Ancien combattant de la Seconde Guerre mondiale puis des guerres coloniales, devenu adepte de la non-violence, le général de Bollardière se considérait, en 1973, comme « un soldat de la justice ».
Le président de l'association des Français contre les explosions atomiques dans le Pacifique, le militant de la non-violence Jacques Pâris de Bollardière, s'exprime le 31 juillet 1973 au cours d'une réunion d'information et de débat qui s'est déroulée à la maison des Centraux à Paris en présence du professeur Jean-Marie Muller et de l'abbé Toulat. (AFP)
Le général Jacques Pâris de Bollardière (1907-1986 - « le Nouvel Obs » l’écrit sans accent circonflexe dans l’entretien republié ici) fut une figure à plusieurs titres : combattant de la Seconde Guerre mondiale, puis des guerres d’Indochine et d’Algérie, il dénonce en 1957 la pratique de la torture en Algérie, ce qui lui vaut une sanction de 60 jours de forteresse.
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Dans les années suivantes, il se convertit à la non-violence, milite dans le Mouvement pour une Alternative non violente (MAN) et participe à la défense du Larzac contre l’extension d’un camp militaire. En juillet 1973, il manifeste contre les essais atomiques français et est arraisonné alors qu’il navigue en voilier à Mururoa, entre autres avec Brice Lalonde. Alors mis à la retraite d’office, il est interviewé par Guy Sitbon dans « l’Obs », où il exprime ses convictions, notamment contre la dissuasion nucléaire
Article paru dans « le Nouvel Observateur » n° 455, le lundi 30 juillet 1973
ENTRETIEN
Le général de la non-violence
Le général Jacques Paris de Bollardière n’a pas réussi, avec les camarades de son commando, à empêcher l’explosion de la bombe française à Mururoa. Mais il a réussi à faire connaître certaines de ses idées. Guy Sitbon est allé s’entretenir avec lui de la violence et de la non-violence.
Pourquoi êtes-vous contre la bombe atomique ?
PARIS DE BOLLARDIÈRE. - Elle ne sert à rien. Ceux qui font de savantes études pour démontrer qu’elle est utile ne comprennent même pas ce qu’ils écrivent.
S’il servait à quelque chose, s’il avait une efficacité militaire, est-ce que vous seriez favorable à l’armement atomique ?
J’y serais quand même opposé.
Et l’armement classique, pour ou contre ?
Contre. Je suis non violent.
De la part d’un militaire, d’un général, c’est sympathique, mais étrange.
Toute ma vie, j’ai lutté pour la justice. Il y a évolution, il n’y a pas contradiction. J’ai soixante-cinq ans. J’ai choisi ou pratiqué la violence pendant trente ans, puis j’ai découvert que ça ne mène à rien. Je ne suis pas un intellectuel ni un philosophe, je recherche l’efficacité par l’action. Ceux qui prétendent que la violence est plus efficace se trompent. Avec trois copains, à Mururoa, on a foutu un bazar terrible, on a mobilisé l’armée française et je me retrouve à parler avec vous en liberté. Tout ce qu’ils ont pu faire pour me sanctionner : me mettre à la retraite. Moi j’étais sûr que j’étais déjà à la retraite.
C’est parce que vous avez affaire à un régime qui, avec vous, veut se montrer débonnaire. Ailleurs, en U.R.S.S. par exemple, vous seriez déjà en hôpital psychiatrique.
Il y a dix ans, je vous aurais répondu qu’évidemment les Soviétiques ont moins de liberté que nous. Aujourd’hui, instinctivement, je vous répondrai la même chose. Mais, en y réfléchissant, je pense que là-bas aussi je serais en liberté. Il y a dix ans, je pensais : « Les Soviétiques sont terriblement conditionnés, moi pas. » Je me suis rendu compte que j’étais conditionné comme tout le monde. Cela dit, je pense qu’il faut lutter contre les totalitarismes de gauche et de droite.
Vous ne vous considérez plus comme un soldat ?
Si. Je suis un soldat de la justice. A Mururoa, c’était typiquement une opération de commando. J’étais dans mon élément habituel. Avec une différence énorme : cette fois, j’étais dans une paix complète avec moi-même. Avant j’allais tuer les gens, maintenant je vais les empêcher de se tuer.
L’un des premiers, vous avez lutté contre les nazis. C’était la violence, ça.
