Lettre de Xavier Henry à ses parents, Reutlingen, novembre 1957.
(…) La chambrée est sympathique […], souvent certains d’autres piaules viennent chez nous simplement parce qu’on est toujours ensemble. la section aussi on a des sous-offs bien. Le margis-séminariste en particulier, mais il se fait engueuler sans arrêt par l’aspi chef de section parce qu’il nous pousse pas assez. Notre pauvre aspi, c’est un gars de 20 ou 21 ans, je pense, qui sort de Chalons. Ça se sent. ll est discipline-discipline, il se sent très chef, c’en est pénible même pour nous. Il nous a fait une première conférence sur l’Algérie, un peu pénible, les copains étaient dégoûtés. […]
Tu me parles Maman des revues, si tu en trouves dis-moi lesquelles ; ce ne sera probablement as pour la chambrée les gars ne lisent rien du tout, mais pour le foyer ou d’autres piaules. De toute façon, ni TC (Témoignage chrétien), ni La Vie Catholique Illustrée, ils sont interdits à l’armée à cause de leur position sur l’Algérie : c’est rigolo hein ! Mais c’est comme ça. […]
Lettre de Bernard Henry à sa tante Aurore, 24 août (1958)
J’ai bien reçu ta très jolie carte, et son contenu ; je ne peux que te remercier pour ta gentillesse.
Tu me demandes si ma santé est bonne ? Eh bien manque de chance je suis actuellement à l’infirmerie avec une angine. Le plus rageant, c’est que je devais partir demain en « perme » pour Paris.
Ce n’est pas étonnant, remarque, que j’ai cela ; hier nous avons terminé (les camarades qui partent avec moi en AFN), des manœuvres qui ont duré 10 jours ; et pendant ces 10 jours, il n’a pas arrêté de pleuvoir, et faire orage ; alors que veux-tu, j’ai attrapé froid ; car bien des fois nous sommes rentrés le soir tout trempés et boueux.
Enfin j’espère me rétablir rapidement, et partir aussitôt en balade à Paris (pour ma dernière « perme » avant la quille, dans onze mois). J’ai de la chance, décidément ; on vient d’apprendre que le départ pour l’AFN est fixé au 23 septembre, au lieu 10 ; c’est toujours ça de gagné sur l’Afrique.
LE DEPART
Lettres de Jean Billard à sa fiancée
Mercredi 19 Déc après-midi
Nous sommes dans la région d’Avignon. Le train roule. Nous sommes dans deux wagons en bois ancien modèle, accrochés à un train de marchandises… qui s’arrête sur toutes les voies de garage pour laisser passer les autres trains.
Nous ne sommes que 65 accompagnés d’un capitaine sympathique.
Nous avons pris le train à la gare de Tolbiac. Les gars sont calmes, n’ont pas trop mauvais moral, pas de cris, de chahuts qui accompagnent d’habitude ces départs. Tout à l’heure nous avons croisé un train de gars qui revenaient de là bas.
Hier soir, nous étions consignés, mais nous sommes tout de même sortis pendant une heure, nous sommes allés prendre un café à Vincennes.
Mercredi 19 Déc soir
Nous sommes au camp Ste Marthe à Marseille.
Nous sommes descendus du train dans une gare de marchandises…
Il ne faut pas qu’on nous remarque.
Le camp c’est pire qu’à Mourmelon, il y a une multitude de gars de toutes les armes. Dans toutes les chambres, si on peut appeler ça des chambres, il y a des écriteaux qui disent de dormir avec les portefeuilles. Ce sont des baraquements avec deux rangées de lits à trois étages.
Jeudi 20 Déc
Nous partons vers 11h sur le El Djezair.
Nous ne sommes que 120 militaires à embarquer.
L’ARRIVEE
Lettre de Jacques Inrep à son frère cadet Michel, Batna, 15 mai 1960.
Mon très cher frangin,
(…) La traversée s’est très bien passée, il faisait un soleil éclatant, je n’ai pas eu le mal de mer, mardi matin à 5 h nous débarquions à Philippeville, nous sommes allés jusqu’à la gare à pied, entre deux haies de curieux, surtout des musulmans qui nous regardaient sans bienveillance et des Français d’ici : des Pieds-Noirs qui nous regardaient avec ironie et cynisme. Ici les troufions ne les aiment pas beaucoup, naturellement certains sont bien, mais ils doivent se laisser entraîner par les autres, ils tiennent à leurs terres et ils ne veulent pas les abandonner.
