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L'Algérie
officielle a-t-elle perdu ses principes et ses repères de fraternité,
de bon voisinage, de réciprocité et de fidélité à l'Histoire? Faut-il
s'y résigner après la réponse du ministre de l'intérieur à la demande
officielle du ministre des affaires étrangères marocain de rouvrir les
frontières? L'histoire de ce conflit ressemble à celle de deux frères
dont l'un a fermé la porte à l'autre suite à une dispute. Après une si
longue pénitence, comment ce frère peut-il refuser à l'autre qui le
demande de lui rouvrir sa porte ?Le «cadre global» des relations
maghrébines évoqué par Zerhouni n'est qu'une baliverne qui veut dire
que le cercle dur du pouvoir, dont il a toujours fait partie en tant
qu'ex-colonel de la SM, veut maintenir le statu-quo de l'isolement des
algériens. Il est bon de se souvenir du contexte qui prévalait en cette
terrible année 1994. Personne ne s'était posé la question.
Et
si l'attentat de Marrakech qui provoqua le soudain processus de rejet
violent et généralisé était une action d'intoxication préméditée pour
aboutir à cette grave décision de fermeture des frontières? On se
souvient d'autres opérations scabreuses qui ont eu lieu en Algérie et
en Europe pour justifier des rafles au petit matin, le départ des
étrangers et la mise sous embargo du pays durant cette sinistre
période.Aucun critère politique ou économique ne peut justifier un
quelconque refus à l'ouverture de la frontière. Pourquoi empêcher des
citoyens, des artistes, des sportifs ou de simples touristes de
traverser à pied cette frontière, et les obliger à la survoler par
avion, sachant que le visa a été supprimé depuis 2005 ? Pourquoi
limiter les échanges commerciaux et saboter la densification du tissu
économique frontalier ? Des journaleux imbéciles ont évoqué une «forte précarité socio-économique à l'est du Maroc»
pour justifier l'urgence de la demande marocaine. Ceci n'est qu'un
discours de chameau qui se moque de la bosse de son voisin. Le tissu
économique algérien est en crise bien plus profonde qu'au Maroc,
puisque même la manne pétrolière n'y peut rien.Au diable les pitreries
diplomatiques et journalistiques, laissons parler les cœurs !
L'histoire de la fraternité algéro-marocaine peut se résumer dans
l'histoire de deux hommes : le défunt roi Mohamed V et l'actuel
président Bouteflika.
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Le roi Mohamed V aimait l'Algérie
Lorsque
le jeune et frêle Sidi Mohammed Ben Youssef succéda à son père Moulay
Youssef en 1927, préféré à ses frères à l'unanimité par les membres du
Makhzen et les Ulémas réunis à Fès, il était suivi comme son ombre par
son protecteur qui l'a éduqué en tant que précepteur et qui deviendra
chef de son secrétariat particulier. Cet homme qui lui voua une
fidélité quasi-filiale était un algérien, Si Lounès Mammeri originaire
de Taourirt Mimoune en Haute Kabylie, oncle du célèbre écrivain Mouloud
Mammeri, qui le rejoignit à Rabat dès 1928 à l'âge de 11 ans et lui
rendit souvent visite par la suite. La tombe de Si Mammeri se trouve à
l'intérieur du palais de Rabat, signe de haute reconnaissance royale.
Depuis l'accession du roi Mohamed V, surnommé par son peuple le Père de
la Nation, Si Mammeri l'accompagna dans les moments les plus intenses
de l'histoire de l'Humanité : la seconde guerre mondiale et la guerre
d'Algérie. Dans l'une comme dans l'autre, la fidélité du roi aux idéaux
ne faillit pas.Dans sa proclamation du 3 septembre 1939, le Sultan
affirmait : «La France prend aujourd'hui les armes pour défendre
son sol, son honneur, sa dignité, son avenir et le nôtre. Nous devons
être nous mêmes fidèles aux principes de l'honneur de notre race, de
notre histoire et de notre religion… A partir de ce jour et jusqu'à ce
que l'étendard de la France et de ses alliés soit couronné de gloire,
nous lui devons un concours sans réserve, sans lui marchander aucune de
nos ressources et sans reculer devant aucun sacrifice. Nous étions liés
à elle dans le temps de tranquillité et d'opulence. Il est juste que
nous soyons à ses côtés dans l'épreuve qu'elle traverse et d'où elle
sortira, nous en sommes convaincus, glorieuse et grandie».
