.
.
Rédigé le 29/12/2023 à 19:42 dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0)
Star Wars – La guerre des étoiles — figure parmi les œuvres de science-fiction les plus célèbres et les plus populaires. À ce titre, elle nous dit quelque chose de la société qui l’a conçue et de celles qui la consomment, miroir des craintes collectives et des fantasmes persistants d’un Occident suggéré, dans un univers où tous les héros sont blancs et les « indigènes » forcément soumis ou tyranniques. « Succès planétaire » ? Peut-être pas tant que ça…
Dans le documentaire de Mayte Carrasco et Marcel Mettelsiefen, Afghanistan, pays meurtri par la guerre (2019), lorsque Milton Bearden, officier de la CIA, et le général Stanley McChrystal, commandant du Joint Special Operations Command de l’OTAN (mai 2003-juin 2008) cherchent une image pour dépeindre, le premier, Peshawar pendant l’occupation soviétique1 et le second, l’Afghanistan après 20012, ils font tous deux référence au célèbre bar de Star Wars. La scène est devenue tellement culte qu’elle a forgé l’imaginaire de la génération de ces deux hauts fonctionnaires de la sécurité américaine. Cet élément pourrait-il expliquer la fulgurante réussite de ce film sorti en 1977, quatre ans après le choc pétrolier et deux ans avant l’invasion soviétique et la révolution islamique iranienne ?
Les réalisateurs des épisodes de Star Wars qui ont suivi — ou plutôt leurs commanditaires de la Walt Disney Company — visent la production de films destinés à un public mondial, mondialisé et post-occidentalisé… mais à partir d’un imaginaire cinématographique exclusivement occidental. Prisonniers de leurs systèmes de représentation, ils créent des personnages secondaires non blancs et tentent de les mettre en couple, avant d’y renoncer en catastrophe, tout en préservant leurs héros blancs de tout métissage avec les « minorités ».
Mais il ne s’agit pas de s’offusquer ici de l’improbable alliance d’un cinéma prémâché, de la mort du scénario, du « politiquement correct » occidental et de l’offensive commerciale mondialisée. Il est question du « vrai » Star Wars : l’original façonné artisanalement par Georges Lucas il y a plus de quarante ans. Contrairement aux complexes, mais indigestes recettes de productions contemporaines, il a connu un succès phénoménal parce qu’il avait été écrit naïvement. Ce qui devint par la suite l’Épisode IV de la double trilogie charriait toute la fantaisie poétique de jeunes Occidentaux bercés par un siècle de récits coloniaux.
Certes, ces batailles colorées et ces navires spatiaux improbables épousent les fantasmes du public. Mais les scènes de la planète Tatooine, en grande partie tournées en Tunisie autour de la ville de Tataouine — d’où le nom — sont vraiment emboîtées dans des visions occidentales héritées d’un certain exotisme contrôlé, d’une aventure coloniale perdue, comme la protéine d’un virus pénètre le récepteur d’une cellule. Cet astre est en effet un désert peuplé de tribus variées, au nombre desquelles les Tusken, une bande d’êtres enturbannés qui tirent sur tout ce qui passe à leur portée, avec des pétoires sans âge à la crosse mauresque.
Ces bandits du désert ressemblent à des hommes : ils en ont la stature et la silhouette. Cependant, ils n’ont pas de visage et ils poussent des cris : ils n’ont même pas de langage. Cette peuplade s’ancre significativement dans l’imaginaire lié aux « Berabers » dans Tintin-Le Crabe aux Pinces d’Or (1941, p. 38) ou aux insurgés anguleux, barbus et armés de poignards de Laurel et Hardy-Beau Hunks (Les deux légionnaires) (1931).
Pour l’épisode II (L’Attaque des clones,) sorti en 2002, soit une génération après, George Lucas a enfoncé le clou de cette figure de Bédouins insoumis en les logeant sous des tentes exotiques qui rappellent celles des nomades Beja du Soudan oriental. Un portrait qui s’accorde bien à celui qu’il brosse des misérables esclavagistes de la traite des blanches qui avait asservi la mère du pauvre Skywalker. Les autres ethnies d’aliens sont généralement un peu plus évoluées : certaines font du commerce de machines, d’autres se vendent au plus offrant, et elles ont le plus souvent un idiome qui est sous-titré.
Les seuls véritables personnages de l’histoire, héros et antagonistes, sont des humains. Et les humains sont tous blancs. Irvin Kershner, le réalisateur de l’épisode V L’Empire contre-attaque (1980) avait d’ailleurs tenté de gommer cette image en dotant Han Solo d’un ami noir : Lando Calrissian.
