroudj se rend à Gigel,
Khaïr-ed-din retourne à Tunis; événemens qui suivent cette sépa
ration..........................................................................................49
VI. Les habitans d’Alger prient Aroudj de venir à leur secours ; il se rend
à cette invitation ; Khaïr-ed-din envoie ses soldats, turcs à son
aide, puis il part pour Tunis ; arrivée d’Ishaac, dans ce pays ;
Khaïr-ed-din le garde auprès de lui; armement formidable ; fl otte
chrétienne à Bizerte; Aroudj et Khaïr-ed-din se réunissent de nou-
veau ; Kh aïr-ed-din se rend à Tunis, où il fréquente le corps des
Ulemas ; expédition des chrétiens contre Alger ; Aroudj défend
la ville........................................................................................59
VII. Colère du roi d’Espagne, en apprenant la nouvelle du désastre de
l’expédition; Khaïr-ed-din promet des secours à Alger. Sur l’avis
d’Aroudj, il se rend d’abord à Gigel , pour déposséder un cheik,
et il se contente de le rendre tributaire ; Aroudj et Khair-ed-din se
réunissent à Alger; digression rétrospective tirée d’Haédo, et
complétant la chronique; Mort de Sélim Eutemi ; révolte des
habitans d’Alger; Exécutions sanglantes; Constitution défi nitive
du pouvoir entre les mains d’Aroudj..........................................69
VIII. Le neveu du sultan de Telmessen (Telemcen) vient cher-
cher, du secours contre son oncle chez les chrétiens; expédition
dirigée sur Ténès; Khaïr-ed-din va combattre; fuite du prétendant;
partage du territoire d’Alger entre les deux frères; Aroudj
s’avance à la tête d’une armée dans le pays.de Telmessen; soulè
vement général; le sultan va demander des secours aux Espagnols ;
siège de Beni-Rachid ; mort d’Ishaac ; mort d’ Aroudj............ 91
— 343 —
Pages
IX. Khaïr-ed-din rassemble des forces nouvelles et parcourt la pro-
vince; le sultan de Telmessen vient mettre le siège devant
Alger; une escadre chrétienne le seconde; propositions faites à
Khaïr-ed-din pour qu’il abandonne Alger, sortie contre les chré-
tiens, l’avantage reste aux musulmans ; tempête qui disperse la
fl otte ; sort des esclaves ; Khaïr-ed-din est surnommé Barbe
rousse.......................................................................................105
X. Le nombre des captifs inspire de la crainte aux Turcs ; révolte et mas
sacre ; complot des esclaves; songe prophétique de Khaïr-ed-din;
un jeune captif dévoile ce qui se passe parmi les chrétiens; exécu
tion du général espagnol et de ses compagnons ; propositions
faites par l’Espagne pour le rachat du corps ; refus de Khaïr-ed-
din ; le cadavre est jeté à la mer…...........................................115
XI. Khaïr-ed-din veut quitter Alger et se rendre à Constantinople ; les
principaux habitans le supplient de rester parmi eux ; il y con
sent Hadj-Hussein est choisi pour se rendre auprès du Grand-
Seigneur; succès de l’ambassade ; Alger est mis .sous la protec
tion immédiate de la Porte; passeport fourni par le bailli de
Venise;en dépit de ce sauf-conduit, Hadj-Hussein est attaqué par
les navires gênois ; réparation ; Hussein retourne à Alger ; Khaïr-
ed-din reçoit le titre de Bey......................................................127
XII. Jalousie du sultan de Tunis ; ses tentatives d’union avec le sultan
de Telmessen ; il cherche à séduire les lieutenants de Khaïr-
ed-din, Mohammed-ben-ali, et Hamed-ben-el-cadi ; soulèvement
des hordes arabes ; Khaïr-ed-din marche contre elles ; le sultan
de Telmessen rappelle ses deux frères réfugiés chez le sultan de
Fas ; l’un d’eux, Messaoud, réclame l’appui de Khaïr-ed-din ;
il monte sur le trône ; son ingratitude ; tentatives de l’ancien
sultan pour être réintégré dans ses états ; des secours lui sont
accordés ; prise de Mostaganem ; les Morisques de Grenade cher
chent un refuge à Alger............................................................139
XIII. Siège de Beni-Rachid ; Siège de Messaoud, siège de Telmessen;
stratagème des Turcs; son succès ; Muley-abd-allah est rétabli sur
le trône de Telmessen et il devient tributaire d’Alger; nouvelles
négociations du sultan de Tunis ; il réussit auprès d’Ahmed-ben-
el-cadi; invitation du sultan de Tunis; trahison d’Ahmed-ben-el-
— 344 —
Pages
cadi; massacre des Turcs dans les défi lés de Felissa; Ahmed-ben-
el-cadi vient mettre le siège devant Alger; accommodement entre
lui et Khaïr-ed-din ; second expédition dirigée par Hussein, frère
d’Ahmed ; les Algériens restent vainqueurs............................153
XIV. Suite de l’histoire de Messaoud; le sultan dépossédé vient assié
ger Telmessen; corps de Turcs dirigé sur cette ville; Messaoud,
trahi par un cheik arabe dont il était devenu l’hôte, est livré à
Muley-abd-allah.......................................................................165
XV. Expédition dirigée par Khaïr-ed-din sur la province de l’Est ;
elle est confi ée à Car-Hassan; trahison de ce dernier ;Ahmed-
ben-el-cadi entretient secrètement des intelligences dans Alger;
complot contre Khaïr-ed-din; il est averti et fait faire des proposi
tions de paix par l’intermédiaire des ulémas ; révolte générale;
massacre des habitans ; proposition que font les Turcs d’anéantir
la population ; refus de Khaïr-ed-din.......................................169
XVI. Khaïr-ed-din prolonge son séjour à Alger; sévérité de son adminis
tration ; décadence momentanée; départ du bey pour Gigel; il
promet de revenir au bout de trois ans; course en mer ; capture de
navires chargés de blé ; reconnaissance des habitans de Gigel;
croisière dirigée contre les habitans de Tunis ; ils envoient deman
der la paix ; leurs prisonniers leur sont rendus.........................185
XVII. Grande expédition sortie de Girbé ; retour à gigel; Khaïr-ed-din
passe l’hiver dans cette ville ; songe, apparition du prophète; dif
férends avec les habitans d’Alger; Ahmed-ben-el-cadi envoie à
Khaïr-ed-din des présens qui sont refusés; son envoyé est mutilé
par les troupes, expédition contre Bégiajé ; elle avorte ; on se
dirige sur Alger; défaite d’Ahmed-ben-el-cadi dans les monta
gnes; soumission des cheiks; évasion d’Ahmed-ben-el-cadi ; nou
velle armée formée par lui dans Alger; il meurt assassiné par les
siens; triomphe, de Khaïr-ed-din..............................................195
XVIII. Khaïr-ed-din marche contre Car-Hassan ; son entrée à Alger ;
exécution de Car-Hassan; rébellion du sultan de Telmessen ;
Khaïr-ed-din exige de lui l’ancien tribut ; Muley-abd-allah
repousse ces prétentions et se dispose à faire la guerre ; son propre
fi ls vient chercher un asile auprès de Khaïr-ed-din; défaite
— 345 —
Pages
du sultan; sa soumission; expédition de Khaïr-ed-din dans l’est;
elle dure deux ans ; soumission du chef révolté ; retour à
Alger.........................................................................................209
XIX. Khaïr-ed-din prend la résolution d’attaquer le fort des chrétiens;
digression relative à l’époque de sa construction; les Turcs
s’en emparent; on le démolit; construction de la chaussée; expé
dition envoyée au secours du fort; sa défaite; Khaïr-ed-din expé
die une fl otte pour aller croiser sur les côtes d’Espagne ; nou
veaux avantages remportés sur les chrétiens............................221
XX. Khaïr-ed-din envoie une nouvelle ambassade à Constantinople :
manière favorable dont elle est reçue; le Grand-Seigneur un
khatti-chérif à Khaïr-ed-din.....................................................235
XXI. Effet que produit en Espagne la nouvelle de la destruction du fort,
et celle des dernières défaites; alliance du roi d’Espagne avec le
roi de France contre le bey ; expédition d’André Doria ; expédi
tion de Charchel, où les chrétiens sont défaits ; expédition sur les
côtes de la Provence ; prisonniers musulmans qui recouvrent la
liberté.......................................................................................239
XXII. Mustapha-Chiaoux est envoyé auprès du Grand-Seigneur ; dif
férend entre Sinan reis et le bey ; Muley-Hassan, fi ls de Khaïr-
ed-din sauve Sinan reis d’un grand péril, après la perte de ses
navires ; Khaïr-ed-din donne en présent deux navires à Sinan et
à son compagnon; prise d’un galion venant du Nouveau-Mon
de.............................................................................................255
XXIII. Digression sur les événemens passés ; impression que fait en
Espagne le récit da captifs qui ont survécu à la prise du fort ;
expédition du sultan sur les côtes de la Romélie ; message de ce
prince à Khaïr-ed-din ; le roi de Hongrie demande du secours au
roi d’Espagne ; soulèvement du sultan de Telmessen ; il est battu
par Khaïr-ed-din, qui lui accorde encore une fois la paix........265
XXIV. Retour du bey à Alger; croisière sur les côtes d’Espagne ; le roi
fait armer quinze vaisseaux gardes-côtes; les Algériens s’en empa
rent ; expédition dirigée sur les côtes de l’Andalousie, pour
recueillir les Morisques du royaume de Grenade ; soixante-dix
mille fugitifs s’embarquent pour l’Afrique..............................277
— 346 —
Pages
XXV. Khaïr-ed-din est sur le point de se rendre à Constantinople ; con
vocation du divan ; André Doria essaie, par un stratagème, de
retenir le bey dans Alger; précaution prise contre une invasion
annoncée ; capture d’un bâtiment qui renferme des gens de dis
tinction; leur rançon est offerte et refusée ; crainte d’un sou
lèvement des esclaves chrétiens ; songe de Khaïr-ed-din; ruse
qu’il emploie pour s’assurer des véritables sentiments des cap
tifs............................................................................................285
XXVI. Départ de Khaïr-ed-din pour Constantinople ; arrivée à Prevesa;
André Doria s’éloigne de ces parages; entrée dans la rade de
Navarin ; Khaïr-ed-din écrit à Suleiman, qui l’invite à se rendre
auprès de lui; accueil qui lui est fait à Constantinople; voyage à
Alep; accueil du grand-visir; Khaïr-ed-din e st crée pacha à trois
queues; retour à Constantinople ; Khaïr-ed-din s’empare de quel
ques forteresses en Grèce, puis il ravage les côtes d’Espagne et
celles du royaume de Naples ; descente en Sardaigne.............303
XXVII. Khaïr-ed-din essaie d’entrer a Alger ; il va mouiller à Bizerte;
soulèvement des habitans en sa faveur ; le sultan de Tunis se retire
avec les siens dans le Beled-el-djerid ; il soulève les Arabes;
Khaïr-ed-din marche contre lui, emploi de la voile, pour faire
marcher l’artillerie en plaine ; El-Hafsi demande des secours à
Charles-Quint; départ de l’empereur pour l’expédition sous les murs de la ville. Le sultan, se voyant
dans l’impossibilité de soutenir un siége, députa
au bey les principaux habitans, ainsi que les
grands de la cour, pour traiter de la paix avec lui,
moyennant une somme de trente mille ducats.
Mais Khaïr-ed-din fut sourd à leurs instances,
et il leur dit : « Cet homme n’a ni foi ni loi : on
ne peut se fi er ni à ses promesses, ni à ses sermens Tantôt cédant à ses caprices, d’autrefois se
laissant gagner par les chrétiens, je le vois sans
cesse prendre les armes contre moi : je ne me
prêterai plus à aucun accommodement. »
Les députés retournèrent auprès du sultan
avec cette réponse inquiétante. Mais Muleyabd-allah avait déjà éprouvé plus d’une fois la
générosité de Khaïr-ed-din, et il ne désespéra
pas de le fl échir. Il vint le trouver lui-même dans
son camp, et à force d’instances et de promesses, il obtint sa grâce. Le bey retourna triomphant à Alger.
Le roi d’Espagne reçut l’avis du mauvais
succès de ses intrigues dans la Barbarie, à l’époque où il s’occupait de l’expédition d’une fl otte
nombreuse pour le Levant, fl otte qui devait être
commandée par André Doria le maudit. Pour lui
ce fait un vrai coup de foudre, toutefois, après
— 275 —
que la fl otte eut mis à la voile, il se décida à
aller lui-même au secours du roi de Hongrie
qui ne cessait de lui représenter la détresse dans
laquelle il se trouvait. Comme il était en marche
pour se rendre auprès de ce prince, il apprit
que le sultan Suleiman-Khan avait emporté la
citadelle d’Ankerous qu’il allait défendre; et il
revint sur ses pas, ayant la douleur de voir que
tous ses efforts contre l’islamisme ne lui rapportaient que honte et confusion.
— 276 —
— 277 —
XXIV
Retour du bey à Alger; croisière sur les côtes d’Espagne ; le roi fait armer quinze vaisseaux gardes-côtes;
les Algériens s’en emparent ; expédition dirigée sur les
côtes de l’Andalousie, pour recueillir les Morisques du
royaume de Grenade ; soixante-dix mille fugitifs s’embarquent pour l’Afrique.
Khaïr-ed-din, à son retour d’Alger envoya
tous ses vaisseaux sur les côtes d’Espagne; les
corsaires, après avoir fait diverses prises, allèrent mouiller dans une des rades de ce royaume,
d’où ils étaient à portée de découvrir les vaisseaux qui passaient dans le détroit. Les habitans
— 278 —
des côtes se rendirent en foule auprès de leur
roi, et lui dirent : « Seigneur, tandis que tu t’occupes de tes plaisirs, Barberousse et ses Turcs,
détruisent notre navigation, ils viennent même
enlever nos femmes et nos enfans bien avant
dans les terres; si tu n’as pas quelques moyens
pour nous défendre, permets-nous au moins de
nous mettre sous leur protection. »Le maudit de
Dieu les consola du mieux qu’il lui fut possible
et les assura qu’il allait prendre des mesures
pour que leur tranquillité ne fût pas troublée ;
en conséquence, il fi t armer quinze navires pour
garder les côtes ; à ceux auxquels il en confi a le
commandement, il leur fi t jurer, non seulement
d’attaquer les corsaires d’Alger, partout où ils
les rencontreraient, mais de les combattre jusqu’à la mort. Par la permission de Dieu, sans
doute, il arriva que le vent conduisit ces vaisseaux gardes-côtes sur la rade où l’escadre de
Khaïr-ed-din était à l’ancre. Elle les aperçut à
la pointe du jour, et les chefs comprirent qu’ils
étaient assez forts pour en venir à bout. Toutefois, pour qu’aucun de ces vaisseaux ne pût
leur échapper, en se réfugiant sous le canon de
quelques châteaux voisins, le commandant de
l’escadre musulmane fi t des signaux pour qu’on
— 279 —
eût à cingler en haute mer en feignant de prendre la fuite, Ceux qui commandaient les vaisseaux espagnols se laissèrent aisément tromper
par cette manœuvre. Ils s’imaginèrent que les
Algériens avaient peur d’eux, et ils se mirent à
leur poursuite; mais dès que les corsaires musulmans les virent au large, ils virèrent de bord
les entourèrent, et, après un léger combat, Dieu
aidant, ils s’en rendirent les maîtres. Puis lorsque cette prise excellente fut assurée, ils retournèrent à Alger(1).
Le roi d’Espagne convoqua tous les prêtres
et tous les moines du royaume, et il leur dit : «Il
y a encore dans divers cantons de l’Andalousie,
soumise à mon empire, des Maures qui professent ouvertement leur religion ; les principes de
notre loi permettent-ils, ou non, de leur laisser
le libre exercice de l’islamisme ? Dans le cas où
nos livres sacrés prohiberaient cette tolérance,
veuillez bien me prescrire ce que j’ai à faire. »
Tous les prêtres et tous les moines se prononcèrent unanimement ; ils dirent que la religion
chrétienne ne pouvait souffrir un pareil scandale, et un vieil évêque, prenant la parole au
nom de l’assemblée, s’exprima de cette façon:
_______________
1. 1533
— 280 —
« Seigneur, le Messie est irrité contre nous; car
nous souffrons sur nos terres des gens qui professent l’unité de Dieu et qui suivent la loi du
Coran ; il est à craindre que nos femmes et nos
enfans, séduits par leurs exemples et convaincus par leurs argumens, ne viennent à déserter
notre religion et à embrasser leur croyance ; tu
sais que ces Maures sont nos ennemis secrets, et
qu’ils ne soupirent qu’après l’occasion où il leur
sera possible de se venger sur nous de toutes
les injustices que nous avons commises à leur
égard. D’ailleurs, deux cultes et deux lois ne
peuvent exister dans un même lieu, et les affaires de ce royaume ne commenceront à prospérer
que lorsque tu auras aboli l’islamisme sur toutes
les terres soumises à ton pouvoir. » En conséquence de cette remontrance, le roi ordonna
qu’on obligerait tous les musulmans qui étaient
en Espagne ; à envoyer leurs enfans à l’église,
pour être instruits des principes de l’évangile,
et pour être élevés comme des chrétiens; il fi t
même publier que tous ceux que l’on surprendrait lisant le Coran et accomplissant certains
actes de la religion mahométane, seraient condamnés au feu. Les Maures, justement indignés
d’une pareille barbarie, et animés d’un saint
— 281 —
zèle pour leur religion, se réunirent, s’armèrent, et prenant avec eux leurs femmes et leurs
enfans, allèrent se retrancher sur une montagne
de l’Andalousie nommée Pardona. Les chrétiens
vinrent les y assiéger, et après de longs combats,
les Maures Andaloux furent forcés par la faim
de retourner au sein des villes et des bourgades, qu’ils avaient abandonnés. Dans la cruelle
position où ils étaient tombés, ils s’adressèrent
à Khaïr-ed-din, et, lui représentant tout ce qu’ils
avaient à souffrir de la part des infi dèles, ils le
supplièrent au nom de l’envoyé de Dieu, le premier et le dernier des prophètes, sur qui soit
le salut de paix, de venir les délivrer du joug
affreux sous lequel on les voyait gémir. La peinture de leurs infortunes était faite pour toucher
les âmes les plus dures. Khaïr-ed-din assembla
tous les habitans d’Alger et leur fi t lecture de
la lettre qu’il venait de recevoir. Sur-le-champ
il fut décidé qu’on armerait trente-six vaisseaux
avec des troupes de débarquement, et qu’on irait
arracher les Maures d’Espagne à la persécution
de leur tyrans.
Lorsque les Maures Andaloux virent approcher de la côte la fl otte algérienne qui venait à
leur secours, ils gagnèrent cette même montagne
— 282 —
de Pardona qu’ils avaient été forcé d’abandonner précédemment; les chrétiens les poursuivirent; mais, tandis qu’ils gravissaient la
montagne, les Algériens qui avaient mis pied
à terre arrivèrent à temps pour mettre ceux-ci
entra deux feux. La victoire se déclara pour
les musulmans : les infi dèles prirent la fuite,
les Turcs les poursuivirent l’épée dans les reins
jusque sous les murailles de la forteresse, et ils
revinrent ensuite triomphans rejoindre les Andaloux. Ceux-ci, grâce à la protection des Algériens, allèrent dans la ville et les villages où
ils étaient jadis établis, enlever leurs femmes et
leurs enfans, ainsi que leurs meubles et tous les
effets qu’il leur était possible d’emporter, et ils
s’acheminèrent vers le rivage pour s’embarquer
sur la fl otte. Mais, comme il y avait impossibilité que les vaisseaux pussent transporter tout à
la fois un si grand nombre de familles maures,
on convint que celles qui resteraient, iraient se
retrancher sur la montagne de Pardona, et qu’on
laisserait auprès d’elles un corps de mille guerriers qui veilleraient à leur sûreté jusqu’à ce
que la fl otte musulmane pût revenir les prendre. Cette fl otte fut obligée de faire sept voyages
consécutifs, et elle transporta à Alger soixantedix mille âmes. Depuis ce temps-là jusqu’à
— 283 —
nos jours, les corsaires algériens se font une loi
de s’approcher des côtes de l’Andalousie pour y
recueillir les familles maures qui auraient pu y
rester.
— 284 —
— 285 —
XXV
Khaïr-ed-din est sur le point de se rendre à Constantinople ; convocation du divan ; André Doria essaie,
par un stratagème, de retenir le bey dans Alger; précaution prise contre une invasion annoncée ; capture
d’un bâtiment qui renferme des gens de distinction;
leur rançon est offerte et refusée ; crainte d’un soulèvement des esclaves chrétiens ; songe de Khaïr-eddin; ruse qu’il emploie pour s’assurer des véritables
sentiments des captifs.
Khaïr-ed-din n’attendait que la fi n de cette
bonne pour se rendre à Constantinople où il avait
été appelé par le sultan Suleiman Khan d’heureuse mémoire. Ce grand empereur avait conquis Ankerous, comme nous l’avons; déjà dit.
Le roi de Hongrie, en fuyant devant lui, s’était
— 286 —
noyé dans un étang nommé l’Étang d’Argent.
Mais le cadavre de ce prince avait été tiré de
là, et, par les ordres du sultan, on l’avait transporté à Bellegrade, où il avait été enterré dans
le tombeau de ses pères. Maître du royaume
de Hongrie, qu’il avait réuni à ses vastes états,
et voyant qu’il ne lui restait plus dans son voisinage d’ennemis à combattre, cet invincible
sultan des Ottomans s’était proposé d’aller en
personne faire la conquête de l’Espagne. Pour
arriver à l’exécution de ce projet, il lui fallait
un homme qui connut les côtes de ce royaume
et les lieux les plus propres à y débarquer une
grande armée. Il jeta les yeux sur Khaïr-ed-din
dont la réputation, était alors si justement célèbre dans l’univers, par sa sagesse dans le commandement, par son habileté dans l’art de la
navigation, par son intrépidité dans les combats
et enfi n par la conquête d’un vaste pays de la
Barbarie, où il faisait respecter le nom des Ottomans que l’on y connaissait à peine avant lui :
il lui recommandait d`établir à Alger un 1ieutenant qui devait commander en son nom, et il lui
proposait de lui en envoyer, un lui-même ; s’il
ne trouvait personne sur les lieux qui fût digne
de sa confi ance. Sinan-Chiaoux, un des esclaves
de la Sublime Porte, avait été chargé de porter
— 287 —
cette dépêche. En arrivant à Alger, cet envoyé
du sultan fut conduit avec pompe à l’hôtel du
gouvernement, où il remit au bey le fi rman de
sa Majesté impériale. Khaïr-ed-din le prit avec
respect, le baisa, le mit sur sa tête, puis il le lut
avec attention. Ensuite, il convoqua un divan
général, où les gens de loi, les cheiks, les imans,
les desservans des mosquées, et des zaviés, les
habitans les plus considérables de la ville, et
enfi n les principaux offi ciers de la milice furent
invités à se rendre. Après leur avoir fait lecture
de l’ordre qu’on venait de lui transmettre de la
part de sa Majesté impériale, il fi t entendre à
cette assemblée qu’il n’était point en son pouvoir de différer plus longtemps son départ; qu’il
avait déjà tout disposé pour .son voyage. Il termina en disant qu’il avait choisi pour son lieutenant un homme qui était digne d’être à leur tête.