Il
tint le même discours à l'égard de l'Algérie en novembre 1955… à son
retour d'un exil de plus de deux ans, après avoir arraché
l'indépendance du Maroc.Avec son statut de seul étranger distingué
Compagnon de la Libération par le général De Gaulle, il tient tête à la
puissance coloniale jusqu'à son décès le 16 février 1961. Durant son
règne, le FLN, l'ALN et le MALG évoluèrent à leur guise dans tout le
Maroc sous la protection royale.
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Bouteflika l'enfant d'Oujda
L'ombre
d'Abdelaziz Bouteflika plane sur Oujda, sa ville natale, aux abords des
maisons appartenant à sa famille et le lycée où il fit ses études. Son
nom circule sans cesse dans les conversations et les espoirs des
Marocains.Abdelaziz le marocain, Bouteflika l'algérien, Abdelkader le
Malien. A lui seul, il symbolise l'union des peuples maghrébins et
subsahariens. Pourquoi n'a-t-il pas assez de mémoire, ni de force pour
détruire ce mur invisible à quelques pas de sa ville… neuf ans après
son accès à la présidence? Est-ce donc à ce poste frontière fermé
depuis tant d'années que s'arrête le Maghreb des peuples ?Déjà, le 5
octobre 1963, Bouteflika, alors jeune ministre des affaires étrangères,
déclarait à Oujda: «Le peuple algérien n'a pas oublié l'attitude
du Maroc lors de la guerre d'Algérie. Chaque algérien se considère au
Maroc comme chez lui, tout comme chaque marocain est chez lui en
Algérie». Plus tard, le 15 janvier 1969, il signa à Ifrane le
Traité de fraternité, de bon voisinage et de coopération, qui devait
sceller «Une paix permanente, une amitié solide et un voisinage
fructueux, découlant naturellement de la fraternité séculaire liant les
deux peuples frères, … et viseront à l'édification d'un avenir commun
et prospère.»
C'est encore Bouteflika qui
signa l'Accord du 15 juin 1972, par lequel le roi Hassan II
reconnaissait définitivement le tracé frontalier et mettait fin au
contentieux territorial hérité du colonialisme. Lors de l'épisode de la
Guerre des sables de 1963, le président Ben Bella déclara dans une
interview à une télé française : « la frontière est une notion
abstraite. Elle n'existe pas sur le terrain. La nature n'a pas créé de
frontières. Et les hommes suivent la nature. C'est une situation
gênante pour nos voisins marocains… Le tracé frontalier est un mauvais
cadeau du colonialisme.»Fermer la porte au Maroc, c'est ne pas
voir plus loin que le bout de son nez. Aucune action de coopération
internationale de l'Algérie ne sera crédible tant qu'elle n'est pas
capable de s'entendre d'abord avec ses voisins frontaliers.
La
bonne entente maghrébine constitue le socle unique sur lequel peut se
bâtir toute initiative internationale qu'elle soit arabe, africaine ou
méditerranéenne. C'est une question de sécurité et de prospérité
nationale.
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Saâd Lounès
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À quand l’ouverture des frontières ? Oujda, ville fantôme
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Les Algériens dépensaient près d’un milliard de dollars par an au Maroc, dont la majeure partie à Oujda. Depuis la fermeture des frontières, c’est le marasme et le chômage.
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Les frontières de la haine
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Malgré les multiples initiatives du Maroc, l’Algérie ne veut pas entendre parler d’ouverture des frontières. Pourquoi un tel entêtement?
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Hassan II, Ahmed Ben Bella
et Houari Boumediene. .
Chadli Benjedid et Hassan II.
Un geste de bonne volonté.
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Supplément
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DST au Maroc. le service de tous les secrets
Photo tirée du site Google Earth
Qui n'a jamais entendu parler de la DST ? Qui n'a jamais frémi rien à l'évocation de ce sigle qui renvoie à tant de peurs, de traumatismes, de mystères ? La Direction de la Surveillance du Territoire garde au chaud tous vos secrets. TelQuel a percé le sien.
