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Camus au cinéma, avec un biopic en préparation. Camus en photos, avec le livre de 300 photos
que Catherine Camus consacre à son père. Camus en dictionnaire.
Camus à la télé, avec un reportage d’Envoyé Spécial
consacré à l’illustre intellectuel mercredi 6 janvier dernier sur
France 2. Camus dans le viseur des chargés de com’ de l’Elysée. Avec un
Président semi-ignare qui veut dresser sa propre stèle de roi éclairé
en transférant les cendres de le l’écrivain au Panthéon. Enfin, Camus
dans la presse. Le Magazine Littéraire,
un numéro spécial du Figaro et un Hors Série du Monde sortent simultanément leur dossier sur l’auteur
de La Peste, mort dans un tragique accident de voiture, il y a tout juste 50 ans. Sans oublier Témoignage Chrétien qui lui consacre un dossier de dix pages.
Bref Camus jusqu'à plus soif !
C’est déjà plus agréable que les marronniers des fêtes sur les Francs-Maçons,
à la une du Point, du Nouvel Observateur, de l’Express
et de Médias. Avec les dossiers sur Camus, on monte d’un cran, indéniablement. Mais gare à l’indigestion quand même. Gare à la récupération
surtout. « A chacun son Camus », comme le note Jean Yves Guérin, professeur de littérature à la Sorbonne, interrogé par le Monde. L’occasion de voir, entre Le Figaro (droite) et le Monde
(centre gauche, « libéral » au sens anglo-saxon), Témoignage Chrétien
(tendance centriste) les différentes approches d’une œuvre riche,
rayonnante, intemporelle, écrite par un homme riche de contradictions,
de doutes, mais aussi de certitudes. Une œuvre intemporelle mais aussi
universelle, traduite dans plus de 600 langues. « Aucun autre auteur français du XXè s. n’a atteint cette universalité », affirme M.Guérin. Dans son édito du Magazine Littéraire, Minh Tran Huy remarque qu’ « André Brink ou Imre Kertesz le citent comme une de leurs
références, (et qu’on) ne compte plus le nombre de rues à son nom en Europe de l’Est ».
Camus fut un magistral touche à tout. Journaliste, écrivain, dramaturge,
philosophe presque malgré lui. Le Monde met l’accent sur des textes choisis.
Un bon axe. Articles de presse, extraits de romans, de nouvelles et de
pièces, permettent de saisir les grandes lignes d’une œuvre courte mais
intense. Le Monde publie
aussi les témoignages de contemporains. La rubrique « In memoriam » permet de revisiter les « oraisons funèbres » de
différentes personnalités qui ont connu, de près ou de loin, Albert Camus. Chacun décrit « son » Camus.
Le Figaro se veut plus
biographique. Après une série de très belles aquarelles sur l’Algérie coloniale, George de Brulon coordonne un dossier sur
« les douze journées de la vie d’un écrivain ».
Il y mêle sur un ton léger des éléments de la vie personnelle, les
polémiques littéraires et philosophiques, l’Histoire avec une grande
hache, la Politique avec ses querelles fratricides. Jusqu’à ce triste 4
janvier 1960 et son « linceul
de ferraille ». Le Figaro a axé son étude sur « l’écriture, la révolte, la
nostalgie ». Très bon choix.
Dans son court dossier, Témoignage Chrétien revient sur le rapport assez ambigu de Camus au christianisme, mais aussi
sur le drame de la Guerre d’Algérie, sur le rapport de Camus avec les intellectuels. Le Magazine
Littéraire consacre un dossier spécial au grand écrivain, avec « Une pensée au
zénith ». Quatre axes : d’abord l’Oeuvre, car on n’est pas un magazine littéraire pour rien ! L’Algérie ensuite; le Journalisme ; l’Héritage. Avec aussi une riche chronologie.
Dans
les quatres magazines on retrouve souvent les mêmes photographies, et
parfois les mêmes intervenants. La plume de Jean Yves Guérin se
retrouve dans la plupart des titres, Sébastien Lapaque écrit dans le Figaro et
Témoignage Chrétien, B.Fauconnier alimente le Magazine Littéraire et la revue catholique. Alain
Finkielkraut, le « philosophe mécontemporain », est interviewé dans le Figaro, le Magazine Littéraire et Le Monde. Jean Daniel, journaliste, écrivain et ami de Camus raconte une facette de Camus dans les différents organes de presse…etc
« Je vais parler de ceux que j’aimais. Et de cela seulement. Joie profonde » (Camus à propos du Premier
Homme)
Le Magazine Littéraire
retrace l’œuvre d’Albert Camus. Une œuvre qui s’est chaque fois renouvelée. « Simplicité de l’Etranger, virtuosité de la Chute, lyrisme
du Premier Homme, on lit chaque fois un nouveau Camus », diagnostique Pierre-Louis Rey. Son collègue Bernard Fauconnier voit dans La
Chute, « portrait
d’un homme rongé par le désespoir, la culpabilité et le remords de
n’avoir pas sauvé une femme qui se noyait (…), le livre le plus
singulier de Camus, pour certains son chef-d’œuvre ». La Peste, métaphore sur la montée du nazisme, « est
un grand roman, mais les détails y sont souvent supérieurs à
l’ensemble, les scènes particulières plus fortes que le dessein
général, au symbolisme allégorique un peu trop voyant ». L’Etranger, Prix Nobel de Littérature en 1957, narrant l’aventure d’un pied-noir accusé du meurtre
d’un Arabe, « un bref roman aux faux airs de polar méditerranéen (…) l’intrusion du « roman
noir » américain dans le roman à thèse ».
