L’histoire montre bien sûr le contraire, encore faut-il l’interroger et savoir décrypter ses messages pour saisir la portée de son cours. Aucun peuple, aucune nation ne s’est constituée sans heurt, sans violence et sans guerre. Il aura fallu au monde occidental deux guerres mondiales (et nous avons raté de justesse la troisième) pour connaître enfin la prospérité et la paix durable qui sont siennes depuis moins d’un siècle. Le monde arabophone, (je préfère cette appellation qui ne nie aucune origine ethnique de cet espace géopolitique, que le terme «monde arabe», imposé par les Orientalistes au XIXe siècle pour gommer toute nuance ethnolinguistique dans cet espace), n’échappe pas à cette règle universelle de l’histoire. Il aura connu une longue période de stabilité ou plutôt de sommeil léthargique sous l’empire Ottoman, durant plus de 5 siècles pour se réveiller brutalement au début du XIXe siècle.
Le choc Orient-occident : La campagne d’égypte de Napoléon
Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, plus exactement jusqu’en l’an 1798, le monde arabophone en général et le Machrek en particulier vivaient dans l’illusion d’une puissance indestructible qui puisait sa force et son ciment dans l’Islam. L’intrusion inattendue et violente de la civilisation occidentale dans cet espace par le débarquement de l’armée de Napoléon Bonaparte en Egypte a constitué un premier choc qui heurtera violemment la conscience collective et mettra en pièces toutes les illusions de puissance et de grandeur dans lesquelles ronronnait cet espace sous la protection ottomane. Mohammed Ali, le khédive de l’Egypte, un non-Arabe qui gouvernait ce grand pays pour le compte de la
Porte Sublime, a compris à cette occasion l’énorme retard militaire mais aussi scientifique et culturel que l’Orient avait accumulé au cours des siècles par rapport à l’Occident. Il eut l’intelligence de s’ouvrir au savoir de l’Occident agresseur, en envoyant refaire leurs classes à des dizaines d’intellectuels égyptiens dans les universités européennes, en particulier en France, à Montpellier et à la Sorbonne, mais aussi en encourageant le débat d’idées contradictoires dans le pays. Par cette ouverture, il permit un nouveau départ à un processus historique jusque-là bloqué par l’inertie intellectuelle des élites arabophones, en raison principalement du poids considérable du dogmatisme religieux sur la pensée arabe.
En effet, faut-il rappeler qu’après une première époque brillante civilisationelle à Baghdad, puis en Andalousie qui s’est développée du VIIe au XIIe siècles sous la brillante pensée des Mouaâtazalites à Baghdad et Bassora, qui s’est poursuivie en Andalousie particulièrement avec Ibn Rochd, puis suivra une longue plongée dans le sommeil intellectuel plombé par les thèses politico-religieuses successivement d’Ibn Hanbal XIIe siècle), d’Ibn Tamiyya (XIVe siècle), puis d’Ibn Abdelwahab (XVIIIe siècle). Le monde musulman, en particulier arabophone, va ainsi plonger dans un long sommeil, une longue phase de reflux historique qui facilitera sa domination par l’empire ottoman.
D’ailleurs, s’agissant d’un empire se prévalant de l’Islam, cette domination n’a pas été vécue comme une colonisation, mais plus comme une protection des peuples arabes par le grand frère turc ! L’enfermement durable dans cet espace, dont le centre de décision politique et la base de rayonnement culturel sont loin à Istanbul, a considérablement réduit les contacts de la périphérie de cet empire avec le monde occidental. Les peuples arabophones, tant au Machrek qu’au Maghreb, avaient le regard fixé vers la Porte Sublime et la Mecque, seules références à la fois religieuse et culturelle.