« Je n’ai pas manqué ajouta-t-il, de lui recommander de vous regarder comme ses enfans, et
de se diriger en toute chose par les conseils de
l’équité et de la justice; j’espère que, de votre
côté, vous mériterez, par votre attachement pour
sa personne, et votre amour pour le bon ordre,
les égards et les bontés qu’il est disposé à avoir
pour vous. »
— 288 —
Lorsque André Doria eut appris ce projet
de la conquête de l’Espagne, dont s’occupait le
sultan Suleiman, et l’intention où il était de se
servir du bey d’Alger pour l’exécution de son
plan, il pensa que ce serait gagner beaucoup
que d’empêcher le départ de Khaïr-ed-din. Voici
donc la ruse qu’il mit en oeuvre pour arriver à
ses fi ns : il expédia un navire à Alger, chargé
de diverses marchandises pour la valeur de six
à sept mille ducats, et, il le fi t suivre d’un autre
bâtiment portant soixante-dix esclaves musulmans dont il proposait le rachat. Le subrécargue
qui fut choisi pour cette expédition mercantile,
avait ordre de dire, lorsqu’on lui demanderait
des nouvelles de la chrétienté, que le roi d’Espagne faisait de grands préparatifs de guerre,
et que l’on assurait que ces préparatifs étaient
dirigés contre Alger où il voulait se rendre luimême. A l’arrivée de ce navire, Khaïr-ed-din
acheta les objets composant la cargaison, et il
paya la rançon des esclaves musulmans au prix
fi xé par l’usage. En conséquence de la leçon
qui lui avait été faite par André Doria, le subrécargue, de son côté, ne manqua pas de débiter
confi dentiellement les projets imaginaires qu’on
prêtait an roi d’Espagne contre Alger. Khaïr-eddin en fut sur-le-champ avisé, et quoiqu’il se
— 289 —
doutât bien que cette nouvelle avait été faite à
plaisir, il n’en ordonna pas moins de travailler à
la réparation des tours et des châteaux, et il fi t
même placer quelques batteries nouvelles dans
les endroits qui lui paraissaient les plus faibles.
Après avoir terminé ses affaires et pris
une cargaison de retour, le navire marchand fi t
voile pour Gênes, où se trouvait André Doria.
Le subrécargue lui raconta les diligences qu’il
avait vues faire à Khaïr-ed-din pour mettre la
ville d’Alger en état de défense. André Doria
s’applaudit de l’idée qu’il avait eue, et malgré
la haine qui l’animât contre le bey d’Alger, il
ne put s’empêcher de rendre justice aux talens
et au génie de l’ennemi implacable de la chrétienté.
En ce temps-là quelques corsaires algériens
qui parcouraient les mers, prirent quatre navires
appartenant aux infi dèles. Ces navires transportaient en Espagne un grand nombre de passagers, parmi lesquels se trouvaient vingt offi ciers
de marque, et cent quarante de ces individus que
les chrétiens nomment gens de condition, tous
êtres efféminés et nourris dans la mollesse, qui
portent des gants et des mouchoirs au cou de
peur que l’air et le soleil ne ternissent la blancheur de leur peau. Parmi ces derniers, il y en
— 290 —
avait un qui était fi ls(1) d’un des baillis de Rhodes.
Les chrétiens furent vivement affl igés de leur
perte; et pendant plus de huit jours consécutifs
ils dirent des prières publiques dans leur église
pour demander au Messie la délivrance de ces
captifs. Immédiatement après, ils envoyèrent
des agens à Alger afi n de traiter de leur rançon :
ils offrirent pour le rachat du fi ls du Lailli, son
poids en argent monnayé; mais Khaïr-ed-din,
n’écoutant que son zèle pour les intérêts de l’islamisme, rejeta toutes les offres qu’on lui adressait, et voici même comme il s’exprima devant
ceux qui avaient été expédiés pour terminer cette
négociation : « Ces chiens-là gardent rancune et
ne respirent que la vengeance; ils ne seraient
pas plus tôt arrivés dans leur pays qu’ils s’occuperaient à faire des armemens contre nous : je
refuse. »
Les négociateurs ne purent s’empêcher
d’approuver intérieurement sa façon de penser,
malgré l’envie qu’ils avaient de réussir dans
l’objet de leur mission. A leur retour, la consternation des chrétiens augmenta, et ils cherchèrent à se venger du refus de Khaïr-ed-din par les
_______________
1. L’auteur ignorait sans doute que les chevaliers
de Rhodes faisaient vœu de chasteté : c’était peut-être le
neveu d’un bailli. (Note du traducteur.)
— 291 —
mauvais traitemens qu’ils fi rent éprouver aux
esclaves musulmans qui étaient chez eux dans
les fers.
Khaïr-ed-din, en s’occupant des préparatifs de son départ pour Constantinople, n’était
pas sans inquiétude relativement à la quantité d’esclaves infi dèles qu’il y avait à Alger :
leur nombre montait à sept mille. Il disait en
lui-même : « Si je pars, et si je laisse tous ces
chrétiens dans la ville, ils pourront se réunir et
causer du désordre; d’un autre côté, si je les
emmène avec moi, une tempête peut leur rendre
la liberté, et alors, les tourmens de nos frères
qui gémissent dans la captivité entre les mains
des infi dèles, n’auront plus de bornes. » Ces
réfl exions le rendaient indécis sur les moyens
qu’il avait à prendre.
Cependant dès qu’il eût connaissance de
la manière cruelle dont les musulmans étaient
traités dans la chrétienté, il usa de représailles
envers les chrétiens qui se trouvaient en son
pouvoir, et il n’allégea le poids de leurs chaînes
que lorsqu’il eut appris que les infi dèles étaient
devenus plus humains envers leurs esclaves.
Lorsque ceux qui étaient à Alger virent que
Khaïr-ed-din ne voulait point écouter de propositions relatives à leur rachat, ils fi rent entre eux
— 292 —
le complot de se rendre maîtres de la ville ou
de se sauver à main armée. Leur révolte devait
commencer par le massacre de l’offi cier que
Khaïr-ed-din avait chargé de veiller sur eux.
C’était un Turc de l’île de Mételin, dans lequel
le bey avait mis sa plus grande confi ance. Khaïred-din, préoccupé des dispositions qu’il avait
à faire pour assurer la tranquillité d’Alger, eut
une nuit un songe qui l’inquiéta. Il se vit transporté à Mételin au moment même où le plancher de la maison du Gardian-Bachi semblait
prêt à s’écrouler ; dans son rêve, il s’élançait
vers lui et le soutenait de ses mains.
Lors de son réveil, l’explication toute naturelle que le bey donna à ce songe, ce fut que le
Gardian-Bachi était menacé de quelque malheur
dont lui-même devait le préserver. Il l’envoya
chercher immédiatement, et lui raconta le songe
qu’il avait eu, en lui communiquant aussi l’interprétation qu’à son avis il devait lui donner.
Puis il lui vint une idée, ce fut d’ordonner à cet
offi cier de s’en aller déclamant contre lui parmi
les chrétiens; son but était de leur inspirer par
ce moyen de la confi ance, et il espérait pouvoir
pénétrer ainsi jusque dans le fond de leur âme.
Il a existé peu d’hommes plus prévoyans et
— 293 —
plus sages que Khaïr-ed-din. Toutes les grâces
que Dieu lui a faites dans ce monde, nous sont
un garant de la félicité dont il jouit dans l’autre
vie.
Le Gardian-Bachi sortit en effet de l’hôtel du gouvernement, affectant les airs d’un
homme qui aurait éprouvé quelques duretés de
la part du bey; il rencontra sur ses pas un de ces
chrétiens qui, sachant lire et écrire, sont chargés de tenir quelques registres et de veiller sur
les autres esclaves. Il commença à murmurer
en sa présence contre Khaïr-ed-din, et se prit à
dire : « Voyez, il y a un temps infi ni que je suis
au service de cet homme, et je n’ai encore reçu
aucune faveur de sa part; bien loin de là, quelque peine que je me donne, je ne puis jamais
réussir à le satisfaire, et je n’entends sortir de
sa bouche que des propos durs, si ce ne sont des
menaces. »
Le Gardian-Bachi prononçait ces paroles en
gardant le ton d’un homme vraiment courroucé ;
un des esclaves du bagne qui venait d’entendre
ses plaintes, dit à ses camarade : « Avez-vous fait
attention à la colère de ce Turc... ? » Chacun fi t
là-dessus ses réfl exions et tira ses conjectures...
Un moment, après, le Gardian-Bachi aborda
une troupe d’esclaves qui étaient rassemblés, et
— 294 —
continuant à s’emporter, il alla jusqu’à blasphémer contre le bey, et leur dit : « Convenez que mon sort est bien à plaindre : je sers
Khaïr-ed-din depuis son départ de Mételin, je
l’ai accompagné dans toutes ses campagnes de
mer et de terre, je me suis exposé pour lui à tous
les dangers, et il croit avoir fait beaucoup pour
moi lorsqu’il m’a chargé du service pénible et
désagréable qui s’attache aux soins du bagne.
Ne devais-je pas attendre de sa reconnaissance
qu’il une donnât le commandement de quelque
district de ce royaume, avec le titre de bey, ou
tout au moins avec celui de kaid ; mais non, les
faveurs sont réservées pour des étrangers, et il
suffi t de lui appartenir de prés pour n’obtenir
aucun emploi distingué : encore s’il me dédommageait par quelques égards particuliers, si,
lorsque je lui demande de diminuer vos travaux,
d’accorder quelque soulagement à vos peines,
il écoutait favorablement mes représentations, il
me serait peut-être aisé de prendre patience; mais
il suffi t que je m’intéresse en votre faveur dans
ce qui regarde les choses les plus justes et les
plus raisonnables pour exciter sa fureur contre
moi, et pour me voir accabler d’injures qu’il me
serait impossible de vous rendre... » Puis, ce
rusé Gardian-Bachi, continuant à jouer son rôle
— 295 —
avec une adresse supérieure, se tourna vers
le fi ls du bailli de Rhodes, qui l’écoutait avec
attention, et il lui dit : « O Seigneur;un homme
tel que moi est-il donc fait pour commander, à
des gens qui ont été, comme beaucoup d’entre
vous, gouverneurs de grandes villes et de grandes provinces; et vous surtout dont le père tient
un rang élevé dans l’île de Rhodes ! Je suis né
à Midilli qui n’est pas éloignée de cette île, j’ai
eu occasion de connaître votre père, et j’en ai
reçu mille bienfaits ; il est si triste pour moi de
ne pouvoir vous en témoigner ma juste reconnaissance, que je n’ose plus lever les veux sur
vous. Ah ! S’il m’était possible de fuir d’ici,
j’en saisirais l’occasion avec empressement,
et je ne désespère pas d’en trouver un jour les
moyens. »
Le Gardian-Bachi continua à leur tenir
durant plusieurs jours de pareils propos, qu’il
appuyait de procédés pleins de douceur et
d’honnêteté. A la fi n, les esclaves, trompés pas
ses fausses confi dences, s’ouvrirent à lui, et lui
dirent : « Nous avons conçu le projet de nous
délivrer des mains de notre tyran: ce projet doit
nécessairement réussir, si tu veux le seconder, et
quelque chose que nous fassions pour toi, nous
— 296 —
ne saurons assez payer le service que tu nous
auras rendu. » Hé ! de quoi est-il question ? reprit
le Gardian-Bachi, expliquez-moi votre idée , et
comptez sur mon dévouement; il n’y a certainement rien que je ne sois disposé à faire pour
rompre vos fers. Alors les esclaves lui fi rent voir
une lettre qu’ils avaient écrite au commandant
de Bégiajé. Il est bon de se rappeler que cette
place était alors entre les mains des chrétiens,
auxquels elle n’a été enlevée que sous le gouvernement du Salah-Pacha, qui fut plus heureux
dans cette entreprise qu’Aroudj et Khaïr-eddin. Voici ce que contenait en somme la lettre
adressée aux chrétiens par le commandant de
Bégiajé : ils l’informaient qu’ils avaient formé
le complot de se rendre maître d’Alger ; puis
ils le priaient d’envoyer un de ses vaisseaux au
cap Témantefous; pour les recevoir dans le cas
où, leur coup venant à manquer, ils se verraient
contraints à prendre la fuite ; ils tâchaient en
outre d’exciter sa pitié par la peinture exagérée
de leur esclavage, et ils fi nissaient en lui demandant une prompte réponse, ainsi que l’indication
du jour où le vaisseau dont ils avaient besoin
se trouverait à Témantefous. Après avoir fait
lecture de leur missive au Gardian-Bachi, qui
— 297 —
entendait et parlait fort bien la langue italienne,
les chrétiens lui dirent : « Il y a déjà plusieurs
jours que cette lettre est prête, mais il nous a
été impossible de trouver quelqu’un qui pût la
porter à sa destination. Tu sais mieux que personne combien on nous surveille dans cette
prison. Le Messie a eu compassion de notre
sort, et c’est lui qui t’a inspiré les sentimens de
générosité dont ton cœur est animé pour nous.
Il faut te faire un aveu complet, nous te regardions comme notre plus grand ennemi, et notre
premier acte ce devait être de te massacrer. » En
ce moment le Gardian se rappela avec surprise
le songe de Khaïr-ed-din, et l’explication qu’il
en avait tirée. Il dit aux chrétiens, ce n’est pas
chose facile que de trouver une personne assez
sûre pour lui confi er cette lettre; mais je vous ai
promis de mériter votre amitié par toute sorte
de sacrifi ces : de ce pas, je vais trouver Khaïred-din pour le prier de me donner un poste dans
les maisons de Bégiajé, et je me chargerai moimême de porter votre demande au gouverneur
de cette ville.
Les esclaves chrétiens, transportés de reconnaissance, lui fi rent les plus magnifi ques promesses et lui remirent leur pli. Le Gardian-Bachi ne
— 298 —
tarda pas de se rendre à l’hôtel du gouvernement, et après avoir baisé la main de Khaïr-eddin, il lui dit : « Pour le coup, Seigneur, j’ai des
preuves convaincantes de ta sainteté et du crédit
dont tu jouis auprès de l’Être suprême; prends
et lis cette lettre.»Lorsque Khaïr-ed-din en eut
fait la lecture, il lui dit .: «Fais seller ton cheval,
et va-t’en toi-même rendre ce pli au commandant de Bégiajé. » Le Gardian-Bachi partit le
même jour, et, dès son arrivée à Bégiajé, il se
présenta au commandant, auquel il remit mystérieusement la lettre dont il était porteur. Le commandant le prit à part, et lui dit : « J’enverrai
certainement le vaisseau qu’ils me demandent,
mais je crains que Barberousse ne devine tous
nos projets. »
Le Gardian-Bachi, en attendant que 1a
réponse fût prête, se promenait dans les rues
de Bégiajé ; les musulmans qui étaient en captivité dans cette ville, l’accablaient d’injures et
lui crachaient au visage, dans la persuasion où
ils étaient, qu’il avait été envoyé par les esclaves d’Alger et ils se disaient les uns aux autres:
« Cet homme a été comblé de biens par Khaïred-din, et le monstre d’ingratitude pousse la
perfi die jusqu’à devenir l’espion et le messager
— 299 —
de ses ennemis. » Les bons musulmans étaient
bien loin de soupçonner, on le voit, qu’il agissait par ordres formels, et pour les intérêts de
Khaïr-ed-din.
Lorsque le commandant infi dèle eut remis
au Gardian-Bachi la dépêche par laquelle il
faisait savoir aux esclaves d’Alger le jour où
le vaisseau qu’ils demandaient se trouverait
mouillé à l’abri de Témantefous, il reprit le
chemin d’Alger.
En approchant de la ville, il trouva un
détachement de Turcs que Khaïr-ed-din avait
envoyés à sa rencontre pour l’arrêter. Ils se
saisirent de lui, et le menèrent lié et garrotté
devant le bey. Khaïr-ed-din lui dit : « Âme vile
et ingrate, est-ce ainsi que tu abuses de ma confi ance et de mes bontés ; tandis que tu devrais
veiller plus que personne à la sûreté publique,
tu oses te charger du message des infi dèles qui
conspirent contre l’état. » Le bey, après avoir
prononcé ces paroles d’un air irrité, ordonna de
le fouiller ; et on trouva naturellement sur lui la
lettre que le commandant de Bégiajé adressait
aux esclaves. Khaïr-ed-din commanda à l’instant qu’on enlevât ce perfi de de devant ses yeux,
et qu’on le conduisît dans la prison même où
étaient enfermés les chrétiens.
— 300 —
Lors donc qu’il se trouva au milieu d’eux,
il leur dit : « Voyez le sort où m’ont réduit mon
zèle et mon attachement pour vous. J’ai porté
moi-même votre lettre au commandant de
Bégiajé, et je revenais avec sa réponse ; Barberousse, ce démon incarné, a deviné le mystère ;
il m’a enlevé le pli que je devais vous remettre. Dieu seul sait maintenant la vengeance
qu’il médite contre vous et contre moi. » Les
chrétiens à cette nouvelle, pâlirent d’effroi, ils
s’arrachèrent la barbe, et se tordirent les bras de
repentir.
Cependant le jour où l’on devait voir arriver
le vaisseau de Bégiajé à Témantef’ous approchait. Khaïr-ed-din y envoya un de ses navires
pour l’attendre et pour s’en emparer. A l’époque
fi xée, en effet, le vaisseau parut équipé de cent
vingt hommes. Toutefois, en entrant dans le
golfe, le commandant chrétien découvrit le vaisseau turc qui était à l’affût; il voulut fuir, mais
les Algériens lui coupèrent le chemin et s’en
rendirent maîtres. Cette prise fi t le plus grand
plaisir à Khaïr-ed-din, et répandit la joie dans
toute la ville. Le bey fi t traduire devant lui les
nouveaux esclaves, ainsi que ceux qui étaient à
la tête de la conspiration ; puis, il leur montra la
— 301 —
lettre du commandant de Bégiajé. La preuve de
leur crime était complète; ils restèrent tous confondus, et ne purent articuler une seule parole.
Pour Khaïr-ed-din, il fi t trancher la tête à vingt
d’entre ces chrétiens qui lui paraissaient les plus
coupables, et il envoya les autres dans la prison
destinée aux captifs.
— 302 —
— 303 —
XXVI
Départ de Khaïr-ed-din pour Constantinople ; arrivée à Prevesa ; André Doria s’éloigne de ces parages;
entrée dans la rade de Navarin ; Khaïr-ed-din écrit à
Suleiman, qui l’invite à se rendre auprès de lui; accueil
qui lui est fait à Constantinople; voyage à Alep; accueil
du grand-visir; Khaïr-ed-din e st crée pacha à trois
queues; retour à Constantinople ; Khaïr-ed-din s’empare de quelques forteresses en Grèce, puis il ravage
les côtes d’Espagne et celles du royaume de Naples ;
descente en Sardaigne.
Après cette exécution qui assurait la tranquillité d’Alger, Khaïr-ed-din remit entre les
mains du lieutenant qu’il avait choisi(1) les rênes
_______________
1 Hassan-Aga, renégat Sarde. Ce fut lui qui défendit Alger contre Charles-Quint.
— 304 —
du gouvernement ; et il se mit en mer pour se
rendre à Constantinople auprès de sa Majesté
impériale le sultan Suleiman-Khan. Il partit
avec une fl otte de quarante-quatre voiles, et fi t
route pour Gênes. Chemin faisant, il brûla et
ravagea toutes les côtes de cette république. De
là, il passa en Sicile, et il s’y empara de dix-huit
bâtimens chrétiens auxquels il mit le feu après
en avoir retiré les équipages. Il s’informa des
esclaves qu’il avait pris, où il lui serait possible
de rencontrer André Doria le maudit; il apprit
qu’il était parti pour les côtes de la Morée avec
vingt-quatre demi-galères et vingt gros vaisseaux. Sur cet avis, il s’empressa de quitter la
Sicile, et de faire route pour Prévesa(1) où il se
fl attait de trouver son ennemi.
Dès qu’il eut mouillé dans ce port, les habitans vinrent lui témoigner la joie qu’ils éprouvaient de son arrivée. Car sa présence, selon
eux, devait nécessairement empêcher l’irruption dont ils étaient menacés de la part d’André
Doria. En effet, ce maudit de Dieu avant eu avis
que Khaïr-ed-din était à sa poursuite avec une
_______________
1 Prévesa, en Albanie, à l’entrée du golfe de l’Arta,
tout à fait dans le voisinage de l’ancienne Actium. (Voy. pour
plus amples détails sur ce voyage à Constantinople, et sur le
séjour de Khaïr-ed-din dans le Levant, les notes de la fi n.)
— 305 —
fl otte de quarante-quatre vaisseaux, s’était éloigné des lieux où il aurait pu être rencontré. Il y
avait déjà six jours que les habitans de Prévesa
l’avaient vu passer près de leur côte. Dès que
Khaïr-ed-din fut informé de sa fuite, il congédia vingt-cinq vaisseaux, et il en garda dix-neuf
pour son voyage à Constantinople.
Les vaisseaux qu’il renvoya à Alger rencontrèrent, dans leur navigation, sept bâtimens
napolitains; ils en prirent deux, les autres se sauvèrent.
Khaïr-ed-din en quittant Prévesa, entra dans la
rade de Navarin, où il trouva la fl otte du sultan Suleiman. Il salua de son artillerie le pavillon du GrandSeigneur, et on lui rendit le salut selon l’usage.
Ensuite ils partirent tous ensemble pour Coron(1)
, _______________
1 La fl otte ottomane, à laquelle venait de se réunir la
division de Khaïr-ed-din se composait en tout de soixante
galères, sans compter d’autres navires moins considérables;
elle était commandée par Zay Olupat-bey, de Galipoly, et elle
se dirigeait sur Coron, que les Espagnols occupaient depuis
quelque temps. Pressée du côté de la mer par cette fl otte, et du
côté de la terre, par l’armée de Zizim qui l’enveloppait, cette
ville fut bientôt une proie aux horreurs de la famine; mais elle
ne se rendit pas. André Doria arrivant sur ces entrefaites avec
une fl otte nombreuse, livra bataille aux Ottomans, qui furent
contraints de lever le blocus. Néanmoins, peu de temps après,
les habitans de Coron étant réduits à la plus grande misère,
abandonnèrent la ville et rentrèrent dans leur pays. Ce fut le 1er
avril 1534.
— 306 —
d’où Khaïr-ed-din écrivit à sa Majesté impériale
pour l’informer de son arrivée, et lui demander
la permission d’aller baiser la poussière de ses
pieds.
Le Grand-Seigneur l’invita à se rendre
promptement auprès de lui. En conséquence, et
à la simple réception de cet ordre, Khaïr-ed-din
quitta Coron et fi t voile pour Constantinople où
il arriva peu de jours après avec tous les navires de son escadre. En se présentant devant le
sultan, il se prosterna, baisa la terre, et attendit
ensuite debout, dans un silence respectueux, les
ordres de sa Majesté impériale. Le sultan Suleiman le fi t revêtir d’un caftan d’honneur; et non
content de lui fi xer des appointemens pour son
entretien, il lui désigna un des hôtels appartenant au gouvernement, pour sa demeure. Le
soin des arsenaux et la construction des navires
furent remis dès ce moment sous sa direction.
Dans ce temps-là, le grand visir se trouvait
à Alep, occupé à rétablir le bon ordre dans la
Syrie. Il apprit l’arrivée de Khaïr-ed-din à Constantinople ; et tout ce qu’il avait entendu raconter de ses exploits, lui donna envie de connaître
personnellement ce héros. Il écrivit au GrandSeigneur pour le supplier de le lui envoyer.
Et voilà ce que le sultan fi t dire par un de ses
— 307 —
offi ciers à Khaïr-ed-din : « Mon serviteur, que les
affaires de l’empire retiennent à Alep, désire te
voir ; voudrais-tu bien entreprendre ce voyage ? »
Khaïr-ed-din répondit : « Je suis l’humble esclave
de sa Majesté impériale et tous ses ordres, je dois
les exécuter. » Sur sa réponse, le sultan lui fi t
donner des chevaux avec une escorte pour le conduire à Alep. Il passa sur un bâtiment à Madania(1)
et, de là, il s’achemina par terre vers Alep. Lorsqu’il fut à une journée de la ville, il se fi t devancer
par un courrier que le sultan avait envoyé avec lui
pour porter ses dépêches au grand-visir.