Dans une œuvre à mi-chemin « entre classicisme et modernité »
(Franck Nouchi, Le Monde) magazines et témoins s’accordent sur un chef d’œuvre : Le Premier Homme, dont le manuscrit est retrouvé miraculeusement dans la carcasse de la
voiture, le 4 janvier 1960. Un « premier jet fiévreux, très autobiographique » (B. Fauconnier), une recherche du père mort pendant la
Grande Guerre, une peinture nostalgique de l’enfance algérienne (Le Figaro).
Ce roman est une rupture, ou,
plutôt, l’ébauche d’une rupture : « Les
livres qui lui avaient apporté la gloire littéraire témoignaient de son
brio, de ses idées ; ils n’ouvraient pas la porte de son jardin secret.
Au crible d’une écriture blanche, irréelle dans sa perfection formelle,
les sentiments de ses personnages avaient eux-mêmes quelque chose de
figé », analyse Michel de Jaeghere, dans le Figaro, qui
poursuit : « L’œuvre de Camus avait eu, jusqu‘alors, quelque chose de systématique qui pouvait
lui donner une apparence scolaire. Au cycle de l’absurde -L’Etranger, Caligula, Le Mythe de
Sisyphe- avait sagement succédé celui de la révolte
-La Peste, Les Justes, L’Homme Révolté.» A la lecture du Premier Homme « l’évidence s’impose, pourtant :
Camus s’était lui-même laissé prendre, emporter par un sujet qui le
faisait échapper pour la première fois à la tentation de faire d’un
roman un essai déguisé en fiction, un « mythe
organisé ».
Les personnages qu’il met en scène lui tiennent parfois trop à cœur,
ils sont trop proches de leurs modèles, pour être mis au service d’une
démonstration métaphysique ou sociale ». Camus note lui-même sur un
carnet : « En somme je vais parler de ceux que j’aimais. Et de cela seulement. Joie
profonde ».
Le Figaro consacre plusieurs pages à ce
« roman des origines ». M. de Jaeghere conclue ainsi sa pénétrante étude :
« Comme
si l’amour des siens, redécouvert au terme de cette plongée dans
l’univers de son enfance, l’avait convaincu d’abandonner le rocher de
Sisyphe : si elle lui avait permit de trouver, enfin, une réponse
convaincante à l’apparente absurdité de la vie ». Boucle bouclée en quelque sorte.
Une œuvre, un homme. Un homme qui a connu la misère. Un dénuement transformé
en force. « Le Premier Homme
est le livre des sensations. Parce qu’il était pauvre, il était jeté
dans le monde sans médiation, sans barrière protectrice. Il n’a connu
aucun des amortisseurs qui calfeutrent les vies bourgeoises. Il a couru
à perdre haleine, il a nagé dans l’eau tiède de la mer, il a mené sous
le soleil la vie fastueuse d’un roi » (Alain Finkielkraut, Le Figaro).
Le Magazine Littéraire
se penche sur ce « roman inachevé », cette « pierre brute » qui dégage en elle-même « une
charge émotionnelle ». « Lapsus de l’auteur, approximations,
maladresses syntaxiques, désignations gauchies, tout cela signe à la
fois une compulsion d’écriture, un élan vital et aussi une puissance
quasi archaique du texte », analyse Gilles Cervera. Force et faiblesse de l’inachevé : « Ce
manuscrit n’était assurément dans l’esprit de Camus qu’une mise en
place, un objet à remodeler. Le reste, l’ultime coup de patte de
l’artiste, les touches d’ombre et de lumière, la grande part manquante
du récit, était à venir », note quant à lui Bernard
Fauconnier.
De l’écriture dans la Cité
Camus est entré par hasard dans le
journalisme. Pascal Pia l’a
recruté à Alger Républicain, alors qu’il avait 24 ans. « Le jeune homme doit avant tout gagner sa
vie », raconte t-il aujourd’hui dans les pages du Magazine Littéraire. Il se lance dans « ce boulot comme un autre ».
C’est le début d’une carrière de
journaliste en pointillé. Un parcours de « journaliste citoyen et critique »
(Le Monde). Le journalisme, qui, selon l’écrivain et éditorialiste Daniel Rondeau, « a
joué un rôle central dans sa formation, dans sa découverte du monde et
dans son dialogue avec les autres. (…) Le journalisme qui lui a donné
les moyens d’affermir une sensibilité, une capacité d’analyse et
d’intervention, une détermination » (Magazine Littéraire). Alger
républicain en 1938-39, puis Combat pendant la Résistance, « pour un journalisme de combat où il prend le maximum de risques »,
puis, épisodiquement, l’Express mendésiste. A chaque fois, une aventure.