Un événement historique aussi inattendu que brutal, en l’occurrence la campagne d’Egypte de Napoléon en 1798-1801, va brutalement remettre en question les certitudes enracinées dans la conscience arabe depuis Souleymane le Magnifique. Cette campagne d’Egypte n’avait pourtant pas pour objet de réveiller les Arabes, loin s’en faut, elle avait un but stratégique militaire : couper aux Anglais, l’ennemi juré de la révolution française, la route des Indes. Elle avait aussi un but subsidiaire inavoué, mais tout aussi important dû à Talleyrand : éloigner de Paris ce jeune officier turbulent et par trop ambitieux.
Le choc fut violent aussi bien sur le plan militaire avec la déroute au pied des pyramides, symbole de la profondeur millénaire de la civilisation égyptienne, que moral avec la découverte stupéfiante du retard scientifique et culturel que l’Orient avait pris sur l’Occident. A l’initiative de Mohammed Ali, un travail intellectuel s’organise et transforme l’humiliation de la défaite en une volonté farouche de rattraper le retard par l’effort intellectuel et scientifique au contact des universités occidentales et par l’ouverture du débat intellectuel jusque-là plombé dans le monde arabophone par le dogmatisme intellectuel et religieux.
Le cours libérateur de l’histoire, figé par des siècles de domination ottomane, va timidement reprendre son cours et voir naître deux mouvements de pensée, le mouvement d’Ennahda, à l’initiative de nombre d’intellectuels arabophones, notamment Djamel Eddine El Afghani et Mohammed Abdou, dont les idées, quoique réformatrices, resteront chevillées aux concepts de la oumma et à l’idée fondamentale de s’inspirer en toutes choses des principes de l’Islam. Le 2e courant d’idées, plus proche de la philosophie des Lumières avec des penseurs comme Taha Hussein et Rifaâ Al Tahlawi ou le Copte Boutros El Boustani, va défendre la nécessité d’ouverture et de réforme profonde de la pensée arabo-musulmane par l’ijtihad.
Ces derniers, trop en avance sur leur temps, resteront très peu entendus car considérés comme trop proches de l’Occident ou s’éloignant dangereusement des principes de l’Islam, et même parfois les deux. Bien que finalement en contradiction avec elle- même et peu résolue à sortir du champ religieux, la Nahda pose malgré tout la question du devenir des peuples arabophones et musulmans dans un monde dominé par l’appétit dominateur du monde occidental. Ce mouvement aurait pu constituer une nouvelle alternative, un nouveau point de départ historique pour sortir les peuples arabophones du long sommeil dans lequel les a plongés la pensée dogmatique religieuse depuis le XIIe siècle et la longue domination ottomane.
Probablement que si elle ne s’était pas enfermée sur la seule problématique réformiste religieuse et si elle avait su s’allier au courant de pensée plus «laïque» de Rifaâ, la Nahda aurait pu déboucher sur un mouvement révolutionnaire arabe et peut-être faire échec à la nouvelle inféodation des peuples arabes aux empires anglais et français. En raison de cette cécité idéologique et du manque de vision stratégique dans lesquelles l’union des forces aurait dû prévaloir, la Nahda n’a pas été en mesure d’organiser la résistance populaire face à l’offensive de l’Occident dans son entreprise coloniale, et de ce fait ratera son rendez-vous avec l’histoire.
Les conquêtes coloniales au Machrek
L’affaiblissement de l’empire ottoman, à partir de la 2e moitié du XIXe siècle, va permettre à l’Occident de s’installer d’abord insidieusement, puis brutalement par la force dans la région. L’alliance de la Turquie avec l’Allemagne, lors de la Première Guerre mondiale, va accélérer la conquête coloniale anglo-française avec le soutien des tribus arabes du Negb et du Hijaz, mobilisées par la duperie de Lawrence d’Arabie. Les tribus arabes hachémites, sous la direction de Fayçal, vont se liguer aux forces armées anglo-françaises pour chasser leurs coreligionnaires turcs avec la promesse, à court terme, de l’établissemen d’un «royaume arabe» englobant la Palestine, le Negb et le Hijaz (actuelle Arabie Saoudite), le Cham (actuellement Syrie-Liban) et la Mésopotamie (actuel Irak), avec comme capitale : Damas.