Lettre de Bernard Henry à sa mère, Géryville, 18 octobre 1958
Bien chère maman,
(…) Le lendemain matin, le 15, je prenais le train à 05 h 25, à destination de Bou-Ktoub, un bled situé à 350 km au sud d’Oran. Il a fallu une journée une journée et demi pour faire ces kms, car par mesure de sécurité le train ne circulait pas la nuit. Et le jour nous avions deux wagons blindés, avec escorte. J’ai donc passé une nuit couché dans le wagon. J’arrivai donc à Bou-Ktoub, le 16 à 15 h ; là, un convoi routier nous attendait, pour nous emmener à Géryville, qui se trouve exactement à 105 km à l’est de Bou-Ktoub, et pas très loin du début du grand désert. Nous étions escortés par des automitrailleuses car le coin n’est pas très sûr. Je suis donc ici, depuis deux jours, et je ne sais pas encore ce que je vais faire, et où je vais aller. Car je peux très bien partir d’ici, pour aller dans un petit poste isolé où l’on doit s’embêter à cent sous de l’heure, en dehors des heures de garde et des opérations. Enfin, je verrai bien. Le coin par ici est plutôt désert ; que des cailloux, du sable, et des touffes d’herbes sèches, à perte de vue.
(…) On a constamment son arme à portée de la main. Et les munitions ne manquent pas. On a constamment 90 cartouches sur nous, pour un fusil ; et 200 pour un pistolet-mitrailleur.
Le secteur est fréquenté par les HLL ; et, il y a deux jours, une opération où participaient près de 5000 hommes, a mis près de 60 HLL hors de combat. Malheureusement, il en reste beaucoup trop en liberté.
(…) Reçois mes plus affectueux baisers.
LA GUERRE
Tous les jours nous apprenons un nouvel attentat
Stanislas Hutin, à peine arrivé en Algérie, prend conscience de la gravité de la situation, ce qu’il consigne dans son journal intime.
28 novembre 1955
(…) Nous montons la garde tous les trois jours (une section de chaque compagnie tous les jours. Garde très stricte, avec munitions et mot de passe. Interdiction de faire plus de 60 mètres hors du camp sans se faire accompagner et être en armes. Tous les jours, nous apprenons un nouvel attentat: Jeeps tombées en embuscade, piper-cubs descendus à coup de fusil mitrailleur, militaires égorgés, désertion d’Algériens, etc.
(…) Les cultivateurs ont des mines hostiles, sauf quand on entre en contact avec eux. Tels ces deux Arabes derrière leur charrue, ou ce vieux conseiller municipal assis au pied d’un arbre, dégustant sa minuscule tasse de café. Il nous parle de l’injustice qui règne sur le pays: » Mes fils, pourquoi deux poids deux mesures entre les Français et les Algériens ? » Pour lui, les rebelles sont des assassins qui tuent aussi bien les Français que les Arabes, mais la misère du terrien arabe est atroce. Il vivote avec son troupeau et son petit jardin. Les colons n’ont besoin que d’une très petite main-d’œuvre, puisque les gros propriétaires, non arabes en grosse majorité, sont mécanisés : tracteurs, moissonneuses batteuses. Il ne faut donc pas s’étonner de trouver les hommes déambulant dans les rues, le nez au vent, ou accroupis sur les trottoirs, passant leur journée à regarder passer les convois militaires. Pas d’industrie en Algérie. Tout ceci explique évidemment le déferlement des Algériens sur la France.
LE QUOTIDIEN
L’eau me paraît tiède tant l’air est froid
Le cantonnement de la 3e section à laquelle Claude Juin appartient est arrivé depuis le 14 octobre dans le massif de l’Ouarsenis précisément au col de Kerba à 1300 mètres d’altitude. Il est « logé » sous une grande tente. Les soldats y passeront l’hiver.
Journal intime de Claude Juin, 24 octobre (1957)
Ce matin température 4° sous abri. Le vent est violent, il nous faut consolider les attaches, d’abord les mâts qui tanguent, mettre des pierres pour maintenir au sol les bas côtés… Je vais me laver à l’abreuvoir, l’eau ma paraît tiède tant l’air est froid. Les Européens de Letourneux disent que nous ne pourrons rester là en décembre. « En 14 il n’y avait ni poêle ni feu… », affirme « le vieux » (le capitaine commandant la batterie). Mais personne ne va lui casser la gueule à ce con. Il va nous faire crever.
9 novembre
Avoir 22 ans et se coucher à 19 heures un samedi soir, c’est inhumain… On en perd la tête, ce matin Guy se chauffait les mains près du poêle qui n’était pas allumé ! Hier soir Guy pleurait en nous disant qu’il voudrait bien être dans une salle de cinéma des grands boulevards, au fond d’un fauteuil confortable en ne pensant à rien d’autre qu’au film…
publié le 12/09/2021 | par JEAN-PAUL MARI
https://www.grands-reporters.com/la-bleuite-mal-mortel-du-fln/
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