Les articles sur « La misère de la
Kabylie » pour Alger Républicain montrent le « talent de reporter de Camus »
(Le Monde), qui se place au près des faits, du concret, pour mieux mettre la plume dans les plaies:
« Je
savais en effet que la tige de chardon constituait une des bases de
l’alimentation kabyle. Je l’ai ensuite vérifié un peu partout. Mais ce
que je ne savais pas c’est que l’an passé cinq petits Kabyles de la
région d’Abbo sont morts à la suite d’absorption de racines
vénéneuses. Je savais que les distributions de grains ne suffisaient
pas à faire vivre les Kabyles. Mais je ne savais pas qu’elles les
faisaient mourir et que cet hiver quatre vieilles femmes venues d’un
douar éloigné jusqu’à Michelet pour recevoir de l’orge sont mortes dans
la neige sur le chemin du retour. Et tout est à l’avenant. A Adni, sur
106 élèves qui fréquentent les écoles, 40 seulement mangent à leur
faim. Dans le village même, le chômage est général et les distributions
très rares (…) (Dans) la commune d’El-Kseur, sur 2500 habitants Kabyles
on compte 2000 indigents. Les ouvriers agricoles emportent avec eux,
pour la nourriture de la journée, un quart de galette d’orge et un
petit flacon d’huile »…
Modestie du reporter, à la recherche
de faits en se coltinant le terrain. Honnêteté du reporter, qui ne fait pas violence aux faits. Des faits qui, alignés, mêlés,
dépeignent une situation dramatique, une France indigne. Structurellement dramatique ? « Ce qui frappe dans ses textes, note Le Monde, c’est
la priorité accordée aux problèmes économiques de la Kabylie. En revanche il ne dit pas grand-chose des rapports que les Kabyles entretiennent avec
les Français, et pas davantage sur le problème politique algérien. »
C’est que Camus ne voulait pas l’indépendance de l’Algérie, qui
sous-entendait le départ des Français « enracinés ». Le vœu de
l’écrivain, irréaliste : une Algérie binationale, qui traiterait en
égaux Arabes, Kabyles et Français. Camus, voyant bien l’impossibilité
de voir naître une telle politique, s’est retranché dans le silence.
Franck Nouchi, qui coordonne le Hors série du Monde, en avant « le sens du relatif » de Camus.
« Il
en fallait du courage, lorsqu’on se réclamait de la gauche, pour aller
contre l’idée d’un absolutisme politique et idéologique, pour dénoncer
toutes les formes d’inquisition et toutes les barbaries, d’où qu’elles
viennent. ». Le philosophe Michel Onfray loue « l’opposant
de toutes les terreurs, … de tous les totalitarismes, (qui) ne fit pas
exception pour justifier les guillotines, les meurtres, ou les camps
qui auraient servi ses idées ».
Quand un obscur philosophe accuse Camus d’oublier l’URSS lorsqu’il place
l’intrigue de L’Etat de siège dans l’Espagne franciste, il réplique ainsi : « Pourquoi
l’Espagne ? Mais parce que nous sommes quelques uns qui ne nous
laveront pas les mains de ce sang-là (…) Vous êtes mal informé Gabriel
Marcel. Hier encore cinq opposants politiques ont été là-bas condamnés
à mort. Mais vous vous prépariez à être mal informé, en cultivant l’oubli. (…) Car vous acceptez de faire silence sur un crime pour
mieux en combattre un autre. Nous sommes quelque uns qui ne voulons faire silence sur rien. » Tous les Gabriel Marcel de France balayés !
La raison fondamentale de sa pratique journalistique est sans doute à
chercher dans le caractère même de l’écrivain. « Cette
vertu toute simple que Camus nous propose comme sésame au seuil d’un
siècle repu, adonné à la recherche infinie du bien-être et prêt à tous
les compromis pour que rien ne vienne troubler l’accumulation
inlassable des biens matériels, c’est la
force de caractère » (Michel De Jaeghere, Le Figaro)
Camus n’est pas un journaliste de salon. Il y a le terrain pour les reportages, mais aussi le travail obscur dans les rédactions. Il n’hésite pas à payer de sa personne, ayant été secrétaire de
rédaction dans sa jeunesse. Il se rend au marbre, observe le travail des ouvriers typographes, s’occupe de la mise en page. En photos, Le Monde « témoigne de ce monde disparu ».
L’Algérie au coeur
Camus
a vécu sur une illusion politique, mais il avait conscience que c’était
une illusion : faire de l’Algérie une terre d’égalité entre Français et
Arabes. Construire une communauté binationale solide, loin du
colonialisme et de l’extrémisme pied-noir, mais rejetant aussi, dans le
même mouvement, l’indépendance algérienne. En plein cœur de
la guerre d’Algérie, il a « l’espoir vain d’une trêve », confie son ami Charles Poncet, qui accompagnait Camus en 1956 lorsque celui-ci
voulait regrouper les libéraux des deux camps (Magazine Littéraire). Poncet évoque les rapports amicaux avec Ferhat Abbas et Messali Hadj, tenants
eux-aussi d’une communauté fraternelle franco-arabe, mais voix étouffées par le F.L.N. « Devant
une Histoire qui s’emballe, les meilleures intentions se diluent… Dans
cette guerre qui allait prendre un caractère inexpiable, jamais notre
protocole n’aurait pu être appliqué sur le terrain.
» Train lancé tombeaux ouverts sur les rails de l’Histoire… Fatalité de
l’Histoire que Camus refuse dans toute son œuvre, philosophique ou
littéraire.