Regardez le Danemark. Ils ont résisté tous ensemble, sans violence. Tout le monde, même le roi, portait l’étoile jaune des juifs. Moyennant quoi presque tous les juifs danois ont été sauvés. La non-violence, c’est efficace. C’est la plus grande découverte de ma vie. La ligne Maginot comme la bombe atomique n’ont servi à rien. Contre les Allemands, on a confié la lutte à un corps spécialisé – l’armée – et le reste du peuple ne voulait pas se battre. Quand l’armée a été battue, c’était fini. C’est l’inverse qu’il faut faire. Contre un peuple entier, personne ne peut rien. Regardez le Viêt-nam.
Justement, là-bas, c’est plutôt violent.
Malheureusement ils ont choisi la violence, mais l’énergie de ce peuple mise au service de la non-violence, comme faisait Gandhi en Inde, ce serait fantastique.
Etes-vous contre l’armée, le service militaire ?
Oui, je suis contre mais il faut être réaliste. Il faut que l’armée entière se mette à réfléchir, il faut qu’elle-même prenne conscience de ce que la violence ne sert plus à rien. Je veux dire que l’évolution des sciences, des techniques, de l’esprit humain a mis entre les mains des hommes les moyens de vivre autrement. A nous de les saisir.
Vous pensez que la fin de la faim en Occident, la satisfaction des besoins primaires ont créé les conditions d’une lente extinction de la violence et que, partout où ces besoins subsistent, la violence est encore difficilement évitable ?
Non, ce n’est pas ce que je veux dire. Je pense que c’est une évolution de l’homme. L’homme est le théâtre de pulsions fortes. L’agressivité est la condition de l’individualité. Mais les connaissances s’accumulent et l’homme doit substituer sa raison à son instinct. S’il ne le fait pas, c’est l’échec de l’histoire de l’homme. Pour moi, donc, ce n’est pas une rupture avec mon passé de militaire, c’est une continuation dans le sens de ce qui se passe aujourd’hui. Regardez les jeunes.
J’observe que la plupart des jeunes qui s’expriment choisissent les voies révolutionnaires traditionnelles fixées au XIXᵉ siècle, et non pas ce que vous dites.
Il y a d’autres jeunes, les hippies, les communautés qui vont dans le sens de la non-violence.
Vous-même, êtes-vous révolutionnaire ?
Comment ne le serais-je pas ? Le monde est en pleine révolution, je fais partie de ce monde. Toutes les révolutions, y compris la révolution soviétique, j’y adhère. Mais elles n’ont pas posé le préalable non violent, alors que pour moi, pour nous, c’est le principe du dynamisme révolutionnaire.
Vous avez fait la guerre en Algérie et vous vous y êtes même illustré en dénonçant la torture.
Oui.
Finalement, pensez-vous que c’est une bonne ou une mauvaise chose, l’indépendance de l’Algérie ?
J’aurais préféré qu’elle se fasse dans de bonnes conditions, sans rupture avec la France, mais c’est finalement une excellente chose pour les Algériens.
Bon. Mais ce résultat, que vous dites excellent, a été obtenu par la violence.
Si les Algériens avaient refusé en groupe, ils auraient obtenu la même chose et peut-être mieux.
Mais était-il possible d’arriver à cette résistance collective pacifique sans qu’un groupe prenne au préalable l’initiative de la violence ?
Je crois que ce n’était pas possible. Mais nous, à Mururoa, nous avons obtenu des résultats fantastiques. De leur côté, cent paysans du Larzac sont en train de gagner. Quelques personnes peuvent, sans tuer personne, faire bouger les gens, leur faire prendre conscience.
Je vous répète : c’est parce que vous avez un adversaire, disons, tolérant.
Et les Tchécoslovaques alors ? Le « printemps de Prague » ? C’est le plus bel exemple de non-violence.
Finalement, ça a abouti à quoi ? La Tchécoslovaquie a été étouffée mollement. Je ne dis pas que j’aurais préféré un massacre, mais c’est un fait.
C’est parce qu’il y a eu des traîtres en Tchécoslovaquie. Si les Soviétiques n’avaient trouvé personne à mettre en place, ils auraient calé. Au Viêtnam, c’est la même chose. Les Français, les Américains, ils auraient calé, si le peuple avait été uni.
Soit, mais vous supposez le problème résolu. Il s’agit bien d’arriver à ce que chaque élément de la collectivité ressente la solidarité comme un instinct, mais le problème, c’est qu’il n’existe pas, cet instinct. Et vous, vous dites, faisons comme s’il existait.
Non, je dis : consacrons notre vie à faire en sorte qu’il naisse, cet instinct.
Propos recueillis par GUY SITBONPublié le 16 juillet 2023 à 7h30
https://www.nouvelobs.com/culture/20230716.OBS75814/le-general-de-bollardiere-un-militaire-non-violent-il-y-a-50-ans-dans-l-obs.html
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