La photographe Tomoko Yoneda s’est passionnée pour l’histoire et la pensée philosophique d’Albert Camus. Entre l’Algérie et la France, elle a revisité, en photographies, les lieux de vie de l’écrivain et ceux qui ont inspiré ses récits. Cette exposition, 5ème volet de la série Transphère, est à découvrir à la Maison de la Culture du Japon à Paris.

Des tranchées de la Marne où son père est tombé pendant la Première Guerre mondiale, de Tipaza et du Jardin d’Essai à Alger, de son arrivée en France par Marseille et son installation à Chambon-sur-Lignon en Auvergne, Tomoko Yoneda propose un dialogue entre passé et présent des lieux emblématiques de la vie et de l’œuvre d’Albert Camus. On y découvre, par exemple, la demeure du docteur Le Forestier, médecin et résistant qui aurait servi de modèle au personnage du docteur Rieux dans La Peste.

L’exposition s’articule autour de deux séries de photographies. La première, en couleur, dévoilent les lieux auxquels font échos des citations extraites des écrits de l’auteur. Un petit guide à disposition du visiteur permet de les découvrir tout au long de l’exposition.

La seconde série a été réalisée avec un appareil photo datant de 1959. La particularité de ce dernier est de reproduire, en noir et blanc, deux images distinctes sur un même tirage photographique. « J’ai voulu utiliser un appareil contemporain d’Albert Camus pour prendre ces clichés » explique Tomoko Yoneda. L’aspect ancien de ces photos très contemporaines, donnent le sentiment d’un retour dans le passé de l’écrivain.

Tomoko Yoneda Statue dans un étang et palmier, Jardin du Hamma (ancien Jardin d’Essai) 2017
Statue dans un étang et palmier, Jardin du Hamma (ancien Jardin d’Essai) 2017 © Tomoko Yoneda, courtesy of ShugoArts

La photographe travaille beaucoup d’après l’histoire et la mémoire qu’elle relie à l’actualité. Ce projet, né en 2015, s’inspire du texte de Camus, Ni victimes, ni bourreaux (Combat, 1948), avec en filigrane les maux de notre époque « la catastrophe de Fukushima, les attaques terroristes, les réfugiés de guerre en Syrie » précise-t-elle. « J’ai vraiment été touchée par cette lecture. Albert Camus dit du 20ème siècle qu’il est celui de la terreur, où le fait de provoquer la peur chez autrui, avec méthode, est au centre. Aujourd’hui, toute cette peur que nous ressentons face aux différentes crises, il le prévoyait déjà. »

Cette invitation dans l’univers « camusien » est à ne pas manquer, aussi bien pour les connaisseurs que pour les néophytes. L’exposition Transphère #5 – Tomoko Yoneda, dialogue avec Albert Camus est à découvrir à la MCJP, jusqu’au 2 juin 2018 (entrée libre).

Deux rencontres sont également programmées (entrée libre sur réservation) :
  • 29 mars, à 18h – table ronde en présence notamment d’Olivier Todd, biographe de Camus
  • 22 mai, à 18h – conférence « Camus, l’Algérie… et le Japon »

http://valgirardin.fr/culture/sorties-loisirs/exposition/de-lalgerie-a-la-france-sur-les-pas-dalbert-camus-en-photographies/

 

Tomoko Yoneda, ou la simplicité sensible du raffinement

 

Tomoko Yoneda, artiste photographe japonaise vivant à Londres, est aujourd’hui exposée à la Maison de la Culture du Japon à Paris jusqu’au 2 juin. Ce projet, né en 2015, autour d’une idée commune avec la commissaire d’exposition Aomi Okabe, voit enfin le jour. Un évènement à ne pas rater.

Cette 5édition de la série Transphère, cycle d’exposition consacré à la création contemporaine japonaise, est désormais ouverte. À cette occasion, l’artiste Tomoko Yoneda, reconnue et exposée dans le monde entier, nous offre un regard photographique teinté de curiosité et d’intérêt pour le passé.

 

Un projet centré sur le parcours d’Albert Camus

Tomoko Yoneda est partie sur les traces de l’écrivain Albert Camus, qu’elle a découvert au fur et à mesure de ses recherches. Mais il ne s’agit ni de raconter sa vie, ni de faire un panégyrique de son influence. Son intention est toute autre. Elle s’est rendue sur les lieux qui avaient marqué l’écrivain, dans lesquels il avait vécu, pour réfléchir à son questionnement humaniste, à travers ses ouvrages. 