L’Algérie, « mère-patrie », emplie de « lumières et
parfums » (Le Figaro). Camus, « patriote pied-noir, (et) qui n’en démordra jamais » (Jean Daniel, son ami anticolonialiste, Magazine Littéraire) Et cela malgré la nausée ressentie face aux
aboyeurs de l’ « Algérie Française ». En 1955 dans l’Express, Camus écrit « son attachement viscérale à son pays natal »
(Le Monde). Comme souvent avec Camus, tout est dit en peu de lignes : « Si
l’Algérie doit mourir, ce sera de résignation généralisée. La métropole
indifférente comme la colonie exaspérée semblent admettre que la
communauté franco-arabe est impossible et que l’épreuve de force est
désormais inévitable. Au nom du progrès ou de la réaction ici, par la
terreur ou la répression là bas, tous semblent accepter d’avance le pire : la séparation définitive du Français et de l’Arabe
sur une terre de sang ou de prisons. » Fatalité de l’Histoire que toute l’œuvre philosophique et romanesque de Camus réfute (Jean Daniel, Magazine Littéraire)…
Bernard-Henry Lévy regrette qu’on
ne garde de Camus que la phrase sur la Mère
et la Justice. Mais que reprocher à cette fameuse phrase ? Dans un
contexte d’attentats aveugles des révolutionnaires algériens,
d’attentats qui pourraient toucher sa pauvre mère continuant à faire
ses courses à Belcourt, Camus avertit : « Je crois à la justice mais je défendrais ma mère avant la justice ». Cette phrase est d’une vérité confondante, mais elle lui a valu l’ostracisme de la
gauche intellectuelle. BHL rappelle que Camus a mis les points sur les i, dans une lettre publiée dans ses Carnets : « Aucune
cause, même si elle était restée innocente et juste, ne me
désolidarisera jamais de ma mère, qui est la plus grande cause que je
connaisse au monde ». A l’époque, la gauche marxiste a conclut de cette phrase pleine de pertinence au colonialisme larvé de Camus…
Témoignage
Chrétien décide de « saluer fraternellement la
mémoire »
de Camus, qui avait pourtant des idées différentes de l’organe
catholique quant à l’Indépendance de l’Algérie. André Mandouze, le
directeur de l’époque, était un fervent défenseur des indépendantistes,
Camus lui, voyant ses espoirs de trêve disparaitre, a préféré se
réfugier dans le silence. « Ses positions
sur l’Algérie et sa distance avec la religion ne font pas de Camus un compagnon évident (mais) une lecture précise de son parcours nous prouve le
contraire » (Luc Chatel)
« Chacun son
Camus », dit le chercheur Jean Yves Guérin. C’est d’ailleurs une sorte de fil conducteur de cette petite revue de presse sur
l’anniversaire de la mort tragique, et absurde, du philosophe du tragique et de l’absurde. Dans la très belle rubrique « L’Héritage », Le Magazine Littéraire invite des personnalités à narrer « leur » Camus. Fil rouge : les auteurs et romanciers
algériens, qui découvrent ou redécouvrent l’auteur de l’Etranger, ou qui n’ont cessé d’être
émerveillés par lui. Boualem Sansal, auteur prolifique, fait un « retour à Belcourt », le quartier populaire où la mère de Camus
persistait à vivre, en pleine guerre. Un Belcourt « toujours aussi populeux, toujours aussi pauvre
(mais trop islamisé à mon gout, ça enlève beaucoup à la vie !) ». Mêmes conclusions pour ce qui concerne la Kabylie. « Lire Camus ne
suffit pas. Il faut connaitre l’univers qui lui a donné naissance … et se laisser travailler par eux. »
Yasmina Khadra, autre romancier algérien, retient « la foi en l’homme » de Camus. Et la foi dans la littérature. « Je ne prétends aucunement effleurer
le génie de Camus mais je m’autorise à croire en ce qu’il a enseigné : là où échoue le geste, le verbe peut réussir ». Abdelkader Djemai, qui a publié récemment Un moment d’oubli, chante l’algérianité de Camus. « Nous
sommes nés dans le même pays. Sous le même Soleil. Dans le même paysage
ouvert à la lumière, aux drames, aux odeurs d’absinthe et au vent qui
souffle sur le plateau de Djamila. Camus l’Algérois, l’Algérien, aura
su, avec talent et sincérité, rendre la beauté (de sa) terre ». Couteaux de l’Histoire : « il aura vécu la guerre d’Indépendance comme un traumatisme, une épreuve
personnelle, et non comme une nécessité historique ».
Djemai, alors, ne lui en veut pas. Maissa Bey, auteur il y a quelques
années d’un livre de réflexions autour de Camus, a quant à elle fait un
retour sur Camus. C’est un écrivain qu’elle refoulait pour cause de politique : « il
y a eu l’histoire, celle qui m’oblige, lorsque je m’arrête pour
regarder en arrière, à mesurer la distance qui nous sépare… ». Et puis, vient
la « fin des exaltations adolescentes », une lecture paisible de l’œuvre, un retour sur l’homme. Maissa Bey tutoie Camus dans une belle
« Lettre ouverte », dans laquelle elle reconnait Camus comme un des siens : « il y a
d’abord une terre, la nôtre ». Et puis, une anecdote qui en dit long : « Tu
ressemblais à mon oncle. Même front dégagé, même dégaine à la Humphrey
Bogart, même couleur d’yeux, indécise, entre le gris et le vert, même
façon de porter la cigarette à la bouche ».
José Lenzini, écrivain et journaliste, s’appuit sur sa propre expérience en
Algérie où il a donné une série de conférence sur Camus. Il constate dans les pages de Témoignage Chrétien qu’il « aura fallu bien des malentendus et bien des malentendants pour que les Algériens se réapproprient l’un des
leurs. »… Rétrospectivement c’est ballot. Mais mieux vaut tard que jamais !
Camus-Sartre, la Révolution en question
Camus était dans les années 50 et après sa mort l’objet de polémiques suite à
sa coupure avec la gauche révolutionnaire, dominante dans le monde intellectuel de la Guerre Froide. L’Homme Révolte (1951) a provoqué une rupture
brutale avec les marxistes. Le Monde rappelle les polémiques qui ont entouré la sortie de L’Homme
Révolté, en republiant les querelles de l’époque avec Sartre, Jeanson, mais aussi avec les surréalistes. Un consensus positif s’est ensuite vite
forgé, à droite, comme à gauche. La querelle avec Sartre est loin, dans un monde post-idéologie. Eloignée, elle n’en occupe pas moins une bonne
place dans le concert d’éloges de la presse.