C’est en cela que réside peut-être la véritable clef de ce succès planétaire. Les membres de la famille de Luke Skywalker sont en fait des fermiers, colons installés dans un pays du bout du monde qu’ils tentent d’exploiter au mieux, entourés de tribus indigènes hostiles. Le centre urbain de la planète Tatooine et son fameux bar rappellent bien sûr les codes du saloon de western. Mais Han Solo y figure une sorte de trafiquant européen en Afrique qui rappelle Arthur Rimbaud dans sa période yéménite. Il est toujours escorté de son ami indigène et second, Chewbacca, presque inutile et désespérément fidèl
Han constitue l’archétype de l’aventurier occidental : il traverse les contrées hors de l’œkoumène (espace habité de la surface terrestre), inhabitées, et en comprend bien des dialectes aliens. Il navigue avec aisance au milieu des sauvages et des aborigènes de tous acabits. Le bar est lui-même le lieu du fantasme absolu, celui du mélange anarchique, anti-civilisé, de toutes les races. Seuls un baroudeur, un affranchi comme Han Solo ou un chevalier Jedi comme Kenobi pouvaient y mettre les pieds sans être immédiatement submergés par les barbares. Dans le documentaire Afghanistan, pays meurtri par la guerre cité plus haut, le général américain Stanley McChrystal fait le lien, tant il perçoit les GI débarquant dans ce « foutoir » (« disorganized mess ») qu’est l’Afghanistan « comme des étudiants dans un bar de Star Wars » totalement dépassés par les indigènes.
La langue de communication de toute la galaxie est l’anglais, qui est le seul langage des humains, c’est-à-dire des blancs. Et si, parfois, les héros humains doivent parler aux aliens dans leur dialecte, le plus souvent, lorsqu’ils sont évolués, ils parlent un anglais à l’accent prononcé.
La galaxie tout entière constitue un espace où chaque planète ou presque a sa population autochtone (semi-)intelligente. Pourtant, les humains y sont partout chez eux. Cette galaxie, c’est le monde colonial, peuplé de tribus toutes plus exotiques, arriérées, dangereuses ou touchantes les unes que les autres, toutes caricaturales, terrifiantes ou amusantes. Les humains sont les Occidentaux. Ils naviguent entre tous les systèmes stellaires, ils ont un cœur, des aventures, des peurs, des amours, en un mot, ils vivent, dans le décor coloré des mondes galactiques colonisés par leurs ancêtres.
Ils sont surtout les seuls dépositaires des véritables enjeux politiques : l’empereur (Palpatine) est un blanc, Dark Vador est un blanc, Luke Skywalker et la princesse Leia (Organa) sont des blancs. Il semble que Richard Marquant, le réalisateur de l’épisode VI (Retour du Jedi) avait perçu ce problème. Il a tenté de corriger le tir en choisissant quelques antagonistes et personnages non humains, comme un vague général, un Fayçal parmi les Britanniques de Luke d’Arabie.
Jusqu’à aujourd’hui, les Occidentaux et, conséquence bien plus perverse encore, nombre des descendants de colonisés, semblent avoir intégré l’idée étriquée que seuls les impérialistes blancs peuvent mener des stratégies de conquête. C’est l’une des sources des logiques conspirationnistes qui imputent à la CIA ou au Mossad tous les évènements politiques et géopolitiques qui se déroulent en particulier au Proche-Orient.
C’est aussi l’origine du « campisme »3 simplificateur qui dénie à des despotes souverains leur perversion propre, ou refusent à leurs peuples le droit à l’insurrection. Fondamentalement, tous seraient rebelles à l’Occident, ou alors manipulés par des Occidentaux. Ainsi, dans Tintin au Congo, du boy Coco jusqu’au roi des Babaoro’m, les indigènes sont tous innocents, et lorsqu’ils sont brutaux ou dangereux, ils le sont par pure naïveté. Les seuls vrais méchants sont des Blancs : un passager clandestin et un groupe de gangsters américains (l’obsession d’Hergé qui n’avait envoyé son compagnon de papier en Afrique que pour satisfaire son employeur). Le seul noir un peu vil, le sorcier, est surtout jaloux et, en définitive, comme le seront les deux ethnies congolaises poussées à la guerre par les gangsters, il a lui aussi été manipulé par les « méchants blancs ». Dans Star Wars, Chewbacca, le premier « ami noir » de Han Solo avant Lando Calrissian est l’équivalent de Coco, et Jabba le Hutt incarne le roi indigène.
