REPORTAGE. Une des destinées mythiques de l'Algérie se trouve à 70 km à l'ouest d'Alger, là où se marient le soleil d'Afrique du Nord et le bleu de la Méditerranée.
Les quelques imprécisions historiques du gardien et l'incivisme de certains visiteurs qui laissent traîner bouteilles d'eau vides ou emballages de sandwichs ne devraient décourager celui qui vient admirer les ruines de Tipasa, à quelque 70 kilomètres à l'ouest d'Alger. Ici, à fleur de rochers plongeants dans la Méditerranée, on peut rêvasser devant les vestiges d'une puissante cité maritime romaine puis byzantine, bâtie sur elle-même sur l'emplacement d'un comptoir punique inféodé à Carthage. « Je comprends ici ce qu'on appelle gloire : le droit d'aimer sans mesure » : la citation d'Albert Camus a été gravée sur ce site dans une pierre, témoignage de la passion du Prix Nobel de littérature pour Tipasa.
Histoire de vestiges
Il faut se promener ici, profitant de l'ombrage des pins maritimes, à travers les vestiges ou en suivant une des deux voies pavées, le cardo maximus et le decumanus, en répétant la phrase qui ouvre ce texte magnifique « Noces à Tipasa » : « Tipasa est habitée par les dieux, et les dieux parlent dans le soleil et l'odeur des absinthes. » Il faut se perdre dans ce dédale de pierre, de sauge et de chants de cigales, apercevoir la mer en contrebas et le Chenoua, la grande montagne qui repose sur la mer côté ouest et imaginer les premiers marins arrivant de Carthage (ou d'ailleurs, Phéniciens ou autres) pour y mouiller dans ses eaux profondes leurs embarcations avant de continuer vers les Colonnes d'Hercule ; imaginer, en visitant les ruines de l'amphithéâtre, les combats des gladiateurs ou s'approcher encore de la mer pour se voir notable romain installé dans la villa des Fresques (de 1 000 mètres carrés), construite vers le IIe siècle de notre ère, quand la ville abritait quelque 20 000 habitants.
« Que d'heures passées à écraser les absinthes, à caresser les ruines, à tenter d'accorder ma respiration aux soupirs tumultueux du monde ! Enfoncé parmi les odeurs sauvages et les concerts d'insectes somnolents, j'ouvre les yeux et mon cœur à la grandeur insoutenable de ce ciel gorgé de chaleur. » De chaleur et d'histoire, fracas des époques, de crépuscules catalytiques d'empires. Ses remparts (2 200 mètres défendus par une trentaine de tours, construites par l'empereur Claude Ier) avaient protégé la cité prospère contre les assauts de la révolte du général berbère Firmus (vers 732) contre l'Empire, mais la puissante enceinte de pierre n'a pas résisté à la vague destructrice des Vandales de Genséric (en 430).
Sous le soleil brûlant de Tipasa
La reprise de l'Afrique du Nord par les Byzantins, un siècle plus tard, n'offre qu'un sursis à la belle cité portuaire qui finira enlisée et oubliée dès le VIe siècle, avant que les recherches archéologiques, au XIXe siècle, ne révèlent au monde l'incroyable trésor dormant sous les sédiments et les ombres des pins maritimes, balayés par la brise marine et la rumeur des légendes. Tiens, en voilà une de légende : celle du martyre de sainte Salsa ! Sur la colline surplombant les ruines se dressent les vestiges de la Basilique Sainte-Salsa, un sarcophage en pierre à moitié préservé est même réputé être celui de la jeune sainte chrétienne, qui à 14 ans se révolta contre le rituel d'adoration d'une statue de dragon qu'elle jeta à la mer. Noyée, la mer se déchaîna, et un pêcheur gaulois, Saturnin, récupéra le corps de la jeune Fabia Salsa, et c'est ainsi que les flots se calmèrent. Montez tout en haut (la pente n'est pas si rude) et touchez ces pierres élevées pour la gloire de cette si jeune et frêle habitante de Tipasa. Et là, relisant Camus, encore une fois : « La basilique Sainte-Salsa est chrétienne, mais à chaque fois qu'on regarde par une ouverture, c'est la mélodie du monde qui parvient jusqu'à nous : coteaux plantés de pins et de cyprès, ou bien la mer qui roule ses chiens blancs à une vingtaine de mètres. La colline qui supporte Sainte-Salsa est plate à son sommet et le vent souffle plus largement à travers les portiques. Sous le soleil du matin, un grand bonheur se balance dans l'espace. »
À ne pas rater dans les environs :
Les musées de Tipasa et de Cherchell : avec celui de Cherchell (l'antique Césarée, tout près par la route), ces deux musées offrent une belle représentation des pièces archéologiques de ces deux sites romains-bérbères. Au musée de Cherchell, une statue colossale d'un empereur romain (probablement Auguste) et un magnifique Apollon attribué à Phidias ainsi que les mosaïques d'une rare beauté, dont une représentant Ulysse et ses marins tentés par le chant des sirènes.