Camus persona non grata dans le
gratin parisien de la pensée, Camus pris de haut, moqué. Le philosophe Bernard-Henry Lévy, qui ouvre le Hors-série du Monde, décrit sur deux
longues pages un climat de haine farouche, « la cruauté de Sartre », au milieu duquel Camus est « cette candeur, cette noblesse, cette incrédulité blessé (…) cette bonté ». Too much.
Moins lyriques, d’autres analystes
(Guérin par exemple) décrivent la brouille Sartre/Camus sur un thème un peu trop le bon/le méchant. Daniel Rondeau, écrivain et
éditorialiste, dresse dans le Magazine Littéraire une barrière qui parait infranchissable : « Ce
qui va séparer Camus et Sartre c’est principalement la question de
savoir s’il est bon ou pas de dire la vérité sur les camps soviétiques.
On peut d’ailleurs faire une lecture rétrospective de la littérature
française du XXè s. sous cet angle particulier : mensonge/vérité »
Curieux raisonnement. Ceux qui pensaient que la vérité était relative,
que le mensonge l’était tout autant, s’enfoncent le doigt dans l’œil
jusqu’à l’omoplate. Du haut de quelle sorte de piédestal peut-on
légitimement juger les écrivains du passé ? Que signifie cette
dichotomie vérité/mensonge, à la fois sottement catholique et
robespierriste ? Camus, lui, était moral, et c’est pour cette raison
qu’il ne faisait pas la morale. Sartre ami du totalitarisme ? Un peu
trop simple. Est-il nécessaire de rabaisser Sartre pour mieux faire
l’éloge -légitime- de
Camus ?
Grâce au Monde on peut dépasser cette peinture en noir et blanc, en lisant par exemple la réception par
Camus du roman de Sartre La Nausée. Dès les premières lignes le ton est donné. C’est une
baffe : « Un
roman n’est jamais qu’une philosophie mise en images. Et dans un bon
roman, toute la philosophie est passée dans les images. Mais il suffit
qu’elle déborde les personnages et les actions, qu’elle apparaisse
comme une étiquette sur l’œuvre pour que l’intrigue perde son
authenticité et le roman sa vie » :
Sartre dépasse peut-être Camus en philosophie, mais la philosophie ne
fait pas un bon roman. Camus semble réclamer, implicitement, un
magistère dans l’art romanesque. Je ne lis pour ma part pas assez de
romans pour m’en faire une idée, mais, pour beaucoup d’analystes, c’est
un fait indéniable. En tout cas, ce coup de patte montre que Camus
n’est pas une bête sans défense. « Ni victimes ni bourreaux » clame L’Homme Révolté. Et Camus n’est pas une victime, ne se vit pas
comme une victime. Ne réécrivons pas l’Histoire, y compris l’histoire littéraire.
Et puis, dans ses attaques contre le
surréalisme, Camus n’y allait pas de main morte non plus… Je n’ai là encore pas les épaules pour entrer dans un débat philosophique
ou artistique. Le Monde rappelle les polémiques qui ont entouré la sortie de L’Homme Révolté,
en republiant les querelles de l’époque avec les sartriens, Sartre
lui-même, mais aussi avec les surréalistes, accusés, notamment, de
conformisme. J-Y Guérin, pourtant camuphile averti, rappelle que L’Homme Révolté, objet du scandale, «
reçoit un accueil globalement favorable. Les historiens, dédaignant les
recensions favorables d’Albert Béguin, Georges Bataille, Paul Ricoeur,
ont privilégié les salves des existentialistes » (Magazine Littéraire).
Normal, ils tenaient le haut du pavé ! Les « vainqueurs » imposent
toujours leurs visions. En tous les cas, avec les attaques contre les
existentialistes et les surréalistes, on est loin de l’emphase de BHL :
« Noblesse de Camus. Bonté de Camus.
Désespoir d’un Camus qui n’aime qu’admirer, qui a toujours vu dans
l’exercice d’admiration l’équivalent d’un séjour au paradis, et qui
découvre, là, soudain, la force d’une haine dont il ne comprend, sur
l’instant, et comme toujours, ni les raisons ni les vrais enjeux »…
Vous pouvez vous relever.
Camus accusait ses anciens amis de
déifier l’Histoire comme un Veau d’Or. B.-H ; Lévy (Le Monde), qui constate
l’injustice faite à la philosophie de Camus, décrit le principal concept que celui-ci a forgé: l’historicisme, « l’attitude de cette catégorie
particulière d’esclaves qui voient dans l’Histoire leur maître, la figure même de l’Absolu et de la Loi ». Il s’agit « d’opposer à la
prétendue inéluctabilité des choses la sainte liberté des hommes ». Un « philosophe artiste » qui « n’a
jamais séparé sa vie de son aventure de pensée … N’est-ce pas la
définition même de la philosophie, selon ces chers Grecs ? N’est-ce pas
l’image la plus haute d’une discipline qui ne s’assigne, alors, d’autre
but que de bien dire comment vivre et comment vivre selon le Bien ? »
Effectivement. L’accusation de « philosophe pour classe terminale »,
avec sa « morale de Croix-Rouge » ne tient pas vraiment la route. Camus
a refusé de monter un système, mais il n’a pas délaissé les concepts
philosophiques.
Autre lame de fond :
l’absurde. A travers L’Homme Révolté et Le Mythe de
Sisyphe, Isabelle Schmitz (Le Figaro) ne voit contre l’absurde « aucune parade »
ni du côté du Ciel, ni du côté du suicide, ni du côté du consentement.