Lucas ne s’était pas préoccupé des guerres indigènes ; même en arrière-plan, cela aurait ajouté de la complexité post-coloniale à un roman de croisade aux aspérités maîtrisées. En revanche, les épisodes I à III de la décennie 2000 ont fait une place plus importante à un scénario des « races » aliens rebelles à une « République » dirigée par des humains, parce que manipulés par d’autres mauvais humains.
Ces films agissent comme autant de révélateurs des fantasmes occidentaux, de leur représentation du monde et de la place des non-blancs dans leur imaginaire. Celui-ci est façonné par les aventures pourtant déjà anciennes des héros de Jules Verne, qui surplombaient en ballon les guerres « barbares » d’Afrique centrale (Cinq Semaines en Ballon) ou traversaient la Sibérie au nez et à la barbe des Tartares cruels et vindicatifs (Michel Strogoff). Les personnages de Luke Skywalker et Han Solo sont deux facettes de cette figure de héros colonial conquérant, curieux, aventurier et dominateur, tandis que Dark Vador et l’empereur Palpatine sont des Hitler, des Staline ou des George Bush et qu’on peine à s’identifier aux figures repoussantes de Chewbacca le guerrier wookie ou de l’alien Jabba le Hutt…
Est-ce pour cela que Star Wars ne fonctionnera sans doute jamais hors du monde occidental ?
https://orientxxi.info/lu-vu-entendu/star-wars-la-galaxie-occidentale-et-les-bedouins-de-tatooine,4006
.
Rédigé le 26/12/2023 à 14:08 dans Cinéma, Tunisie | Lien permanent | Commentaires (0)
.
Rédigé le 24/11/2023 à 21:18 dans Algérie, Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0)
Marie Gillain et Pascal Elbé, deux des comédiens du dernier film d'Alexandre Arcady, Le Petit Blond de la Casbah, actuellement au cinéma, nous confient quelques secrets de tournage et bien plus encore.
Il y a des films qui s'imposent et qui sont d'une grande importance historique. Le Petit Blond de la Casbah d'Alexandre Arcady en est un. Il raconte le retour d'un réalisateur à Alger, accompagné de son fils, pour présenter son nouveau long métrage. Celui-ci retrace l’histoire de son enfance et de sa famille dans l’Algérie des années 60. Le cinéaste déambule dans sa ville natale et, à travers les souvenirs du petit garçon qu'il était, fait revivre aux spectateurs les moments de bonheur, de rires et de larmes dans un temps singulier.
"Ce que je trouve très beau dans le film, c'est le point de vue des enfants. On voit qu'il y a le monde des adultes avec la guerre qui se prépare. Il y a plein d'injustice, d'incohérence dans le système qui a été mis en place en Algérie. Mais on voit aussi ces enfants qui se parlent, qu'ils soient juifs, arabes, italiens ou espagnols. Ça cohabite, les portes sont ouvertes, ça circule, explique Marie Gillain qui interprète Dinah. C'est un film sur la nostalgie d'une époque, d'une enfance. Ce qui est très fort dans ce film, c'est que ce sont les derniers moments d'insouciance de ces enfants, de cette famille et de cet immeuble." "Dans le film, les enfants ne comprennent pas et les adultes ne comprennent pas. Il y a une incompréhension du début à la fin et on y peut rien. On ne peut pas changer le cours de l'histoire qu'on nous impose. Et on est obligé de se séparer, ajoute Pascal Elbé qui prête ses traits à Jacob dans Le Petit Blond de la Casbah. Ça devient parfois fratricide, car ce sont des frères à la base. Moi quand je vois un film comme cela, j'ai envie de pleurer."
Le personnage incontournable du film est bien mamie Lisa, la grand-mère du petit Antoine dans le film. Et parti pris d'Arcady, c'est Jean Benguigui qui la joue. "Il s'est dit (NDLR : Alexandre Arcady) : 'je ne vais pas la trouver cette grand-mère que j'ai connue, qui ne pouvait pas descendre d'un étage, qu'il faut treuiller.' Le donner à un homme, c'est une proposition de cinéma, c'est aller au bout d'un principe. Et on y croit", partage Pascal Elbé. "Moi, je me rappelle que je lui remontais ses bas, ces espèces de bas de contention qui avaient tendance à tomber sur ses pantoufles, où apparaissaient les effets spéciaux du costume, car Jean n'est pas aussi gros. J'ai adoré passer des moments à côté de lui, parce qu'il a plein de petites phrases en arabe. Et comme dans l'histoire, la grand-mère d'Arcady était berbère, elle parlait arabe. Donc, il m'insufflait plein de petits mots et des expressions", raconte Marie Gillain.
