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La «harga» pose problème. C’est une évidence. Aussi, était-il temps que les responsables prennent conscience de la gravité de la situation.
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Le phénomène des harragas préoccupe. Ignoré par le passé, cette donnée inquiète les pouvoirs publics. Le dossier sera étudié aujourd’hui en Conseil des ministres. Ce qui veut dire que l’affaire des harragas arrive devant le premier magistrat du pays.
En effet, pour la première fois la «harga», née du marasme social, est abordée par les hauts responsables de l’Etat. Le dossier sera présenté par Djamel Ould Abbès, ministre de la Solidarité nationale. A travers cette prise en charge, les pouvoirs publics ont fini, semble-t-il, par comprendre qu’il s’agit réellement d’un phénomène qu’il faut prendre très au sérieux. Autrement dit, les responsables ont pris conscience de la gravité de la situation.
Le ministre de la Solidarité propose nombre de suggestions pour y faire face. Il prévoit, notamment, de faciliter l’accès au travail pour les jeunes harragas et de prendre en charge les préoccupations majeures de cette catégorie de la société. Ainsi, parmi les initiatives (déjà) prises par le département de Ould Abbès, celle d’assurer la qualification des jeunes harragas dépourvus de diplômes. Ces nouvelles procédures doivent faciliter l’insertion de ces jeunes dans le monde du travail. En collaboration avec le ministre de la Formation et de l’Enseignement professionnels, des stages de formation seront assurés au profit des jeunes harragas n’ayant pas un niveau secondaire. Vers la fin de la formation, des attestations de succès seront remises aux apprentis. D’ailleurs, M.Ould Abbès avait déclaré, lors d’un déplacement à Oran, qu’à travers ces attestations, les jeunes désormais diplômés auront la possibilité de bénéficier des mesures d’accompagnement des conditions d’accès aux crédits dans le cadre de la création des microentreprises. Lors de la même sortie, le ministre réitère qu’il s’agit là d’une priorité.
Djamel Ould Abbès s’est engagé solennellement pour que l’apport personnel des postulants à tout microcrédit soit pris en charge par son département. S’agissant des harragas arrivés à un âge avancé, notamment ceux mariés, le ministre promet qu’ils seront pris en charge par les services concernés de son département. Il n’a toutefois avancé aucun autre détail sur la mise en application de ce plan de «sauvetage».
Le gouvernement a bien saisi que ce phénomène met en péril la vie de centaines de milliers de jeunes. Mieux encore, ils constituent un casse-tête chinois pour l’Etat.
Après la force, c’est la souplesse, car les pouvoirs publics ont recours à tous les moyens plausibles pour contenir ce phénomène traîné comme un boulet. Dernièrement, des officiers des Forces navales ont révélé que les harragas risquent de six mois à cinq ans de prison. Ce n’est pas tout. Ils risquent également de payer une amende allant de 10.000 jusqu’à 50.000DA.
Cette décision, espèrent-ils, permettra de réduire le nombre de tentatives d’émigration clandestine. C’est une mesure qui, toutefois, n’a pas convaincu, d’aucuns allant jusqu’à la qualifier de scandaleuse. Ceux-ci estiment que la répression en pareil cas ne fera que compliquer et accentuer le ressentiment déjà fort de ces jeunes. Un message reçu 10/10 par les gérants des affaires du pays. L’Etat a fait, semble-t-il, marche arrière. Il propose une autre solution plus en phase avec la réalité. Il opte pour la prudence.
D’ailleurs, récemment, le gouvernement a adopté de nouvelles mesures dans le cadre de la stratégie de la promotion de l’emploi de jeunes et de la lutte contre le chômage. Cette politique présentée par le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale prévoit la création de 450.000 nouveaux postes d’emplois/an. C’est là l’une des rares fois où l’acte suit la parole. Car cette nouvelle stratégie tient compte des recommandations de la conférence gouvernement-walis, organisée au mois d’octobre 2007, autour du thème de la jeunesse. Des instructions ont été données aux départements compétents pour en faire l’application que ce dossier nécessite. L’Etat accorde la priorité à la prise en charge concrète des besoins en matière d’insertion des jeunes. Par la même occasion, le Conseil des ministres étudiera quelque 11 autres points inscrits à son agenda.
Il s’agit de la présentation par le chef du gouvernement des activités de son Exécutif et du dossier relatif à la politique adoptée dans le secteur de la santé par le ministre concerné, Amar Tou. Par ailleurs, des décrets sur la recherche dans le secteur des hydrocarbures, sur l’exploitation des hydrocarbures, feront l’objet d’un examen par le Conseil des ministres.
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Tahar FATTANI
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POIGNANTS TÉMOIGNAGES DE HARRAGAS
L’enfer des geôles marocaines
13 Avril 2008 -
Le ligotage des mains et des pieds, le fer chauffé au chalumeau et le châtiment corporel...