Peu de portes de sorties vers la Libération de l’Homme, ce que ne
peuvent supporter les marxistes. « Il n’y a qu’un monde, écrit Camus. Le bonheur et l’absurde sont deux fils de la même terre. Ils sont inséparables.» Mais Camus n’était pas
neurasthénique. Dans une lettre à son grand ami le poète René Char, Camus écrit qu’il « ne (s’)est jamais résigné à voir la vie perdre de son sens, et de son sang ».
D’où la révolte. Une révolte moins politique que métaphysique. C’est le nœud du problème…
Une grave question vient séparer
Camus de ses amis marxsistes : « Comment la révolte individuelle peut-elle s’incarner dans la vie sociale ? » (Le
Figaro). Sartre et ses amis accusent Camus, qui s’en défend,
d’individualisme. Camus écrit dans L’Homme Révolté : « Chaque
révolte est nostalgie d’innocence et d’appel vers l’être. Mais la
nostalgie prend un jour les armes et assume la culpabilité totale,
c’est-à-dire le meurtre et la violence ». I.Schmitz, dans sa pénétrante
étude, se demande si la révolution ne vient pas alors trahir la révolte. « Camus ne tranche pas tout
de suite mais démonte les rouages de la machine révolutionnaire ». Que dit Camus ? « L’esprit
révolutionnaire prend la défense de cette part de l’homme qui ne veut
pas s’incliner. Simplement, il tente de lui donner son règne dans le
temps. Refusant Dieu, il choisit l’histoire, par une logique
apparemment inévitable » (L’Homme Révolté). I. Schmitz est élairante : « Alors
que la révolte naissait précisément de l’affirmation d’une limite à ne
pas dépasser pour préserver la dignité humaine, la révolution trahit ce
mouvement originel en prétendant conquérir, par l’action, hors de toute
règle morale ou métaphysique, un être neuf. C’est parce qu’elle ne reconnait aucune limite à son but ultime que la révolution tourne
au « délire historique ». Il s’agit de prendre « le contre-pied de la
dynamique révolutionnaire ». Que dit Camus : « Au « Je me révolte donc nous sommes », au « Nous sommes seuls »
de la révolte métaphysique, la révolte aux prises avec l’histoire ajoute qu’au lieu de tuer et mourir pour produire l’être que nous ne sommes pas, nous
avons à vivre pour créer ce que nous sommes ».
Rapport à la Révolution, rapport au communisme, une grande théologie du 20è
siècle. Là encore, certains commentateurs poussent le bouchon un peu loin. C’est le cas de BHL, qui affirme crânement que « le communisme n’aura pas eu, au XXè s., d’ennemi plus acharné ni plus constant que Camus » Ah ? Nous pensions que la galerie des
anti-communistes était fournie, et que Camus, avec d’autres, se singularisait en dénoncer tous les régimes totalitaires… Selon BHL, Camus aurait « annoncé, et en partie fondé, le principe d’une gauche moderne, dégrisée ».
Dégrisé en quel sens ? « Chacun son Camus » disait J-Y Guérin à juste titre. Rappelons-nous ce principe de base. Les libéraux de
gauche veulent s’accaparer l’auteur de l’Homme Révolté.
Se donner des ancêtres glorieux. C’est de bonne guerre après tout.
Lisant l’essai le plus connu de Camus, le philosophe Michel Onfray nous
rappelle qu’on y trouve l’éloge d’une gauche oubliée, empoussiérée : le
syndicalisme révolutionnaire, le blanquisme, l’anarchisme. Une
tradition française volontairement étouffée pour donner la victoire
totale à un marxisme froid.
Alors, Camus le modéré, à la
recherche constante du compromis ? Un adepte de la molle et introuvable 3è voie ? Non. « En
fait de frilosité, Camus ne prône pas la non-violence absolue mais une
violence exceptionnelle, et contrôlée. L’expression politique de la
pensée de Midi est à ses yeux le syndicalisme révolutionnaire de
Proudhon, dont il souligne qu’il a prodigieusement amélioré la
condition ouvrière en partant de la base concrète de la profession,
contrairement au centralisme étatique, qui relève selon lui de
l’idéologie. » (I. Schmitz, Le Figaro)
Le philosophe Michel Onfray va même plus loin.
« Camus n’a jamais joué la réforme contre la révolution, mais la
réforme en attendant la révolution, à laquelle, -ces choses sont
rarement dites évidemment, il a toujours cru – pourvu qu’elle soit morale » (Le Monde)
Difficile
de trancher. Chacun plaque son image de Camus sur sa propre idéologie,
et inversement. Michel Onfray dans un sens, Alain Finkielkraut dans le
sens d’un pessimisme ontologique, BHL dans le sens d’une gauche
libérale, dite « dégrisée », et d’une gauche humanitaire...
C’est selon.
Camus et la
religion
« Chacun son
Camus », donc, comme disait le chercheur J-Y Guérin, lecteur attentif de l’écrivain.