Le premier ministre fut vraiment fl atté de la
visite que Khaïr-ed-din lui faisait. Il envoya à sa
rencontre tous les offi ciers du divan; et ceux-ci
l’accompagnèrent dans la ville, et même jusqu’à l’hôtel qu’on avait préparé pour lui , musique en tête et drapeaux fl ottans. Le lendemain
au matin, le grand-visir lui envoya de nouveau
tous les offi ciers du divan pour l’accompagner
jusqu’au château. Khaïr-ed-din en se présentant
dans la salle du conseil, alla baiser le bas de la
robe du grand-visir, qui le fi t asseoir à ses côtés.
Ce ministre lui fi t servir le café, le sorbet et les
_______________
1 Ville de l’Anatolie, située non loin de la mer de
Marmara.
— 308 —
parfums. Et, après cette cérémonie, on lut à
faute voix le fi rman de sa Majesté impériale,
dont Khaïr-ed-din avait été le porteur. Pendant
cette lecture, le bey d’Alger se tint respectueusement debout; et, lorsqu’elle fut terminée, il
prit congé du grand-visir et retourna à son logement. Deux jours après son arrivée à Alep, il
vint en cette ville un courrier de la part du
sultan, pour porter à Khaïr-ed-din un caftan et
les trois queues, avec ordre du premier ministre
d’installer le bey dans la dignité de pacha(1). En
conséquence, le grand-visir convoqua un divan
_______________
1 Le motif qui engagea Suleiman à confi er les hautes
fonctions de capitan-pacha, ou amiral de la mer à Khaïr-eddin est facile à deviner. II voulait sans doute opposer à André
Doria un homme puissant, d’une célébrité égale à la sienne,
à une époque où il n’existait autour de lui que des hommes
inférieurs depuis la mort de Camali. En effet, Doria venait
récemment d’enlever Coron, Patras et d’autres points importans. Ses galères avaient fait subir à la Porte de grandes pertes
sur mer. II n’y avait que Barberousse qui, grâce à sa hardiesse,
à son habileté, à son heureuse étoile même, pût tenir tête eu
fameux Doria, et balancer ses succès par des succès égaux. Ce
fut en effet depuis une lutte constante entre ces deux marins
célèbres, lutte dans laquelle tous deux se distinguaient également. Plusieurs historiens contemporains ont remarqué la
circonspection avec laquelle ces deux hommes habiles se
traitaient : c’est ce qui fait que Brantôme leur appliquait le
proverbe espagnol : De corsario à corsario, no hay que ganar,
que los barriles de agua.
— 309 —
général dans lequel Khaïr-ed-din; revêtu de l’habit d’honneur, et où i1 mit sur sa tête le mudjèwèzè(1). Il retourna à son hôtel, accompagné
de tous les offi ciers du divan qui marchaient
en ordre devant lui. Durant le cortége, il était
monté sur un superbe cheval qui avait une selle
enrichie de pierres précieuses; les étriers étaient
en or, et la bride ornée la même façon; c’était un
don du grand-visir(2).
Trois jours s’étant écoulés, Khaïr-ed-din
pacha monta à la forteresse pour aller faire
sa cour au premier ministre. Celui-ci le retint
encore trois jours auprès de lui, à la fi n desquels
le nouveau pacha lui demanda la permission de
retourner à Constantinople. Le grand-visir la lui
accorda, et il fi t préparer tout ce qui était nécessaire à son voyage, conformément à sa nouvelle
dignité.
_______________
I. Le Mudjèwèzè est le bonnet de cérémonie des
pachas et des grands dignitaires; il se distingue des autres
en ce qu’il est haut, cylindrique et recouvert d’une mousseline blanche.
2 Ici le traducteur porte dans une note la nomination
de Khaïr-ed-din à la dignité de pacha, à l’année 1521.
C’est une erreur Khaïr-ed-din fut nommé pacha en 1534, et
immédiatement après, ayant reçu le commandement d’une
fl otte ottomane, il eut ordre d’aller ravager l’Italie, Gênes,
et d’attaquer Tunis. (Voyez les notes à la fi n.)
— 310 —
Khaïr-ed-din sortit donc d’Alep avec un
train digne d’un souverain, et il passa par
Conia(1), où il s’arrêta pour Visiter le tombeau
de Molla-khun-kiar, ainsi que celui d’un autre
grand personnage mort en odeur de sainteté,
et que l’on nomme Emiri sultan. Dans la visite
qu’il fi t à ce dernier mausolée, il récita d’un
bout à l’autre la parole de Dieu. De Conia, il
partit pour la ville de Brousse, puis se rendit
à Madania(2), où il s’embarqua pour passer à
Constantinople. Dès que le sultan fut instruit de
son arrivée il lui donna ordre de se rendre auprès
de lui. Khaïr-ed-din accourut, se prosterna, et
après avoir baisé la terre devant le trône, alla
se placer debout à la fi le des visirs. Ce fut alors
que le sultan lui fi t signe de s’approcher; il lui
passa sa main sur la tête, et il attacha lui-même
à son turban une aigrette en or, d’un travail
exquis. Khaïr-ed-din pacha, conformément aux
intentions de sa Majesté impériale, s’occupa de
la construction des navires. En peu du temps, il
y en eut dans les arsenaux quatre-vingt-quatre;
bientôt le sultan lui ordonna de les équiper et
d’entrer en campagne. Le nouvel amiral se mit
_______________
1. Konieh, ville de Caramanie, dans le milieu des
terres.
2. Brousse, ville de l’Anatolie ; proche de la mer de
Marmara
— 311 —
en mer avec cette fl otte redoutable, et il alla
attaquer la forteresse d’Estila qui appartenait
aux Grecs. Ceux-ci n’avaient aucun moyen de
résister : ils abandonnèrent donc la forteresse
et s’enfuirent dans les montagnes, laissant les
Turcs prendre possession du château et de tout
ce qu’ils y avaient abandonné. Khaïr-ed-din, en
partant de cette île, s’enfonça dans un golfe peu
éloigné de là ; vers l’heure de midi, il fi t jeter
l’ancre, et il passa au mouillage tout le reste du
jour, ainsi que la nuit. Le lendemain, au matin,
il mit à la voile, et vint mouiller devant une forteresse qui était au fond du golfe, et qui appartenait aussi aux Grecs ; il l’assiégea par mer et par
terre. Les Turcs se rendirent d’abord les maîtres
de tous les environs, et les Grecs se virent contraints de se retirer dans la forteresse où ils se
défendirent avec courage et opiniâtreté. Durant
les divers assauts que l’on ordonna, beaucoup
d’entre les musulmans obtinrent la palme du
martyre et ils allèrent recevoir la récompense
que Dieu leur avait préparée dans son palais. La
résistance des Grecs ne fi t qu’enfl ammer le courage des vrais croyans. Vers l’asr, le Tout-Puissant leur facilita la conquête de ce château qui
avait coûté tant de sang ; ils y entrèrent de force
— 312 —
et le sabre à la main : le carnage fut affreux:
cette forteresse était défendue par sept mille
huit cents hommes; Khaïr-ed-din la fi t détruire
de fond en comble. Le jour suivant, de grand
matin, il donna le signal de partir, et il dirigea
sa route sur Gênes. Il opéra une descente dans
les environs de cette ville, et il s’y empara d’un
château, ainsi que de huit bâtimens qui étaient
mouillés sous son canon ; mais il fi t mettre le
feu à ces navires, et le château lui-même fut
incendié. Tous les chrétiens de la côte se retirèrent au sein des montagnes escarpées qui existent dans ces parages, et il ne fut pas possible
de les y poursuivre. Khaïr-ed-din alla porter
ensuite le ravage et l’incendie sur tout le littoral de l’Espagne. De là, il vint sur les côtes de
Naples, où il se rendit maître d’un fort considérable. Le nombre des esclaves chrétiens qu’il fi t
dans ces descentes et dans le cours de sa navigation, montait à onze mille individus des deux
sexes. Après avoir dévasté les côtes du royaume
de Naples, il voulut retourner à Alger: le vent le
poussa sur la Sardaigne, et là encore il fi t quelques descentes sur divers points où il mit tout à
feu et à sang.
— 313 —
XXVII
Khaïr-ed-din essaie d’entrer a Alger ; il va mouiller
à Bizerte ; soulèvement des habitans en sa faveur ; le
sultan de Tunis se retire avec les siens dans le Beledel-djerid ; il soulève les Arabes; Khaïr-ed-din marche
contre lui, emploi de la voile, pour faire marcher l’artillerie en plaine ; El-Hafsi demande des secours à Charles-Quint; départ de l’empereur pour l’expédition de la
Goulette.
En quittant la Sardaigne, Khaïr-ed-din fi t
voile pour Alger, mais le vent contraire l’empêcha d’y aborder ; il fut contraint d’aller dans
la rade de Bizerte qui est de la dépendance du
royaume de Tunis.
A la vue de la fl otte de Khaïr-ed-din, les
habitans abandonnèrent la ville et se retirèrent
— 314 —
dans la forteresse; le commandant même qui ne
se sentait pas le courage de résister à des forces
si considérables, faisait déjà des préparatifs pour
conduire sa famille à Tunis , et pour abandonner
son poste. Mais les habitans qui s’étaient enfermés dans la forteresse, s’opposèrent à sa fuite,
et ils s’écrièrent ; Que Dieu fasse prospérer les
armes du sultan Suleiman ! Le commandant de
la forteresse feignit d’adopter leurs sentimens,
et les assura que le lendemain matin les autorités iraient en corps porter les clefs de la forteresse à Khaïr-ed-din pacha. Mais, pendant la
nuit, il trouva moyen de s’échapper, et il arriva à
Tunis au soleil levant. Il se rendit sur-le-champ
auprès du sultan El-Hafsi(1) pour l’informe de
l’arrivée de Khaïr-ed-din, à Bizerte, et de la
résolution qui avait été prise de se soumettre :
au sultan Suleiman. Cette nouvelle lui causa les
plus vives inquiétudes, tandis que, au contraire,
_______________
1 La plupart des auteurs désignent avec raison ce roi
de Tunis par le nom de Muley-Hassen ou Hassan. D’après
la généalogie rapportée par Marlnol, il serait le trentième
roi de la famille d’ Abduledi, de la tribu de Mucamuda;
mais il parait, et le nom de El-Hafsi inscrit dans notre
chronique arabe, semble le confi rmer, qu’il descendait
des Hentètes ; les Hentétes forment une seconde branche
de la tige de mucamada que l’on nomme Aba-Hafsas.
— 315 —
les habitans du royaume que Khaïr-ed-din avait
de tout temps favorisés, désiraient ultérieurement sa venue ; et étaient bien décidés à seconder ses intentions. L’armée turque prit donc
possession de la ville et du château de Bizerte
aux acclamations générales des habitans. Le
sultan de Tunis instruit de cet événement, jugea
qu’il aurait bientôt sur les bras Khaïr-ed-din et
son armée ; il se rappelait combien étaient nombreux les sujets de haine qu’il lui avait donnés;
et, d’un autre côté, il savait qu’il ne fallait pas
compter sur les Tunisiens dont il s’était aliéné
le cœur par une multitude de vexations. L’état
des choses ne lui permettant pas d’attendre de
pied ferme un si redoutable ennemi, il ramassa
tous ses trésors, et prenant avec lui sa femme,
ses enfans et ses serviteurs les plus affi dés, il se
retira du côté du Beled-el-gérid(1) au milieu des
Arabes, en attendant qu’une révolution heureuse
fi t changer sa situation. Dès que les habitans de
Tunis apprirent la fuite du sultan, ils écrivirent
une lettre à Khaïr-ed-din, en l’invitant à venir
prendre possession de la ville qui lui serait
ouverte, malgré ceux qui pourraient encore
_______________
1.Beled-el-djerid (pays des dattes). C’est cette contrée
où confi ne la Barbarie dans le nord au milieu de laquelle le
Sahara.
— 316 —
secrètement tenir pour la famille des Hafsis.
Aussitôt la réception de ce message, Khaïr-eddin partit avec toute sa fl otte, et vint mouiller à la
Goulette. Les habitans , au nombre de dix mille,
ayant les ulémas et les cheiks à leur tête, allèrent
au devant de lui et l’accompagnèrent jusqu’au
palais, où il s’assit sur le trône des sultans pour
recevoir leur serment de fi délité.
Cependant il était resté dans la ville beaucoup de gens attachés au service du roi : ils
étaient perpétuellement en éveil, et lorsqu’ils
pouvaient rencontrer à l’écart des gens de l’armée de Khaïr-ed-din, ils les massacraient sans
pitié. Cette guerre clandestine avait déjà détruit
un grand nombre de Turcs; bientôt elle excita
l’audace des partisans du sultan au point qu’ils
se ralliaient ouvertement dans certains quartiers
pour concerter leurs entreprises. Les Turcs irrités s’armèrent à la fi n, et ils vinrent les attaquer.
Des combats très vifs s’engagèrent dans la plupart des rues, et les habitans effrayés se réfugièrent dans les mosquées ou dans les zaviés.
Khaïr-ed-din, au premier avis qu’il eut de
ce désordre, monta à cheval pour éteindre l’incendie, et son premier soin fut d’ordonner à ses
troupes de se retirer. Dans les divers combats
qui se livrèrent durant cette journée, il y eut
— 317 —
quatre-vingts Turcs tués, et plus de trois cents
d’entre les partisans des Hafsis perdirent la vie.
Le nombre de ceux-ci augmentait cependant chaque jour dans la ville, et ils ne cessaient
de presser le sultan de venir soutenir leur zèle
et leurs efforts. A la fi n, cédant à de telles instances, il s’approcha des environs de Tunis. Il
osa même entrer déguisé dans la ville, pour
examiner de plus près l’état des choses, et afi n
de s’assurer des moyens qu’il y aurait à prendre pour exterminer Khaïr-ed-din et son armée.
Cela fait, il envoya des émissaires de tous côtés,
pour engager les habitans à se réunir à lui. L’argent qu’il distribuait, les menaces qu’il faisait
de se venger cruellement de ceux qui refuseraient de coopérer à ses desseins, ces deux raisons surtout attirèrent auprès de lui un nombre
considérable de combattans. Tout cela se passait
la nuit même où il entra dans la ville. Le lendemain, à la pointe du jour, il se mit à la tête de
ses partisans et marcha sur la Cassauba, pour
tâcher de surprendre Khaïr-ed-din et ses troupes
qui y étaient renfermés ; mais comme ils avançaient, ils trouvèrent les Turcs déjà prévenus et
qui venaient au devant d’eux. Les partisans du
sultan soutinrent assez bien le premier choc,
mais ensuite ils commencèrent à reculer, et
— 318 —
bientôt on les vit aller à la débandade. Les Turcs
les poursuivirent dans toutes les rues et dans
tous les carrefours, si bien que la ville était jonchée de cadavres. A la fi n, les Hafsites(1), reconnaissant leur impuissance, jetèrent leurs armes
et demandèrent quartier. Khaïr-ed-din le leur
accorda et fi t cesser partout le carnage. Lorsque
le sultan El-Hafsi s’aperçut du mauvais succès
de son entreprise, il prit la fuite sans en attendre le dénouement, et se réfugia de nouveau
au milieu des Arabes. Durant le désordre, la
partie la plus saine de la population s’était retirée ans les maisons; et bien loin de se repentir
d’avoir remis entre les mains de Khaïr-ed-din
les rênes du gouvernement, les habitans qui
s’étaient tenus à l’écart faisaient des vœux sincères pour la prospérité de ses armes et pour
le règne des Ottomans. Ce peuple politique et
industrieux jugeait que ses liaisons avec le vaste
empire de la Turquie donneraient un accroissement considérable à son commerce, et que ce
nouvel état de choses deviendrait pour lui une
source intarissable de richesses.
Le sultan de Tunis n’avait plus de ressource
_______________
1 Le traducteur désigne sous ce nom tous ceux des
hahitans de Tunis qui étaient restés attachés à la race des
Hafsis.
— 319 —
que parmi les Arabes ; et ceux-ci, il est vrai,
étaient plus nombreux et plus puissans alors
dans le royaume de Tunis qu’ils ne le sont
aujourd’hui. Khaïr-ed-din tâcha de les attirer à
son parti en fl attant leur avidité et leur avarice. Il
écrivit aux principaux cheiks des Deridis et des
Nemachichis, en leur envoyant des bournous de
drap et des présens, que celui d’entre eux qui
pourrait saisir le sultan El-Hafsi et le lui amener,
recevrait une récompense de trente mille ducats,
tandis qu’au contraire celui qui protégerait son
évasion, outre qu’il encourrait son indignation,
aurait à subir sa vengeance. Les Arabes répondirent que les sultans de la famille de Beni-Hafsi
avaient coutume de leur donner annuellement et
depuis un temps immémorial des subsides convenus en espèces et en denrées, et que si Khaïred-din voulait se soumettre aux mémos usages,
ils passeraient à son service.
Khaïr-ed-din, satisfait de cette ouverture,
leur fi t dire qu’il consentait volontiers ü leur
payer les redevances établies en leur faveur, à
condition, toutefois, qu’ils ne feraient point de
tort à ses sujets, et qu’ils n’établiraient leurs
campemens que sur les bords du Sahara ou dans
les plaines éloignées des villes. En conséquence,
il les invita à leur apporter leurs registres, afi n
— 320 —
de prendre note de ce qu’il revenait à chacun
d’eux annuellement, et pour s’assurer de ce
qu’ils avaient reçu et de ce qu’on pouvait leur
devoir encore pour l’année courante; car les
Arabes ont grand soin de conserver les pièces
authentiques qui constatent leurs droits et leurs
privilèges, et de tenir un compte exact des paiemens faits ou à faire par le gouvernement, aux
époques fi xées par l’usage. Les cheiks arabes
commencèrent à donner la preuve de leur bonne
volonté en se retirant dans le Beled-el-gérid,
et ils envoyèrent leurs registres à Khaïr-ed-din
Le pacha fi t l’observation alors qu’ils n’avaient
plus rien à prétendre du gouvernement pour
l’année courante, et il les assura qu’au printemps prochain ils n’auraient qu’à se présenter
pour recevoir leur awaid(1). En outre, et afi n
de leur inspirer plus de confi ance, il envoya à
chacun des cheiks arabes qui avaient des droits
aux bienfaits du gouvernement, un teskeré(2 )
scellé de son cachet, et, spécifi ant la somme qui
lui était due, avec l’ordre du paiement. Cette
_______________
1.Awaid (arabe), avaid (turc), retours, revenus, droits
légitimes. Lors de la régence, les chrétiens avaient francisé
ce mot par celui d’avoides.
2 .Teskréré (turc), du mot zikr, qui veut dire mention ;
teskéré, billet, passeport.
— 321 —
générosité de sa part disposa favorablement
l’esprit des Arabes et les mit dans ses intérêts.
Lorsque Khaïr-ed-din eut vu que la tranquillité
commençait à s’établir solidement dans toute
l’étendue du royaume, grâce à la sagesse des
mesures qu’il avait prises : il donna ordre à son
lieutenant qui résidait à Alger de lui envoyer
trois cents joldachs et quatre cents cavaliers
pour renforcer l’armée et les garnisons. A leur
arrivée à Tunis, il fi xa leur solde et leur entretien, et il tira cette dépense des charges ainsi que
des contributions qu’avait coutume de payer le
peuple, sans augmenter néanmoins l’impôt.
Les tunisiens virent avec reconnaissance quels
étaient les moyens que Khaïr-ed-din prenait
pour assurer leur tranquillité : ils ne cessaient de
louer sa prudence, son humanité, son désintéressement, et ils se trouvaient heureux de vivre
sous ses lois. Khaïr-ed-din informa sa Hautesse,
le sultan Suleiman-Kan, de la position dans
laquelle il se trouvait et non seulement il lui
donna le détail de toutes les opérations qu’il avait
faites depuis son départ de Constantinople, mais
il accompagna ses dépêches d’un présent composé des objets les plus précieux que ses expériences maritimes lui avaient procurés, et il y
— 322 —
joignit quatre-vingts jeunes chrétiens de fi gure
agréable. Ce présent arriva à Constantinople à
une époque où le sultan était absent, ayant été
en personne faire la guerre aux Kisil-Bachs(1).
Cependant le sultan El-Hafsi ne s’endormait pas; il allait de hordes en hordes excitant
les Arabes à la révolte contre Khaïr-ed-din, en
leur faisant un étalage pompeux de tous les
biens dont il récompenserait leurs services s’ils
voulaient l’aider à remonter sur le trône. Il n’y a
rien de si léger et de si inconstant que le peuple
arabe : ennemi de toute domination, il est toujours prêt à écouter celui qui fl atte son amour
pour l’indépendance; n’ayant rien à perdre et
tout à gagner dans une révolution, il est toujours
prêt à s’armer en faveur du parti qui lui offre le
plus d’avantages. Le sultan El-Hafsi n’eut pas
de peine à persuader les cheiks arabes, et ils
commencèrent à se rassembler dans les plaines
du Kairwan. Khaïr-ed-din, en apprenant leurs
_______________
1. Ce sont les Persans qu’on désigne ainsi, Suleiman fi t son expédition contre eux en l’an 949 de l’hégire
(1542), et cependant il n’est point encore question de la
descente de Charles-Quint à Alger. (Note du traducteur.)
Le traducteur a raison, puisqu’il ne s’agit encore ici
que de la prise de Tunis par les Turcs, qui n’eut lieu que
le 22 août 1534.
— 323 —
mouvemens, se contenta de leur écrire ces mots :
« Que celui d’entre vous qui reconnaît l’empire
de notre souverain Seigneur et maître le sultan
Suleiman, quitte au plus tôt l’armée des rebelles et vienne se réunir sous mes drapeaux ; car
ceux qui ne profi teront pas de ce moment de
clémence, et qui s’obstineront dans leur révolte,
auront lieu de se repentir de leur témérité. » En
même temps Khaïr-ed-din assembla ses troupes
et fi t tous ses préparatifs pour aller dissiper cette
armée d’Arabes, dont le nombre augmentait
tous les jours. On prétend qu’il se servit dans
cette expédition d’une invention singulière, pour
faciliter le transport de son artillerie; il fi t faire
des affûts auxquels il adapta un mât et une voile
qui, poussée par le vent, tendait à les faire avancer sur terre, comme des bâtimens qui fendent
l’eau(1). Quoi qu’il en soit, ce furent les pièces
_______________
1 Ce fait, qui n’a rien d’improbable, et qui peint à
merveille le caractère du corsaire guerroyant sur terre,
parait d’autant plus curieux, qu’il prouve l’ancienneté
d’une invention que l’on cherche à exploiter en France
depuis quelques années, et qui ne s’est pas montrée sans
succès dans quelques circonstances.
Nous croyons qu’il ne faut pas voir dans la pensée
de Khaïr-ed-din un moyen de faire marcher son artillerie,
mais seulement d’aider à sa marche, et par conséquent
— 324 —
de campagne qu’il employa contre les Arabes
lorsque, sous les ordres du sultan de Tunis, ils
vinrent lui présenter le combat, qui les mirent
sur-le-champ en déroute. Ces machines infernales, que les hommes dont nous parlons ne connaissaient pas encore, fi rent une telle impression
sur leur, esprit, qu’ils écrivirent à Khaïr-ed-din
pour implorer sa miséricorde. Le pacha était trop
bon politique, on le pense bien, pour se refuser
un accommodement avec des gens qu’il est si
diffi cile de poursuivre. Il leur expédia donc des
lettres de grâce, et lorsqu’ils les eurent reçues,
les principaux cheiks se rendirent auprès de
lui pour lui jurer foi et hommage. Sa bonté, sa
bienfaisance et ses libéralités, leur donnèrent la
plus haute idée de son cœur, et ils parurent s’attacher sincèrement à lui. Khaïr-ed-din n’ayant
plus tien à faire, retourna a Tunis se reposer de
ses fatigues et jouir du bonheur qu’il procurait à
ses nouveaux sujets par un gouvernement doux
et juste.
Lorsque l’infi dèle sultan d’Espagne vit
Suleiman tout occupé, en Perse, du siège de Ti-
_______________
d’accélérer le mouvement sans donner trop de fatigue
aux hommes ou aux chevaux. Au surplus, un moyen
analogue est employé en Chine depuis longtemps pour
le transport des produits du sol.