Le summum de la sauvagerie humaine. Le jeune
Goumid (30 ans) Mourad, natif de Aïn Témouchent, était asthmatique à sa
tentative de harga en 2006. Son état de santé s’est dégradé à son
incarcération. Il est décédé dans les geôles marocaines lorsque la
Mekhaznia a refusé de lui remettre son médicament, confisqué à son
interpellation à Nador. Les habitants de Aïn Témouchent s’en
souviendront éternellement.
Plusieurs dizaines de camarades de
Goumid ont tenté la harga via le Maroc. Ils ont été, à chaque fois,
victimes des exactions graves jusqu’à l’atteinte à leur dignité par la
police marocaine. Il s’agit, particulièrement, des premiers immigrants
avant que le phénomène ne prenne de l’ampleur. Ces derniers gardent à
jamais les séquelles des violences inouïes subies dans les
commissariats de Nador et de Oujda. Des femmes et des hommes n’ont pas
échappé à ces dépassements et à ces atteintes à leur dignité, aux
traitements inhumains de la Mekhaznia. Aujourd’hui, ils ont décidé de
briser le mur du silence. Ils veulent partager leurs pénibles secrets.
Ils font part des sévices endurés. Ils sont pour la plupart originaires
de Aïn Témouchent. Moulfi Djamel, Daoud Mohamed, Ben Othmane Saïd,
Bekhiche Kamel, Gharbi Soufi, Lagouni Nourredine en ont plein le coeur
et vident leur sac. La raison n’arrive plus à contenir les souffrances.
Ils dévoilent des vérités inouies sur des scènes abominables de
violences qu’ils ont vécues ou auxquelles ils ont assisté.
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Arrestations, passage à tabac...et exactions
La
police marocaine guette le moindre signe pour actionner la machine
répressive. Elle utilise la force et la brutalité. Elle est partout et
bafoue toutes les règles des droits d’incarcération. La Mekhaznia a,
depuis que l’Algérie décida, en 1994, la fermeture de ses frontières
Ouest, adopté la violence comme seul moyen de répondre à l’immigrations
clandestine des Algériens. Pour les harragas algériens, qui ont tenté
de rallier l’Espagne, les terres marocaines ne sont toujours pas
hospitalières. Ils sont refoulés, mais de quelle manière? Le
refoulement n’est prononcé qu’après les pires atrocités. Même le «bakchich» versé aux policiers de Sa Majesté ne sert à rien. Une seule certitude taraude alors les esprits de ces «Chragas» - au Maroc, les Algériens sont appelés Chragas en référence au pays de l’Est: sortir indemnes.
Ce
qui n’est jamais garanti d’avance. Et les invectives, les
intimidations, le matraquage, le ligotage des mains et des pieds, le
fer chauffé au chalumeau, le châtiment corporel...Les policiers
alternent dans leur besogne bannissant les droits humains les plus
élémentaires. Mohamed Daoudi n’oubliera pas de sitôt son séjour
infernal au commissariat de Nador et à la prison d’Oujda. «Un séjour de plusieurs dizaines de jours qui a viré au cauchemar.»
Il
en garde la marque d’un fer chaud sur l’épaule. Un traitement réservé
exclusivement, aux animaux, par les cow-boys du Far West. Le jeune
Daoudi, 28 ans, a tenté l’aventure car sa terre natale, Aïn Témouchent,
n’est plus nourricière, pour subvenir aux besoins de sa famille. En
2001, il prend comme destination Nador, ville frontalière de Melilla
(Espagne). Après un court séjour, il devait rallier la terre ibérique,
avec un faux passeport marocain, remis par son passeur. Mal lui en
prit. Des Marocains ayant remarqué la présence de quatre Algériens dans
la chaîne au niveau du poste frontalier ont averti les policiers. Le
jeune Daoud et ses trois compagnons furent interpellés et matraqués
jusqu’au sang.
Transférés au commissariat de la ville de Nador, ils subirent toutes les humiliations. La gorge nouée, Mohamed Daoud témoigne: «On nous a déshabillés à la première minute qui a suivi notre identification. Un policier m’a reconnu comme étant récidiviste.» Le feuilleton des sévices ne fait que débuter pour Daoud. «D’autres
policiers sont passés à l’acte. Ils nous ont tabassés à l’aide d’un
câble électrique. Non satisfaits de leur oeuvre infernale, les mêmes
policiers nous emmènent au sous-sol du commissariat, et ce fut le
cauchemar.»
Pour étayer ses propos, Daoud dévoile la cicatrice gravée au fer et à jamais sur son épaule. «Au
sous-sol, nous avons subi le pire des châtiments corporels, nos
bourreaux ont chauffé à l’aide d’un chalumeau, un fer et chacun de nous
quatre a été marqué sur une partie du corps.»
Le même harraga a
accepté de témoigner sur un cas d’exaction répété, sur trois femmes
algériennes dans le commissariat d’Oujda. Bessahraoui Nourredine, âgé
de 45 ans, a été arrêté en 2004 à Beni Sar, poste frontalier de Nador
avant d’atteindre Melilla.