Pendant que les Arabes menaient combat contre l’ennemi aux côtés des troupes anglo-françaises, à Londres se signaient les accords entres ces deux puissances européennes, (pour l’histoire : un 3e larron, Russe, était complice dans cette affaire, mais la révolution bolchévique de 1917 le fit disparaître), qui se partageaient le gâteau : ce sera les fameux accords de Sykes-Picot. A la France reviendront les actuels Liban et Syrie, aux Anglais tout le reste et, cerise sur le gâteau, la Palestine devra accueillir le fameux «foyer national juif» qui sera la première pierre de l’édification de l’Etat d’Israël. Après la victoire, lorsque Fayçal le Hachémite, naïf et sûr de son fait, arrive à la tête de ses troupes à Damas pour prendre possession de son «royaume», il sera accueilli à coups de canon par l’armée coloniale française.
En guise de compensation, on l’installa comme Emir à la tête du futur Etat d’Irak… sous le contrôle d’un gouverneur anglais représentant du vrai pouvoir. Les Hachémites auront par la suite une compensation : l’actuelle Jordanie. Ces événements capitaux, ce reniement cynique et méprisant des anglo-français signera l’acte de décès de la Nahda et renverra aux calendes grecques la révolution arabe. Dans ce climat de stupeur, d’humiliation et de colère, une nouvelle élite politique va émerger. Elle appuiera sa nouvelle vision sur un syllogisme d’une simplicité biblique : ceux qui ont eu la faiblesse de faire confiance à l’Occident et sont allés chercher la connaissance dans leurs universités en s’éloignant de notre idéologie musulmane, ont fait de nous des auxiliaires des «croisés» dans cette guerre contre les Ottomans. Nous y avons perdu notre âme, notre souveraineté et reçu en réponse un coup de poignard dans le dos : la dépossession de nos terres en faveur des immigrés juifs. Ils ne parlaient pas ainsi des intellectuels «laïques» mais de la Nahda !
A cette analyse a priori logique mais si simpliste s’ajoute le diagnostic sur la cause du sinistre : le renoncement à notre unique source d’inspiration, l’Islam. Dès lors, le retour à ce qui est convenu d’appeler l’âge d’or de l’Islam sous le pouvoir militaire et politique du Prophète et de ses premiers califes à Médine au début du VIIe siècle apparaît au yeux des islamistes comme l’unique alternative pour se sortir de ce piège tendu par «les croisés». Le salafisme triomphant avec sa version wahhabiste va se diffuser dans ce climat de défaite, de trahison et de déshonneur comme une traînée de poudre. Ainsi sont nés les Frères musulmans en Egypte, ainsi fut mis un frein au processus historique d’émancipation raté par la Nahda, enterré par El Banna.
Les guerres coloniales au Maghreb
Au Maghreb, l’expansion coloniale s’effectuera avec plus de brutalité : la France, ruinée par les guerres napoléoniennes et en proie à une grave crise politique avec la restauration de la royauté, cherche avec avidité des territoires et des richesses à conquérir. L’affaiblissement du pouvoir du Dey et du sultanat du Maroc, ainsi que l’émiettement de la société tribale maghrébine ouvriront davantage l’appétit de conquête et verront déferler les troupes coloniales françaises en Algérie en 1830. Il faudra 30 années de guerre sauvage et le massacre d’un tiers de la population algérienne pour imposer l’ordre colonial au Maghreb en général et à l’Algérie en particulier. Le réveil est particulièrement dur : les révoltes menées principalement par l’Emir Abdelkader, puis les Cheikhs Haddad, Mokrani et Bouamama ne font que confirmer le retard considérable que le Maghreb a accumulé au cours des siècles sous le joug ottoman sur tous les plans : militaire bien sûr, mais aussi et surtout social, culturel et politique. Bien plus qu’au Machrek, les élites intellectuelles maghrébines ne réaliseront l’ampleur et la gravité de leur retard que près d’un siècle après le début de la colonisation de l’Algérie !
