Chargée officiellement de la défense du Pays depuis l’indépendance, l’Armée Nationale Populaire (ANP), ce pilier du régime algérien qui a de tout temps œuvré dans les coulisses du pouvoir, a été contrainte, après le 22 Février 2019, apparaître au grand jour comme »le véritable faiseur de rois ».
La révolution du sourire, qui a poussé tout un peuple dans les rues des villes d’Algérie et d’ailleurs, demandant un changement de système et un Etat civil, s’est vite heurtée à l’entêtement d’un Etat-major de l’armée, pressé de reconstruire une »façade civile » derrière laquelle s’abriter à nouveau pour tirer les ficelles et continuer à survivre.
La primauté des forces armées sur le politique ne date pas d’hier. On sait qu’en 1957, Abbane Ramdane, véritable tête pensante du FLN, a payé de sa vie sa volonté d’imposer « la primauté du politique sur le militaire ». Il est étranglé en décembre 1957, au Maroc, sur ordre du chef militaire du service de renseignements et de contre-espionnage de la révolution algérienne…
C’est encore ce même mauvais scénario que tentent de rejouer aujourd’hui quelques hauts responsables de l’Armée algérienne, étouffer le Hirak en emprisonnant ses symboles, en divisant notre nation et en imposant un président et un gouvernement serviles et sans personnalités. Une erreur du pouvoir militaire que certainement paiera chère l’Algérie.
Car nous sommes très nombreux à penser que comme toute institution de notre patrie, notre armée ne devrait plus échapper au contrôle civil effectif ou à la critique fondée et constructive de ses activités qui doivent se limiter à la mise en œuvre de la politique de défense.
Celle-ci devrait être définie par une stratégie de sécurité nationale en association avec le parlement, véritable représentant du peuple, afin d’éloigner définitivement la grande muette du politique.
S’il ne faut certes pas dénier à l’ANP, et nous en sommes tous convaincus, un rôle important et crucial dans la stabilité de l’Algérie dans la défense de ses frontières et dans la lutte implacable engagée contre le terrorisme, il faut toutefois reconnaître que ses chefs ont été responsables de la transition démocratique ratée du début des années 1990, lorsqu’ils avaient décidé, à tort ou à raison, d’interrompre les législatives que s’apprêtaient à remporter les islamistes.
Est-ce d’ailleurs par crainte de devoir assumer à nouveau un échec dans la marche vers la démocratie qui expliquerait que le nouveau chef d’Etat Major, Said Chnegriha ne veuille pas se réinvestir directement dans la gestion du politique ?
Le Général Major – Chef d’Etat Major de l’armée Said Chnegriha
Ou serait-ce parce que l’armée ne souhaite pas se retrouver à gérer des situations économique et sociale extrêmement difficiles et préoccupantes qui se profilent à l’horizon algérien à très court terme et susceptibles d’alimenter le potentiel de violences urbaines ?
Si le peuple algérien aspire légitimement à vivre dans un état de droit, doté d’institutions démocratiques fortes, ou le droit de chacun est garanti en matière d’égalité des chances, de liberté de culte, ou d’expression, l’histoire de son soulèvement pacifique récent rappelle celle d’autres nations.
La révolution des Œillets qui a eu lieu en avril 1974 et qui a duré deux ans, avait entraîné la chute de la dictature militaire qui dominait le Portugal depuis plus de 40 ans. Cette révolution avait vu des militaires porter un véritable projet démocratique prévoyant une mise en place d’un gouvernement civil, et l’organisation d’élections libres qui a réussi a renverser le régime, sans instaurer un régime autoritaire.
Cet événement a été le début de la démocratisation de tout le sud de l’Europe, entraînant la chute de plusieurs dictatures dont celles d’Espagnole ou de Grèce.
Plus récemment, la révolution au Soudan qui a suscité un changement politique majeur du régime, s’était poursuivie pendant huit mois par un mouvement de désobéissance civile entraînant la chute du président Omar el-Béchir par les militaires qui l’y avaient placés, après trente ans de pouvoir…
En juillet 2019, les représentants de la société civile et l’armée acceptaient la formation d’un Conseil de souveraineté composé de cinq militaires, cinq civils et d’un onzième membre choisis par consensus, et qui assurera la transition démocratique jusqu’à la tenue d’élections d’un gouvernement civil.
Pour ce qui est de notre pays, les évolutions positives adaptées aux aspirations du peuple et dirigées dans le sens de la marche des nations modernes, ne devraient plus être éludées par l’ANP.
