Le site de Tipasa est incomparable, avec la baie et le
massif du Chenoua. Situé au débouché ouest de la Mitidja, il constitua
dès l’antiquité une escale sur la voie maritime est-ouest de la
Méditerranée.
Quelques vestiges de l’époque punique y subsistent.
Sous la domination romaine, la cité fut florissante :
l’importance des ruines dans le village et aux alentours en témoigne.
Les luttes religieuses entre catholiques et donatistes, la domination
vandale amenèrent la ruine de la cité.
Il ne restait en 1830, lors de la conquête, qu’un
groupement de quelques familles sur le Haouch-et-Tefassed (la ruinée).
Familles berbères, ainsi que les Chenoui qui occupaient le petit massif
montagneux du Chenoua.
Lorsque l’ouest de la Mitidja entre, en 1848, dans le
périmètre de colonisation, Tipasa apparaît comme le débouché logique
sur la mer. Un projet de création d’un village d’une trentaine de feux
, à double vocation, pêche et agriculture, est arrêté, puis différé.
Pas de suite non plus à la demande de concession de 600
ha de Godeaux et Renou, qui prennent l’engagement de peupler en 4 ans
deux villages de 10 familles.
De Malglaive est chargé d’ouvrir la route (Miliana)
Marengo-Tipasa ("port de Marengo"). Il préside une commission qui
dresse un plan de colonisation de 400 ha, mais le manque d’eau le fera
différer. En 1854, un service de douanes et une baraque "à caractère
commercial" en marquent seuls l’amorce.
Un entrepreneur parisien, Auguste Demonchy, demande une
importante concession. 2672 hectares lui sont accordés le 12 août 1854,
contre la somme de 20.000 francs. Il devra construire un village
agricole de 50 feux, le peupler, attribuer 10 hectares, dont 5
défrichés à chaque colon. L’état s’engageait à niveler le périmètre du
village, à achever la route Marengo-Tipasa, à construire une église et
une école et à alimenter le village en eau.
Il est un peu étonnant que l’Etat, qui avait repoussé
le projet de Malglaive en raison du manque d’eau, se soit engagé, et si
rapidement à en fournir.
Des difficultés administratives retardèrent
l’installation des colons. Demonchy, bâtit un caravansérail - fortifié
- plus tard "Ferme Raynaud" et décédait du paludisme le 7 novembre
1855, laissant des héritiers mineurs.
La famille Demonchy vendit ses titres à M. Rousseau,
qui dut abandonner. Mme Demonchy et son fils aîné reprirent les charges
du contrat modifié : 40 familles devaient recevoir 15 ha chacune, en 32
lots urbains et 8 lots de fermes.
A la mort de Mme Demonchy, en novembre 1859, le village
comprenait : le caravansérail ; à Tipasa même des baraques en bois où
logent 182 ouvriers de l’entreprise, 22 maisons en construction, 3
fermes achevées et 24 colons installés. Quatre fours à chaux et une
briqueterie à deux fours fournissent les matériaux, sans compter les
emprunts aux ruines qu’on met à jour.
La question de l’eau resta entière : un seul puits
romain reste utilisable en été, et il faut en transporter l’eau. Les
routes ne sont pas faites, le périmètre pas nivelé. Pas d’église, pas
d’école. Les héritiers, constatant la carence de l’Etat, demandent
d’être libérés de leurs charges. Un long procès s’engage, qui ne verra
fin qu’en1906, sur une transaction amiable.
Mais les frères Demonchy Adolphe et Gaston, ont rejoint
la métropole après avoir vendu leurs droits aux Trémaux. Le village
compte 40 concessionnaires, dont un Arabe et 8 déportés politiques,
mais un an après, leur nombre sera réduit à 17, les autres ayant vendu
leurs terres ou les ayant louées.
En 1862, la famille Thoa rachète une bonne partie de ces terres.
Les années 1867-69 sont aussi mauvaises qu’on peut l’imaginer.