Casablanca, le 24 février. Un soir comme les autres. La ville dort, la corniche prolonge les plaisirs de la nuit au service des derniers noctambules. Comme cette poignée d'hommes regroupés autour de leur “chef”, un quadra bon teint, costume sombre et cravate rayée,
attablés dans un célèbre cabaret sur la corniche casablancaise. Rien ne les distingue des clients habituels de l'endroit, sauf que les “boys” se sont visiblement donné rendez-vous pour fêter un heureux événement. Un mariage, une naissance, une augmentation de salaire ? Rien de tout cela. “Ils allaient mettre le Maroc à feu et à sang, mais nous les avons arrêtés au bon moment. Il faut que tout le monde le sache”, clame le leader de la bande entre deux gorgées de Whisky.
La phrase n'échappe pas à la curiosité de quelques clients, médusés. Les plus lucides retiennent l'explication chuchotée par l'un des serveurs du cabaret : “Ne faites pas attention, lui est un commissaire principal de la DST. Il célèbre le démantèlement d'un réseau terroriste”. Le réseau en question est celui de Abdelkader Belliraj, dont le démantèlement venait d'être confirmé, trois jours plus tôt, par le ministère de l'Intérieur lors d'une conférence de presse à Rabat.
Victoire, donc, pour les services de renseignement marocains, intérieurs et extérieurs. Et victoire, d'abord, pour “le service”, le plus important en hommes comme en moyens, la DST (officiellement DGST, Direction générale de la surveillance du territoire).
Image restaurée, merci Mohammed VI
Une date a scellé le petit 1-0 remporté par la DST aux dépens des autres services concurrents, DGED (renseignements extérieurs, le pendant de la DST en dehors des frontières marocaines) en tête : celle du 4 mars. Ce jour-là, à Rabat, la salle de conférences du ministère de l'Intérieur grouille de monde. DST, DGED, DST, DGSN, DAG (renseignements liés au circuit du ministère de l'Intérieur, loin de la Sûreté nationale), FAR, Gendarmerie Royale, Forces auxiliaires : tout le gratin sécuritaire du royaume est venu assister à une cérémonie inédite dans les annales du renseignement marocain. Le roi rend hommage, dans le texte, “à la vigilance et à la fermeté des services de sécurité dans la défense de la stabilité du pays”. Lu par le conseiller royal Mohamed Moâtassim, le message de félicitations cite nommément les services sécuritaires du royaume, DST en tête, à l'exception notable de la DAG ou de la DGED. “C'est sans doute la première fois que le roi évoque la DST aussi clairement dans l'un de ses discours. La DGED, pourtant représentée lors de cette cérémonie, a été désignée par la formule laconique d'organe veillant à la sécurité externe du pays”, remarque un fonctionnaire du ministère de l'Intérieur, présent durant l’événement. Dans le microcosme sécuritaire, la nuance ne passe pas inaperçue. Elle suscite même nombre d'interprétations.
“Personne n'est dupe, le message royal s'adressait surtout à la DST, qui a joué un rôle de première importance dans le démantèlement du réseau Belliraj. Ce message n'a d'ailleurs fait que rattraper une omission lors de la conférence de presse organisée par le ministère de l'Intérieur, dans laquelle le rôle de la DST avait été totalement occulté”, commente un gradé de la Sûreté nationale. “En citant la DST, le roi ne voulait pas seulement saluer son travail. Il tenait à lui donner une caution publique, officielle, qui lui a souvent fait défaut dans le passé”.
Ces bruits de couloir attestent au moins de l'intention royale de restaurer définitivement l'image de son premier service de sécurité. Et de lui accorder un léger avantage sur ses nombreux concurrents. Actualité oblige.
Un œil sur tout ce qui bouge
Alors, la DST est-elle devenue, par les grâces d'un message royal, une administration comme les autres ? Non, pas vraiment. Son siège central à Témara, niché dans une zone verte à quelques kilomètres de Rabat, est probablement l'un des endroits les mieux gardés de tout le royaume. Nul ne peut s'en approcher. Ses “délégations” régionales, désignées sous le générique de brigades, implantées dans les principaux centres urbains du pays, sont parfaitement anonymes, sans enseigne officielle, sans aucun signe distinctif. Ses agents, quand ils ne célèbrent pas une victoire à la Pyrrhus, sont aussi discrets que nombreux, craints, à la limite intouchables, évités ou courtisés selon les circonstances.