— 325 —
bris(1), il crut que l’occasion était favorable pour
aller ravager les côtes de la Romélie; et pour
réaliser son plan, il fi t armer tous ses vaisseaux
en même temps qu’il rassembla vingt mille
hommes de débarquement. Ces préparatifs se
faisaient avec beaucoup d’éclat dans les ports
d’Espagne. Le sultan de Tunis en fut informé, et
il écrivit cette lettre au maudit de Dieu : « Barberousse, ce misérable reis turc, né pour le malheur de la Barbarie, vient de s’emparer de mes
états, et une des grandes raisons qui l’ont décidé
à me persécuter, c’est l’attachement sincère que
j’ai toujours eu pour toi; il est donc de ton honneur, et il y va de tes intérêts, ô grand roi ! de
venir à mon secours et de me rendre l’héritage
de mes pères. Les forces que tu rassembleras
sont plus que suffi santes pour me venger de
Barberousse, et me replacer sur un trône qu’il a
usurpé. J’ai encore à mon service soixante mille
hommes, avec lesquels j’irai l’assiéger par terre,
tandis que tu viendras l’assiéger du côté de la
mer. Lorsque le royaume de Tunis sera rentré
sous mon obéissance, je t’en ferai l’hommage,
et je me contenterai du titre de ton lieutenant. »
A la réception de cette lettre, le roi infi dèle
_______________
1 .Tauris.
— 326 —
convoqua toits les grands de sa cour pour les
consulter : leur avis fut qu’il devait s’empresser d’aller secourir le sultan de Tunis, et ils lui
dirent : « O grand roi ! rien n’est si vrai que ce
qu’avance cet infortuné sultan maure; Barberousse ne lui a fait la guerre et ne l’a dépouillé
de ses états, que par rapport à toi. Le royaume
de Tunis est l’héritage de ses pères et de ses
aïeux; il n’est pas juste qu’un étranger le lui
ravisse. C’est en pareille circonstance que les
rois doivent se secourir : la politique leur en
fait une loi; d’ailleurs cette affaire ne peut être
de longue durée. Avec les ressources qui restent à ce sultan détrôné, ses sujets reviendront
à lui, dès qu’ils verront qu’on embrasse sa
défense. Les Turcs ne sont pas propres à faire
aimer longtemps leur empire. Dès que nous
nous serons emparés du royaume de Tunis,
nous nous occuperons des grands projets que
tu médites. »
Ce discours décida le roi d’Espagne, et il
prit sur-le-champ la résolution d’employer les
forces qu’il avait rassemblées à chasser Khaïred-din de Tunis, et à replacer sur le trône son
légitime souverain, en attendant l’occasion de
le lui ravir pour son propre compte. Conformément au parti qu’il avait adopté, il écrivit au
— 327 —
sultan El-Hafsi qu’il allait se mettre en route
pour Tunis, et qu’il se tînt prêt à attaquer Khaïred-din dès que sa fl otte paraîtrait; il voulut luimême avoir la gloire de commander durant cette
expédition. En conséquence, il mit à la voile et
vint mouiller, peu de jours après son départ,
dans la rade de la Goulette, auprès du château
qu’on nomme Bordj-ul-oioun(1).
_______________
1 Bordj-ul-oioun veut dire en turc Château des
sources. C’est cette forteresse si connue sous le nom de
la Goulette, qui, placée à l’entrée de l’étang qui mène à
Tunis, forme la principale défense de cette place.
— 328 —
— 329 —
XXVIII
Débarquement des troupes de Charles-Quint ; les
chrétiens sont repoussés ; stratagème employé par les
chrétiens et par les Maures ; les retranchements de
l’armée chrétienne sont emportés ; nouveaux secours
venus d’Espagne ; avantage remporté par CharlesQuint; entrevue de l’empereur et du roi de Tunis ; conquête de la Goulette (1).
Le roi d’Espagne passa toute la journée sans
faire aucun mouvement, attendant toujours que
le sultan El-Hafsi vînt favoriser le débarquement
de ses troupes. A la fi n, ennuyé de ne le point
_______________
1 Voir, pour l’expédition de Charles-Quint contre
Tunis, les notes à la fi n.
— 330 —
voir paraître, et ne sachant que penser, de ce
retard, il donna ordre à son armée de mettre pied
à terre et de débarquer l’artillerie. La garnison du
château profi ta, le cet intervalle pour creuser de
larges fossés autour de la place, et pour aviser le
pacha de l’arrivée de la fl otte chrétienne. Khaïred-din, à la tête de douze mille hommes, vint
livrer bataille aux infi dèles, qui s’avancèrent fi èrement sur lui dès qu’ils l’aperçurent. Le combat
fut des plus vifs et des plus sanglans; mais à 1a
fi n les chrétiens furent forcés de céder le champ
de bataille, et ils reculèrent jusqu’au bord de la
mer, soirs la protection de leurs vaisseaux. Les
Turcs les y poursuivirent avec acharnement, et
sans les canons de la fl otte qui ne leur permirent pas de les serrer de plus près, leur triomphe
eût été complet. Ils allèrent camper vis-à-vis
de l’ennemi, se mettant ainsi à portée de suivre
tous ses mouvemens.
Afi n de s’emparer de Bordj-ul-oioun, les
infi dèles imaginèrent de fabriquer une tour de
bois assez élevée pour dominer les remparts; ils
l’approchèrent du fort, mais la garnison rendit
cette ruse inutile.
Non loin de Bordj-ul-oioun, il y avait un
autre petit château qui défendait la rade, et dont il
— 331 —
était très important pour l’ennemi de s’emparer.
Les musulmans le fortifi èrent par un fossé et ils
usèrent d’un stratagème qui réussit complètement. Sur les bords du fossé, ils établirent une
batterie masquée et composée de plusieurs pièces
chargées avec des chaînes et de la mitraille ;
cette batterie était encore soutenue par un grand
nombre de fusiliers qu’on ne pouvait apercevoir. Au moment que les chrétiens s’avancèrent
pour battre ce fort, on fi t sur eux une décharge
générale qui leur tua six mille hommes, sans
que nous comptions ici ceux qui eurent un bras
ou une jambe emportés. Les musulmans profi tèrent de ce désordre pour tomber sur les faibles
restes de cette armée, qui alla se rallier dans les
retranchemens. Les Turcs y pénétrèrent jusqu’à
trois fois, et ils y tuèrent le commandant en chef
de l’artillerie(1) ; peu s’en fallut qu’ils ne se rendissent maîtres du camp.
Le roi d’Espagne voyant qu’il ne pouvait
plus continuer ses opérations avec le peu de
troupes qui lui restait, fi t venir de son royaume
de nouveaux secours en hommes et en artillerie ;
_______________
1. Probablement le comte de Sarno, dont la tête et
la main droite furent coupées et envoyées à Khaïr-eddin. La perte des chrétiens est du reste fort exagérée
dans ce récit.
— 332 —
et lorsqu’il les eût reçus, il ordonna qu’on dressât devant Bordj-ul-oioun une batterie de cent
vingt canons, en outre d’une batterie fl ottante
de quatre-vingts canons(1), qui battait lu fort du
côté de la rade. Ce siège dura trente-deux jours,
jusqu’à ce que les canons du château étant hors
de service, les infi dèles purent s’approcher et
faire brèche. Alors la garnison n’ayant plus de
moyens de résister, abandonna le fort et se retira
à Tunis avec Khaïr-ed-din.
Lorsque le sultan de Tunis eut appris que le
roi infi dèle s’était emparé du château de la Goulette, il vint le trouver suivi d’une nombreuse
cavalerie, et, en l’abordant, il lui baisa la main
(on le prétend du moins), il la posa sur son front.
Le roi d’Espagne lui fi t un accueil très affectueux, et témoigna prendre à son sort le plus vif
intérêt.
Khaïr-ed-din, à son retour à Tunis, s’aperçut que l’échec qu’il avait reçu avait beaucoup
refroidi les habitans à son égard, et il sut même
qu’une grande portion d’entre eux penchait
déjà pour le parti des chrétiens. II fi t appeler les
cheiks et les principaux de la ville, sous prétexte
_______________
1. C’était la grande caraque de Malte; mais elle ne
portait que la moitié tout au plus du nombre de canons
indiqués ici.
— 333 —
de les consulter, et pour mieux juger de leurs
sentimens, il leur parla ainsi : « Mes frères, nous
avons été forcés de céder aux forces supérieures
des ennemis de notre sainte loi. et j’ai la douleur de voir que, tandis qu’il leur vient chaque
jour de nouveaux secours de leur pays, le zèle
des musulmans s’attiédit, leurs efforts, on le
voit, diminuent. Dans la circonstance critique
où nous nous trouvons, veuillez bien me faire
connaître si vous croyez à propos d’entrer en
accommodement avec les infi dèles, on si vous
voulez continuer la guerre. » Les habitans de
Tunis ne répondirent que d’une manière vague
à sa question ; car la divergence de leurs opinions était due à leur mésintelligence et à leur
faiblesse. Khaïr-ed-din se leva, et d’un air fi er,
il leur dit : « Tâchez du vous mettre d’accord,
pour moi je pars avec mes fi dèles Turcs, je vais
combattre et mourir pour la défense de l’islamisme et pour votre liberté. »
Ces paroles réveillèrent l’honneur endormi
dans leurs cœurs, et ils s’écrièrent : « Nous suivrons notre digne chef partout où il voudra nous
conduire.» Khaïr-ed-din aussitôt fi t arborer le
drapeau hors de la ville, et à son armée qui était
composée de six mille quatre cents Turcs, on
— 334 —
vit bientôt réunis neuf’ mille sept cents Tunisiens
avec lesquels il s’achemina vers la Goulette.
Chemin faisant, il lui arriva un secours qu’il avait
demandé à Alger, secours qui se composait de
quelques régimens turcs et d’un petit nombre de
cavaliers. Les chrétiens vinrent à sa rencontre,
et le combat s’engagea. Il s’était rassemblé aux
environs du champ de bataille plus de cent mille
Arabes, accourus de différens points de la contrée. Pendant longtemps ils restèrent tranquilles
spectateurs du combat ; néanmoins, dès qu’ils
eurent vu que la victoire semblait pencher du
côté des musulmans, ils vinrent se mêler parmi
les troupes de Khaïr-ed-din, sous le prétexte
apparent de l’appuyer de leurs efforts; mais peu
de temps après ils se mirent à la débandade, et
on les vit fuir avec l’intention d’entraîner toute
l’armée par leur exemple. Khaïr-ed-din se portait partout pour réparer ce désordre, qui donna
cependant le temps aux chrétiens de se rallier et
de faire venir un renfort de la fl otte. Le combat
recommença avec encore plus d’ardeur de part et
d’autre; mais, à la fi n, les infi dèles lurent oblige
de reculer jusque sur le rivage, où le canon de
leurs vaisseaux les mit à l’abri d’un massacre
général. Khaïr-ed-din, content de sa journée,
— 335 —
retourna à Tunis; il entra dans la Cassauba avec
les gens de sa maison, et il laissa ses troupes
campées hors de la ville.
La résistance qu’éprouvaient les infi dèles; commençait à les dégoûter du projet d’une
conquête qu’ils avaient jugée plus facile. Les
maladies s’étaient mises dans leur armée, et il y
avait beaucoup d’offi ciers qui opinaient pour le
retour. Khaïr-ed-din, informé par ses espions du
découragement qui se manifestait dans le camp
des chrétiens, se fl attait de revoir bientôt, la tranquillité rétablie, et son zèle couronné. Mais le, roi
d’Espagne, avant de mettre à la voile, voulut tiré
encore une nouvelle tentative, et ayant rassemblé
toutes ses forces, il s’avança vers Tunis. Khaïred-din ne l’attendit pas; il alla à sa rencontre,
et il était déjà à environ deux milles de la ville,
lorsque des cris tumultueux partant de Tunis vinrent frapper ses oreilles. Il prit avec lui quelques
cavaliers et retourna sur ses pas, pour s’instruire
de la cause de ce désordre. Alors il apprit que
les habitans s’étant persuadés qu’il avait pris
la fuite et que les ennemis venaient s’emparer
de la ville, l’avaient abandonnée avec précipitation, tant ils craignaient le pillage et la captivité. Il envoya à l’instant des émissaires de tous
— 336 —
côtés pour arrêter cette populace pusillanime
et pour dissiper la terreur panique qui s’était
emparée d’elle; mais, comme il s’approchait
lui-même de la ville, on vint lui dire que les
chrétiens en avaient déjà fermé plusieurs portes.
Khaïr-ed-din, pensant d’abord aux troupes
du roi d’Espagne, ne pouvait comprendre par
quelle route elles avaient pu sitôt pénétrer dans
Tunis. Et en effet, les chrétiens qui s’étaient
rendus maîtres de la ville n’étaient autre chose
que les esclaves qu’il y avait laissés, et qui se
trouvaient être au nombre de onze mille. Dès
l’instant où ils avaient vu la ville déserte, ils
avaient rompu leurs liens et étaient sortis de
leurs prisons; et tandis que la plus grande partie
s’était déjà établie dans la Cassauba, plusieurs
d’entre eux avaient jugé convenable de se détacher pour s’assurer des portes. Saisis de surprise
à la vue de Khaïr-ed-din, beaucoup de ces esclaves allèrent de nouveau reprendre leurs fers et
se cacher dans leurs prisons; mais les captifs qui
s’étaient réfugiés dans la Cassauba en fermèrent
les portes lorsque le bey se présenta. N’ayant
aucun moyen pour les forcer (car le nombre de
cavaliers qu’il avait autour de lui ne se montait
guère qu’à deux cents), il pensa à remédier au
— 337 —
mal le plus pressant, et courut lui-même après
les habitans de Tunis pour les faire rentrer dans
la ville; il les trouva qui se dirigeaient sans
réfl exion vers un camp que l’on avait en vue :
c’était celui du sultan El-Hafsi, qui attendait
l’arrivée des chrétiens pour s’approcher de
Tunis. Khaïr-ed-din atteignit enfi n les habitans, que sa vue et ses discours rassurèrent,
et qui reprirent heureusement le chemin de la
ville avant que le sultan El-Hafsi eût pensé à
les attaquer.
Pendant que tout cela se passait, quelques
traîtres étaient allés trouver le roi d’Espagne,
pour l’informer que Khaïr-ed-din avait pris la
fuite, et que les Tunisiens avaient eux-mêmes
abandonné leur ville. Il ne savait encore ce qu’il
devait penser de cet avis, lorsqu’une troupe
d’esclaves chrétiens de Tunis vinrent le lui
confi rmer. Alors il donna ordre à son armée de
doubler le pas; il trouva en chemin les Arabes
qui accouraient. au devant de lui pour le féliciter de son triomphe. En voyant s’approcher ces
hordes qui couraient la campagne, il s’imagina
que c’était un parti ennemi qui s’avançait pour
le combattre, et il ordonna à ses soldats de faire
feu sur eux et avant que le roi d’Espagne pût être
— 338 —
instruit qu’il exterminait ainsi ses partisans,
le massacre fut horrible. C’est ainsi que Dieu
permit que Khaïr-ed-din fût vengé de la perfi die
de ces mêmes arabes qui, peu de jours auparavant, avaient tenté de porter la déroute dans son
armée.
Le roi d’Espagne, en se présentant à Tunis,
trouva les portes ouvertes, et il alla s’établir
dans 1a Cassauba(1). Les Tunisiens se soumirent sans résistance, et lui jurèrent foi et hommage. Alors Khaïr-ed-din, cédant aux décrets
du destin, s’achemina avec toutes ses troupes
vers Annaba(2), où il arriva le cinquième jour. Il
y trouva quinze de ses vaisseaux qu’il y avait
envoyés par prévoyance. Le roi d’Espagne,
sur l’avis qu’il en eut, expédia trente des siens
pour s’en emparer; mais Khaïr-ed-din avait eu
le temps d’établir sur la côte des batteries qui
forcérent les chrétiens à renoncer à leur projet.
Ils revinrent à Tunis, annoncer au roi le mauvais succès de leur entreprise. Celui-ci voulut
d’abord expédier à Annaba toute sa fl otte ; mais
ensuite, faisant réfl exion aux ressources que
possédait encore Khaïr-ed-din, il abandonna ce
_______________
1. Le 21 Juillet 1535.
2. Bône.
— 339 —
projet, et garda auprès de lui les forces qui lui
étaient nécessaires pour consolider sa nouvelle
conquête.
FIN DU PREMIER VOLUME.
— 340 —
— 341 —
TABLE
DES MATIÈRES DU PREMIER VOLUME.
Pages.
Avant-Propos…......................................................................................1
I. Naissance d’Ishaac, d’Aroudj et de Khaïr-ed-din ; captivité d’Aroudj
dans l’île de Rhodes ; propositions faites pour son rachat ; sa
fuite..............................................................................................1
II. Un bâtiment est confi é à Aroudj, il se rend en Egypte ; ses premiers
succès; accroissement de fortune ; retour dans sa famille; course
sur les côtes d’Italie ; prise importante; Aroudj va chercher de
nouveau fortune en Egypte........................................................13
III. Aroudj, protégé par le sultan Gouri, se remet de nouveau en course;
premier voyage à Tunis; Aroudj jette l’épouvante sur les côtes
d’Espagne; Khaïr-ed?din rejoint son frère ; riches captures; pré
sens faits au roi de Tunis............................................................21
IV. Aroudj et Khaïr-ed-din,à la tête d’une escadre, vont au secours de
Bégiajé (Bougie), tombée au pouvoir des chrétiens ; Aroudj est
blessé au bras, l’amputation est jugée nécessaire; Khaï-ed-din
prend le commandement, il croise le long des côtes d’Espagne
pour recueillir les Morisques chassés à cette époque de Grenade ;
— 342 —
Pages
échauffourée de l’île de Minorque ; nouvelles prises, armement
des chrétiens...............................................................................33
V. Aroudj et Khaïr-ed-din , réunis de nouveau, sortent de la Goulette ;
siège de Gisel ; présens envoyés au grand-seigneur ; siège de
Bégiajé ; le sultan de Tunis refuse son aide aux deux frères; les
Génois envoient au secours de Begiajé; Aroudj et Khaïr-ed-din
incendient volontairement leurs navires ; Aroudj se rend à Gigel,
Khaïr-ed-din retourne à Tunis; événemens qui suivent cette sépa
ration..........................................................................................49
VI. Les habitans d’Alger prient Aroudj de venir à leur secours ; il se rend
à cette invitation ; Khaïr-ed-din envoie ses soldats, turcs à son
aide, puis il part pour Tunis ; arrivée d’Ishaac, dans ce pays ;
Khaïr-ed-din le garde auprès de lui; armement formidable ; fl otte
chrétienne à Bizerte; Aroudj et Khaïr-ed-din se réunissent de nou-
veau ; Kh aïr-ed-din se rend à Tunis, où il fréquente le corps des
Ulemas ; expédition des chrétiens contre Alger ; Aroudj défend
la ville........................................................................................59
VII. Colère du roi d’Espagne, en apprenant la nouvelle du désastre de
l’expédition; Khaïr-ed-din promet des secours à Alger. Sur l’avis
d’Aroudj, il se rend d’abord à Gigel , pour déposséder un cheik,
et il se contente de le rendre tributaire ; Aroudj et Khair-ed-din se
réunissent à Alger; digression rétrospective tirée d’Haédo, et
complétant la chronique; Mort de Sélim Eutemi ; révolte des
habitans d’Alger; Exécutions sanglantes; Constitution défi nitive
du pouvoir entre les mains d’Aroudj..........................................69
VIII. Le neveu du sultan de Telmessen (Telemcen) vient cher-
cher, du secours contre son oncle chez les chrétiens; expédition
dirigée sur Ténès; Khaïr-ed-din va combattre; fuite du prétendant;
partage du territoire d’Alger entre les deux frères; Aroudj
s’avance à la tête d’une armée dans le pays.de Telmessen; soulè
vement général; le sultan va demander des secours aux Espagnols ;
siège de Beni-Rachid ; mort d’Ishaac ; mort d’ Aroudj............ 91
— 343 —
Pages
IX. Khaïr-ed-din rassemble des forces nouvelles et parcourt la pro-
vince; le sultan de Telmessen vient mettre le siège devant
Alger; une escadre chrétienne le seconde; propositions faites à
Khaïr-ed-din pour qu’il abandonne Alger, sortie contre les chré-
tiens, l’avantage reste aux musulmans ; tempête qui disperse la
fl otte ; sort des esclaves ; Khaïr-ed-din est surnommé Barbe
rousse.......................................................................................105
X. Le nombre des captifs inspire de la crainte aux Turcs ; révolte et mas
sacre ; complot des esclaves; songe prophétique de Khaïr-ed-din;
un jeune captif dévoile ce qui se passe parmi les chrétiens; exécu
tion du général espagnol et de ses compagnons ; propositions
faites par l’Espagne pour le rachat du corps ; refus de Khaïr-ed-
din ; le cadavre est jeté à la mer…...........................................115
XI. Khaïr-ed-din veut quitter Alger et se rendre à Constantinople ; les
principaux habitans le supplient de rester parmi eux ; il y con
sent Hadj-Hussein est choisi pour se rendre auprès du Grand-
Seigneur; succès de l’ambassade ; Alger est mis .sous la protec
tion immédiate de la Porte; passeport fourni par le bailli de
Venise;en dépit de ce sauf-conduit, Hadj-Hussein est attaqué par
les navires gênois ; réparation ; Hussein retourne à Alger ; Khaïr-
ed-din reçoit le titre de Bey......................................................127
XII. Jalousie du sultan de Tunis ; ses tentatives d’union avec le sultan
de Telmessen ; il cherche à séduire les lieutenants de Khaïr-
ed-din, Mohammed-ben-ali, et Hamed-ben-el-cadi ; soulèvement
des hordes arabes ; Khaïr-ed-din marche contre elles ; le sultan
de Telmessen rappelle ses deux frères réfugiés chez le sultan de
Fas ; l’un d’eux, Messaoud, réclame l’appui de Khaïr-ed-din ;
il monte sur le trône ; son ingratitude ; tentatives de l’ancien
sultan pour être réintégré dans ses états ; des secours lui sont
accordés ; prise de Mostaganem ; les Morisques de Grenade cher
chent un refuge à Alger............................................................139
XIII. Siège de Beni-Rachid ; Siège de Messaoud, siège de Telmessen;
stratagème des Turcs; son succès ; Muley-abd-allah est rétabli sur
le trône de Telmessen et il devient tributaire d’Alger; nouvelles
négociations du sultan de Tunis ; il réussit auprès d’Ahmed-ben-
el-cadi; invitation du sultan de Tunis; trahison d’Ahmed-ben-el-
— 344 —
Pages
cadi; massacre des Turcs dans les défi lés de Felissa; Ahmed-ben-
el-cadi vient mettre le siège devant Alger; accommodement entre
lui et Khaïr-ed-din ; second expédition dirigée par Hussein, frère
d’Ahmed ; les Algériens restent vainqueurs............................153
XIV. Suite de l’histoire de Messaoud; le sultan dépossédé vient assié
ger Telmessen; corps de Turcs dirigé sur cette ville; Messaoud,
trahi par un cheik arabe dont il était devenu l’hôte, est livré à
Muley-abd-allah.......................................................................165
XV. Expédition dirigée par Khaïr-ed-din sur la province de l’Est ;
elle est confi ée à Car-Hassan; trahison de ce dernier ;Ahmed-
ben-el-cadi entretient secrètement des intelligences dans Alger;
complot contre Khaïr-ed-din; il est averti et fait faire des proposi
tions de paix par l’intermédiaire des ulémas ; révolte générale;
massacre des habitans ; proposition que font les Turcs d’anéantir
la population ; refus de Khaïr-ed-din.......................................169
XVI. Khaïr-ed-din prolonge son séjour à Alger; sévérité de son adminis
tration ; décadence momentanée; départ du bey pour Gigel; il
promet de revenir au bout de trois ans; course en mer ; capture de
navires chargés de blé ; reconnaissance des habitans de Gigel;
croisière dirigée contre les habitans de Tunis ; ils envoient deman
der la paix ; leurs prisonniers leur sont rendus.........................185
XVII. Grande expédition sortie de Girbé ; retour à gigel; Khaïr-ed-din
passe l’hiver dans cette ville ; songe, apparition du prophète; dif
férends avec les habitans d’Alger; Ahmed-ben-el-cadi envoie à
Khaïr-ed-din des présens qui sont refusés; son envoyé est mutilé
par les troupes, expédition contre Bégiajé ; elle avorte ; on se
dirige sur Alger; défaite d’Ahmed-ben-el-cadi dans les monta
gnes; soumission des cheiks; évasion d’Ahmed-ben-el-cadi ; nou
velle armée formée par lui dans Alger; il meurt assassiné par les
siens; triomphe, de Khaïr-ed-din..............................................195
XVIII. Khaïr-ed-din marche contre Car-Hassan ; son entrée à Alger ;
exécution de Car-Hassan; rébellion du sultan de Telmessen ;
Khaïr-ed-din exige de lui l’ancien tribut ; Muley-abd-allah
repousse ces prétentions et se dispose à faire la guerre ; son propre
fi ls vient chercher un asile auprès de Khaïr-ed-din; défaite
— 345 —
Pages
du sultan; sa soumission; expédition de Khaïr-ed-din dans l’est;
elle dure deux ans ; soumission du chef révolté ; retour à
Alger.........................................................................................209
XIX. Khaïr-ed-din prend la résolution d’attaquer le fort des chrétiens;
digression relative à l’époque de sa construction; les Turcs
s’en emparent; on le démolit; construction de la chaussée; expé
dition envoyée au secours du fort; sa défaite; Khaïr-ed-din expé
die une fl otte pour aller croiser sur les côtes d’Espagne ; nou
veaux avantages remportés sur les chrétiens............................221
XX. Khaïr-ed-din envoie une nouvelle ambassade à Constantinople :
manière favorable dont elle est reçue; le Grand-Seigneur un
khatti-chérif à Khaïr-ed-din.....................................................235
XXI. Effet que produit en Espagne la nouvelle de la destruction du fort,
et celle des dernières défaites; alliance du roi d’Espagne avec le
roi de France contre le bey ; expédition d’André Doria ; expédi
tion de Charchel, où les chrétiens sont défaits ; expédition sur les
côtes de la Provence ; prisonniers musulmans qui recouvrent la
liberté.......................................................................................239
XXII. Mustapha-Chiaoux est envoyé auprès du Grand-Seigneur ; dif
férend entre Sinan reis et le bey ; Muley-Hassan, fi ls de Khaïr-
ed-din sauve Sinan reis d’un grand péril, après la perte de ses
navires ; Khaïr-ed-din donne en présent deux navires à Sinan et
à son compagnon; prise d’un galion venant du Nouveau-Mon
de.............................................................................................255
XXIII. Digression sur les événemens passés ; impression que fait en
Espagne le récit da captifs qui ont survécu à la prise du fort ;
expédition du sultan sur les côtes de la Romélie ; message de ce
prince à Khaïr-ed-din ; le roi de Hongrie demande du secours au
roi d’Espagne ; soulèvement du sultan de Telmessen ; il est battu
par Khaïr-ed-din, qui lui accorde encore une fois la paix........265
XXIV. Retour du bey à Alger; croisière sur les côtes d’Espagne ; le roi
fait armer quinze vaisseaux gardes-côtes; les Algériens s’en empa
rent ; expédition dirigée sur les côtes de l’Andalousie, pour
recueillir les Morisques du royaume de Grenade ; soixante-dix
mille fugitifs s’embarquent pour l’Afrique..............................277
— 346 —
Pages
XXV. Khaïr-ed-din est sur le point de se rendre à Constantinople ; con
vocation du divan ; André Doria essaie, par un stratagème, de
retenir le bey dans Alger; précaution prise contre une invasion
annoncée ; capture d’un bâtiment qui renferme des gens de dis
tinction; leur rançon est offerte et refusée ; crainte d’un sou
lèvement des esclaves chrétiens ; songe de Khaïr-ed-din; ruse
qu’il emploie pour s’assurer des véritables sentiments des cap
tifs............................................................................................285
XXVI. Départ de Khaïr-ed-din pour Constantinople ; arrivée à Prevesa;
André Doria s’éloigne de ces parages; entrée dans la rade de
Navarin ; Khaïr-ed-din écrit à Suleiman, qui l’invite à se rendre
auprès de lui; accueil qui lui est fait à Constantinople; voyage à
Alep; accueil du grand-visir; Khaïr-ed-din e st crée pacha à trois
queues; retour à Constantinople ; Khaïr-ed-din s’empare de quel
ques forteresses en Grèce, puis il ravage les côtes d’Espagne et
celles du royaume de Naples ; descente en Sardaigne.............303
XXVII. Khaïr-ed-din essaie d’entrer a Alger ; il va mouiller à Bizerte;
soulèvement des habitans en sa faveur ; le sultan de Tunis se retire
avec les siens dans le Beled-el-djerid ; il soulève les Arabes;
Khaïr-ed-din marche contre lui, emploi de la voile, pour faire
marcher l’artillerie en plaine ; El-Hafsi demande des secours à
Charles-Quint; départ de l’empereur pour l’expédition sous les murs de la ville. Le sultan, se voyant
dans l’impossibilité de soutenir un siége, députa
au bey les principaux habitans, ainsi que les
grands de la cour, pour traiter de la paix avec lui,
moyennant une somme de trente mille ducats.