Le Tombeau de la chrétienne ou Mausolée royale de Maurétanie : ce tumulus de pierre de 80 000 mètres carrés, orné de soixante demi-colonnes et de portes géantes condamnées, surplombant la route rapide Alger-Tipasa, serait la sépulture du roi numide Juba II (qui régna de 25 av. J.-C. à 23 ap. J.-C.) et de son épouse, la reine, aimée du peuple, Cléopâtre Séléné, fruit de l'union entre l'illustre reine d'Égypte et Marc Antoine.
Ceci est un pays à l’âme écorchée A vif, rouge sang, plaie ouverte Il cherche à travers milles pensées Sa racine, son cœur, les raisons de sa perte.
Etrangers qui d’une autre peau Rejetez la sueur Savez- vous cette déchirure du matin ? Sous un ciel éloigné
Quand pour nourrir les siens Le maure quitte son passé, ses images Renonce à sa sève, à son orient Pour les outrages de l’occident.
L’homme plein de pudeur En silence soufre et pleure. Sur la pierre assis Il décore son espace De mots arabes Imagine un monde meilleur Riche de vives lumières et saveurs.
Beur, arabe, raton, gris Tous ces mots pour une vie Qui cherche un nouvel horizon Loin des murs d’une sinistre prison.
Existe-t-il un lieu Où vivre et mourir Ne portent pas le même nom ?
Existe-t-il un lieu Où l’on pardonne la couleur de la peau ?
Existe-t-il un lieu Où l’on enchaîne la haine ?
Existe-t-il un lieu Où l’exile soit doux miel Et non fiel amère d’un ciel désœuvré ?
Quand arrêtera-t-on Le massacre des innocents ?
Apporte- moi tes yeux Que je lise dans ton regard Le message du désert.
Je n’étais ni de vos armateurs ni de vos équipages lorsque de vos ports de l’Atlantique, vous affrétiez vos bateaux pour y charger du « nègre » réduit en esclavage et le transportiez vers le nouveau monde.
Je ne portais pas vos uniformes quand: « Je naquis quand la patrie périssait. Vingt mille Français vomis sur nos côtes, noyant le trône de la liberté dans les flots de sang, tel fut le spectacle odieux qui vint le premier frapper mes regards… »
Ma terre était rude, elle avait besoin de mes bras, de mes forces, de mon temps. Ceux d’Haiti, de Madagascar, d’Afrique, d’Indochine avaient les leurs en plus de leur langue de leur culture, de leur savoir, de leur histoire… Ma terre me suffisait, je n’avais nul besoin de conquête, de pacification, de colonisation; j’aimais trop la liberté pour avoir le goût de soumettre, de contraindre, d’imposer et je n’étais pas des vôtres à Sétif…mais j’étais à Charonne.
« Il y a cent ans, comme un, comme une, Comme un espoir mis en chantier, Ils se levaient pour la Commune, En écoutant chanter Pottier… »
Et en face, vous toujours, arrogants, méprisants, oppresseurs, tyrans…Versaillais et Prussiens côte à côte, les militaires, les curés, les privilèges, les monopoles, les bourgeois contre le peuple.
Verdun,
au « Chemin des Dames », au « bois des Caures », vous nous aurez bien fait saigner avec cette « fleur au fusil !!! », le 173 ème y a versé sa part, il en est sorti exsangue et la Corse avec.