Témoignage
Chrétien, organe qui défend des positions conservatrices sur le plan sociétal mais progressiste sur le plan économique, se penche quant à lui sur le rapport de l’écrivain au catholicisme. Arnaud Robic décrit les positions de
Camus, « incapable de trancher la question philosophique de l’existence de Dieu, indifférent au génie du christianisme mais attaché à la figure du Christ, (et) toute sa vie sensible au mystère
tragique de la foi ». Dans le viseur de l’écrivain agnostique : le clergé. « Je
prendrais l’Eglise au sérieux quand ses chefs spirituels parleront le
langage de tout le monde et vivront eux-mêmes la vie dangereuse et
misérable qui est celle du plus grand nombre ». Dans une lettre à Francis Ponge en 1943, il
observe qu’avec ses amis catholiques il « a le sentiment d’une partie liée, (car) ils s’intéressent aux mêmes choses que
moi. »
Camus fit ses études supérieures sur
les rapports de l’hellénisme et du christianisme chez les philosophes Plotin et Saint Augustin, en outre évêque d’Hippone (actuelle
Algérie). Sur ce point, Bernard-Henry Lévy dans Le Monde affirme que Camus, entre ces deux grands Africains, « prend parti pour le premier, ou, plus exactement, pour ce qui, dans le second, va subsister du premier ». BHL fait l’éloge de « Camus
le Grec, Camus le paien, (qui) ne se console pas qu’il n’y ait plus de
Delphes où se faire initier. Camus qui a souvent dit qu’il n’acceptait
pas, dans le christianisme, l’hypothèse du péché originel et donc du
Mal radical. »
Au cours d’une interview à Servir, en 1945, Camus a expliqué sa démarche : savoir «
comment on peut se conduire quand on ne croit ni en Dieu ni en la raison » (Le Figaro). Dans ses Carnets de jeunesse, où il consigne
notes de travail et réflexions personnelles, il explose à propos de Mauriac, grand écrivain catholique : « Preuve
admirable de la puissance de sa religion : il arrive à la charité sans
passer par la générosité. Il a tort de me renvoyer sans cesse à
l’angoisse du Christ. Il me semble que j’en ai un plus grand respect
que lui, ne m’étant jamais cru autorisé à exposer le supplice de mon
sauveur, deux fois par semaine, à la première page d’un journal de
banquiers… » Ouille, ça fait
mal !
Dans un très bel hommage rendu à son ami d’enfance en 1967, le poète Max-Paul Fouchet
raconte
l’enfance
algérienne bénie de Camus. Les randonnées, les filles, les livres. Au
cours du récit, il en vient à un terrible fait divers, une anecdote
affreuse qui en dit long sur la pensée de Camus: un enfant Arabe
écrasé, presque sous les yeux de Camus et de ses jeunes camarades, par
une grosse berline d’un colon arrogant. « Ce spectacle était insoutenable. Camus
et moi nous nous sommes éloignés, parce que nous ne pouvions rien
faire. Camus s’est arrêté, il s’est tourné vers le ciel qui était
démesurément bleu, il m’a montré le ciel de la main, le ciel
impassible, et il m’a dit simplement : « Tu vois, il ne répond rien. »
(…) Il voyait bien que le Ciel était là, car il n’était pas un négateur
du Ciel, Camus, ni un négateur de Dieu. Il était simplement un homme
qui fait le procès du Ciel, parce que le Ciel ne répond pas à la
douleur des hommes ». Fouchet nous apprend plus loin que le jeune Albert Camus a fait un séjour au couvent de la Trappe de Médéa.
Un intellectuel sobre :
« Chacun son
Camus », encore et toujours.
BHL se demande dans les colonnes du Monde ce qu’aurait pensé Camus de Mai 68. Un peu vite, il affirme qu’il aurait « eu tout loisir d’assister à la
revanche sans partage des thèses de L’Homme Révolté ».
A voir… Si c’est le cas, il aurait sans doute séparé les revendications
ouvrières, oubliées aujourd’hui dans la mémoire collective, des
gesticulations étudiantes, parfois émouvantes mais souvent ridicules.
Sur sa lancée, BHL se demande quelle aurait été l’attitude de son
devancier face à l’intervention humanitaire déclenchée par Aron et
Sartre auprès du Président Giscard d’Estaing, intervention visant à
sauver les réfugiés vietnamiens à la fin des années 70. Puis de se
demander ce qu’il aurait dit de la chute du communisme, de la guerre de
Bosnie, du génocide au Rwanda. Acrobatique de conjecturer ainsi. On ne
peut s’empêcher de sourire à la lecture de ses exemples. Faire les
louanges de l’autre pour mieux s’auto-congratuler ! En effet, quand BHL
évoque les boat people vietnamiens, difficile de ne pas voir le propre
rôle du « nouveau philosophe ». Quand il évoque la Bosnie, il prend la place du grand homme loué, rappelant
implicitement ses propres interventions. Mais comparaison n’est pas raison, chacun sait cette évidence : « Aurait-il
songé à lancée, comme au moment de la guerre d’Algérie, l’un de ses
appels à la trêve civile dont il avait le secret (…) ? »
La question ne se pose pas pour une raison simple : l’Algérie est une question charnelle pour Camus le « franco-algérien ». D’où
d’ailleurs toutes les contradictions notés chez l’écrivain, ses silences douloureux sur la question. La Bosnie est extérieure à Camus, il
n’aurait pas été impliqué corps et âme dans le conflit, comme il le fut pour l’Algérie.
Camus un
haut-parleur intempestif ? C’est ainsi que semble le décrire B-H Lévy : « Il
pourrait très bien être là pour rendre publique une belle déclaration,
au lendemain de l’échec du sommet de Copenhague, sur le thème « sauver
les corps, c’est désormais sauver la Terre ». Encore les limites de l’ « Histoire fiction ». Et
puis, c’est sans doute méconnaitre Camus, que tous les contemporains
décrivent comme taiseux, discrets, éloigné de la pétitionnite aigue… J-Y Guérin note à ce sujet. « Il a choisi ses causes,
des causes l’ont choisi. Il n’a de tribunes que pendant de courtes périodes », que ce soit à Alger Républicain, Combat puis l’Express.