Mais Khaïr-ed-din fut sourd à leurs instances,
et il leur dit : « Cet homme n’a ni foi ni loi : on
ne peut se fi er ni à ses promesses, ni à ses sermens Tantôt cédant à ses caprices, d’autrefois se
laissant gagner par les chrétiens, je le vois sans
cesse prendre les armes contre moi : je ne me
prêterai plus à aucun accommodement. »
Les députés retournèrent auprès du sultan
avec cette réponse inquiétante. Mais Muleyabd-allah avait déjà éprouvé plus d’une fois la
générosité de Khaïr-ed-din, et il ne désespéra
pas de le fl échir. Il vint le trouver lui-même dans
son camp, et à force d’instances et de promesses, il obtint sa grâce. Le bey retourna triomphant à Alger.
Le roi d’Espagne reçut l’avis du mauvais
succès de ses intrigues dans la Barbarie, à l’époque où il s’occupait de l’expédition d’une fl otte
nombreuse pour le Levant, fl otte qui devait être
commandée par André Doria le maudit. Pour lui
ce fait un vrai coup de foudre, toutefois, après
— 275 —
que la fl otte eut mis à la voile, il se décida à
aller lui-même au secours du roi de Hongrie
qui ne cessait de lui représenter la détresse dans
laquelle il se trouvait. Comme il était en marche
pour se rendre auprès de ce prince, il apprit
que le sultan Suleiman-Khan avait emporté la
citadelle d’Ankerous qu’il allait défendre; et il
revint sur ses pas, ayant la douleur de voir que
tous ses efforts contre l’islamisme ne lui rapportaient que honte et confusion.
— 276 —
— 277 —
XXIV
Retour du bey à Alger; croisière sur les côtes d’Espagne ; le roi fait armer quinze vaisseaux gardes-côtes;
les Algériens s’en emparent ; expédition dirigée sur les
côtes de l’Andalousie, pour recueillir les Morisques du
royaume de Grenade ; soixante-dix mille fugitifs s’embarquent pour l’Afrique.
Khaïr-ed-din, à son retour d’Alger envoya
tous ses vaisseaux sur les côtes d’Espagne; les
corsaires, après avoir fait diverses prises, allèrent mouiller dans une des rades de ce royaume,
d’où ils étaient à portée de découvrir les vaisseaux qui passaient dans le détroit. Les habitans
— 278 —
des côtes se rendirent en foule auprès de leur
roi, et lui dirent : « Seigneur, tandis que tu t’occupes de tes plaisirs, Barberousse et ses Turcs,
détruisent notre navigation, ils viennent même
enlever nos femmes et nos enfans bien avant
dans les terres; si tu n’as pas quelques moyens
pour nous défendre, permets-nous au moins de
nous mettre sous leur protection. »Le maudit de
Dieu les consola du mieux qu’il lui fut possible
et les assura qu’il allait prendre des mesures
pour que leur tranquillité ne fût pas troublée ;
en conséquence, il fi t armer quinze navires pour
garder les côtes ; à ceux auxquels il en confi a le
commandement, il leur fi t jurer, non seulement
d’attaquer les corsaires d’Alger, partout où ils
les rencontreraient, mais de les combattre jusqu’à la mort. Par la permission de Dieu, sans
doute, il arriva que le vent conduisit ces vaisseaux gardes-côtes sur la rade où l’escadre de
Khaïr-ed-din était à l’ancre. Elle les aperçut à
la pointe du jour, et les chefs comprirent qu’ils
étaient assez forts pour en venir à bout. Toutefois, pour qu’aucun de ces vaisseaux ne pût
leur échapper, en se réfugiant sous le canon de
quelques châteaux voisins, le commandant de
l’escadre musulmane fi t des signaux pour qu’on
— 279 —
eût à cingler en haute mer en feignant de prendre la fuite, Ceux qui commandaient les vaisseaux espagnols se laissèrent aisément tromper
par cette manœuvre. Ils s’imaginèrent que les
Algériens avaient peur d’eux, et ils se mirent à
leur poursuite; mais dès que les corsaires musulmans les virent au large, ils virèrent de bord
les entourèrent, et, après un léger combat, Dieu
aidant, ils s’en rendirent les maîtres. Puis lorsque cette prise excellente fut assurée, ils retournèrent à Alger(1).
Le roi d’Espagne convoqua tous les prêtres
et tous les moines du royaume, et il leur dit : «Il
y a encore dans divers cantons de l’Andalousie,
soumise à mon empire, des Maures qui professent ouvertement leur religion ; les principes de
notre loi permettent-ils, ou non, de leur laisser
le libre exercice de l’islamisme ? Dans le cas où
nos livres sacrés prohiberaient cette tolérance,
veuillez bien me prescrire ce que j’ai à faire. »
Tous les prêtres et tous les moines se prononcèrent unanimement ; ils dirent que la religion
chrétienne ne pouvait souffrir un pareil scandale, et un vieil évêque, prenant la parole au
nom de l’assemblée, s’exprima de cette façon:
_______________
1. 1533
— 280 —
« Seigneur, le Messie est irrité contre nous; car
nous souffrons sur nos terres des gens qui professent l’unité de Dieu et qui suivent la loi du
Coran ; il est à craindre que nos femmes et nos
enfans, séduits par leurs exemples et convaincus par leurs argumens, ne viennent à déserter
notre religion et à embrasser leur croyance ; tu
sais que ces Maures sont nos ennemis secrets, et
qu’ils ne soupirent qu’après l’occasion où il leur
sera possible de se venger sur nous de toutes
les injustices que nous avons commises à leur
égard. D’ailleurs, deux cultes et deux lois ne
peuvent exister dans un même lieu, et les affaires de ce royaume ne commenceront à prospérer
que lorsque tu auras aboli l’islamisme sur toutes
les terres soumises à ton pouvoir. » En conséquence de cette remontrance, le roi ordonna
qu’on obligerait tous les musulmans qui étaient
en Espagne ; à envoyer leurs enfans à l’église,
pour être instruits des principes de l’évangile,
et pour être élevés comme des chrétiens; il fi t
même publier que tous ceux que l’on surprendrait lisant le Coran et accomplissant certains
actes de la religion mahométane, seraient condamnés au feu. Les Maures, justement indignés
d’une pareille barbarie, et animés d’un saint
— 281 —
zèle pour leur religion, se réunirent, s’armèrent, et prenant avec eux leurs femmes et leurs
enfans, allèrent se retrancher sur une montagne
de l’Andalousie nommée Pardona. Les chrétiens
vinrent les y assiéger, et après de longs combats,
les Maures Andaloux furent forcés par la faim
de retourner au sein des villes et des bourgades, qu’ils avaient abandonnés. Dans la cruelle
position où ils étaient tombés, ils s’adressèrent
à Khaïr-ed-din, et, lui représentant tout ce qu’ils
avaient à souffrir de la part des infi dèles, ils le
supplièrent au nom de l’envoyé de Dieu, le premier et le dernier des prophètes, sur qui soit
le salut de paix, de venir les délivrer du joug
affreux sous lequel on les voyait gémir. La peinture de leurs infortunes était faite pour toucher
les âmes les plus dures. Khaïr-ed-din assembla
tous les habitans d’Alger et leur fi t lecture de
la lettre qu’il venait de recevoir. Sur-le-champ
il fut décidé qu’on armerait trente-six vaisseaux
avec des troupes de débarquement, et qu’on irait
arracher les Maures d’Espagne à la persécution
de leur tyrans.
Lorsque les Maures Andaloux virent approcher de la côte la fl otte algérienne qui venait à
leur secours, ils gagnèrent cette même montagne
— 282 —
de Pardona qu’ils avaient été forcé d’abandonner précédemment; les chrétiens les poursuivirent; mais, tandis qu’ils gravissaient la
montagne, les Algériens qui avaient mis pied
à terre arrivèrent à temps pour mettre ceux-ci
entra deux feux. La victoire se déclara pour
les musulmans : les infi dèles prirent la fuite,
les Turcs les poursuivirent l’épée dans les reins
jusque sous les murailles de la forteresse, et ils
revinrent ensuite triomphans rejoindre les Andaloux. Ceux-ci, grâce à la protection des Algériens, allèrent dans la ville et les villages où
ils étaient jadis établis, enlever leurs femmes et
leurs enfans, ainsi que leurs meubles et tous les
effets qu’il leur était possible d’emporter, et ils
s’acheminèrent vers le rivage pour s’embarquer
sur la fl otte. Mais, comme il y avait impossibilité que les vaisseaux pussent transporter tout à
la fois un si grand nombre de familles maures,
on convint que celles qui resteraient, iraient se
retrancher sur la montagne de Pardona, et qu’on
laisserait auprès d’elles un corps de mille guerriers qui veilleraient à leur sûreté jusqu’à ce
que la fl otte musulmane pût revenir les prendre. Cette fl otte fut obligée de faire sept voyages
consécutifs, et elle transporta à Alger soixantedix mille âmes. Depuis ce temps-là jusqu’à
— 283 —
nos jours, les corsaires algériens se font une loi
de s’approcher des côtes de l’Andalousie pour y
recueillir les familles maures qui auraient pu y
rester.
— 284 —
— 285 —
XXV
Khaïr-ed-din est sur le point de se rendre à Constantinople ; convocation du divan ; André Doria essaie,
par un stratagème, de retenir le bey dans Alger; précaution prise contre une invasion annoncée ; capture
d’un bâtiment qui renferme des gens de distinction;
leur rançon est offerte et refusée ; crainte d’un soulèvement des esclaves chrétiens ; songe de Khaïr-eddin; ruse qu’il emploie pour s’assurer des véritables
sentiments des captifs.
Khaïr-ed-din n’attendait que la fi n de cette
bonne pour se rendre à Constantinople où il avait
été appelé par le sultan Suleiman Khan d’heureuse mémoire. Ce grand empereur avait conquis Ankerous, comme nous l’avons; déjà dit.
Le roi de Hongrie, en fuyant devant lui, s’était
— 286 —
noyé dans un étang nommé l’Étang d’Argent.
Mais le cadavre de ce prince avait été tiré de
là, et, par les ordres du sultan, on l’avait transporté à Bellegrade, où il avait été enterré dans
le tombeau de ses pères. Maître du royaume
de Hongrie, qu’il avait réuni à ses vastes états,
et voyant qu’il ne lui restait plus dans son voisinage d’ennemis à combattre, cet invincible
sultan des Ottomans s’était proposé d’aller en
personne faire la conquête de l’Espagne. Pour
arriver à l’exécution de ce projet, il lui fallait
un homme qui connut les côtes de ce royaume
et les lieux les plus propres à y débarquer une
grande armée. Il jeta les yeux sur Khaïr-ed-din
dont la réputation, était alors si justement célèbre dans l’univers, par sa sagesse dans le commandement, par son habileté dans l’art de la
navigation, par son intrépidité dans les combats
et enfi n par la conquête d’un vaste pays de la
Barbarie, où il faisait respecter le nom des Ottomans que l’on y connaissait à peine avant lui :
il lui recommandait d`établir à Alger un 1ieutenant qui devait commander en son nom, et il lui
proposait de lui en envoyer, un lui-même ; s’il
ne trouvait personne sur les lieux qui fût digne
de sa confi ance. Sinan-Chiaoux, un des esclaves
de la Sublime Porte, avait été chargé de porter
— 287 —
cette dépêche. En arrivant à Alger, cet envoyé
du sultan fut conduit avec pompe à l’hôtel du
gouvernement, où il remit au bey le fi rman de
sa Majesté impériale. Khaïr-ed-din le prit avec
respect, le baisa, le mit sur sa tête, puis il le lut
avec attention. Ensuite, il convoqua un divan
général, où les gens de loi, les cheiks, les imans,
les desservans des mosquées, et des zaviés, les
habitans les plus considérables de la ville, et
enfi n les principaux offi ciers de la milice furent
invités à se rendre. Après leur avoir fait lecture
de l’ordre qu’on venait de lui transmettre de la
part de sa Majesté impériale, il fi t entendre à
cette assemblée qu’il n’était point en son pouvoir de différer plus longtemps son départ; qu’il
avait déjà tout disposé pour .son voyage. Il termina en disant qu’il avait choisi pour son lieutenant un homme qui était digne d’être à leur tête.
« Je n’ai pas manqué ajouta-t-il, de lui recommander de vous regarder comme ses enfans, et
de se diriger en toute chose par les conseils de
l’équité et de la justice; j’espère que, de votre
côté, vous mériterez, par votre attachement pour
sa personne, et votre amour pour le bon ordre,
les égards et les bontés qu’il est disposé à avoir
pour vous. »
— 288 —
Lorsque André Doria eut appris ce projet
de la conquête de l’Espagne, dont s’occupait le
sultan Suleiman, et l’intention où il était de se
servir du bey d’Alger pour l’exécution de son
plan, il pensa que ce serait gagner beaucoup
que d’empêcher le départ de Khaïr-ed-din. Voici
donc la ruse qu’il mit en oeuvre pour arriver à
ses fi ns : il expédia un navire à Alger, chargé
de diverses marchandises pour la valeur de six
à sept mille ducats, et, il le fi t suivre d’un autre
bâtiment portant soixante-dix esclaves musulmans dont il proposait le rachat. Le subrécargue
qui fut choisi pour cette expédition mercantile,
avait ordre de dire, lorsqu’on lui demanderait
des nouvelles de la chrétienté, que le roi d’Espagne faisait de grands préparatifs de guerre,
et que l’on assurait que ces préparatifs étaient
dirigés contre Alger où il voulait se rendre luimême. A l’arrivée de ce navire, Khaïr-ed-din
acheta les objets composant la cargaison, et il
paya la rançon des esclaves musulmans au prix
fi xé par l’usage. En conséquence de la leçon
qui lui avait été faite par André Doria, le subrécargue, de son côté, ne manqua pas de débiter
confi dentiellement les projets imaginaires qu’on
prêtait an roi d’Espagne contre Alger. Khaïr-eddin en fut sur-le-champ avisé, et quoiqu’il se
— 289 —
doutât bien que cette nouvelle avait été faite à
plaisir, il n’en ordonna pas moins de travailler à
la réparation des tours et des châteaux, et il fi t
même placer quelques batteries nouvelles dans
les endroits qui lui paraissaient les plus faibles.
Après avoir terminé ses affaires et pris
une cargaison de retour, le navire marchand fi t
voile pour Gênes, où se trouvait André Doria.
Le subrécargue lui raconta les diligences qu’il
avait vues faire à Khaïr-ed-din pour mettre la
ville d’Alger en état de défense. André Doria
s’applaudit de l’idée qu’il avait eue, et malgré
la haine qui l’animât contre le bey d’Alger, il
ne put s’empêcher de rendre justice aux talens
et au génie de l’ennemi implacable de la chrétienté.
En ce temps-là quelques corsaires algériens
qui parcouraient les mers, prirent quatre navires
appartenant aux infi dèles. Ces navires transportaient en Espagne un grand nombre de passagers, parmi lesquels se trouvaient vingt offi ciers
de marque, et cent quarante de ces individus que
les chrétiens nomment gens de condition, tous
êtres efféminés et nourris dans la mollesse, qui
portent des gants et des mouchoirs au cou de
peur que l’air et le soleil ne ternissent la blancheur de leur peau. Parmi ces derniers, il y en
— 290 —
avait un qui était fi ls(1) d’un des baillis de Rhodes.
Les chrétiens furent vivement affl igés de leur
perte; et pendant plus de huit jours consécutifs
ils dirent des prières publiques dans leur église
pour demander au Messie la délivrance de ces
captifs. Immédiatement après, ils envoyèrent
des agens à Alger afi n de traiter de leur rançon :
ils offrirent pour le rachat du fi ls du Lailli, son
poids en argent monnayé; mais Khaïr-ed-din,
n’écoutant que son zèle pour les intérêts de l’islamisme, rejeta toutes les offres qu’on lui adressait, et voici même comme il s’exprima devant
ceux qui avaient été expédiés pour terminer cette
négociation : « Ces chiens-là gardent rancune et
ne respirent que la vengeance; ils ne seraient
pas plus tôt arrivés dans leur pays qu’ils s’occuperaient à faire des armemens contre nous : je
refuse. »
Les négociateurs ne purent s’empêcher
d’approuver intérieurement sa façon de penser,
malgré l’envie qu’ils avaient de réussir dans
l’objet de leur mission. A leur retour, la consternation des chrétiens augmenta, et ils cherchèrent à se venger du refus de Khaïr-ed-din par les
_______________
1. L’auteur ignorait sans doute que les chevaliers
de Rhodes faisaient vœu de chasteté : c’était peut-être le
neveu d’un bailli. (Note du traducteur.)
— 291 —
mauvais traitemens qu’ils fi rent éprouver aux
esclaves musulmans qui étaient chez eux dans
les fers.
Khaïr-ed-din, en s’occupant des préparatifs de son départ pour Constantinople, n’était
pas sans inquiétude relativement à la quantité d’esclaves infi dèles qu’il y avait à Alger :
leur nombre montait à sept mille. Il disait en
lui-même : « Si je pars, et si je laisse tous ces
chrétiens dans la ville, ils pourront se réunir et
causer du désordre; d’un autre côté, si je les
emmène avec moi, une tempête peut leur rendre
la liberté, et alors, les tourmens de nos frères
qui gémissent dans la captivité entre les mains
des infi dèles, n’auront plus de bornes. » Ces
réfl exions le rendaient indécis sur les moyens
qu’il avait à prendre.
Cependant dès qu’il eût connaissance de
la manière cruelle dont les musulmans étaient
traités dans la chrétienté, il usa de représailles
envers les chrétiens qui se trouvaient en son
pouvoir, et il n’allégea le poids de leurs chaînes
que lorsqu’il eut appris que les infi dèles étaient
devenus plus humains envers leurs esclaves.
Lorsque ceux qui étaient à Alger virent que
Khaïr-ed-din ne voulait point écouter de propositions relatives à leur rachat, ils fi rent entre eux
— 292 —
le complot de se rendre maîtres de la ville ou
de se sauver à main armée. Leur révolte devait
commencer par le massacre de l’offi cier que
Khaïr-ed-din avait chargé de veiller sur eux.
C’était un Turc de l’île de Mételin, dans lequel
le bey avait mis sa plus grande confi ance. Khaïred-din, préoccupé des dispositions qu’il avait
à faire pour assurer la tranquillité d’Alger, eut
une nuit un songe qui l’inquiéta. Il se vit transporté à Mételin au moment même où le plancher de la maison du Gardian-Bachi semblait
prêt à s’écrouler ; dans son rêve, il s’élançait
vers lui et le soutenait de ses mains.