"Et oui, notre culture est mêlée de plein de mots en arabe, ça nous permet de se retrouver aussi comme ça. C'est notre Makrout de Proust, comme je disais à Arcady. Vous voyez l'ignorance ravage tout. Si la vraie culture, la culture populaire, celle de la rue, on l'avait préservée, cela aurait difficile de mettre des murs entre nous", rétorque l'acteur. Une vraie leçon de vie.
par Céline Peschard
Crédits photos : Céline Peschard
https://www.voici.fr/news-people/le-petit-blond-de-la-casbah-marie-gillain-et-pascal-elbe-evoquent-linsouciance-de-lenfance-face-a-une-guerre-incomprise-771343
Pascal Praud revient pendant deux heures, sans concession, sur tous les sujets qui font l'actualité. Les auditeurs sont invités à réagir, par téléphone ou via les réseaux sociaux aux grandes thématiques développées dans l'émission du jour. Aujourd’hui, il s'intéresse à la sortie du nouveau film d'Alexandre Arcady, intitulé "Le Petit Blond de la Casbah".
https://www.dailymotion.com/video/x8pog9b
.
.
Rédigé le 18/11/2023 à 20:21 dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0)
Des ruines, encore et encore. Immeubles béants, murs troués, portes ouvertes sur le vide, façades écroulées, vitres brisées, blocs de béton, verre cassé, ferraille. Monticules de gravats d’où surgissent des objets épars singulièrement, miraculeusement rescapés — jouets d’enfants, meubles, matelas, papiers, bidons d’eau… C’est à Gaza en 2023, sous les bombes israéliennes. Du moins l’imagine-t-on ainsi, car nous devons reconvoquer dans nos mémoires les images perdues d’autres guerres, tant celles qui nous parviennent sont aujourd’hui le plus souvent fabriquées par des drones1. Les caméras survolent en plan-séquence, lentement, Gaza City détruite, dans un no man’s land de cendres grises ; elles filment froidement une sorte de fait accompli, comme une catastrophe naturelle, ou pire : comme un jeu de guerre en ligne — victoire d’un joueur, défaite de l’autre ou de l’intelligence artificielle. Et après ? What’s going on ?, pour reprendre le titre de l’une des rares fictions de Jocelyne Saab (sortie en 2010).
Les ruines, ce fut aussi, ces vingt dernières années, Homs et Alep, Fallujah et Mossoul. Mais à Beyrouth en 1976, il n’y avait pas de drones et sous la caméra de Jocelyne Saab, les images se libéraient du simple constat amer de la désolation pour être inscrites dans l’histoire sous forme de signes, de traces témoignant d’un monde en voie de disparition, mais d’où la vie pouvait encore ressurgir, et l’espoir, pour peu qu’on les relie entre elles en reconstruisant un ordre, une architecture, une logique, un sens disparus. La magie de Jocelyne Saab, c’est d’avoir su marier la violence des images à leur allégorie même, celle du cycle permanent de la mort et de la vie, et ce faisant, de les avoir placées au plus haut, dans ce qu’elles ont à nous transmettre.
Ainsi la cinéaste franco-libanaise née à Beyrouth en 1948 a-t-elle, pendant plus de quarante ans, « traversé les ruines et les révoltes, caméra au poing ». Et filmé « avec rigueur et obstination, avec humanité surtout, les grandes déroutes du XXe siècle : au Liban et en Égypte principalement, mais aussi en Syrie, au Golan, en Iran, en Irak ou au Kurdistan… »2.
Elle nous a quitté·es en 2019, nous laissant plus de quarante films dont la plupart sont des documentaires, exception faite de quatre fictions.
Après une courte carrière de pigiste à la radio et à la télévision libanaises, elle est engagée en 1973 à la télévision française qui l’envoie sur le terrain en Libye, dans le Golan syrien, en Irak, couvrir la guerre d’Octobre, la guerre du Kurdistan, la lutte des Palestiniens au Liban et en Syrie. Son reportage sur les femmes combattantes dans les rangs de la résistance palestinienne (Les Femmes palestiniennes) est rejeté par Antenne 2. Un mal pour un bien, puisqu’elle réalisera désormais tous ses films en indépendante.
Le 13 avril 1975, dans un quartier chrétien de Beyrouth, les occupants palestiniens d’un bus sont massacrés par les milices phalangistes. Elle décide de couvrir la guerre qui s’annonce et rentre au Liban, au début d’un conflit fratricide qui durera quinze ans. Sur le vif, Jocelyne Saab s’attache à proposer un contrepoint à ce que les médias dominants exposent :
Les gens en ont marre de la violence. J’avais montré la violence et cette guerre n’est que de la violence, mais je refuse de la montrer au premier niveau, tu la vois par une image détruite. J’ai refusé des images à sensation. J’ai pris le parti contraire 3.