Vichy,
vous étiez bien plus nombreux du côté de la collaboration que dans les maquis de la résistance et les trains qui partaient pour les camps de la mort ne vous ont pas fait perdre le sens des affaires.
Vous contre les peuples toujours, vous agrippés à vos coffres forts, chantant, dansant, buvant au coeur du « Gai Paris » sur le même tempo que la « peste brune »… Le « Arbeit macht frei » bras dessus, bras dessous avec le « Famille, Travail, Patrie »…tandis qu’à deux pas, rue Lauriston, on interrogeait, torturait, exécutait.
Mais les bouchons de vos bouteilles de Champagne couvraient leurs plaintes. Et les collabos d’ici, trinquaient aussi quand: « Tout а l’heure je partirai. Si vous saviez comme je suis calme, je dirai presque heureux de mourir pour la Corse et pour le parti. La tête de maure et la fleur rouge c’est le seul deuil que je demande… ». Nicoli, Giusti, Scamaroni, Griffi, Mondoloni, Vincetti è tanti è tanti…
Et c’est encore dans l’obscurité de votre ombre portée que l’on retrouve partout, au quatre coins du monde, tous les crimes commis contre l’humanité. Contre les Indiens d’Amérique du Nord et ceux d’Amérique du Sud, de Pol Pot en passant par l’Ukraine affamée par Staline, du génocide Arménien à la Shoah, jusqu’à l’horreur de l’ethnocide planifié au Rwanda. Partout votre ADN, vos empreintes: les rêves de puissance, le besoin de dominer, d’asservir, l’appropriation du bien des autres…le racisme.
Et lorsque vous n’y participez pas, vous ne les empêchez pas, vous ne vous opposez pas et vous ne les dénoncerez que lorsque cela ne nuira pas à vos intérêts. Vous encore, le droit que vous donne votre fortune et votre force armée, contre mes droits d’homme et contre le droit des peuples à disposer d’eux mêmes.
Parce qu’il vous faut toujours plus, vous nous prendrez toujours plus et parce que vous avez déjà tellement pris, il ne reste plus rien aujourd’hui pour faire face à la pandémie. Pour prévenir, pour protéger, pour soigner, l’obole que je mettais dans le tronc commun a été pillée par vos soins et pour satisfaire vos seuls intérêts…
Les miens, vous les avez pendus au Niolu, assassinés dans le Fium’Orbu, décimés leurs troupeaux, brûlés leurs villages et leurs récoltes, mais aussi massacrés à Haymarket Square à Chicago, en Irlande ceux des United Irischmen jusqu’à Boby Sand, les fusillés de Fourmie et dans vos mines du Nord lorsqu’ils réclamaient du pain, exécutés pour l’exemple à Verdun, torturés et assassinés lorsque dans les djébels et les rizières ils voulaient vivre debout, tout comme à Guernica, tout comme à Pointe-à Pitre un beau mois de mai 67, ou à Ouvéa…Je n’étais pas avec vous non plus pour soutenir et armer le régime d’apartheid en Afrique du Sud.
Et parce-que dans tout cela, il n’y a pas d’accident de l’histoire mais simplement l’HISTOIRE, votre histoire qui n’est pas la mienne, le 1er mai j’irai dans la rue vous l’affirmer: je ne suis pas des vôtres!!! J’irai de 10h à 11h, muni de l’autorisation de sortie que vous avez la grâce de m’accorder, arpenter la place San Nicolau à Bastia.
L’agora, l’ espace public de rassemblement social, politique de ma cité, le rendez-vous où l’on se promène, où l’on apprend les nouvelles, où se forment les courants d’opinion.
J’irai sans provocation, je respecterai les distances de sécurité, je porterai mon masque s’il est arrivé de Chine, des gants si j’en trouve mais je n’aurai pas de muguet à la main. Je laisse cette fleur toxique aux amis de Pétain et à sa fête du travail, je préfère la fête des travailleurs et le rouge de l’églantine. Mais je n’aurai pas non plus d’églantine à la main! Cette fleur qui soignait la rage des chiens, n’a pas su guérir la votre… Chiens de guerre d’hier et chiens de guerre d’aujourd’hui, de Corse et d’ailleurs.