Lors de son réveil, l’explication toute naturelle que le bey donna à ce songe, ce fut que le
Gardian-Bachi était menacé de quelque malheur
dont lui-même devait le préserver. Il l’envoya
chercher immédiatement, et lui raconta le songe
qu’il avait eu, en lui communiquant aussi l’interprétation qu’à son avis il devait lui donner.
Puis il lui vint une idée, ce fut d’ordonner à cet
offi cier de s’en aller déclamant contre lui parmi
les chrétiens; son but était de leur inspirer par
ce moyen de la confi ance, et il espérait pouvoir
pénétrer ainsi jusque dans le fond de leur âme.
Il a existé peu d’hommes plus prévoyans et
— 293 —
plus sages que Khaïr-ed-din. Toutes les grâces
que Dieu lui a faites dans ce monde, nous sont
un garant de la félicité dont il jouit dans l’autre
vie.
Le Gardian-Bachi sortit en effet de l’hôtel du gouvernement, affectant les airs d’un
homme qui aurait éprouvé quelques duretés de
la part du bey; il rencontra sur ses pas un de ces
chrétiens qui, sachant lire et écrire, sont chargés de tenir quelques registres et de veiller sur
les autres esclaves. Il commença à murmurer
en sa présence contre Khaïr-ed-din, et se prit à
dire : « Voyez, il y a un temps infi ni que je suis
au service de cet homme, et je n’ai encore reçu
aucune faveur de sa part; bien loin de là, quelque peine que je me donne, je ne puis jamais
réussir à le satisfaire, et je n’entends sortir de
sa bouche que des propos durs, si ce ne sont des
menaces. »
Le Gardian-Bachi prononçait ces paroles en
gardant le ton d’un homme vraiment courroucé ;
un des esclaves du bagne qui venait d’entendre
ses plaintes, dit à ses camarade : « Avez-vous fait
attention à la colère de ce Turc... ? » Chacun fi t
là-dessus ses réfl exions et tira ses conjectures...
Un moment, après, le Gardian-Bachi aborda
une troupe d’esclaves qui étaient rassemblés, et
— 294 —
continuant à s’emporter, il alla jusqu’à blasphémer contre le bey, et leur dit : « Convenez que mon sort est bien à plaindre : je sers
Khaïr-ed-din depuis son départ de Mételin, je
l’ai accompagné dans toutes ses campagnes de
mer et de terre, je me suis exposé pour lui à tous
les dangers, et il croit avoir fait beaucoup pour
moi lorsqu’il m’a chargé du service pénible et
désagréable qui s’attache aux soins du bagne.
Ne devais-je pas attendre de sa reconnaissance
qu’il une donnât le commandement de quelque
district de ce royaume, avec le titre de bey, ou
tout au moins avec celui de kaid ; mais non, les
faveurs sont réservées pour des étrangers, et il
suffi t de lui appartenir de prés pour n’obtenir
aucun emploi distingué : encore s’il me dédommageait par quelques égards particuliers, si,
lorsque je lui demande de diminuer vos travaux,
d’accorder quelque soulagement à vos peines,
il écoutait favorablement mes représentations, il
me serait peut-être aisé de prendre patience; mais
il suffi t que je m’intéresse en votre faveur dans
ce qui regarde les choses les plus justes et les
plus raisonnables pour exciter sa fureur contre
moi, et pour me voir accabler d’injures qu’il me
serait impossible de vous rendre... » Puis, ce
rusé Gardian-Bachi, continuant à jouer son rôle
— 295 —
avec une adresse supérieure, se tourna vers
le fi ls du bailli de Rhodes, qui l’écoutait avec
attention, et il lui dit : « O Seigneur;un homme
tel que moi est-il donc fait pour commander, à
des gens qui ont été, comme beaucoup d’entre
vous, gouverneurs de grandes villes et de grandes provinces; et vous surtout dont le père tient
un rang élevé dans l’île de Rhodes ! Je suis né
à Midilli qui n’est pas éloignée de cette île, j’ai
eu occasion de connaître votre père, et j’en ai
reçu mille bienfaits ; il est si triste pour moi de
ne pouvoir vous en témoigner ma juste reconnaissance, que je n’ose plus lever les veux sur
vous. Ah ! S’il m’était possible de fuir d’ici,
j’en saisirais l’occasion avec empressement,
et je ne désespère pas d’en trouver un jour les
moyens. »
Le Gardian-Bachi continua à leur tenir
durant plusieurs jours de pareils propos, qu’il
appuyait de procédés pleins de douceur et
d’honnêteté. A la fi n, les esclaves, trompés pas
ses fausses confi dences, s’ouvrirent à lui, et lui
dirent : « Nous avons conçu le projet de nous
délivrer des mains de notre tyran: ce projet doit
nécessairement réussir, si tu veux le seconder, et
quelque chose que nous fassions pour toi, nous
— 296 —
ne saurons assez payer le service que tu nous
auras rendu. » Hé ! de quoi est-il question ? reprit
le Gardian-Bachi, expliquez-moi votre idée , et
comptez sur mon dévouement; il n’y a certainement rien que je ne sois disposé à faire pour
rompre vos fers. Alors les esclaves lui fi rent voir
une lettre qu’ils avaient écrite au commandant
de Bégiajé. Il est bon de se rappeler que cette
place était alors entre les mains des chrétiens,
auxquels elle n’a été enlevée que sous le gouvernement du Salah-Pacha, qui fut plus heureux
dans cette entreprise qu’Aroudj et Khaïr-eddin. Voici ce que contenait en somme la lettre
adressée aux chrétiens par le commandant de
Bégiajé : ils l’informaient qu’ils avaient formé
le complot de se rendre maître d’Alger ; puis
ils le priaient d’envoyer un de ses vaisseaux au
cap Témantefous; pour les recevoir dans le cas
où, leur coup venant à manquer, ils se verraient
contraints à prendre la fuite ; ils tâchaient en
outre d’exciter sa pitié par la peinture exagérée
de leur esclavage, et ils fi nissaient en lui demandant une prompte réponse, ainsi que l’indication
du jour où le vaisseau dont ils avaient besoin
se trouverait à Témantefous. Après avoir fait
lecture de leur missive au Gardian-Bachi, qui
— 297 —
entendait et parlait fort bien la langue italienne,
les chrétiens lui dirent : « Il y a déjà plusieurs
jours que cette lettre est prête, mais il nous a
été impossible de trouver quelqu’un qui pût la
porter à sa destination. Tu sais mieux que personne combien on nous surveille dans cette
prison. Le Messie a eu compassion de notre
sort, et c’est lui qui t’a inspiré les sentimens de
générosité dont ton cœur est animé pour nous.
Il faut te faire un aveu complet, nous te regardions comme notre plus grand ennemi, et notre
premier acte ce devait être de te massacrer. » En
ce moment le Gardian se rappela avec surprise
le songe de Khaïr-ed-din, et l’explication qu’il
en avait tirée. Il dit aux chrétiens, ce n’est pas
chose facile que de trouver une personne assez
sûre pour lui confi er cette lettre; mais je vous ai
promis de mériter votre amitié par toute sorte
de sacrifi ces : de ce pas, je vais trouver Khaïred-din pour le prier de me donner un poste dans
les maisons de Bégiajé, et je me chargerai moimême de porter votre demande au gouverneur
de cette ville.
Les esclaves chrétiens, transportés de reconnaissance, lui fi rent les plus magnifi ques promesses et lui remirent leur pli. Le Gardian-Bachi ne
— 298 —
tarda pas de se rendre à l’hôtel du gouvernement, et après avoir baisé la main de Khaïr-eddin, il lui dit : « Pour le coup, Seigneur, j’ai des
preuves convaincantes de ta sainteté et du crédit
dont tu jouis auprès de l’Être suprême; prends
et lis cette lettre.»Lorsque Khaïr-ed-din en eut
fait la lecture, il lui dit .: «Fais seller ton cheval,
et va-t’en toi-même rendre ce pli au commandant de Bégiajé. » Le Gardian-Bachi partit le
même jour, et, dès son arrivée à Bégiajé, il se
présenta au commandant, auquel il remit mystérieusement la lettre dont il était porteur. Le commandant le prit à part, et lui dit : « J’enverrai
certainement le vaisseau qu’ils me demandent,
mais je crains que Barberousse ne devine tous
nos projets. »
Le Gardian-Bachi, en attendant que 1a
réponse fût prête, se promenait dans les rues
de Bégiajé ; les musulmans qui étaient en captivité dans cette ville, l’accablaient d’injures et
lui crachaient au visage, dans la persuasion où
ils étaient, qu’il avait été envoyé par les esclaves d’Alger et ils se disaient les uns aux autres:
« Cet homme a été comblé de biens par Khaïred-din, et le monstre d’ingratitude pousse la
perfi die jusqu’à devenir l’espion et le messager
— 299 —
de ses ennemis. » Les bons musulmans étaient
bien loin de soupçonner, on le voit, qu’il agissait par ordres formels, et pour les intérêts de
Khaïr-ed-din.
Lorsque le commandant infi dèle eut remis
au Gardian-Bachi la dépêche par laquelle il
faisait savoir aux esclaves d’Alger le jour où
le vaisseau qu’ils demandaient se trouverait
mouillé à l’abri de Témantefous, il reprit le
chemin d’Alger.
En approchant de la ville, il trouva un
détachement de Turcs que Khaïr-ed-din avait
envoyés à sa rencontre pour l’arrêter. Ils se
saisirent de lui, et le menèrent lié et garrotté
devant le bey. Khaïr-ed-din lui dit : « Âme vile
et ingrate, est-ce ainsi que tu abuses de ma confi ance et de mes bontés ; tandis que tu devrais
veiller plus que personne à la sûreté publique,
tu oses te charger du message des infi dèles qui
conspirent contre l’état. » Le bey, après avoir
prononcé ces paroles d’un air irrité, ordonna de
le fouiller ; et on trouva naturellement sur lui la
lettre que le commandant de Bégiajé adressait
aux esclaves. Khaïr-ed-din commanda à l’instant qu’on enlevât ce perfi de de devant ses yeux,
et qu’on le conduisît dans la prison même où
étaient enfermés les chrétiens.
— 300 —
Lors donc qu’il se trouva au milieu d’eux,
il leur dit : « Voyez le sort où m’ont réduit mon
zèle et mon attachement pour vous. J’ai porté
moi-même votre lettre au commandant de
Bégiajé, et je revenais avec sa réponse ; Barberousse, ce démon incarné, a deviné le mystère ;
il m’a enlevé le pli que je devais vous remettre. Dieu seul sait maintenant la vengeance
qu’il médite contre vous et contre moi. » Les
chrétiens à cette nouvelle, pâlirent d’effroi, ils
s’arrachèrent la barbe, et se tordirent les bras de
repentir.
Cependant le jour où l’on devait voir arriver
le vaisseau de Bégiajé à Témantef’ous approchait. Khaïr-ed-din y envoya un de ses navires
pour l’attendre et pour s’en emparer. A l’époque
fi xée, en effet, le vaisseau parut équipé de cent
vingt hommes. Toutefois, en entrant dans le
golfe, le commandant chrétien découvrit le vaisseau turc qui était à l’affût; il voulut fuir, mais
les Algériens lui coupèrent le chemin et s’en
rendirent maîtres. Cette prise fi t le plus grand
plaisir à Khaïr-ed-din, et répandit la joie dans
toute la ville. Le bey fi t traduire devant lui les
nouveaux esclaves, ainsi que ceux qui étaient à
la tête de la conspiration ; puis, il leur montra la
— 301 —
lettre du commandant de Bégiajé. La preuve de
leur crime était complète; ils restèrent tous confondus, et ne purent articuler une seule parole.
Pour Khaïr-ed-din, il fi t trancher la tête à vingt
d’entre ces chrétiens qui lui paraissaient les plus
coupables, et il envoya les autres dans la prison
destinée aux captifs.
— 302 —
— 303 —
XXVI
Départ de Khaïr-ed-din pour Constantinople ; arrivée à Prevesa ; André Doria s’éloigne de ces parages;
entrée dans la rade de Navarin ; Khaïr-ed-din écrit à
Suleiman, qui l’invite à se rendre auprès de lui; accueil
qui lui est fait à Constantinople; voyage à Alep; accueil
du grand-visir; Khaïr-ed-din e st crée pacha à trois
queues; retour à Constantinople ; Khaïr-ed-din s’empare de quelques forteresses en Grèce, puis il ravage
les côtes d’Espagne et celles du royaume de Naples ;
descente en Sardaigne.
Après cette exécution qui assurait la tranquillité d’Alger, Khaïr-ed-din remit entre les
mains du lieutenant qu’il avait choisi(1) les rênes
_______________
1 Hassan-Aga, renégat Sarde. Ce fut lui qui défendit Alger contre Charles-Quint.
— 304 —
du gouvernement ; et il se mit en mer pour se
rendre à Constantinople auprès de sa Majesté
impériale le sultan Suleiman-Khan. Il partit
avec une fl otte de quarante-quatre voiles, et fi t
route pour Gênes. Chemin faisant, il brûla et
ravagea toutes les côtes de cette république. De
là, il passa en Sicile, et il s’y empara de dix-huit
bâtimens chrétiens auxquels il mit le feu après
en avoir retiré les équipages. Il s’informa des
esclaves qu’il avait pris, où il lui serait possible
de rencontrer André Doria le maudit; il apprit
qu’il était parti pour les côtes de la Morée avec
vingt-quatre demi-galères et vingt gros vaisseaux. Sur cet avis, il s’empressa de quitter la
Sicile, et de faire route pour Prévesa(1) où il se
fl attait de trouver son ennemi.
Dès qu’il eut mouillé dans ce port, les habitans vinrent lui témoigner la joie qu’ils éprouvaient de son arrivée. Car sa présence, selon
eux, devait nécessairement empêcher l’irruption dont ils étaient menacés de la part d’André
Doria. En effet, ce maudit de Dieu avant eu avis
que Khaïr-ed-din était à sa poursuite avec une
_______________
1 Prévesa, en Albanie, à l’entrée du golfe de l’Arta,
tout à fait dans le voisinage de l’ancienne Actium. (Voy. pour
plus amples détails sur ce voyage à Constantinople, et sur le
séjour de Khaïr-ed-din dans le Levant, les notes de la fi n.)
— 305 —
fl otte de quarante-quatre vaisseaux, s’était éloigné des lieux où il aurait pu être rencontré. Il y
avait déjà six jours que les habitans de Prévesa
l’avaient vu passer près de leur côte. Dès que
Khaïr-ed-din fut informé de sa fuite, il congédia vingt-cinq vaisseaux, et il en garda dix-neuf
pour son voyage à Constantinople.
Les vaisseaux qu’il renvoya à Alger rencontrèrent, dans leur navigation, sept bâtimens
napolitains; ils en prirent deux, les autres se sauvèrent.
Khaïr-ed-din en quittant Prévesa, entra dans la
rade de Navarin, où il trouva la fl otte du sultan Suleiman. Il salua de son artillerie le pavillon du GrandSeigneur, et on lui rendit le salut selon l’usage.
Ensuite ils partirent tous ensemble pour Coron(1)
, _______________
1 La fl otte ottomane, à laquelle venait de se réunir la
division de Khaïr-ed-din se composait en tout de soixante
galères, sans compter d’autres navires moins considérables;
elle était commandée par Zay Olupat-bey, de Galipoly, et elle
se dirigeait sur Coron, que les Espagnols occupaient depuis
quelque temps. Pressée du côté de la mer par cette fl otte, et du
côté de la terre, par l’armée de Zizim qui l’enveloppait, cette
ville fut bientôt une proie aux horreurs de la famine; mais elle
ne se rendit pas. André Doria arrivant sur ces entrefaites avec
une fl otte nombreuse, livra bataille aux Ottomans, qui furent
contraints de lever le blocus. Néanmoins, peu de temps après,
les habitans de Coron étant réduits à la plus grande misère,
abandonnèrent la ville et rentrèrent dans leur pays. Ce fut le 1er
avril 1534.
— 306 —
d’où Khaïr-ed-din écrivit à sa Majesté impériale
pour l’informer de son arrivée, et lui demander
la permission d’aller baiser la poussière de ses
pieds.
Le Grand-Seigneur l’invita à se rendre
promptement auprès de lui. En conséquence, et
à la simple réception de cet ordre, Khaïr-ed-din
quitta Coron et fi t voile pour Constantinople où
il arriva peu de jours après avec tous les navires de son escadre. En se présentant devant le
sultan, il se prosterna, baisa la terre, et attendit
ensuite debout, dans un silence respectueux, les
ordres de sa Majesté impériale. Le sultan Suleiman le fi t revêtir d’un caftan d’honneur; et non
content de lui fi xer des appointemens pour son
entretien, il lui désigna un des hôtels appartenant au gouvernement, pour sa demeure. Le
soin des arsenaux et la construction des navires
furent remis dès ce moment sous sa direction.
Dans ce temps-là, le grand visir se trouvait
à Alep, occupé à rétablir le bon ordre dans la
Syrie. Il apprit l’arrivée de Khaïr-ed-din à Constantinople ; et tout ce qu’il avait entendu raconter de ses exploits, lui donna envie de connaître
personnellement ce héros. Il écrivit au GrandSeigneur pour le supplier de le lui envoyer.
Et voilà ce que le sultan fi t dire par un de ses
— 307 —
offi ciers à Khaïr-ed-din : « Mon serviteur, que les
affaires de l’empire retiennent à Alep, désire te
voir ; voudrais-tu bien entreprendre ce voyage ? »
Khaïr-ed-din répondit : « Je suis l’humble esclave
de sa Majesté impériale et tous ses ordres, je dois
les exécuter. » Sur sa réponse, le sultan lui fi t
donner des chevaux avec une escorte pour le conduire à Alep. Il passa sur un bâtiment à Madania(1)
et, de là, il s’achemina par terre vers Alep. Lorsqu’il fut à une journée de la ville, il se fi t devancer
par un courrier que le sultan avait envoyé avec lui
pour porter ses dépêches au grand-visir.
Le premier ministre fut vraiment fl atté de la
visite que Khaïr-ed-din lui faisait. Il envoya à sa
rencontre tous les offi ciers du divan; et ceux-ci
l’accompagnèrent dans la ville, et même jusqu’à l’hôtel qu’on avait préparé pour lui , musique en tête et drapeaux fl ottans. Le lendemain
au matin, le grand-visir lui envoya de nouveau
tous les offi ciers du divan pour l’accompagner
jusqu’au château. Khaïr-ed-din en se présentant
dans la salle du conseil, alla baiser le bas de la
robe du grand-visir, qui le fi t asseoir à ses côtés.
Ce ministre lui fi t servir le café, le sorbet et les
_______________
1 Ville de l’Anatolie, située non loin de la mer de
Marmara.
— 308 —
parfums. Et, après cette cérémonie, on lut à
faute voix le fi rman de sa Majesté impériale,
dont Khaïr-ed-din avait été le porteur. Pendant
cette lecture, le bey d’Alger se tint respectueusement debout; et, lorsqu’elle fut terminée, il
prit congé du grand-visir et retourna à son logement. Deux jours après son arrivée à Alep, il
vint en cette ville un courrier de la part du
sultan, pour porter à Khaïr-ed-din un caftan et
les trois queues, avec ordre du premier ministre
d’installer le bey dans la dignité de pacha(1). En
conséquence, le grand-visir convoqua un divan
_______________
1 Le motif qui engagea Suleiman à confi er les hautes
fonctions de capitan-pacha, ou amiral de la mer à Khaïr-eddin est facile à deviner. II voulait sans doute opposer à André
Doria un homme puissant, d’une célébrité égale à la sienne,
à une époque où il n’existait autour de lui que des hommes
inférieurs depuis la mort de Camali. En effet, Doria venait
récemment d’enlever Coron, Patras et d’autres points importans. Ses galères avaient fait subir à la Porte de grandes pertes
sur mer. II n’y avait que Barberousse qui, grâce à sa hardiesse,
à son habileté, à son heureuse étoile même, pût tenir tête eu
fameux Doria, et balancer ses succès par des succès égaux. Ce
fut en effet depuis une lutte constante entre ces deux marins
célèbres, lutte dans laquelle tous deux se distinguaient également. Plusieurs historiens contemporains ont remarqué la
circonspection avec laquelle ces deux hommes habiles se
traitaient : c’est ce qui fait que Brantôme leur appliquait le
proverbe espagnol : De corsario à corsario, no hay que ganar,
que los barriles de agua.
— 309 —
général dans lequel Khaïr-ed-din; revêtu de l’habit d’honneur, et où i1 mit sur sa tête le mudjèwèzè(1). Il retourna à son hôtel, accompagné
de tous les offi ciers du divan qui marchaient
en ordre devant lui. Durant le cortége, il était
monté sur un superbe cheval qui avait une selle
enrichie de pierres précieuses; les étriers étaient
en or, et la bride ornée la même façon; c’était un
don du grand-visir(2).
Trois jours s’étant écoulés, Khaïr-ed-din
pacha monta à la forteresse pour aller faire
sa cour au premier ministre. Celui-ci le retint
encore trois jours auprès de lui, à la fi n desquels
le nouveau pacha lui demanda la permission de
retourner à Constantinople. Le grand-visir la lui
accorda, et il fi t préparer tout ce qui était nécessaire à son voyage, conformément à sa nouvelle
dignité.
_______________
I. Le Mudjèwèzè est le bonnet de cérémonie des
pachas et des grands dignitaires; il se distingue des autres
en ce qu’il est haut, cylindrique et recouvert d’une mousseline blanche.
2 Ici le traducteur porte dans une note la nomination
de Khaïr-ed-din à la dignité de pacha, à l’année 1521.
C’est une erreur Khaïr-ed-din fut nommé pacha en 1534, et
immédiatement après, ayant reçu le commandement d’une
fl otte ottomane, il eut ordre d’aller ravager l’Italie, Gênes,
et d’attaquer Tunis. (Voyez les notes à la fi n.)
— 310 —
Khaïr-ed-din sortit donc d’Alep avec un
train digne d’un souverain, et il passa par
Conia(1), où il s’arrêta pour Visiter le tombeau
de Molla-khun-kiar, ainsi que celui d’un autre
grand personnage mort en odeur de sainteté,
et que l’on nomme Emiri sultan. Dans la visite
qu’il fi t à ce dernier mausolée, il récita d’un
bout à l’autre la parole de Dieu. De Conia, il
partit pour la ville de Brousse, puis se rendit
à Madania(2), où il s’embarqua pour passer à
Constantinople. Dès que le sultan fut instruit de
son arrivée il lui donna ordre de se rendre auprès
de lui. Khaïr-ed-din accourut, se prosterna, et
après avoir baisé la terre devant le trône, alla
se placer debout à la fi le des visirs. Ce fut alors
que le sultan lui fi t signe de s’approcher; il lui
passa sa main sur la tête, et il attacha lui-même
à son turban une aigrette en or, d’un travail
exquis. Khaïr-ed-din pacha, conformément aux
intentions de sa Majesté impériale, s’occupa de
la construction des navires. En peu du temps, il
y en eut dans les arsenaux quatre-vingt-quatre;
bientôt le sultan lui ordonna de les équiper et
d’entrer en campagne. Le nouvel amiral se mit
_______________
1. Konieh, ville de Caramanie, dans le milieu des
terres.