Le parti contraire est d’abord celui de la subjectivité. Elle fait entrer son histoire personnelle dans l’histoire de Beyrouth, apparaît à l’écran, comme en ouverture de Beyrouth, ma ville (1982), le micro à la main devant les ruines de sa maison ancestrale détruite par les bombardements durant le siège de la ville par l’armée israélienne.
Le regard est empathique, « qui dénonce la souffrance infligée aux peuples, les injustices impardonnables des conflits intercommunautaires et la violence de l’armée israélienne contre les peuples arabes »4.
Cette subjectivité assumée la conduit dès 1976, avec Beyrouth, jamais plus à chercher un style beaucoup plus onirique et poétique. Ainsi choisit-elle Etel Adnan, peintre et poétesse elle aussi d’origine libanaise, pour en écrire le commentaire, image après image.
Lorsqu’elle s’éloigne de Beyrouth, c’est pour couvrir les luttes d’autres peuples — les pauvres Égyptiens qui viennent de se soulever contre la hausse du prix du pain par Sadate en 1977 (Égypte, cité des morts, 1977), les Sahraouis du Front Polisario qui se battent pour l’indépendance de leur territoire (Le Sahara n’est pas à vendre, 1977) ou les Iraniens deux ans après leur révolution (Iran, l’utopie en marche, 1981).
Quand la forme « documentaire » ne peut plus que répéter ad nauseum la douleur et l’absurdité d’une terrible guerre fratricide, elle se tourne vers la fiction avec Une vie suspendue (1985)5, une histoire d’amour tournée au cœur de Beyrouth en guerre, comme une sorte de défi à la violence et à la mort.
Réalité et fiction, réalité et allégorie : avec elle, les images froides des guerres ont un devenir qui ne peut être pire que le présent. Elles finissent par faire renaître l’espoir, dans les traces de vie, l’émotion, les affects, la solidarité, la vie des rescapés au milieu des ruines. Et dans la mémoire.
Après la guerre, il lui semble urgent que l’on se souvienne de Beyrouth autrement que par cet amas de ruines. Elle rassemble sous le projet « 1001 images » plus de quatre cents films réalisés sur Beyrouth par des cinéastes libanais ou étrangers, et en fait restaurer trente. Elle réalise elle-même Il était une fois Beyrouth, histoire d’une star (1994) en combinant des images d’une trentaine de ces films, ressuscitant le Beyrouth vivant « d’avant ».
Elle s’est par la suite tournée vers l’art vidéo et la photographie, s’est engagée dans la création d’un festival de cinéma au Liban (Cultural Resistance International Film Festival of Lebanon, 2013–2015) et la réalisation d’un livre de photographies, Zones de guerre (éditions de l’œil, 2018), pour dire autrement ce qui lui semblait devoir être transmis.
« Elle a vu la fin d’un monde, la fin de l’idéologie arabe. Elle est de la génération de ceux qui ont cru et qui ne peuvent pas accepter qu’on ne peut plus croire à rien. Il s’agit maintenant de regarder les images de plus près », raconte Mathilde Rouxel, curatrice de la rétrospective dédiée par le Macam (Modern and Contemporary Art Museum) au travail de Jocelyne Saab, à Byblos, et programmatrice de l’édition 2023 du Festival du film franco-arabe de Noisy-Le-Sec.
De celle qui est devenue un modèle pour des générations de jeunes cinéastes et artistes libanais·es, son amie de toujours Etel Adnan disait :
Sa liberté de penser, et d’agir lui a coûté très cher. Par moments ce fut une question de vie et de mort. Peu de gens, hommes ou femmes, ont autant souffert pour demeurer dignes d’eux-mêmes, pour survivre d’une façon qui ait un sens, dans un monde si hostile ou si indifférent que celui qui est le nôtre6.
Pour rendre compte de la destruction de Gaza et de la souffrance de ses habitants à laquelle nous assistons impuissant·es et la mort dans l’âme, Jocelyne Saab nous manque. Définitivement.
Rédigé le 17/11/2023 à 08:51 dans Cinéma, Israël, Palestine | Lien permanent | Commentaires (0)
https://cdn.i24news.tv/upload/image/afp-3d7342fc69c92bedc33ea9554a10e233158fe53b.jpg?width=1000
"Je raconte une Algérie où il faisait bon vivre ensemble malgré la guerre qui frappait à la porte"
Réalisateur de succès des années 1980 comme "Le grand pardon" ou "L'union sacrée", Alexandre Arcady ranime la mémoire perdue des juifs d'Alger dans "Le Petit Blond de la Casbah", en salles le 15 novembre, un film autobiographique et pittoresque sur son enfance dans la Casbah.