Nous possédons, dans un petit ouvrage de Charles
Desprez, daté de 1871, une relation dont nous donnons quelques extraits
dans les compléments, qui feront comprendre au lecteur ce qu’était
Tipasa en ces années.
La chapelle se trouvait dans la maison de M. Monniet et
le curé de Zurich (16 km, et par quelles routes) venait y dire la messe
une demi-douzaine de fois l’an. Quand il fut muté, la chapelle fut
transformé en salle de classe.
Le lieu attirait écrivains et peintres, qui n’avaient
pour se loger qu’un établissement nommé pompeusement « Hôtel des bains
de mer’’ (plus tard place Raynaud-Matarès). Il fallait 6 heures de
voyage depuis Alger jusqu’à El-Affroun. Ensuite, un omnibus jusqu’à
Marengo, où l’on trouvait à louer, à l’Hôtel d’Orient, une voiture qui
vous amenait jusqu’à Tipasa, en passant le Nador à gué (quand elle
pouvait\. Le pont ne sera construit qu’en 1906. Le facteur de Marengo
apporte, en même temps que le courrier, le pain et les commissions.
Écoutez ce que dit Desprez en cette année 1871 :
« Interrogez les Algériens, les plus vieux les plus au courant des
choses de la colonie ; quatre-vingt-dix pour cent répondront qu’ils
n’ont pas vu Tipasa et quant aux autres, ils ne sauront en général vous
donner, sur cette localité, que des renseignements vagues et d’un
attrait médiocre. Le pays, suivant eux, n’est ni pittoresque, ni gai,
quelques pauvres maisons éparpillées sur un sol nu, pas d’eau, pas
d’arbres, et pour toutes ruines, un amas informe et confus, sans
grandeur ni cachet de briques, de moellons et de menus gravois’’. Bien
triste réputation ! Il est vrai que nombre d’auteurs la voyaient d’un
oeil admiratif, s’intéressant surtout à son site.
Pendant la période troublée de 1871, au moment du
soulèvement kabyle, fut créée une "Commission de défense de Tipasa"
présidée par le Maire J.B. Trémaux, et comprenant Mm. Thoa, Bergen,
Nondédéo. Plus de peur que de mal.
En 1876, de nouvelles concessions furent attribuées à
des vignerons du Midi de la France ruinés par le phylloxera, les frères
Théron, Mailler, Viala, Beyssade. Ils plantèrent des cépages
languedociens, mieux adaptés au climat.
Le village a enfin sa mairie, son école , son église,
mais le manque d’eau se fait toujours cruellement sentir. Les
"Diligences du Littoral" ne pouvaient y abreuver leurs chevaux ! Ce
n’est qu’en 1906, avec le captage de sources au Chenoua, que le centre
aura enfin de l’eau.
En 1882, Tipasa devient commune autonome, mais comme
toujours en pareil cas, elle veut englober Desaix, qui restera fraction
de la commune de Marengo.
. Avec l’extension de la culture de la vigne, le port de Tipasa devint
très actif. Les quais étaient périodiquement encombrés de fûts que
venaient charger les petits caboteurs des compagnies Achaque et
Schiaffino. Port est un bien grand mot pour un abri médiocre, doté d’un
bout de quai, franchement dangereux par mer d’est, comme ce fut cas
lors de la perte de d’Angèle Achaque pendant une tempête, en novembre
1927.
Le camionnage automobile, puis les camions citernes
devaient bientôt le reléguer au rang de port de pêche de peu
d’importance par manque d’ infrastructures.
La région connut un nouvel essor après 1925, avec la culture des primeurs, puis des agrumes.
Les travaux effectués par les diverses municipalités,
en dotant le village d’un équipement moderne, l’attrait de la côte et
des ruines romaines en ont fait une cité agréable et vivante,dans un
cadre aimé des peintres et des touristes.
En 1955, la commune comptait 5681 indigènes (douar
Chenoua) et 571 européens. Deux à trois mille touristes fréquentaient
la station en été, notamment la plage Raynaud et Chenoua-Plage.
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