2. Brousse, ville de l’Anatolie ; proche de la mer de
Marmara
— 311 —
en mer avec cette fl otte redoutable, et il alla
attaquer la forteresse d’Estila qui appartenait
aux Grecs. Ceux-ci n’avaient aucun moyen de
résister : ils abandonnèrent donc la forteresse
et s’enfuirent dans les montagnes, laissant les
Turcs prendre possession du château et de tout
ce qu’ils y avaient abandonné. Khaïr-ed-din, en
partant de cette île, s’enfonça dans un golfe peu
éloigné de là ; vers l’heure de midi, il fi t jeter
l’ancre, et il passa au mouillage tout le reste du
jour, ainsi que la nuit. Le lendemain, au matin,
il mit à la voile, et vint mouiller devant une forteresse qui était au fond du golfe, et qui appartenait aussi aux Grecs ; il l’assiégea par mer et par
terre. Les Turcs se rendirent d’abord les maîtres
de tous les environs, et les Grecs se virent contraints de se retirer dans la forteresse où ils se
défendirent avec courage et opiniâtreté. Durant
les divers assauts que l’on ordonna, beaucoup
d’entre les musulmans obtinrent la palme du
martyre et ils allèrent recevoir la récompense
que Dieu leur avait préparée dans son palais. La
résistance des Grecs ne fi t qu’enfl ammer le courage des vrais croyans. Vers l’asr, le Tout-Puissant leur facilita la conquête de ce château qui
avait coûté tant de sang ; ils y entrèrent de force
— 312 —
et le sabre à la main : le carnage fut affreux:
cette forteresse était défendue par sept mille
huit cents hommes; Khaïr-ed-din la fi t détruire
de fond en comble. Le jour suivant, de grand
matin, il donna le signal de partir, et il dirigea
sa route sur Gênes. Il opéra une descente dans
les environs de cette ville, et il s’y empara d’un
château, ainsi que de huit bâtimens qui étaient
mouillés sous son canon ; mais il fi t mettre le
feu à ces navires, et le château lui-même fut
incendié. Tous les chrétiens de la côte se retirèrent au sein des montagnes escarpées qui existent dans ces parages, et il ne fut pas possible
de les y poursuivre. Khaïr-ed-din alla porter
ensuite le ravage et l’incendie sur tout le littoral de l’Espagne. De là, il vint sur les côtes de
Naples, où il se rendit maître d’un fort considérable. Le nombre des esclaves chrétiens qu’il fi t
dans ces descentes et dans le cours de sa navigation, montait à onze mille individus des deux
sexes. Après avoir dévasté les côtes du royaume
de Naples, il voulut retourner à Alger: le vent le
poussa sur la Sardaigne, et là encore il fi t quelques descentes sur divers points où il mit tout à
feu et à sang.
— 313 —
XXVII
Khaïr-ed-din essaie d’entrer a Alger ; il va mouiller
à Bizerte ; soulèvement des habitans en sa faveur ; le
sultan de Tunis se retire avec les siens dans le Beledel-djerid ; il soulève les Arabes; Khaïr-ed-din marche
contre lui, emploi de la voile, pour faire marcher l’artillerie en plaine ; El-Hafsi demande des secours à Charles-Quint; départ de l’empereur pour l’expédition de la
Goulette.
En quittant la Sardaigne, Khaïr-ed-din fi t
voile pour Alger, mais le vent contraire l’empêcha d’y aborder ; il fut contraint d’aller dans
la rade de Bizerte qui est de la dépendance du
royaume de Tunis.
A la vue de la fl otte de Khaïr-ed-din, les
habitans abandonnèrent la ville et se retirèrent
— 314 —
dans la forteresse; le commandant même qui ne
se sentait pas le courage de résister à des forces
si considérables, faisait déjà des préparatifs pour
conduire sa famille à Tunis , et pour abandonner
son poste. Mais les habitans qui s’étaient enfermés dans la forteresse, s’opposèrent à sa fuite,
et ils s’écrièrent ; Que Dieu fasse prospérer les
armes du sultan Suleiman ! Le commandant de
la forteresse feignit d’adopter leurs sentimens,
et les assura que le lendemain matin les autorités iraient en corps porter les clefs de la forteresse à Khaïr-ed-din pacha. Mais, pendant la
nuit, il trouva moyen de s’échapper, et il arriva à
Tunis au soleil levant. Il se rendit sur-le-champ
auprès du sultan El-Hafsi(1) pour l’informe de
l’arrivée de Khaïr-ed-din, à Bizerte, et de la
résolution qui avait été prise de se soumettre :
au sultan Suleiman. Cette nouvelle lui causa les
plus vives inquiétudes, tandis que, au contraire,
_______________
1 La plupart des auteurs désignent avec raison ce roi
de Tunis par le nom de Muley-Hassen ou Hassan. D’après
la généalogie rapportée par Marlnol, il serait le trentième
roi de la famille d’ Abduledi, de la tribu de Mucamuda;
mais il parait, et le nom de El-Hafsi inscrit dans notre
chronique arabe, semble le confi rmer, qu’il descendait
des Hentètes ; les Hentétes forment une seconde branche
de la tige de mucamada que l’on nomme Aba-Hafsas.
— 315 —
les habitans du royaume que Khaïr-ed-din avait
de tout temps favorisés, désiraient ultérieurement sa venue ; et étaient bien décidés à seconder ses intentions. L’armée turque prit donc
possession de la ville et du château de Bizerte
aux acclamations générales des habitans. Le
sultan de Tunis instruit de cet événement, jugea
qu’il aurait bientôt sur les bras Khaïr-ed-din et
son armée ; il se rappelait combien étaient nombreux les sujets de haine qu’il lui avait donnés;
et, d’un autre côté, il savait qu’il ne fallait pas
compter sur les Tunisiens dont il s’était aliéné
le cœur par une multitude de vexations. L’état
des choses ne lui permettant pas d’attendre de
pied ferme un si redoutable ennemi, il ramassa
tous ses trésors, et prenant avec lui sa femme,
ses enfans et ses serviteurs les plus affi dés, il se
retira du côté du Beled-el-gérid(1) au milieu des
Arabes, en attendant qu’une révolution heureuse
fi t changer sa situation. Dès que les habitans de
Tunis apprirent la fuite du sultan, ils écrivirent
une lettre à Khaïr-ed-din, en l’invitant à venir
prendre possession de la ville qui lui serait
ouverte, malgré ceux qui pourraient encore
_______________
1.Beled-el-djerid (pays des dattes). C’est cette contrée
où confi ne la Barbarie dans le nord au milieu de laquelle le
Sahara.
— 316 —
secrètement tenir pour la famille des Hafsis.
Aussitôt la réception de ce message, Khaïr-eddin partit avec toute sa fl otte, et vint mouiller à la
Goulette. Les habitans , au nombre de dix mille,
ayant les ulémas et les cheiks à leur tête, allèrent
au devant de lui et l’accompagnèrent jusqu’au
palais, où il s’assit sur le trône des sultans pour
recevoir leur serment de fi délité.
Cependant il était resté dans la ville beaucoup de gens attachés au service du roi : ils
étaient perpétuellement en éveil, et lorsqu’ils
pouvaient rencontrer à l’écart des gens de l’armée de Khaïr-ed-din, ils les massacraient sans
pitié. Cette guerre clandestine avait déjà détruit
un grand nombre de Turcs; bientôt elle excita
l’audace des partisans du sultan au point qu’ils
se ralliaient ouvertement dans certains quartiers
pour concerter leurs entreprises. Les Turcs irrités s’armèrent à la fi n, et ils vinrent les attaquer.
Des combats très vifs s’engagèrent dans la plupart des rues, et les habitans effrayés se réfugièrent dans les mosquées ou dans les zaviés.
Khaïr-ed-din, au premier avis qu’il eut de
ce désordre, monta à cheval pour éteindre l’incendie, et son premier soin fut d’ordonner à ses
troupes de se retirer. Dans les divers combats
qui se livrèrent durant cette journée, il y eut
— 317 —
quatre-vingts Turcs tués, et plus de trois cents
d’entre les partisans des Hafsis perdirent la vie.
Le nombre de ceux-ci augmentait cependant chaque jour dans la ville, et ils ne cessaient
de presser le sultan de venir soutenir leur zèle
et leurs efforts. A la fi n, cédant à de telles instances, il s’approcha des environs de Tunis. Il
osa même entrer déguisé dans la ville, pour
examiner de plus près l’état des choses, et afi n
de s’assurer des moyens qu’il y aurait à prendre pour exterminer Khaïr-ed-din et son armée.
Cela fait, il envoya des émissaires de tous côtés,
pour engager les habitans à se réunir à lui. L’argent qu’il distribuait, les menaces qu’il faisait
de se venger cruellement de ceux qui refuseraient de coopérer à ses desseins, ces deux raisons surtout attirèrent auprès de lui un nombre
considérable de combattans. Tout cela se passait
la nuit même où il entra dans la ville. Le lendemain, à la pointe du jour, il se mit à la tête de
ses partisans et marcha sur la Cassauba, pour
tâcher de surprendre Khaïr-ed-din et ses troupes
qui y étaient renfermés ; mais comme ils avançaient, ils trouvèrent les Turcs déjà prévenus et
qui venaient au devant d’eux. Les partisans du
sultan soutinrent assez bien le premier choc,
mais ensuite ils commencèrent à reculer, et
— 318 —
bientôt on les vit aller à la débandade. Les Turcs
les poursuivirent dans toutes les rues et dans
tous les carrefours, si bien que la ville était jonchée de cadavres. A la fi n, les Hafsites(1), reconnaissant leur impuissance, jetèrent leurs armes
et demandèrent quartier. Khaïr-ed-din le leur
accorda et fi t cesser partout le carnage. Lorsque
le sultan El-Hafsi s’aperçut du mauvais succès
de son entreprise, il prit la fuite sans en attendre le dénouement, et se réfugia de nouveau
au milieu des Arabes. Durant le désordre, la
partie la plus saine de la population s’était retirée ans les maisons; et bien loin de se repentir
d’avoir remis entre les mains de Khaïr-ed-din
les rênes du gouvernement, les habitans qui
s’étaient tenus à l’écart faisaient des vœux sincères pour la prospérité de ses armes et pour
le règne des Ottomans. Ce peuple politique et
industrieux jugeait que ses liaisons avec le vaste
empire de la Turquie donneraient un accroissement considérable à son commerce, et que ce
nouvel état de choses deviendrait pour lui une
source intarissable de richesses.
Le sultan de Tunis n’avait plus de ressource
_______________
1 Le traducteur désigne sous ce nom tous ceux des
hahitans de Tunis qui étaient restés attachés à la race des
Hafsis.
— 319 —
que parmi les Arabes ; et ceux-ci, il est vrai,
étaient plus nombreux et plus puissans alors
dans le royaume de Tunis qu’ils ne le sont
aujourd’hui. Khaïr-ed-din tâcha de les attirer à
son parti en fl attant leur avidité et leur avarice. Il
écrivit aux principaux cheiks des Deridis et des
Nemachichis, en leur envoyant des bournous de
drap et des présens, que celui d’entre eux qui
pourrait saisir le sultan El-Hafsi et le lui amener,
recevrait une récompense de trente mille ducats,
tandis qu’au contraire celui qui protégerait son
évasion, outre qu’il encourrait son indignation,
aurait à subir sa vengeance. Les Arabes répondirent que les sultans de la famille de Beni-Hafsi
avaient coutume de leur donner annuellement et
depuis un temps immémorial des subsides convenus en espèces et en denrées, et que si Khaïred-din voulait se soumettre aux mémos usages,
ils passeraient à son service.
Khaïr-ed-din, satisfait de cette ouverture,
leur fi t dire qu’il consentait volontiers ü leur
payer les redevances établies en leur faveur, à
condition, toutefois, qu’ils ne feraient point de
tort à ses sujets, et qu’ils n’établiraient leurs
campemens que sur les bords du Sahara ou dans
les plaines éloignées des villes. En conséquence,
il les invita à leur apporter leurs registres, afi n
— 320 —
de prendre note de ce qu’il revenait à chacun
d’eux annuellement, et pour s’assurer de ce
qu’ils avaient reçu et de ce qu’on pouvait leur
devoir encore pour l’année courante; car les
Arabes ont grand soin de conserver les pièces
authentiques qui constatent leurs droits et leurs
privilèges, et de tenir un compte exact des paiemens faits ou à faire par le gouvernement, aux
époques fi xées par l’usage. Les cheiks arabes
commencèrent à donner la preuve de leur bonne
volonté en se retirant dans le Beled-el-gérid,
et ils envoyèrent leurs registres à Khaïr-ed-din
Le pacha fi t l’observation alors qu’ils n’avaient
plus rien à prétendre du gouvernement pour
l’année courante, et il les assura qu’au printemps prochain ils n’auraient qu’à se présenter
pour recevoir leur awaid(1). En outre, et afi n
de leur inspirer plus de confi ance, il envoya à
chacun des cheiks arabes qui avaient des droits
aux bienfaits du gouvernement, un teskeré(2 )
scellé de son cachet, et, spécifi ant la somme qui
lui était due, avec l’ordre du paiement. Cette
_______________
1.Awaid (arabe), avaid (turc), retours, revenus, droits
légitimes. Lors de la régence, les chrétiens avaient francisé
ce mot par celui d’avoides.
2 .Teskréré (turc), du mot zikr, qui veut dire mention ;
teskéré, billet, passeport.
— 321 —
générosité de sa part disposa favorablement
l’esprit des Arabes et les mit dans ses intérêts.
Lorsque Khaïr-ed-din eut vu que la tranquillité
commençait à s’établir solidement dans toute
l’étendue du royaume, grâce à la sagesse des
mesures qu’il avait prises : il donna ordre à son
lieutenant qui résidait à Alger de lui envoyer
trois cents joldachs et quatre cents cavaliers
pour renforcer l’armée et les garnisons. A leur
arrivée à Tunis, il fi xa leur solde et leur entretien, et il tira cette dépense des charges ainsi que
des contributions qu’avait coutume de payer le
peuple, sans augmenter néanmoins l’impôt.
Les tunisiens virent avec reconnaissance quels
étaient les moyens que Khaïr-ed-din prenait
pour assurer leur tranquillité : ils ne cessaient de
louer sa prudence, son humanité, son désintéressement, et ils se trouvaient heureux de vivre
sous ses lois. Khaïr-ed-din informa sa Hautesse,
le sultan Suleiman-Kan, de la position dans
laquelle il se trouvait et non seulement il lui
donna le détail de toutes les opérations qu’il avait
faites depuis son départ de Constantinople, mais
il accompagna ses dépêches d’un présent composé des objets les plus précieux que ses expériences maritimes lui avaient procurés, et il y
— 322 —
joignit quatre-vingts jeunes chrétiens de fi gure
agréable. Ce présent arriva à Constantinople à
une époque où le sultan était absent, ayant été
en personne faire la guerre aux Kisil-Bachs(1).
Cependant le sultan El-Hafsi ne s’endormait pas; il allait de hordes en hordes excitant
les Arabes à la révolte contre Khaïr-ed-din, en
leur faisant un étalage pompeux de tous les
biens dont il récompenserait leurs services s’ils
voulaient l’aider à remonter sur le trône. Il n’y a
rien de si léger et de si inconstant que le peuple
arabe : ennemi de toute domination, il est toujours prêt à écouter celui qui fl atte son amour
pour l’indépendance; n’ayant rien à perdre et
tout à gagner dans une révolution, il est toujours
prêt à s’armer en faveur du parti qui lui offre le
plus d’avantages. Le sultan El-Hafsi n’eut pas
de peine à persuader les cheiks arabes, et ils
commencèrent à se rassembler dans les plaines
du Kairwan. Khaïr-ed-din, en apprenant leurs
_______________
1. Ce sont les Persans qu’on désigne ainsi, Suleiman fi t son expédition contre eux en l’an 949 de l’hégire
(1542), et cependant il n’est point encore question de la
descente de Charles-Quint à Alger. (Note du traducteur.)
Le traducteur a raison, puisqu’il ne s’agit encore ici
que de la prise de Tunis par les Turcs, qui n’eut lieu que
le 22 août 1534.
— 323 —
mouvemens, se contenta de leur écrire ces mots :
« Que celui d’entre vous qui reconnaît l’empire
de notre souverain Seigneur et maître le sultan
Suleiman, quitte au plus tôt l’armée des rebelles et vienne se réunir sous mes drapeaux ; car
ceux qui ne profi teront pas de ce moment de
clémence, et qui s’obstineront dans leur révolte,
auront lieu de se repentir de leur témérité. » En
même temps Khaïr-ed-din assembla ses troupes
et fi t tous ses préparatifs pour aller dissiper cette
armée d’Arabes, dont le nombre augmentait
tous les jours. On prétend qu’il se servit dans
cette expédition d’une invention singulière, pour
faciliter le transport de son artillerie; il fi t faire
des affûts auxquels il adapta un mât et une voile
qui, poussée par le vent, tendait à les faire avancer sur terre, comme des bâtimens qui fendent
l’eau(1). Quoi qu’il en soit, ce furent les pièces
_______________
1 Ce fait, qui n’a rien d’improbable, et qui peint à
merveille le caractère du corsaire guerroyant sur terre,
parait d’autant plus curieux, qu’il prouve l’ancienneté
d’une invention que l’on cherche à exploiter en France
depuis quelques années, et qui ne s’est pas montrée sans
succès dans quelques circonstances.
Nous croyons qu’il ne faut pas voir dans la pensée
de Khaïr-ed-din un moyen de faire marcher son artillerie,
mais seulement d’aider à sa marche, et par conséquent
— 324 —
de campagne qu’il employa contre les Arabes
lorsque, sous les ordres du sultan de Tunis, ils
vinrent lui présenter le combat, qui les mirent
sur-le-champ en déroute. Ces machines infernales, que les hommes dont nous parlons ne connaissaient pas encore, fi rent une telle impression
sur leur, esprit, qu’ils écrivirent à Khaïr-ed-din
pour implorer sa miséricorde. Le pacha était trop
bon politique, on le pense bien, pour se refuser
un accommodement avec des gens qu’il est si
diffi cile de poursuivre. Il leur expédia donc des
lettres de grâce, et lorsqu’ils les eurent reçues,
les principaux cheiks se rendirent auprès de
lui pour lui jurer foi et hommage. Sa bonté, sa
bienfaisance et ses libéralités, leur donnèrent la
plus haute idée de son cœur, et ils parurent s’attacher sincèrement à lui. Khaïr-ed-din n’ayant
plus tien à faire, retourna a Tunis se reposer de
ses fatigues et jouir du bonheur qu’il procurait à
ses nouveaux sujets par un gouvernement doux
et juste.
Lorsque l’infi dèle sultan d’Espagne vit
Suleiman tout occupé, en Perse, du siège de Ti-
_______________
d’accélérer le mouvement sans donner trop de fatigue
aux hommes ou aux chevaux. Au surplus, un moyen
analogue est employé en Chine depuis longtemps pour
le transport des produits du sol.
— 325 —
bris(1), il crut que l’occasion était favorable pour
aller ravager les côtes de la Romélie; et pour
réaliser son plan, il fi t armer tous ses vaisseaux
en même temps qu’il rassembla vingt mille
hommes de débarquement. Ces préparatifs se
faisaient avec beaucoup d’éclat dans les ports
d’Espagne. Le sultan de Tunis en fut informé, et
il écrivit cette lettre au maudit de Dieu : « Barberousse, ce misérable reis turc, né pour le malheur de la Barbarie, vient de s’emparer de mes
états, et une des grandes raisons qui l’ont décidé
à me persécuter, c’est l’attachement sincère que
j’ai toujours eu pour toi; il est donc de ton honneur, et il y va de tes intérêts, ô grand roi ! de
venir à mon secours et de me rendre l’héritage
de mes pères. Les forces que tu rassembleras
sont plus que suffi santes pour me venger de
Barberousse, et me replacer sur un trône qu’il a
usurpé. J’ai encore à mon service soixante mille
hommes, avec lesquels j’irai l’assiéger par terre,
tandis que tu viendras l’assiéger du côté de la
mer. Lorsque le royaume de Tunis sera rentré
sous mon obéissance, je t’en ferai l’hommage,
et je me contenterai du titre de ton lieutenant. »
A la réception de cette lettre, le roi infi dèle
_______________
1 .Tauris.
— 326 —
convoqua toits les grands de sa cour pour les
consulter : leur avis fut qu’il devait s’empresser d’aller secourir le sultan de Tunis, et ils lui
dirent : « O grand roi ! rien n’est si vrai que ce
qu’avance cet infortuné sultan maure; Barberousse ne lui a fait la guerre et ne l’a dépouillé
de ses états, que par rapport à toi. Le royaume
de Tunis est l’héritage de ses pères et de ses
aïeux; il n’est pas juste qu’un étranger le lui
ravisse. C’est en pareille circonstance que les
rois doivent se secourir : la politique leur en
fait une loi; d’ailleurs cette affaire ne peut être
de longue durée. Avec les ressources qui restent à ce sultan détrôné, ses sujets reviendront
à lui, dès qu’ils verront qu’on embrasse sa
défense. Les Turcs ne sont pas propres à faire
aimer longtemps leur empire. Dès que nous
nous serons emparés du royaume de Tunis,
nous nous occuperons des grands projets que
tu médites. »
Ce discours décida le roi d’Espagne, et il
prit sur-le-champ la résolution d’employer les
forces qu’il avait rassemblées à chasser Khaïred-din de Tunis, et à replacer sur le trône son
légitime souverain, en attendant l’occasion de
le lui ravir pour son propre compte. Conformément au parti qu’il avait adopté, il écrivit au
— 327 —
sultan El-Hafsi qu’il allait se mettre en route
pour Tunis, et qu’il se tînt prêt à attaquer Khaïred-din dès que sa fl otte paraîtrait; il voulut luimême avoir la gloire de commander durant cette
expédition. En conséquence, il mit à la voile et
vint mouiller, peu de jours après son départ,
dans la rade de la Goulette, auprès du château
qu’on nomme Bordj-ul-oioun(1).
_______________
1 Bordj-ul-oioun veut dire en turc Château des
sources. C’est cette forteresse si connue sous le nom de
la Goulette, qui, placée à l’entrée de l’étang qui mène à
Tunis, forme la principale défense de cette place.
— 328 —
— 329 —
XXVIII
Débarquement des troupes de Charles-Quint ; les
chrétiens sont repoussés ; stratagème employé par les
chrétiens et par les Maures ; les retranchements de
l’armée chrétienne sont emportés ; nouveaux secours
venus d’Espagne ; avantage remporté par CharlesQuint; entrevue de l’empereur et du roi de Tunis ; conquête de la Goulette (1).
Le roi d’Espagne passa toute la journée sans
faire aucun mouvement, attendant toujours que
le sultan El-Hafsi vînt favoriser le débarquement
de ses troupes. A la fi n, ennuyé de ne le point
_______________
1 Voir, pour l’expédition de Charles-Quint contre
Tunis, les notes à la fi n.
— 330 —
voir paraître, et ne sachant que penser, de ce
retard, il donna ordre à son armée de mettre pied
à terre et de débarquer l’artillerie. La garnison du
château profi ta, le cet intervalle pour creuser de
larges fossés autour de la place, et pour aviser le
pacha de l’arrivée de la fl otte chrétienne. Khaïred-din, à la tête de douze mille hommes, vint
livrer bataille aux infi dèles, qui s’avancèrent fi èrement sur lui dès qu’ils l’aperçurent. Le combat
fut des plus vifs et des plus sanglans; mais à 1a
fi n les chrétiens furent forcés de céder le champ
de bataille, et ils reculèrent jusqu’au bord de la
mer, soirs la protection de leurs vaisseaux. Les
Turcs les y poursuivirent avec acharnement, et
sans les canons de la fl otte qui ne leur permirent pas de les serrer de plus près, leur triomphe
eût été complet. Ils allèrent camper vis-à-vis
de l’ennemi, se mettant ainsi à portée de suivre
tous ses mouvemens.
Afi n de s’emparer de Bordj-ul-oioun, les
infi dèles imaginèrent de fabriquer une tour de
bois assez élevée pour dominer les remparts; ils
l’approchèrent du fort, mais la garnison rendit
cette ruse inutile.
Non loin de Bordj-ul-oioun, il y avait un
autre petit château qui défendait la rade, et dont il
— 331 —
était très important pour l’ennemi de s’emparer.