« Sa voix porte d’autant plus. Ses silences font sens. Il ne prend pas
position sur l’affaire de Suez en 1956. En revanche, il soutien les
insurgés hongrois qui ont fait appel à lui, pas à Sartre. Quand le
général de Gaulle revient au pouvoir, il garde son sang-froid. Il ne
monte pas sur ses grands chevaux pour crier que la patrie est en
danger ». Prudence et sérieux de l’intellectuel.
Luc Chatel, l’éditorialiste de Témoignage Chrétien,
demande « qu’on s’arrête sur la méthode » de Camus, qu’il admire. Sobriété, distance, silence. Pendant la Guerre d’Algérie, « il décide de se taire, constatant que le dialogue est impossible ». Il a toujours « fuit
les honneurs, les pouvoirs, les élites. Ses amis proches étaient
anarcho-syndicalistes, ou pharmaciens. Il ne comptait sur aucune
connivence, aucun réseau pour porter ses idées. »
Camus au
Panthéon ?
« Chacun son
Camus » pour conclure.
Le Président de La République,
spécialiste du tempo médiatique, a annoncé récemment sa volonté de transférer les cendres d’Albert Camus au Panthéon. Cette idée a créé « un tollé de protestation »,
décrit Le Monde. Pour le philosophe libertaire Michel Onfray, dont le Monde publie une tribune
intitulé : « Monsieur le Président, devenez camusien ! », cette panthéonisation ne serait pas en soi un mal, au contraire.
Cette « reconnaissance venue de la patrie honorerait la mémoire de ce boursier de l’Education
National, susceptible de devenir modèle, dans un monde désormais sans modèle. » Problème pour Onfray, ce transfert de cendres est un
nuage de fumée, « un plan de communication »,
opportuniste, dont l’illustre écrivain est l’otage. Michel Onfray
constate le fossé qui sépare l’humanisme de Camus de la politique à la
sauce Sarkozy. Sarkozy qui rabaisse symboliquement, et matériellement,
les instituteurs ; Sarkozy adepte d’un capitalisme libéral honni par un
Camus qui, dans Actuelles, demande une « vraie démocratie populaire et ouvrière »,
«la destruction impitoyable des trusts », un Camus qui n’a cessé de défendre le pouvoir syndical, voir le syndicalisme révolutionnaire.
« Voulez-vous
donc honorer l’anarchiste, le libertaire, l’ami des syndicalistes
révolutionnaires, le penseur politique affirmant que le pouvoir
transforme en Caligula quiconque le détient ? ».
A vrai dire, mieux vaut ne pas juger
cette (hypothétique) panthéonisation à l’aune de Sarkozy. On
rapporte trop souvent les choses à ce président bougiste. On juge tout
à travers son prisme. Que veut-il faire ? Que cache son action ?
Artiste orfèvre quand il s’agit de travailler l’opinion au corps,
Sarkozy a toujours su profiter des polémiques qu’il lance. Les cris
d’orfraie qui suivent l’annonce de la possible panthéonisation jouent,
là encore, en sa faveur. C’est le transfert des cendres en soi qui doit
être étudié. Et là j’avoue ne pas pouvoir trancher.
On sent Michel Onfray lui-même pris
au piège : méfiance quant aux intentions de Sarkozy, mais en même temps applaudissement quant à la démarche. Alain Finkielkraut est un peu plus chaud. Il semble tiraillé entre un certain philo-sarkozysme, et ses propres penchants : « Camus est consacré par une époque qui lui tourne le dos ».
Le philosophe s’épanche longuement, et souvent justement, sur la
défaite de l’Ecole, qui est selon lui la défaite de M.Germain, le
modeste hussard de la République qui a fait de Camus ce qu’il est
devenu. Un thème majeur dans sa pensée, rebattue, encore rebattue.
Mais… il y a un mais. « Je pense que le souhait exprimé par le Président de la République est un geste sincère. Ce n’est
pas un lecteur...
mais il a des passions littéraires.
Cela étant Camus est enterré à Lourmarin, il a souhaité l’être. Le déménagement des cadavres me met mal à l’aise ».
Finkielkraut dénonce les turpitudes de l’époque. Souvent sur un mode
catastrophique vain, et assez ridicule. Mais cela ne le dérange pas que
la France soit gérée par un sombre inculte doublé d’un manipulateur
d’opinion. C’est dommage.
La presse évoque très peu la question de la possible panthéonisation de
Camus, grand homme de pensée et d’action. Le Monde fait une présentation neutre. Le Hors-série du Figaro est muet sur la question. Seul, Témoignage Chrétien lance une attaque en règle, sous la plume de B.
Fauconnier, qui dénonce « une piteuse tentative de récupération politique …, sorte d’hommage que le vice rendrait à la vertu ».
Aie !
Si le transfert venait à se confirmer, il faudrait que Sarkozy, qui agit au
nom des Français, dise clairement qui il -c'est-à-dire
la Patrie- honore. Si
toutes les facettes de Camus ne sont pas identifiées, si des injustices
sont faites à sa mémoire, alors la panthéonisation aura perdu sa
légitimité. Et il faudra revenir à l’essentiel, l’Œuvre de l’homme
révolté, une œuvre qui s’est tue un triste matin de janvier, il y a
50 ans.
TONY
Albert Camus, solitaire et solidaire, chez Michel Lafon.
« Je me révolte, donc nous sommes »
Par Grotoni & Franco
http://collierdenewz.over-blog.com/article-50-ans-apres-sa-mort-albert-camus-superstar--43167286.html
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