Six décennies séparent le réalisateur qui reçoit dans un confortable bureau à deux pas des Champs-Elysées, et le gamin juif de la rue du Lézard, son paradis perdu.
Une enfance dans son souvenir "lumineuse" et populaire, entourée de personnages hauts en couleur, de toutes confessions et de toutes origines, où le regard insouciant d'un enfant peut à peine distinguer l'injustice de la colonisation - présente en arrière-fond dans le film. Jusqu'à ce que la guerre déchire la carte postale. Dans le fracas de l'indépendance, la famille Arcady, comme l'essentiel de la communauté juive d'Algérie présente depuis des siècles, part en catastrophe pour la métropole.
"Ce film était une promesse faite à 13 ans à ma mère. En se tournant vers nous, sur le bateau qui quittait l'Algérie, les larmes aux yeux, elle nous a dit 'j'ai oublié les photos (de famille) dans le buffet'", raconte le réalisateur. "C'est pas grave maman, je te les ramènerai ces photos", lui répond-il.
i24NEWS - AFPdernière modification
https://www.i24news.tv/fr/actu/culture/1699709062-le-18e-film-d-alexandre-arcady-exprime-la-nostalgie-d-un-juif-d-algerie
.
Rédigé le 11/11/2023 à 18:24 dans Algérie, Cinéma, France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
Un film touchant, car il parvient à transmettre l’amour pour un pays et une époque, celle de l’Algérie où le vivre-ensemble prévalait. On apprécie la façon dont il saisit la passion pour le cinéma, où le cinéclub est la messe des cinéphiles.
Le film illustre comment la passion pour l’art peut transformer une personne et changer la perspective des autres sur le monde. C’est une déclaration d’amour envers un pays qui a contribué à façonner l’individu d’aujourd’hui, tout en constituant un récit émouvant sur les Français déracinés.
À travers des citations visuelles, des extraits de films on revoit l’histoire du cinéma, des grands classiques comme film Zazie dans le métro et Babette s’en va-t-en guerre. Des films montrant l’histoire, des héros et des modèles de pensée, dont le cinéphile va peu à peu construire son monde intérieur pour fuir la noirceur du quotidien compliqué et remplit de paradoxe.
Marie Gillain est incroyable et confirme le vrai retour au cinéma en tant que mère devant gérer une grande famille. Léon Campion est la révélation de ce film, tant par la justesse de son rôle, mais aussi pour sa présence à l’écran.
Il y a aussi ce personnage d’ancien légionnaire incarné par Christian Berkel. Son personnage de chef de famille rappelle à quel point la légion étrangère est un monde régit par un code d’honneur. Il est basé sur des valeurs telles que la loyauté, le sacrifice, la discipline et la camaraderie. Les légionnaires s’engagent à servir avec honneur et fidélité, prêts à donner leur vie pour la Légion. Ils font vœu de ne jamais abandonner un camarade au combat et de ne jamais reculer, même face à une mort certaine. La discipline est essentielle, avec un respect strict de la hiérarchie et des ordres. La camaraderie est une valeur fondamentale, où chaque légionnaire est le frère d’arme de l’autre, quelles que soient leurs origines. C’est un code exigeant qui incarne le dévouement total au service, la solidarité et l’intégrité, faisant de la Légion étrangère l’une des unités militaires les plus respectées au monde.
Les Juifs d’Algérie ont vécu une période de profonds bouleversements avec la guerre d’indépendance qui a éclaté en 1954. Avant cela, la communauté juive d’Algérie avait des liens historiques profonds avec le pays, ayant vécu en harmonie avec les musulmans et les Européens. Cependant, la guerre d’indépendance a entraîné des tensions croissantes, des violences et des actes antisémites, poussant de nombreux Juifs à quitter le pays pour échapper à cette situation.
Le film fait la différence entre les Algériens et les Algérois. Elle réside dans la perspective géographique. « Algérien » se réfère à une personne originaire de l’Algérie, quelle que soit la région du pays. En revanche, « Algérois » fait référence aux habitants d’Alger, la capitale de l’Algérie. Cette distinction souligne la diversité culturelle du pays, avec différentes régions et une variété de cultures et de coutumes.
La guerre d’indépendance a également eu un impact sur l’identité des Algériens et des Algérois, marquant un tournant historique dans leur histoire collective. Les Juifs, en tant que composante importante de la société algérienne, ont été profondément touchés par ces événements, marquant la fin d’une époque d’harmonie intercommunautaire et le début d’une nouvelle ère pour le pays et ses habitants. Le film met en avant ce désarroi et cette éternelle question « On vivait bien comment on en est arrivé là », poussant des familles à fuir un pays qui était leur, qui les a vu grandir sur plusieurs générations.