Et là aussi c’est une guerre qui provoquera l’électrochoc salvateur : les exigences de la Première Guerre mondiale vont pousser la puissance coloniale à faire appel à ses «indigènes» pour deux raisons : leur enrôlement forcé dans l’armée française pour servir de chair à canon, et le recrutement massif d’une main-d’œuvre bon marché pour pallier le manque de bras créé par la mobilisation massive des adultes mâles. Ce sera le premier contact des «indigènes de la République» avec la métropole. La première rencontre avec les autres indigènes de l’empire : Noirs, Marocains et Indochinois, les premiers débats sur la condition des peuples colonisés. Cela sera aussi une nouvelle occasion de prise de conscience politique de leur situation en tant que colonisés.
Dès la fin de la guerre, les soldats démobilisés s’organisent alors pour porter la revendication d’égalité des droits, leur mouvement sera mené par l’Emir Khaled, petit-fils de l’Emir Abdelkader qui créera en 1919 le «Mouvement pour l’égalité ou la réforme». Il sera exilé à Damas comme son grand-père, où il y mourra en 1936. Par contre, nos premiers émigrés qui se sont installés en métropole vont découvrir le fonctionnement d’une société de droit à travers le syndicalisme et le militantisme politique. Avec les représentants d’autres communautés d’émigrés, en particulier les Indochinois (dont un certain Ho Chi Minh), et sous la férule des partis de gauche, les jeunes Algériens s’initient d’abord aux batailles syndicales, puis au combat politique. Ainsi naîtra l’Etoile nord-africaine en 1926. Ainsi, également, le mouvement historique de libération des peuples du Maghreb, bloqué d’abord par 5 siècles de domination ottomane puis un siècle d’un colonialisme dévastateur, va pouvoir reprendre son cours.
Un autre événement historique va apporter politiquement mais aussi moralement et matériellement son soutien à l’éveil émancipateur des peuples colonisés : la révolution bolchévique de 1917, et plus tard la révolution chinoise en 1949. L’histoire s’accélère alors par l’émergence, sur les cinq continents, de mouvements de lutte contre la colonisation qui seront un creuset formidable d’idées généreuses, novatrices et libératrices. Ces idées aboutiront bien sûr à l’explosion des grandes révolutions nationales et se diffuseront jusqu’en Europe et aux USA où elles donneront naissance aux révoltes des jeunes : Mai 68 en France, révolte contre la guerre au Vietnam aux USA à la même période.
La Seconde Guerre mondiale va accentuer les mouvements de libération au Maghreb. Aux luttes politiques menées par les mouvements locaux, particulièrement le PPA-MTLD, va s’ajouter l’énorme frustration de nos soldats, de nouveau enrôlés dans une guerre qui ne les concernait pas et qui seront en première ligne comme il se doit pour en être la chair à canon. Ils seront accueillis, à leur retour au pays, par la fureur de la répression coloniale en réponse aux manifestations pacifiques du 8 Mai 1945. La Deuxième Guerre mondiale accélérera et renforcera une émigration de plus en plus politisée et encadrée dans le mouvement syndical de gauche. Enfin, les «indigènes» voient pour la première fois la puissance coloniale, qui les écrase depuis plus d’un siècle, battre en retraite face à l’armée d’Hitler (comme elle sera vaincue plus tard par le Vietcong), ce qui détruit dans leur imaginaire le mythe de supériorité et d’invincibilité de son armée.