Pour ce projet, l’artiste s’est rendue en Algérie, là où était originaire Albert Camus. Elle a ensuite fait le trajet effectué pat l’écrivain pour rejoindre Paris, en passant par Marseille. Elle nous incite ainsi à réfléchir sur la colonisation et les guerres.

Cette artiste nous fait découvrir les paysages qu’Albert Camus a traversé ou dont il s’est imprégné pour écrire. Il a beaucoup décrit la beauté des paysages. La photographe réussit à nous les retransmettre en image, avec une lumière éblouissante, éclatante qui amplifie chaque couleur. Voici une de ses forces.

Tomoko Yoneda porte une attention toute particulière à la légende de ses images, les considérant comme le début d’un récit. Les légendes font donc parties intégrantes de l’œuvre, car elles donnent des indices sur l’image, tout en restant dans le suggestif pour stimuler notre imaginaire. Les mot la tracassent, l’obnubilent, parallèle que nous pourrions faire avec l’écrivain Albert Camus.


Photographier le présent comme si c’était le passé

Tomoko Yoneda montre ce qui n’est plus, ce qui a existé, à travers des images du présent. L’aspect central de son travail est la transition. Que ce soit la transition liée au temps, du passé à aujourd’hui, ou à l’espace, d’un pays à l’autre, on retrouve cette même thématique. La récurrence de la transition, dans sa démarche, nous rend même curieux.

Marta Gili, directrice du Jeu de Paume et proche de l’artiste, lui a inspiré ces mots : « Photographier l’instant présent comme si c’était celui d’avant, celui d’un autre, absent. (…) 

Des rêves, des mots et des souhaits : la justice, la paix, la guerre, la vérité, la nostalgie, l’amour, le sacrifice, en somme l’être humain… toujours l’être humain. »

Elle s’inspire du passé, jusqu’à même « revêtir » les lunettes de figures ayant marqué l’Histoire pour photographier à travers celles-ci. Depuis 1995, elle réalise cette série en s’attachant à capturer des documents ou ouvrages liés à des personnalités littéraires. 

Elle construit pas à pas son travail, au fil de ses recherches. Elle choisit même d’utiliser un ancien appareil photo, l’Olympus Pen, pour réaliser des épreuves platinum, un procédé disparu au XXe siècle. Son parti pris d’impression a également une symbolique : elle utilise des techniques oubliées qui vont perdurer dans le temps grâce a leur qualité de conservation.

Une œuvre réfléchie 

Elle nous révèle les traces oubliées dans notre environnement quotidien, et c’est en ceci qu’elle s’engage : « Il n’existe pas un art engagé. C’est l’art qui fait l’engagement », explique Tomoko Yoneda avec sincérité. 

« L’attente, port d’Alger », Tomoko Yoneda, 2017 © Courtesy of ShugoArts

Pour Tomoko Yoneda, la photographie ne sert pas à mieux comprendre, mais à prendre conscience de la complexité du monde. Elle travaille autour des thèmes de l’exil, du voyage. Ses réalisations font écho aux actualités politiques, aux diverses crises, et au passé lourd du XXe siècle, notamment celui du Japon.

Dans cette exposition, riche en références, on retrouve d’ailleurs la pureté et le raffinement issus de la culture japonaise dans ces images. Albert Camus n’a pas fini d’avoir de secrets pour nous et Tomoko Yoneda non plus !

« Statue dans un étang et palmier, Jardin du Hamma (ancien Jardin d’Essai) », Tomoko Yoneda, 2017  © Courtesy of ShugoArts

 

http://www.artistikrezo.com/art/tomoko-yoneda-ou-la-simplicite-sensible-du-raffinement.html

 

extrait du communiqué de presse :

 

Commissaire : Aomi Okabe, directrice artistique des expositions de la MCJP.