L’exode des Juifs d’Algérie a engendré un profond déracinement et une fracture identitaire au sein de cette communauté. Pour de nombreuses familles, quitter un pays où elles avaient vécu depuis des générations a créé un déchirement douloureux, les privant de leurs attaches culturelles, de leurs traditions et de leur histoire. Cette perte de repères a alimenté un sentiment de déracinement, les laissant dans une quête perpétuelle de leur identité, partagés entre leur héritage algérien et le besoin de s’intégrer dans leur nouveau pays d’accueil.
Cette fracture identitaire, provoquée par l’exil forcé, a laissé des cicatrices profondes dans le tissu social et psychologique de cette communauté, tout en témoignant des bouleversements historiques et culturels de l’époque. En regardant ce film, on en ressort grandi, car même si la nouvelle génération n’a pas vécu directement cela, on comprend mieux les conséquences du déracinement et ce malêtre de certains anciens.
https://direct-actu.fr/2023/11/10/le-petit-blond-de-la-casbah-un-hymne-au-cinema-et-au-vivre-ensemble/
.
Rédigé le 10/11/2023 à 20:20 dans Algérie, Cinéma, France, Guerre d'Algérie, Société | Lien permanent | Commentaires (0)
Bloqué depuis cinq longues années, le film sur Larbi Ben M’hidi du réalisateur Bachir Derrais pourrait bientôt être projeté dans les salles en Algérie.
Le gouvernement semble avoir levé toutes les réserves émises sur ce biopic consacré à un des héros les plus prestigieux de la révolution algérienne.
Entamé en 2015, le tournage du film « Larbi Ben M’hidi» a été achevé en 2018. Théoriquement, il devait être projeté dès 2019, mais la commission de visionnage du ministère des Moudjahidines qui devait donner le quitus avait émis plus d’une cinquantaine de réserves sur ce film qui a coûté la bagatelle de plus de 4 millions d’euros.
Entre autres griefs reprochés au réalisateur : évocation des désaccords entre des dirigeants du FLN, notamment entre Larbi Ben M’hidi et Ahmed Ben Bella ainsi que l’association des Oulémas musulmans algériens et le peu de places accordées aux atrocités commises par l’armée coloniale.
Film sur Larbi Ben M’hidi : « On espère cette fois que c’est la bonne »
La commission avait estimé également que l’enfance de Larbi Ben M’hidi n’a pas été suffisamment racontée, tout comme les tortures que le héros de la révolution avait subies.
« La version est interdite de projection et d’exploitation », avait alors décrété la commission.
Depuis, c’est le début d’un bras de fer entre le réalisateur et les ministères des Moudjahidine et de la Culture, coproducteurs du film avec respectivement 28% de participation et 35%, le reste du financement provenant du sponsoring.
Ce n’est que quatre ans plus tard, avec l’arrivée de nouveaux titulaires au portefeuille des Moudjahidine, Laïd Rebiga en remplacement de Tayeb Zitouni et Soraya Mouloudji en remplacement de Azzedine Mihoubi que la situation a commencé à se dénouer.
Au terme de plusieurs séances de visionnage, plusieurs réserves ont pu ainsi être levées. « Il y a des choses retouchées, mais il n’y a pas de scènes coupées », affirme Bachir Derrais, joint ce samedi par téléphone.
« Toutes les réserves ont été levées et on devrait signer un accord incessamment », ajoute-t-il.
Reste que pour le réalisateur, il appartient aux distributeurs exclusivement d’annoncer la sortie du film. « Le ministère des Moudjahidine veut faire croire à l’opinion que le film lui appartient. Or, c’est le fruit d’un montage financier. Il n’a pas respecté l’accord. C’est aux distributeurs d’annoncer la sortie du film. La communication doit être laissée aux professionnels », dit-il.
Même s’il demeure « prudent »,- la sortie du film ayant été annoncée plusieurs fois, ces trois dernières années- Bachir Derrais estime cependant que son éventuelle projection sera une « délivrance ». « On espère cette fois que c’est la bonne. C’est plus une délivrance que de la joie. Car ils ont tué la carrière du film », déplore-t-il.
Par: Karim Kebir
https://www.tsa-algerie.com/sortie-bientot-du-film-sur-larbi-ben-mhidi/
.
Rédigé le 08/10/2023 à 18:54 dans Alger, Algérie, Cinéma, France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
Le court métrage «Hamassat El Fadjr» (Murmures de l’aube) du réalisateur Kamel Rouini, produit dans le cadre du soixantenaire du recouvrement de la souveraineté nationale, a été projeté en avant-première, samedi, à la Cinémathèque d’Alger.