Que ce soit dans les universités, les établissements publics, les hôtels, les restaurants, les cafés, voire même les hammams et les salles de sport, la DST a la réputation d'être partout et de garder un œil sur tout. Via ses agents bien sûr, mais aussi par le biais de ses innombrables informateurs recrutés aussi bien parmi les petites gens, que dans les classes hautes et moyennes. “Quand on dit informateur, les gens pensent aussitôt au petit indic, au cordonnier, au concierge ou au dealer du coin. Ce qui est un peu vrai. Mais il y a également des professeurs universitaires, des artistes connus ou des hommes d'affaires, et même des figures politiques, parmi nos indics”, se remémore un ancien agent de la DST. “En plus des opposants et personnalités politiques, nous recevions chaque jour des milliers de rapports sur de parfaits anonymes. Et il suffisait parfois d'une blague déplacée sur le roi pour déclencher les opérations…”.
Car tout mène au roi, invariablement. Hier comme aujourd'hui. Notre source raconte, avec une pointe d'humour : “Un jour, nous avons fini par recevoir quelqu'un qui prétendait détenir des informations très sensibles. Il disait qu'il ne pouvait s'en ouvrir qu'au roi en personne. Pour nous, il n'en était évidemment pas question. Mais notre homme n'en démordait pas, il disait vouloir parler au roi, et rien qu'à lui, puisqu'il était à ses yeux, comme il l'a appelé, le patron. Alors on a fini par trouver un stratagème ; on a amené un portrait grandeur nature du roi, et on a dit à notre client : le roi est là, maintenant tu peux parler. Et il a parlé…”. L'anecdote, qui remonte à l'époque du défunt Hassan II, s'arrête là. Notre source n'a pas pipé mot sur la nature des “informations” en question, ni sur le sort réservé à leur auteur. Mais tous les aveux obtenus par les limiers de la DST ne reposent pas sur des méthodes “douces”, et c'est là où le bât a souvent blessé pour le premier service de sécurité du royaume.
Bienvenue aux sous-sols du service
“La DST n'arrête personne, elle enquête et prépare des dossiers, c'est tout”, résume cet officier à la centrale de Témara. L'affirmation est avérée, mais partielle. Elle ne dit pas tout. Théoriquement, les enlèvements et la torture n'existent pas, les arrestations sont du seul ressort de la police judiciaire (PJ ou BNPJ). Mais théoriquement seulement. Depuis sa création, le “service” a toujours disposé de sous-sols dédiés aux séances dites d'examen de situation. Traduisez “interrogatoire et plus, si affinités”. Dans les caves du CAB1, ancêtre de la DST, ou dans les “silounate” du complexe de police de l'Agdal à Rabat, qui a abrité son siège jusqu'à l'édification de la forteresse de Témara dans les années 1990, voire dans les villas et appartements mis à sa disposition, la DST a vu défiler des milliers de pensionnaires malgré eux. Toujours pour les besoins d'“enquêtes” plus ou moins approfondies.
Certains en sont sortis indemnes, d'autres pas. “On m'a enlevé dans la rue, bandé les yeux, torturé, séquestré, sans jamais me dire que c'était la DST. Mais il n'y avait pas besoin, je savais”, confie cet ancien détenu politique, qui a connu le sous-sol du complexe de l'Agdal dans les années 70. Les années passent, les étiquettes restent. “Ce n'est pas un secret : quand quelqu'un disparaît, on pense d'abord à la DST. Surtout s'il a une quelconque activité politique” est une affirmation qui peut revenir dans la bouche de Monsieur tout le monde.
Les enlèvements, pratique tout à fait illégale mais bien courante dans les services du monde entier, sont du ressort d'un département bien particulier, celui de “l'action”, anciennement appelé “les opérations techniques”. Ses hommes, choisis parmi les plus “physiques” du service, se servent de rapports de filatures et d'écoutes téléphoniques, avant de jeter leur dévolu sur la cible choisie. Département-clé, il est un peu l'exécutant des basses besognes, au service de la direction la plus importante du service : celle de la contre-subversion. C'est là, précisément, que réside le cœur et la raison d'être de la DST : traquer le renseignement politique, cerner les profils de ses “acteurs”, au besoin anticiper sur un quelconque danger pour la stabilité du royaume.