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La brutalité singulière du Mekhaznia
«Parmi
nous, il y avait un père et son fils de 14 ans. Le père a pu franchir
le poste de Beni Sar et gagné Melilla tandis que son fils a été arrêté»,
se souvient aujourd’hui Bessahraoui. Depuis le transfert au
commissariat et la garde à vue prononcée contre les personnes
interceptées, le jeune enfant n’a plus donné signe de vie, a-t-il
ajouté. Selon Bessahraoui, ces scènes d’atteinte à la dignité des
jeunes Algériens sont fréquentes. Notre interlocuteur cite le cas d’un
couple d’Algériens maltraités. La femme a été tabassée devant son mari.
Un
autre harraga, une autre histoire...Nourredine Lagouni a refusé de
rejoindre le maquis terroriste en 1992. Sa vie est, depuis, intimement
et vainement liée à la harga. Aussi, le nom et les histoires de ce
vieux des routes de Tounane, El Bhira, Bab El Assa à Ghazaouet
(Tlemcen) peuvent remplir des fascicules. Depuis 1992, il n’a cessé de
rallier l’Espagne. Expulsé, tantôt des terres ibériques, tantôt du
Maroc, il garde en tête éternellement son projet: regagner l’Espagne.
Son ultime tentative ayant échoué remonte au mois dernier. Il a été
refoulé de Nador. Dans plusieurs de ses péripéties, il a été témoin de
plusieurs cas de viol.
Des Algériennes ont été interpellées aux
frontières. La suite est connue, lâche-t-il timidement. Les harragas
algériens connaissent par coeur et les routes qui mènent vers les
issues espagnoles et les hommes qui les surveillent. Parmi ces
anges-gardiens, l’officier Mustapha Lgharbi. La bête noire des
harragas. Un autre nom hante les esprits de tous les harragas. Il est
derrière l’échec d’un nombre important de tentatives de la harga via le
Maroc. Juge et bourreau.
Pour Lagouni Nourredine, cet officier
marocain est, à la fois, impliqué et associé dans toutes les histoires
liées aux malheurs des Algériens et des Algériennes qui ont frôlé la
folie. Il flaire la présence de tout immigrant clandestin, notamment
celle des Algériens. De nuit comme de jour, aucun détail ne lui échappe.
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Des mesures...que des paroles en l’air
Ni
les mesures de Djamel Ould Abbès, ministre de la Solidarité nationale,
ni les actions sociales n’ont tempéré l’ardeur, encore moins et le
désir des harragas. Une seule idée les obsède; partir ailleurs. A Aïn
Témouchent ou El Ghazaouet, le même constat. Des jeunes, moins jeunes,
des licenciés, des récidivistes, guettent la moindre occasion pour
prendre le large. A Aïn Témouchent, M.Rezkallah, commandant du
groupement de la gendarmerie, nous a annoncé qu’une batterie de mesures
est mise en oeuvre. Les 14 plages de la wilaya sont surveillées. A tout
mouvement suspect, une alerte est déclenchée et suivie d’une
intervention. Aussi, le dispositif du renseignement est en quête
permanente d’informations.
Plus loin, les plages de Oued El Halouf,
Targa, Aïn Kihel, Rechgoune, Sassel, Bouzedjar, El Mordjane, Sidi
Djeloul, sont devenues des lieux d’embarquement à ciel ouvert. A
Ghazaouet, des jeunes et adultes ont installé plusieurs camps,
notamment au niveau de la forêt de Ouled Abdellah. Ils attendent de
longs mois, le temps que l’étau se desserre pour tenter l’aventure. Les
candidats connaissent tous les accès, maritimes ou terrestres.
El
Bhira, Ouled Dziri, et Trik Tounane à El Ghazaouet (Tlemcen) mènent
tout droit à Almeria, le point le plus proche. Les issues de Boujdour,
Boukanoun, village Nylou, Bir El Djeref, donnent accès à Saaïdia plage,
Ahfir et Oujda (Maroc). Le passage de Bab El Hassa (Maghnia) permet
d’atteindre Lala Aïcha au Maroc. Ceci pour les voies terrestres. Le
phénomène prend des virages dangereux. Vivre dignement ou mourir en
martyr, est le credo des harragas.
Onze corps ont été repêchés ces
dernières 24 heures au large des plages d’Oran. Entre les dents de la
mer et les griffes de la prison, des récidivistes ont décidé
d’abandonner le phénomène. La plupart d’entre eux ont à leur actif plus
de trois tentatives de harga. Ils veulent lutter contre l’immigration
clandestine. Les rescapés de la mer et ceux qui ont subi l’humiliation
de la Mekhaznia, inscrivent leur action dans la durée. Ils aspirent a
être, d’abord, pris en considération à travers des actions en leur
faveur. Mais ils aspirent aussi que l’Etat se penche sur les cas de
dépassements qu’ils ont vécus au Maroc.
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Aït Ouakli OUAHIB
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