Le film de 17 minutes, écrit par feu Mohamed Adlène Bekhouche et produit par le Centre algérien de développement du cinéma (CADC), met en avant la participation et le rôle important des enfants durant la Glorieuse guerre de libération nationale.
Le court métrage raconte l’histoire du petit Hocine, incarné par Abdelfatah Ghouini, qui refuse l’abattage de son chien après la décision des révolutionnaires de se débarrasser des chiens du village dont l’aboiement la nuit attirait l’attention de l’ennemi.
Pour que son chien échappe à ce triste sort, Hocine l’emmène dans une cachette dans la montagne et continue de s’en occuper à l’insu de son père moudjahid.
Une nuit, alors qu’il se rendait dans la cachette pour nourrir son chien, Hocine aperçoit en chemin une patrouille de l’armée française en direction du village où se trouvaient les moudjahidine. Aussitôt, il s’empresse d’en avertir les révolutionnaires et réussit à le faire à temps.
A travers cette première expérience de réalisateur de cinéma, Kamel Rouini a plongé le spectateur dans un univers plein d’humanité, en montrant la contribution des enfants durant la Glorieuse guerre de libération nationale, lit-on sur l’APS.
septembre 3, 2023 - 1:53
https://www.algeriepatriotique.com/2023/09/03/un-court-metrage-sur-le-role-des-enfants-pendant-la-revolution-en-avant-premiere-a-la-cinematheque-dalger/
.
Rédigé le 03/09/2023 à 16:53 dans Cinéma, France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
2023 08 31
travers "Papicha", la réalisatrice Mounia Meddour défend le combat féministe d’une génération : celle des femmes algériennes des années 90, soumises à l’oppression de plusieurs groupes islamistes pendant les années de guerre civile. Un manifeste féministe et engagé, à découvrir ce jeudi 31 août sur La Trois.
Nous sommes à Alger, dans les années 90. À cette époque, l’Algérie est la proie d’une violente guerre civile qui fera plusieurs dizaines de milliers de victimes. Pour les habitantes du pays, c’est donc une décennie noire qui s’esquisse, à mesure que les groupes islamistes gagnent du terrain. Privées de bon nombre de leurs libertés, celles-ci devront dorénavant lutter pour s’habiller comme elles l’entendent.
Parmi elles, Nedjma, une étudiante en licence de français passionnée par le stylisme, dont la coquetterie lui vaut quelquefois de se faire appeler "papicha". "Un mot qu’on utilisait beaucoup dans les années 90, qui voulait dire jeune et jolie fille, émancipée, coquette…", explique à ce propos la réalisatrice Mounia Medour lors d’une entrevue accordée aux Grenades.
Refusant de porter le hijab, la jeune femme décide d’organiser un défilé de mode clandestin au sein de sa résidence universitaire pour se révolter contre les extrémistes islamistes…
Comme Nedjma, Mounia Meddour a elle aussi été étudiante dans l’Algérie des années 90. Elle a étudié pendant un an à la faculté de journalisme d’Alger, avant de partir s’installer en France avec sa famille. À travers ce film, c’est donc un pan de sa propre histoire qu’elle raconte, même si une part importante du scénario relève de la fiction. Ainsi, elle confie à AlloCiné que la passion dévorante de son personnage pour la mode a avant tout "une dimension symbolique". "Ce que les islamistes voulaient, à cette époque-là, c’était cacher le corps des femmes", rapporte-t-elle d'ailleurs, avant de poursuivre :
Pour moi, la mode, qui dévoile et embellit les corps, constitue une résistance aux foulards noirs.
Dès sa sortie en 2019, "Papicha" connaît un succès retentissant non seulement auprès du public, puisqu’il comptabilise pas moins de 250.000 entrées au box-office, mais également auprès de la critique, qui l’encense de toutes parts.
Présenté au Festival de Cannes dans la catégorie "Un Certain Regard", il est par la suite couronné de nombreux prix, avec notamment le César du meilleur film et le César du meilleur espoir féminin, remis à son actrice principale Lyna Khoudri.
Dans la foulée, il est même retenu pour représenter l’Algérie dans la course aux Oscars, alors même que le gouvernement algérien refuse qu’il soit projeté en salles sur son territoire…
2023 08 31
Par Elise Vander Goten via
https://www.rtbf.be/article/papicha-le-combat-dune-passionnee-de-mode-face-aux-extremistes-islamistes-11248619
.
Rédigé le 31/08/2023 à 14:01 dans Algérie, Cinéma, Décennir noire | Lien permanent | Commentaires (0)
Les commentaires récents