Novembre 1954
Ainsi, le mouvement historique de libération va de nouveau s’accélérer pour déboucher inévitablement sur le 1er Novembre 1954. Novembre 54 est un événement historique majeur du XXe siècle, parce qu’il s’inscrit résolument dans le sens de l’histoire qui sera celle de la libération des peuples, car fondamentalement c’est une révolution populaire initiée, dirigée et menée à son terme par un mouvement plébéien et elle deviendra rapidement un exemple de lutte pour la liberté pour tous les peuples opprimés de la planète.
La guerre de Libération nationale sera l’une des plus violentes de l’histoire contemporaine. Mais au milieu de ce déchaînement inédit de mort, de destruction, de déportation et de bien d’autres malheurs, se renforcera la conscience nationale. La guerre va ainsi se donner un contenu politique annoncé par la Déclaration de Novembre et consolidé par la Plateforme de la Soummam. Cet encadrement politique révolutionnaire aurait pu arrimer une fois pour toutes le devenir de l’Algérie dans le sens de l’histoire et donner à notre guerre d’indépendance davantage de portée historique libératrice en faveur des Algériens et des autres peuples en révolte dans le monde. C’était sans compter sur le contre-mouvement au sein-même de la révolution algérienne, qui va naître de luttes internes pour son contrôle politique et militaire.
Ce contre-mouvement, inquiet de perdre sa prédominance à la tête de la révolution, mettra fin, avec la réunion du Caire en 1957 puis l’assassinat de Abane Ramdane, aux ambitions politiques de la «Soummam». Vidé de cette avancée politique, le mouvement révolutionnaire né de Novembre 54, inscrit dans un demi-siècle de l’histoire de libération mondiale des peuples, parti pour être une locomotive de l’histoire contemporaine, payera très cher et longtemps cet échec.
C’est vrai qu’en raison de la dimension énorme de la révolution algérienne, les générations venues après 1962 étaient dans l’attente d’une suite logique à la guerre d’indépendance : l’émergence d’un projet politique qui leur donnerait le statut de citoyens libres et responsables. Ils auront, à la place, un système politique nationaliste, populiste et autoritaire qui perdure jusqu’à nos jours. Nous connaissons la suite : Tripoli, coup d’Etat militaire, effets pervers désastreux du syndrome hollandais après la très juste nationalisation de la rente pétrolière, Octobre 88, guerre civile et replongée en ce début de XXIe siècle dans la débauche du pétrole cher, de la consommation sans aucune mesure sous le strict contrôle du bâton de gendarme.
L’émergence du mouvement islamiste
Mais revenons à l’échec de la Nahda et à l’émergence du mouvement politique islamiste. Le mouvement d’El Banna va faire des adeptes dans tout le monde musulman arabophone et non arabophone. Le recul de la pensée rationaliste et moderne, qualifiée dès lors non plus d’occidentale, mais pire aux yeux des islamistes, de communiste (donc d’athée !), bat en retraite et s’efface devant la déferlante islamiste. Les empires anglo-français vont en profiter pour faire d’une pierre deux coups : consolider la route des Indes qui deviendra plus tard celle du pétrole et faire barrage à l’ennemi bolchévique, en installant au pouvoir dans tout le Machrek des oligarchies théocratiques moyenâgeuses (en Arabie, en Jordanie, au Koweït et aux Emirats arabes).
La découverte dans la région, dans les années 30, d’immenses réserves de pétrole fait arriver les USA qui vont détrôner les anglo-français affaiblis, pour ne pas dire ruinés par la 2e Guerre mondiale. La rencontre sur un navire de guerre US entre Roosevelt et le roi Abdelaziz Ibn Saoûd d’Arabie sera l’événement symbolique le plus important qui scellera l’union sacrée entre le nouvel empire en construction et le pouvoir théocratique des émirs arabes. L’argent du pétrole va couler à flots, la part qui reviendra aux mouvements islamistes, Frères musulmans, salafistes et wahhabistes n’est pas en reste, loin s’en faut et lui permettra, sous couvert du prosélytisme religieux et actions humanitaires, de se diffuser largement dans le monde entier !