Ecoutes, filatures, infiltrations
“Quand on est missionnés pour filer quelqu'un, on peut guetter le moment où il sort de chez lui des heures durant sans bouger, en ignorant tout ce qui nous entoure”, explique cet agent actif, voué au terrain. La filature, souvent employée en complément aux écoutes téléphoniques, reste le B.A.-BA de l'espion, à l'ancienne comme à la nouvelle école. “Une filature peut être discrète, ou alors voyante. Dans ce dernier cas, elle fait partie d'une guerre psychologique menée contre la cible”. Le même recours à la guerre des nerfs peut affecter les écoutes téléphoniques, dont le but n'est pas seulement de capter les échanges verbaux, mais aussi, au besoin, de les rendre difficiles. Le procédé (bips sonores en pleine conversation téléphonique, fritures sur la ligne, etc.) vise clairement à déstabiliser le quotidien de la “cible” du service. Il est d'autant plus efficace, nous explique-t-on, “qu'il touche à des conversations intimes, personnelles, sans lien avec l'activité (supposée subversive) de la cible”.
Les moyens de faire pression sur une “cible” ne se ressemblent pas. Parce que les objectifs, non plus. Mais il y a les classiques du genre, dont l'incontournable “comment faire tomber sa cible (et l'obliger à collaborer) en faisant appel à l'arme du sexe”. Une source proche du service raconte : “Il y a quelques années, la DST a réussi à piéger, en vue de le recruter, l'un des représentants du consulat d'un pays arabe (ndlr : le renseignement collecté auprès des consulats et ambassades accrédités au Maroc relève du service “contre-espionnage” de la DST). L'astuce a été de le mettre dans le lit d'une jolie femme et de le filmer dans des positions compromettantes”. La suite coule de source. Sous la menace de diffuser les images, le diplomate cède au chantage. Il “collabore” mais, pas de chance : les services secrets de son pays ne tardent pas à découvrir son double-jeu. Résultat : il est condamné dans son propre pays à quatre ans de prison ! Ce genre d'opérations “sales” reste monnaie courante, il est un peu intégré dans la rubrique pertes et dégâts collatéraux. Les risques du métier, en quelque sorte.
À la recherche du point G
Mais de qui dépend la DST, et à qui rend-elle compte ? Flash-back. La DGST a été créée par Dahir royal, le 12 janvier 1973 en même temps que sa cousine, la DGED. Publiés le même jour sur le Bulletin officiel et contresignés tous les deux par Ahmed Osman, le Premier ministre de l'époque, les Dahirs qui ont créé ces deux directions comportent cependant plusieurs différences. La DGED est rattachée au Conseil suprême de la Défense nationale avec pour mission de “participer” à la protection et à la sauvegarde de la sûreté de l'Etat et de ses institutions. La DGST, elle, est “chargée” de veiller sur la protection et la sauvegarde de l'Etat et de ses institutions, sous la tutelle (bien théorique) du ministère de l'Intérieur. Dès 1974, la DGST perd son “G”, pour devenir DST tout court, et passer du coup de la tutelle directe de l'Intérieur à celle de la Sûreté nationale, ou DGSN.
Le changement de statut dénote un subtil glissement administratif, rien de plus. “Le seul lien qui existait à l'époque entre la DST et la DGSN était d'ordre budgétaire. Les salaires des agents et les frais de fonctionnement de la DST étaient en effet déduits du budget de la DGSN”, nous explique un gradé de le Sûreté nationale. “Et encore, la DST disposait et dispose toujours de plusieurs caisses noires, qui lui permettent de financer ses nombreuses activités clandestines”, poursuit la même source. En réalité, la mise de la DST sous la tutelle de la DGSN avait pour seul but de lui octroyer une couverture légale pour l'exercice d'opérations… souvent illégales.
Ce n'est que récemment, sous le nouveau règne, que la DST a regagné son G, sans que l'opération ne soit jamais tirée au clair. S'agit-il d'un nouveau, et simple, glissement administratif ? Ou alors, comme on le prévoyait du temps de Laânigri déjà, de l'amorce d'une réorganisation générale des services spéciaux du royaume ?
Super-flics, super-primes
L'anecdote, survenue il y a quelques mois, a pour théâtre le Tribunal de Salé. Une affaire, une de plus, liée au terrorisme. Un témoin raconte : “Le juge a décidé d'évacuer la salle pour réduire l'agitation qui régnait dans les lieux. Les policiers se sont employés à la tâche avec le zèle habituel. Au fond de la salle, deux individus sont restés impassibles, indifférents, comme s'ils étaient rivés au banc. Le juge demande leur évacuation, mais l'un des policiers en faction se précipite vers lui, et lui chuchote quelque chose à l'oreille… Et le juge sourit avec un air entendu, portant la main à son coeur comme dans un geste de soumission, et décide de poursuivre les audiences avec les deux individus du fond comme seul public”. Question : qui sont ces deux mystérieux témoins, qui ont réussi à amadouer l'autorité du sourire ? “Ils n'arrêtaient pas de prendre des notes, ils ne pouvaient être que des agents de la DST !”. Possible, possible. Mais très improbable !