Tomoko Yoneda est une photographe japonaise de renommée internationale qui vit et travaille à Londres. Depuis près de trente ans, elle parcourt le monde, enregistrant les traces laissées par l’Histoire. Pour la série inédite qu’elle présente à la MCJP, elle est partie sur les pas d’Albert Camus, en Algérie et en France, poursuivant sa réflexion sur la mémoire des lieux avec ses photographies sensibles et poétiques. Une évocation subtile des jeunes années de l’auteur de L’Étranger.

Pour ce 5e volet de la série Transphère – cycle d’expositions consacré à la création contemporaine japonaise, Tomoko Yoneda s’est plongée dans la vie et l’oeuvre d’Albert Camus. Elle s’est rendue sur les lieux qui ont mar­qué l’enfance et la jeunesse de l’écrivain : Alger, Tipaza, antique port romain qu’il aima tant et où se dresse une stèle à sa mémoire, mais aussi Paris, Le Chambon-sur-Lignon, village d’Auvergne où il vécut à partir de 1942 et écrivit La Peste. Ou encore Chambry où son père, engagé comme zouave, combattit durant la bataille de la Marne, et Saint-Brieuc où, en 1947, Camus découvrit avec émotion la tombe de son père mort en 1914, comme il le raconte dans son roman resté inachevé, Le Premier Homme. La trentaine de photographies sélectionnées pour cette exposition est un dialogue entre la photographe et l’écrivain, entre le passé et le présent. Elle nous incite à réfléchir à la colonisation, à la guerre, ainsi qu’aux combats et à l’humanisme de Camus.

Tomoko Yoneda a étudié la photographie aux États-Unis puis à Londres, au Royal College of Art, à l’époque de la chute du mur de Berlin et de l’effondrement de l’Union soviétique. Elle prit conscience que même les structures et les idéologies les plus puissantes étaient éphémères, et que la société dans laquelle nous vivons pouvait se transformer radicalement en un rien de temps. Fascinée par l’histoire tourmentée du XXe siècle, elle s’est rendue en Europe de l’Est, en Irlande du Nord, à Taïwan, au Bangladesh, et plus récemment à Fukushima. Les photos qu’elle y a prises sont celles de paysages et de lieux en apparence ordinaires, sublimés par sa maîtrise formelle. Mais les titres de ces oeuvres font ressurgir le souvenir d’événements du passé. Yoneda révèle ainsi dans notre environnement quotidien les traces de tragédies oubliées.





Tomoko Yoneda par elle-même 

(…) Pour cette exposition, j’ai revisité les lieux où Camus a vécu, ainsi que les endroits et les événements historiques qui l’ont inspiré, dialoguant avec les habitants de l'Algérie et de la France chères à l'écrivain pour mieux explorer en images la question de l’amour universel et radieux. Je me suis efforcée d’alimenter la réflexion sur la nature humaine, en répondant en photographies aux événements du passé, mais aussi aux ombres qui planent de nouveau sur l’Europe et le Japon.

Cette exposition s’articule autour de Ni victimes, ni bourreaux, qui m’a beaucoup marquée alors que je vivais aux États-Unis pendant la guerre froide. Dans cet essai écrit après le largage de la bombe atomique en 1945, Camus dénonce le glissement vers le totalitarisme entraîné par la guerre froide et l’avènement d’un nouvel ordre mondial reposant sur la peur et où « la fin justifie les moyens ». L’écrivain pose une question fondamentale : ne devriez-vous pas dire « non » à un monde qui légitimise le meurtre ?

Les guerres qui ont éclaté du temps de Camus et de ses prédécesseurs ont-elles pavé la route vers un avenir plus pacifique pour notre génération ? Nous continuons à chercher la réponse à la question que Camus a passé sa vie à essayer de résoudre : quelle révolte, quelle justice sont véritablement humaines et dignes ? Dans le chaos actuel, l’oeuvre de Camus et sa façon de vivre nous rappellent à quel point il est important de s’interroger sur le sens de notre existence et de l’amour. À travers mon travail, j’espère contribuer à ce vaste dialogue.





« Ni victimes ni bourreaux » Tomoko Yoneda par Aomi Okabe, Curatrice, Directrice artistique des expositions, Maison de la culture du Japon à Paris 

Tomoko Yoneda connaissait Albert Camus, et notamment L’Étranger, depuis ses années de collège, mais sa véritable rencontre avec lui remonte à l’époque où elle étudiait à l’université de l’Illinois, à Chicago, lorsqu’elle a découvert, en traduction anglaise, un recueil d’essais intitulé « Ni victimes ni bourreaux » d’après le titre d’un texte publié en 1946 dans Combat, journal clandestin de la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce recueil est devenu la ligne directrice de Tomoko Yoneda dans son travail de photographe. 