Bien sûr, il y a eu des réactions nationalistes, des sursauts d’élites essentiellement issues des armées arabes pour échapper au rouleau compresseur US et anglo-français : Nasser en Egypte, Boumediene en Algérie, le Baath en Irak et en Syrie, mais leur action va être sévèrement combattue et affaiblie aussi bien par le harcèlement de leurs ennemis (tout le monde se souvient de l’attaque anglo-franco-israélienne lors de la nationalisation du canal de Suez par Nasser), mais aussi par leur propre dérive autoritaire, leurs conflits internes et l’absence d’un projet politique et idéologique mobilisateur de leur peuple et de leurs élites.Israël fera le reste.
Le dernier événement historique mondial qui viendra secouer cet ordre établi au cours du XXe siècle, ce dernier ponctué par les 2 guerres mondiales et la guerre froide, est bien sûr la chute du Mur de Berlin en 1989. L’ordre plus ou moins établi sous la menace d’une 3e guerre mondiale, nucléaire celle-ci, entre l’Est et l’Ouest s’écroule comme un château de cartes et avec lui les vestiges des empires coloniaux anglais et français. Les grands vainqueurs sont bien sûr les USA qui vont tenter d’effacer toute influence des anciens empires coloniaux sur leurs anciens territoires en abattant une nouvelle carte : le projet du Grand Moyen-Orient ! Il faut faire vite, car une deuxième puissance va profiter du bouleversement de l’ordre planétaire pour opérer une montée vertigineuse : la Chine !
Or, la Chine a un besoin vital de s’imposer dans la région MENA en raison de ses besoins énergétiques considérables. Elle n’est pas une puissance militaire capable de partir en guerre contre les USA, et sa philosophie ancestrale a toujours fait valoir l’intelligence et la ruse à la force brutale. Insidieusement mais efficacement, elle s’infiltre dans la région MENA en Afrique sahélienne et subsahélienne et devient donc un concurrent dangereux pour les ambitions US.
Le projet du «Grand Moyen-Orient» n’est donc plus en concurrence avec les intérêts des anciennes puissances coloniales, mais avec le nouveau géant mondial qu’est la Chine. Les think tank US se mettent dès lors au travail : comment substituer aux élites politiques nées dans l’espace arabophone après les indépendances, devenues inutiles, à de nouvelles élites détachées de leurs anciens maîtres coloniaux et asservis aux intérêts américains ?
La réflexion est aussi d’un syllogisme sidérant : 1- Cette région n’a connu une longue stabilité politique que sous l’empire ottoman, dont le dénominateur commun est : l’Islam. 2- Les Etats les plus stables depuis le démantèlement de cet empire sont les monarchies théocratiques du Moyen-Orient et du Maghreb, en l’occurrence le Maroc. 3- Ce sont ces mêmes Etats qui ont été depuis toujours nos inconditionnels soutiens. Solution logique : installer à la tête de toute la région MENA des pouvoirs d’inspiration islamiste «modérés», bien sûr, pour ne point choquer leur propre opinion. Le travail serait d’autant plus facile que ces élites politiques post-indépendance n’ont pas réussi à créer de vrais Etats/nations dotés d’institutions politiques légitimes, d’un Etat de droit capable de résister au travail de déstabilisation dont les USA se sont rendus maîtres depuis leurs expériences en Amérique latine dans les années 1960 et plus récemment dans les anciens Etats satellites de l’URSS (par les fameuses révolutions «oranges»).
La seule erreur commise par ces think tank est d’avoir surestimé les capacités des partis islamistes à gérer un pays. Ces mouvements ont plus fait dans le discours démagogique et populiste sans substance politique, mais très écouté par des populations lasses d’être humiliées par l’Occident et sa métastase locale qu’est Israël, déçues par l’incapacité, voire la trahison des élites qui les gouvernent depuis les indépendances.