Les musulmans le fortifi èrent par un fossé et ils
usèrent d’un stratagème qui réussit complètement. Sur les bords du fossé, ils établirent une
batterie masquée et composée de plusieurs pièces
chargées avec des chaînes et de la mitraille ;
cette batterie était encore soutenue par un grand
nombre de fusiliers qu’on ne pouvait apercevoir. Au moment que les chrétiens s’avancèrent
pour battre ce fort, on fi t sur eux une décharge
générale qui leur tua six mille hommes, sans
que nous comptions ici ceux qui eurent un bras
ou une jambe emportés. Les musulmans profi tèrent de ce désordre pour tomber sur les faibles
restes de cette armée, qui alla se rallier dans les
retranchemens. Les Turcs y pénétrèrent jusqu’à
trois fois, et ils y tuèrent le commandant en chef
de l’artillerie(1) ; peu s’en fallut qu’ils ne se rendissent maîtres du camp.
Le roi d’Espagne voyant qu’il ne pouvait
plus continuer ses opérations avec le peu de
troupes qui lui restait, fi t venir de son royaume
de nouveaux secours en hommes et en artillerie ;
_______________
1. Probablement le comte de Sarno, dont la tête et
la main droite furent coupées et envoyées à Khaïr-eddin. La perte des chrétiens est du reste fort exagérée
dans ce récit.
— 332 —
et lorsqu’il les eût reçus, il ordonna qu’on dressât devant Bordj-ul-oioun une batterie de cent
vingt canons, en outre d’une batterie fl ottante
de quatre-vingts canons(1), qui battait lu fort du
côté de la rade. Ce siège dura trente-deux jours,
jusqu’à ce que les canons du château étant hors
de service, les infi dèles purent s’approcher et
faire brèche. Alors la garnison n’ayant plus de
moyens de résister, abandonna le fort et se retira
à Tunis avec Khaïr-ed-din.
Lorsque le sultan de Tunis eut appris que le
roi infi dèle s’était emparé du château de la Goulette, il vint le trouver suivi d’une nombreuse
cavalerie, et, en l’abordant, il lui baisa la main
(on le prétend du moins), il la posa sur son front.
Le roi d’Espagne lui fi t un accueil très affectueux, et témoigna prendre à son sort le plus vif
intérêt.
Khaïr-ed-din, à son retour à Tunis, s’aperçut que l’échec qu’il avait reçu avait beaucoup
refroidi les habitans à son égard, et il sut même
qu’une grande portion d’entre eux penchait
déjà pour le parti des chrétiens. II fi t appeler les
cheiks et les principaux de la ville, sous prétexte
_______________
1. C’était la grande caraque de Malte; mais elle ne
portait que la moitié tout au plus du nombre de canons
indiqués ici.
— 333 —
de les consulter, et pour mieux juger de leurs
sentimens, il leur parla ainsi : « Mes frères, nous
avons été forcés de céder aux forces supérieures
des ennemis de notre sainte loi. et j’ai la douleur de voir que, tandis qu’il leur vient chaque
jour de nouveaux secours de leur pays, le zèle
des musulmans s’attiédit, leurs efforts, on le
voit, diminuent. Dans la circonstance critique
où nous nous trouvons, veuillez bien me faire
connaître si vous croyez à propos d’entrer en
accommodement avec les infi dèles, on si vous
voulez continuer la guerre. » Les habitans de
Tunis ne répondirent que d’une manière vague
à sa question ; car la divergence de leurs opinions était due à leur mésintelligence et à leur
faiblesse. Khaïr-ed-din se leva, et d’un air fi er,
il leur dit : « Tâchez du vous mettre d’accord,
pour moi je pars avec mes fi dèles Turcs, je vais
combattre et mourir pour la défense de l’islamisme et pour votre liberté. »
Ces paroles réveillèrent l’honneur endormi
dans leurs cœurs, et ils s’écrièrent : « Nous suivrons notre digne chef partout où il voudra nous
conduire.» Khaïr-ed-din aussitôt fi t arborer le
drapeau hors de la ville, et à son armée qui était
composée de six mille quatre cents Turcs, on
— 334 —
vit bientôt réunis neuf’ mille sept cents Tunisiens
avec lesquels il s’achemina vers la Goulette.
Chemin faisant, il lui arriva un secours qu’il avait
demandé à Alger, secours qui se composait de
quelques régimens turcs et d’un petit nombre de
cavaliers. Les chrétiens vinrent à sa rencontre,
et le combat s’engagea. Il s’était rassemblé aux
environs du champ de bataille plus de cent mille
Arabes, accourus de différens points de la contrée. Pendant longtemps ils restèrent tranquilles
spectateurs du combat ; néanmoins, dès qu’ils
eurent vu que la victoire semblait pencher du
côté des musulmans, ils vinrent se mêler parmi
les troupes de Khaïr-ed-din, sous le prétexte
apparent de l’appuyer de leurs efforts; mais peu
de temps après ils se mirent à la débandade, et
on les vit fuir avec l’intention d’entraîner toute
l’armée par leur exemple. Khaïr-ed-din se portait partout pour réparer ce désordre, qui donna
cependant le temps aux chrétiens de se rallier et
de faire venir un renfort de la fl otte. Le combat
recommença avec encore plus d’ardeur de part et
d’autre; mais, à la fi n, les infi dèles lurent oblige
de reculer jusque sur le rivage, où le canon de
leurs vaisseaux les mit à l’abri d’un massacre
général. Khaïr-ed-din, content de sa journée,
— 335 —
retourna à Tunis; il entra dans la Cassauba avec
les gens de sa maison, et il laissa ses troupes
campées hors de la ville.
La résistance qu’éprouvaient les infi dèles; commençait à les dégoûter du projet d’une
conquête qu’ils avaient jugée plus facile. Les
maladies s’étaient mises dans leur armée, et il y
avait beaucoup d’offi ciers qui opinaient pour le
retour. Khaïr-ed-din, informé par ses espions du
découragement qui se manifestait dans le camp
des chrétiens, se fl attait de revoir bientôt, la tranquillité rétablie, et son zèle couronné. Mais le, roi
d’Espagne, avant de mettre à la voile, voulut tiré
encore une nouvelle tentative, et ayant rassemblé
toutes ses forces, il s’avança vers Tunis. Khaïred-din ne l’attendit pas; il alla à sa rencontre,
et il était déjà à environ deux milles de la ville,
lorsque des cris tumultueux partant de Tunis vinrent frapper ses oreilles. Il prit avec lui quelques
cavaliers et retourna sur ses pas, pour s’instruire
de la cause de ce désordre. Alors il apprit que
les habitans s’étant persuadés qu’il avait pris
la fuite et que les ennemis venaient s’emparer
de la ville, l’avaient abandonnée avec précipitation, tant ils craignaient le pillage et la captivité. Il envoya à l’instant des émissaires de tous
— 336 —
côtés pour arrêter cette populace pusillanime
et pour dissiper la terreur panique qui s’était
emparée d’elle; mais, comme il s’approchait
lui-même de la ville, on vint lui dire que les
chrétiens en avaient déjà fermé plusieurs portes.
Khaïr-ed-din, pensant d’abord aux troupes
du roi d’Espagne, ne pouvait comprendre par
quelle route elles avaient pu sitôt pénétrer dans
Tunis. Et en effet, les chrétiens qui s’étaient
rendus maîtres de la ville n’étaient autre chose
que les esclaves qu’il y avait laissés, et qui se
trouvaient être au nombre de onze mille. Dès
l’instant où ils avaient vu la ville déserte, ils
avaient rompu leurs liens et étaient sortis de
leurs prisons; et tandis que la plus grande partie
s’était déjà établie dans la Cassauba, plusieurs
d’entre eux avaient jugé convenable de se détacher pour s’assurer des portes. Saisis de surprise
à la vue de Khaïr-ed-din, beaucoup de ces esclaves allèrent de nouveau reprendre leurs fers et
se cacher dans leurs prisons; mais les captifs qui
s’étaient réfugiés dans la Cassauba en fermèrent
les portes lorsque le bey se présenta. N’ayant
aucun moyen pour les forcer (car le nombre de
cavaliers qu’il avait autour de lui ne se montait
guère qu’à deux cents), il pensa à remédier au
— 337 —
mal le plus pressant, et courut lui-même après
les habitans de Tunis pour les faire rentrer dans
la ville; il les trouva qui se dirigeaient sans
réfl exion vers un camp que l’on avait en vue :
c’était celui du sultan El-Hafsi, qui attendait
l’arrivée des chrétiens pour s’approcher de
Tunis. Khaïr-ed-din atteignit enfi n les habitans, que sa vue et ses discours rassurèrent,
et qui reprirent heureusement le chemin de la
ville avant que le sultan El-Hafsi eût pensé à
les attaquer.
Pendant que tout cela se passait, quelques
traîtres étaient allés trouver le roi d’Espagne,
pour l’informer que Khaïr-ed-din avait pris la
fuite, et que les Tunisiens avaient eux-mêmes
abandonné leur ville. Il ne savait encore ce qu’il
devait penser de cet avis, lorsqu’une troupe
d’esclaves chrétiens de Tunis vinrent le lui
confi rmer. Alors il donna ordre à son armée de
doubler le pas; il trouva en chemin les Arabes
qui accouraient. au devant de lui pour le féliciter de son triomphe. En voyant s’approcher ces
hordes qui couraient la campagne, il s’imagina
que c’était un parti ennemi qui s’avançait pour
le combattre, et il ordonna à ses soldats de faire
feu sur eux et avant que le roi d’Espagne pût être
— 338 —
instruit qu’il exterminait ainsi ses partisans,
le massacre fut horrible. C’est ainsi que Dieu
permit que Khaïr-ed-din fût vengé de la perfi die
de ces mêmes arabes qui, peu de jours auparavant, avaient tenté de porter la déroute dans son
armée.
Le roi d’Espagne, en se présentant à Tunis,
trouva les portes ouvertes, et il alla s’établir
dans 1a Cassauba(1). Les Tunisiens se soumirent sans résistance, et lui jurèrent foi et hommage. Alors Khaïr-ed-din, cédant aux décrets
du destin, s’achemina avec toutes ses troupes
vers Annaba(2), où il arriva le cinquième jour. Il
y trouva quinze de ses vaisseaux qu’il y avait
envoyés par prévoyance. Le roi d’Espagne,
sur l’avis qu’il en eut, expédia trente des siens
pour s’en emparer; mais Khaïr-ed-din avait eu
le temps d’établir sur la côte des batteries qui
forcérent les chrétiens à renoncer à leur projet.
Ils revinrent à Tunis, annoncer au roi le mauvais succès de leur entreprise. Celui-ci voulut
d’abord expédier à Annaba toute sa fl otte ; mais
ensuite, faisant réfl exion aux ressources que
possédait encore Khaïr-ed-din, il abandonna ce
_______________
1. Le 21 Juillet 1535.
2. Bône.
— 339 —
projet, et garda auprès de lui les forces qui lui
étaient nécessaires pour consolider sa nouvelle
conquête.
FIN DU PREMIER VOLUME.
— 340 —
— 341 —
TABLE
DES MATIÈRES DU PREMIER VOLUME.
Pages.
Avant-Propos…......................................................................................1
I. Naissance d’Ishaac, d’Aroudj et de Khaïr-ed-din ; captivité d’Aroudj
dans l’île de Rhodes ; propositions faites pour son rachat ; sa
fuite..............................................................................................1
II. Un bâtiment est confi é à Aroudj, il se rend en Egypte ; ses premiers
succès; accroissement de fortune ; retour dans sa famille; course
sur les côtes d’Italie ; prise importante; Aroudj va chercher de
nouveau fortune en Egypte........................................................13
III. Aroudj, protégé par le sultan Gouri, se remet de nouveau en course;
premier voyage à Tunis; Aroudj jette l’épouvante sur les côtes
d’Espagne; Khaïr-ed?din rejoint son frère ; riches captures; pré
sens faits au roi de Tunis............................................................21
IV. Aroudj et Khaïr-ed-din,à la tête d’une escadre, vont au secours de
Bégiajé (Bougie), tombée au pouvoir des chrétiens ; Aroudj est
blessé au bras, l’amputation est jugée nécessaire; Khaï-ed-din
prend le commandement, il croise le long des côtes d’Espagne
pour recueillir les Morisques chassés à cette époque de Grenade ;
— 342 —
Pages
échauffourée de l’île de Minorque ; nouvelles prises, armement
des chrétiens...............................................................................33
V. Aroudj et Khaïr-ed-din , réunis de nouveau, sortent de la Goulette ;
siège de Gisel ; présens envoyés au grand-seigneur ; siège de
Bégiajé ; le sultan de Tunis refuse son aide aux deux frères; les
Génois envoient au secours de Begiajé; Aroudj et Khaïr-ed-din
incendient volontairement leurs navires ; Aroudj se rend à Gigel,
Khaïr-ed-din retourne à Tunis; événemens qui suivent cette sépa
ration..........................................................................................49
VI. Les habitans d’Alger prient Aroudj de venir à leur secours ; il se rend
à cette invitation ; Khaïr-ed-din envoie ses soldats, turcs à son
aide, puis il part pour Tunis ; arrivée d’Ishaac, dans ce pays ;
Khaïr-ed-din le garde auprès de lui; armement formidable ; fl otte
chrétienne à Bizerte; Aroudj et Khaïr-ed-din se réunissent de nou-
veau ; Kh aïr-ed-din se rend à Tunis, où il fréquente le corps des
Ulemas ; expédition des chrétiens contre Alger ; Aroudj défend
la ville........................................................................................59
VII. Colère du roi d’Espagne, en apprenant la nouvelle du désastre de
l’expédition; Khaïr-ed-din promet des secours à Alger. Sur l’avis
d’Aroudj, il se rend d’abord à Gigel , pour déposséder un cheik,
et il se contente de le rendre tributaire ; Aroudj et Khair-ed-din se
réunissent à Alger; digression rétrospective tirée d’Haédo, et
complétant la chronique; Mort de Sélim Eutemi ; révolte des
habitans d’Alger; Exécutions sanglantes; Constitution défi nitive
du pouvoir entre les mains d’Aroudj..........................................69
VIII. Le neveu du sultan de Telmessen (Telemcen) vient cher-
cher, du secours contre son oncle chez les chrétiens; expédition
dirigée sur Ténès; Khaïr-ed-din va combattre; fuite du prétendant;
partage du territoire d’Alger entre les deux frères; Aroudj
s’avance à la tête d’une armée dans le pays.de Telmessen; soulè
vement général; le sultan va demander des secours aux Espagnols ;
siège de Beni-Rachid ; mort d’Ishaac ; mort d’ Aroudj............ 91
— 343 —
Pages
IX. Khaïr-ed-din rassemble des forces nouvelles et parcourt la pro-
vince; le sultan de Telmessen vient mettre le siège devant
Alger; une escadre chrétienne le seconde; propositions faites à
Khaïr-ed-din pour qu’il abandonne Alger, sortie contre les chré-
tiens, l’avantage reste aux musulmans ; tempête qui disperse la
fl otte ; sort des esclaves ; Khaïr-ed-din est surnommé Barbe
rousse.......................................................................................105
X. Le nombre des captifs inspire de la crainte aux Turcs ; révolte et mas
sacre ; complot des esclaves; songe prophétique de Khaïr-ed-din;
un jeune captif dévoile ce qui se passe parmi les chrétiens; exécu
tion du général espagnol et de ses compagnons ; propositions
faites par l’Espagne pour le rachat du corps ; refus de Khaïr-ed-
din ; le cadavre est jeté à la mer…...........................................115
XI. Khaïr-ed-din veut quitter Alger et se rendre à Constantinople ; les
principaux habitans le supplient de rester parmi eux ; il y con
sent Hadj-Hussein est choisi pour se rendre auprès du Grand-
Seigneur; succès de l’ambassade ; Alger est mis .sous la protec
tion immédiate de la Porte; passeport fourni par le bailli de
Venise;en dépit de ce sauf-conduit, Hadj-Hussein est attaqué par
les navires gênois ; réparation ; Hussein retourne à Alger ; Khaïr-
ed-din reçoit le titre de Bey......................................................127
XII. Jalousie du sultan de Tunis ; ses tentatives d’union avec le sultan
de Telmessen ; il cherche à séduire les lieutenants de Khaïr-
ed-din, Mohammed-ben-ali, et Hamed-ben-el-cadi ; soulèvement
des hordes arabes ; Khaïr-ed-din marche contre elles ; le sultan
de Telmessen rappelle ses deux frères réfugiés chez le sultan de
Fas ; l’un d’eux, Messaoud, réclame l’appui de Khaïr-ed-din ;
il monte sur le trône ; son ingratitude ; tentatives de l’ancien
sultan pour être réintégré dans ses états ; des secours lui sont
accordés ; prise de Mostaganem ; les Morisques de Grenade cher
chent un refuge à Alger............................................................139
XIII. Siège de Beni-Rachid ; Siège de Messaoud, siège de Telmessen;
stratagème des Turcs; son succès ; Muley-abd-allah est rétabli sur
le trône de Telmessen et il devient tributaire d’Alger; nouvelles
négociations du sultan de Tunis ; il réussit auprès d’Ahmed-ben-
el-cadi; invitation du sultan de Tunis; trahison d’Ahmed-ben-el-
— 344 —
Pages
cadi; massacre des Turcs dans les défi lés de Felissa; Ahmed-ben-
el-cadi vient mettre le siège devant Alger; accommodement entre
lui et Khaïr-ed-din ; second expédition dirigée par Hussein, frère
d’Ahmed ; les Algériens restent vainqueurs............................153
XIV. Suite de l’histoire de Messaoud; le sultan dépossédé vient assié
ger Telmessen; corps de Turcs dirigé sur cette ville; Messaoud,
trahi par un cheik arabe dont il était devenu l’hôte, est livré à
Muley-abd-allah.......................................................................165
XV. Expédition dirigée par Khaïr-ed-din sur la province de l’Est ;
elle est confi ée à Car-Hassan; trahison de ce dernier ;Ahmed-
ben-el-cadi entretient secrètement des intelligences dans Alger;
complot contre Khaïr-ed-din; il est averti et fait faire des proposi
tions de paix par l’intermédiaire des ulémas ; révolte générale;
massacre des habitans ; proposition que font les Turcs d’anéantir
la population ; refus de Khaïr-ed-din.......................................169
XVI. Khaïr-ed-din prolonge son séjour à Alger; sévérité de son adminis
tration ; décadence momentanée; départ du bey pour Gigel; il
promet de revenir au bout de trois ans; course en mer ; capture de
navires chargés de blé ; reconnaissance des habitans de Gigel;
croisière dirigée contre les habitans de Tunis ; ils envoient deman
der la paix ; leurs prisonniers leur sont rendus.........................185
XVII. Grande expédition sortie de Girbé ; retour à gigel; Khaïr-ed-din
passe l’hiver dans cette ville ; songe, apparition du prophète; dif
férends avec les habitans d’Alger; Ahmed-ben-el-cadi envoie à
Khaïr-ed-din des présens qui sont refusés; son envoyé est mutilé
par les troupes, expédition contre Bégiajé ; elle avorte ; on se
dirige sur Alger; défaite d’Ahmed-ben-el-cadi dans les monta
gnes; soumission des cheiks; évasion d’Ahmed-ben-el-cadi ; nou
velle armée formée par lui dans Alger; il meurt assassiné par les
siens; triomphe, de Khaïr-ed-din..............................................195
XVIII. Khaïr-ed-din marche contre Car-Hassan ; son entrée à Alger ;
exécution de Car-Hassan; rébellion du sultan de Telmessen ;
Khaïr-ed-din exige de lui l’ancien tribut ; Muley-abd-allah
repousse ces prétentions et se dispose à faire la guerre ; son propre
fi ls vient chercher un asile auprès de Khaïr-ed-din; défaite
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du sultan; sa soumission; expédition de Khaïr-ed-din dans l’est;
elle dure deux ans ; soumission du chef révolté ; retour à
Alger.........................................................................................209
XIX. Khaïr-ed-din prend la résolution d’attaquer le fort des chrétiens;
digression relative à l’époque de sa construction; les Turcs
s’en emparent; on le démolit; construction de la chaussée; expé
dition envoyée au secours du fort; sa défaite; Khaïr-ed-din expé
die une fl otte pour aller croiser sur les côtes d’Espagne ; nou
veaux avantages remportés sur les chrétiens............................221
XX. Khaïr-ed-din envoie une nouvelle ambassade à Constantinople :
manière favorable dont elle est reçue; le Grand-Seigneur un
khatti-chérif à Khaïr-ed-din.....................................................235
XXI. Effet que produit en Espagne la nouvelle de la destruction du fort,
et celle des dernières défaites; alliance du roi d’Espagne avec le
roi de France contre le bey ; expédition d’André Doria ; expédi
tion de Charchel, où les chrétiens sont défaits ; expédition sur les
côtes de la Provence ; prisonniers musulmans qui recouvrent la
liberté.......................................................................................239
XXII. Mustapha-Chiaoux est envoyé auprès du Grand-Seigneur ; dif
férend entre Sinan reis et le bey ; Muley-Hassan, fi ls de Khaïr-
ed-din sauve Sinan reis d’un grand péril, après la perte de ses
navires ; Khaïr-ed-din donne en présent deux navires à Sinan et
à son compagnon; prise d’un galion venant du Nouveau-Mon
de.............................................................................................255
XXIII. Digression sur les événemens passés ; impression que fait en
Espagne le récit da captifs qui ont survécu à la prise du fort ;
expédition du sultan sur les côtes de la Romélie ; message de ce
prince à Khaïr-ed-din ; le roi de Hongrie demande du secours au
roi d’Espagne ; soulèvement du sultan de Telmessen ; il est battu
par Khaïr-ed-din, qui lui accorde encore une fois la paix........265
XXIV. Retour du bey à Alger; croisière sur les côtes d’Espagne ; le roi
fait armer quinze vaisseaux gardes-côtes; les Algériens s’en empa
rent ; expédition dirigée sur les côtes de l’Andalousie, pour
recueillir les Morisques du royaume de Grenade ; soixante-dix
mille fugitifs s’embarquent pour l’Afrique..............................277
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XXV. Khaïr-ed-din est sur le point de se rendre à Constantinople ; con
vocation du divan ; André Doria essaie, par un stratagème, de
retenir le bey dans Alger; précaution prise contre une invasion
annoncée ; capture d’un bâtiment qui renferme des gens de dis
tinction; leur rançon est offerte et refusée ; crainte d’un sou
lèvement des esclaves chrétiens ; songe de Khaïr-ed-din; ruse
qu’il emploie pour s’assurer des véritables sentiments des cap
tifs............................................................................................285
XXVI. Départ de Khaïr-ed-din pour Constantinople ; arrivée à Prevesa;
André Doria s’éloigne de ces parages; entrée dans la rade de
Navarin ; Khaïr-ed-din écrit à Suleiman, qui l’invite à se rendre
auprès de lui; accueil qui lui est fait à Constantinople; voyage à
Alep; accueil du grand-visir; Khaïr-ed-din e st crée pacha à trois
queues; retour à Constantinople ; Khaïr-ed-din s’empare de quel
ques forteresses en Grèce, puis il ravage les côtes d’Espagne et
celles du royaume de Naples ; descente en Sardaigne.............303
XXVII. Khaïr-ed-din essaie d’entrer a Alger ; il va mouiller à Bizerte;
soulèvement des habitans en sa faveur ; le sultan de Tunis se retire
avec les siens dans le Beled-el-djerid ; il soulève les Arabes;
Khaïr-ed-din marche contre lui, emploi de la voile, pour faire
marcher l’artillerie en plaine ; El-Hafsi demande des secours à
Charles-Quint; départ de l’empereur pour l’expédition n de la Gou
lette...........................................................................................313
XXVIII. Débarquement des troupes de Charles-Quint ; les chrétiens
sont repoussés ; stratagème employé par les chrétiens et par les
Maures ; les retranchements de l’armée chrétienne sont emportés;
nouveaux secours venus d’Espagne ; avantage remporté par Char
les-Quint; entrevue de l’empereur et du roi de Tunis ; conquête de
la Goulette.......................................................................
https://www.cnplet.dz/images/bibliotheque/Autres/Fondation-de-la-R%C3%A9gence-d-Alger-Tome-1.pdf
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