« Voulez-vous être tué ? », « Ou bien voulez-vous tuer quelqu’un ? » * demande Camus, mais si vous répondez non à ces deux questions, alors il ne vous reste que la paix pour horizon.
(…)
Yoneda s’installe en Europe en 1989, à l’époque de la guerre du Golfe et de la chute du mur de Berlin. Elle est alors frappée par la rapidité avec laquelle la réalité change : « Ce qu’on croyait avoir devant les yeux non seulement n’est pas forcément éternel, mais peut même s’effondrer pour devenir autre chose. »
(…)
Depuis longtemps fascinée par la composition parfaite et la qualité de ses oeuvres, j’étais curieuse de voir comment cette photographe sensible aux aléas de l’histoire et aux crises humaines appréhenderait les tourments auxquels l’Europe est aujourd’hui confrontée, tels que l’afflux de réfugiés ou les attentats terroristes qui se succèdent, et c’est la raison pour laquelle j’ai souhaité l’inviter pour l’exposition Transphère #5 à la Maison de la culture du Japon à Paris. 

À l’origine des tensions avec le monde musulman qui existent en France, il y a l’histoire de l’Algérie colonisée de 1830 à 1962 et une cruelle guerre d’indépendance. En outre, même si des réfugiés parviennent en Europe aujourd’hui, ils doivent assumer une double identité culturelle. Alors qu’elle réfléchissait à cette thématique depuis 2015, l’idée de travailler sur la vie d’Albert Camus, à qui elle s’intéresse depuis sa jeunesse, a émergé dans l’esprit de Tomoko Yoneda. 
(…)
En Algérie, Tomoko Yoneda a utilisé l’appareil photo des années 1950 qui appartenait à son père, puis elle est arrivée à Marseille en bateau, comme Camus lorsqu’il s’est rendu à Paris. À vrai dire, elle désirait vivement discuter avec des étudiants algérois, mais n’a malheureusement pas pu mener à bien ce projet. Outre qu’il lui était difficile de rencontrer librement des étudiants, elle n’a pas été autorisée à photographier avec du matériel de grande dimension. Même ses prises de vue avec un appareil ordinaire étaient constamment contrôlées. Néanmoins, un jour viendra peut-être où elle pourra exposer en Algérie et échanger avec des Algériens. 

La situation du Japon d’après-guerre est souvent comparée à celle de l’Allemagne, mais les relations difficiles qu’il entretient avec la Chine et la Corée, qu’il a occupées quelque temps, n’est pas sans évoquer les relations entre l’Algérie et la France. 
(…)
Depuis la catastrophe nucléaire qui a frappé Fukushima après le tsunami provoqué par le tremblement de terre du 11 mars 2011, Yoneda continue d’interroger l’histoire moderne et contemporaine du Japon, en photographiant par exemple des chrysanthèmes comme des portraits de Japonais ou une grue de papier confectionnée par la jeune Sadako Sasaki, morte irradiée par la bombe atomique de Hiroshima. Jusqu’au séisme, rares étaient au Japon, pays que l’on disait ultra-pacifiste, les artistes qui, comme Yoneda, concevaient leurs oeuvres d’un point de vue social. Mais depuis, les consciences ont grandement évolué, et son rôle de pionnière est de plus en plus reconnu parmi la jeune génération. 

Chacun, dans quelque pays que ce soit, a quelque chose dans son passé qu’il souhaite oublier. En l’effaçant, en le chassant de sa mémoire peut-être parvient-on à se sauver. Pourtant, n’est-ce pas en ayant le courage de regarder la vérité en face que l’on trouve la force de bâtir l’avenir ? 

Camus aimait beaucoup la lumière des ruines romaines de Tipaza, sur la côte algérienne. Sans doute le portrait de lui que Tomoko Yoneda nous révèle grâce à des recherches obstinées et à son constant souci de la dignité humaine peut-il nous encourager en cette époque de turbulences et nous envelopper dans la lumière limpide de la Méditerranée.

 

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