L’opération «Facebook» (ou «printemps arabe», comme en veut) peut se mettre en place. Elle démarre en Tunisie par l’étincelle de Bouzidi et aboutit rapidement à l’exfiltration de Ben Ali pour installer Ennahdha. Ce sera ensuite le tour de Moubarak pour faire place à Morsi. Au Maroc, on est plus soft, le Makhzen, l’allié traditionnel, est maintenu autour du roi et l’on cède la gestion des problèmes économiques et sociaux aux islamistes. Par contre, les choses tournent au vinaigre rapidement en Libye, en Syrie et en Irak malgré l’aide massive des Saoudiens et des Qataris à leurs affidés respectifs. Finalement, au bout de 2 ans, on ne peut que constater l’échec cuisant de la solution islamiste «modérée». Les USA vont revenir à la bonne et vieille recette du bâton, les armées arabes ne se faisant point prier pour revenir aux affaires !
Finalement, quelles leçons faut-il en tirer ? Nous sommes, que l’on veuille ou pas, entrés dans une étape cruciale, irréversible, qualifiée de mondialisation, mais en fait dominée largement par les intérêts du nouvel empire occidental, associant les USA et Israël et traînant derrière eux une Europe occidentale en crise. Ceci est une réalité, je crois, acceptée par tous, mais pas une fatalité. Ce n’est pas une fatalité, car comme j’ai tenté de le démontrer, ce n’est qu’une étape dans ce long processus historique long, difficile, semé de pièges mortels, mais qui mènera inéluctablement à la liberté. Cette étape ne va pas durer encore longtemps, car l’histoire s’accélère comme le démontrent les événements récents de l’Ukraine où le pouvoir né de la «révolution» orange s’est écroulé pour laisser place à un pouvoir autoritaire, lui-même chassé par une nouvelle «révolution populaire», pour placer un pouvoir chancelant qui se voit lâché dans l’affaire de la Crimée par son promoteur : le nouvel empire occidental.
Nous avons aussi des arguments à faire valoir, nous disposons d’atouts géostratégiques, énergétiques et surtout humains qui devraient nous permettre de défendre notre place dans ce nouveau monde et de léguer aux générations futures les moyens de poursuivre le combat pour leur liberté et leur prospérité. J’insiste sur nos ressources humaines qui sont certainement notre potentiel le plus sûr et le plus important. Car l’intelligence humaine est bien la seule ressource également répartie à travers la planète. Il n’y a pas de peuple plus intelligent qu’un autre, il n’y a que des peuples qui ont appris à utiliser cet inépuisable potentiel humain et d’autres qui l’anesthésient par le mensonge, la répression et la corruption.
Ce mouvement historique ne va pas s’arrêter avec l’essoufflement des «printemps arabes», ni avec le retour des dictatures ! Ce mouvement est universel et inéluctable malgré toutes les mesures violentes ou sonnantes et trébuchantes que l’on pourrait lui opposer ! La seule question qui mérite d’être posée aujourd’hui est la suivante : y a-t-il une intelligence dans ce pouvoir qui gère notre pays capable de se hisser au niveau de ceux et celles qui ont conduit le processus historique depuis l’invasion coloniale jusqu’à Novembre 54 ? De saisir la portée historique du moment porté par toutes les couches sociales porteuses de changement et de réaliser le désastre qui découlerait de s’y opposer par la ruse, la violence ou la corruption ? De prendre les décisions courageuses qui vont accompagner le peuple algérien, dans le calme, la sérénité et la raison vers le passage historique de l’indépendance à la liberté ? Je le souhaite de tout cœur comme tous les Algériens amoureux de leur pays. Car, faute de quoi, c’est encore la rue, la violence, les larmes et le sang qui seront malheureusement le passage obligé pour faire avancer l’histoire.
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