La consignation des minutes des procès, ainsi que de multiples tâches domestiques, sont souvent confiées aux agents des RG, l'équivalent de la DST propre à la Sûreté nationale. “La RG”, comme on les appelle communément, ratissent large et ramènent tout dans leur filet de pêche, les gros poissons comme les grosses pierres. Les limiers de la DST peuvent, au besoin, récupérer le fruit des investigations de “la RG”, avant de filtrer les renseignements, de les recouper, et de leur donner éventuellement une suite.
C'est que la DST peut fonctionner en réceptacle du travail non fini émanant d'autres services de renseignements plus classiques. Mais qui sont donc ces hommes, qui sont un peu considérés comme le corps d'élite des enquêteurs ? Qui les recrute, et sur quels critères ? Combien sont-ils ?
En l'absence de chiffres officiels sur l'étendue de ses effectifs, il reste les estimations dont les plus fiables varient dans une fourchette de 8000 à 10 000 permanents. Sans oublier les “antennes” et les collaborateurs externes, généralement rémunérés par des caisses propres au service.
“Aujourd'hui et à grade égal, un agent de la DST perçoit un salaire supérieur de deux à cinq mille dirhams par rapport à un fonctionnaire de la DGSN”, nous confie un commissaire de police. La différence de traitement s'explique par la prise de risques, mais aussi par la formation, plus musclée, chez les policiers du “service”. “A la base, un policier reste un policier”, rappelle notre source. Traduisez : un élément de la Sûreté ou du service se présentent au même concours d'accès (à l'Académie de police). Ce n'est que quatre mois avant la fin du cursus que les futurs agents sont repérés dans la masse, et invités à intégrer une autre académie, celle de Témara, où ils poursuivent une formation plus spécialisée.
Objectif islamistes
C'est bien connu : la force d'un service du renseignement réside dans sa capacité d'infiltration. La DST a traversé les décennies et changé de “cibles” (hier les gauchistes, aujourd'hui les islamistes). Des agents “barbus” ont donc essaimé parmi les mouvements reliés tant à l'islam politique qu'au terrorisme. Ils fréquentent assidûment les mosquées, là où leurs devanciers écumaient les bars. Et ils infiltrent, ils infiltrent.
Mais si certaines opérations ont été des succès, expliquant le noyautage, voire le démantèlement de plusieurs réseaux, d'autres ont été de franches déceptions. Qui prêtent parfois au sourire. Exemple de cette anecdote : “La DST a longtemps essayé de déstabiliser un des ténors d'Al Adl Wal Ihsane. Au point que celui-ci a fini, un jour, par découvrir un micro dans son domicile, implanté là par un maçon, recruté (par la DST) à cette fin”, confie ce proche de la Jamaâ de Cheikh Yassine.
Les “efforts” consentis par le service pour contrer les mouvements islamistes lui ont valu, en retour, de se transformer parfois en cible terroriste. “Rappelez-vous que l'un des kamikazes d'avril 2007 avait cherché désespérément le siège de la brigade de la DST à Casablanca, avant de renoncer et de finir par exploser quelques dizaines de mètres plus loin, mais sans le savoir exactement !”, s'exclame encore notre source.
Là aussi, cela s'appelle les risques du métier. “Le recours à de nouveaux visages pour infiltrer les mouvements islamistes a malgré tout donné ses fruits”, se réjouit ce responsable sécuritaire. Il pense sans doute aux super-équipements, très hi-tech, dont s'est doté le service, surtout depuis l'ère Laânigri : des armes sophistiquées, un système d'écoutes téléphoniques ultramoderne livré clefs en main par un célèbre opérateur téléphonique, etc. Au point de faire dire à notre source, dans ce qui ressemble à une blague sans en être forcément une : “Avant même l'inauguration du nouveau siège de l'USFP à Hay Riad, à Rabat, la DST avait réservé un local mitoyen pour pouvoir garder à portée de vue (et d'oreille !) les socialistes”. Qui dit mieux ?
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Par Majdoulein El Atouabi
et Karim Boukhari avec Lahcen Aouad
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