Notre armée doit se concentrer sur son organisation et doit continuer la professionnalisation de ses forces armées entamées au début des années 2000, tout en accélérant l’abandon progressif de la conscription dès lors que le retour de la paix civile est acté.
En effet, la professionnalisation de l’ANP semble être incontournable du fait de la réorganisation de l’armée et de la modernisation de ses équipements par un armement récent dans l’aviation de combat ou dans la défense aérienne du territoire pour ne prendre que ces exemples.
»Les appelés de la circonscription ne passent pas assez de temps pour être formés, et s’ils le sont, ils ne restent pas assez longtemps pour utiliser l’armement militaire. C’est une perte humaine et financière colossale pour l’armée. » Nous apprendra un retraité militaire algérien.
Cette professionnalisation des effectifs de l’armée qui reste soumise aux dispositions de la loi relative au statut du personnel militaire, adoptée en 2006 en remplacement de celle de 1969 régissant ce corps, doit à notre sens être réformée pour s’adapter aux impératifs modernes des armées.
Si les dispositions de cette ordonnance de loi, signée par le président déchu Abdelaziz Bouteflika le 28 Février 2006, limitent les activités politiques des membres de l’ANP, on notera qu’elle a permis dans son article 5, la création d’un conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM) présidé par le Ministre de la Défense- Président, qui décidera des promotions de carrière ou de la mise à la retraite de tous les officiers de l’armée, généraux et les généraux-majors compris.
Cette même loi a par ailleurs réglementé la mise en retraite de tous les membres de l’armée en fonction de l’âge et de la durée de service.
Ainsi, le chef d’état-major ne peut dépasser l’âge de 64 ans dans son poste, et le général Major 60 ans, ou encore le général 56. De même un colonel ne pourra dépasser l’âge de 53 dans son poste et 48 pour le lieutenant-colonel, ou enfin 45 ans pour le commandant.
Au-delà de cet âge, aucun officier qui aura atteint l’âge de la retraite ne pourrait potentiellement rester dans les rangs de l’armée.
Sauf que l’ex président Abdelaziz Bouteflika s’est laissé la possibilité, à travers l’article 21 de cette ordonnance de loi, de prévoir des dérogations spéciales au profit de certains officiers supérieurs…
Si l’armée algérienne compte aujourd’hui autant de généraux et de généraux majors qui ont largement dépassés l’âge limite, auraient-ils tous réellement bénéficié de cette dérogation présidentielle décidée au CSFM ? On ne demande qu’à voir…
D’autre part, ce nouveau statut balisé par l’ordonnance-loi 2006, exclut à travers l’article 26 à tout officier la possibilité de s’exprimer dans les médias ou d’animer des conférences sans l’accord préalable de sa hiérarchie et prévoit même de lourdes sanctions qui peuvent aller jusqu’à la radiation et la suppression du grade contre les contrevenants…
La question qui se pose est : que cela soit feu Gaid Salah, qui avait multiplié les déclarations médiatisées ou le récent chef d’Etat major Chengriha qui vient de révéler dans sa récente déclaration que l’armée était à l’origine de la désignation de président de la république Abdelmadjid Tebboune, ont-ils réellement obéi à la loi et ont-ils eu l’autorisation de leur chef hiérarchique qui est le Ministre de la défense ? Là encore nous demandons à voir…
L’Armée Nationale Populaire, pilier et institution fondamentale de notre nation, se doit d’être tout aussi cohérente qu’exemplaire dans son action en interne ou au sein de l’environnement qui l’entoure, elle ne pourra désormais plus se permettre de déroger à la loi ou à la constitution.
Sa modernisation et sa professionnalisation passent nécessairement par le respect des règles d’alternance générationnelle et de l’évolution de ses nombreuses jeunes compétences, bloquées aujourd’hui par des dispositions légales opaques obscures, voire fluctuantes en fonction des jeux de forces entre présidence, services de renseignements et Etat-Major de l’armée. Il serait tout aussi improductif que dangereux que la hiérarchie militaire, à l’heure des grands défis à laquelle elle fait face ( surveillance des frontières, Guerre en Libye, instabilité du Sahel, terrorisme, narcotrafic…) soit impliquée dans le blocage de ce processus capital pour l’ANP.
Amir Youness
http://www.presse-algerie.net/info/389657-analyse-ndash-l-rsquo-armee-algerienne-sur-le-pied-de-guerre-en-interne.html
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