« U baghu », l’arbouse, ce fruit est sauvage, il est de mon pays… L’arbousier a la particularité d’avoir en même temps sur ses branches, les fleurs et les fruits rouges qui apparaissent en septembre octobre…
Alors oui, j’irai sur mon agora le 1er mai, quelque chose de rouge sur moi, tout en même temps per u baghu, pour le coquelicot, le temps des cerises, la fleur de Jean Nicoli et en pensée avec tous les humiliés de la terre, tous les sans terre, tous les sans droit, tousceux pour qui vous avez fait de leur vie, une non vie ou un enfer…en attendant que les fruits mûrissent.
Parce que si nous voulons un nouveau monde, il nous faudra aller le chercher…
LA REVUE NAQD CONSACRE UN NUMÉRO SPÉCIAL À ABDELKRIM EL-KHATTABI
Les contributions de plusieurs historiens, universitaires et professeurs marocains, algériens et espagnols retracent le parcours du révolutionnaire et la naissance de son mouvement de résistance qui en érigeant un “État rifain” constituait “la première étape vers la libération de l’ensemble du Maroc et du Maghreb”.
La revue d’études et de critique sociale Naqd consacre un numéro spécial (hors-série 5) au chef du mouvement de résistance rifain Abdelkrim El-Khattabi, intitulé Abdelkrim El-Khattabi et la libération du Maghreb (1921-2021), paru en juillet dernier. Les contributions de plusieurs historiens, universitaires et professeurs marocains, algériens et espagnols retracent le parcours du révolutionnaire et la naissance de son mouvement de résistance qui en érigeant un “État rifain” constituerait “la première étape vers la libération de l’ensemble du Maroc et du Maghreb”. Au premier quart du 20e siècle, les actes de résistance d’El-Khattabi “sont le couronnement des mouvements antérieurs de résistance à l’occupation étrangère.
Il n’est pas seulement une lutte contre l’envahisseur ‘chrétien’ comme les mouvements précédents, mais il les dépasse en quelque sorte, car c’est aussi une lutte contre l’exploitation des richesses du pays par les Européens et une pensée qui, par-dessus l’idée de tribu, incorpore l’idée de nation”, écrit dans sa contribution Maria Rosa de Madariaga, historienne espagnole spécialiste des relations maroco-espagnoles. Si, au début de sa carrière, Mohamed ben Abdelkrim de son vrai nom reçoit les honneurs espagnols pour ses services – il est enseignant, secrétaire-interprète du bureau des affaires indigènes, cadi puis premier juge de la ville de Mellila – les répercussions de la Première Guerre mondiale vont changer la donne. “L’incertitude quant à l’avenir de la zone du protectorat dans le cas d’une défaite de la France dans la guerre” incitent Abdelkrim El-Khattabi et son père faqih à rompre leurs liens avec les autorités coloniales. Sans les combattre, les deux érudits n’étaient plus “disposés à leur prêter leur appui comme auparavant”. Autre élément important de cette rupture, l’appui du père et du fils à l’Allemagne et à la Turquie durant la guerre, suscité par la confrontation de ces deux nations avec la France. Emprisonnement, représailles, pressions et menaces seront le lot de la famille rifaine, même si le juge en charge de l’affaire déclarera qu’aucun délit n’a été retenu à l’encontre des prévenus. Les autorités espagnoles maintiendront le père en prison en l’obligeant à apporter de nouveau sa collaboration.
L’exil et la naissance d’une résistance transmaghrébine Quelques années après sa sortie de prison, le faqih Abdelkrim et ses enfants rejoignent la harka de Tafersit qui combattait les Espagnols. En 1926, Abdelkrim El-Khattabi se rend aux Français, qui s’étaient alliés aux Espagnols pour intervenir dans le Rif. Il est exilé à l’Ile de la Réunion au mois d’octobre. En 1947, soit après près de vingt ans d’exil, la France décide de l’assigner à résidence au sud de l’Hexagone. Mais alors que le bateau fait escale à Port Saïd en Égypte, il décide de descendre à terre et de demander l’asile politique au gouvernement égyptien. Durant cette période, il s’engage plus que jamais dans la lutte pour l’indépendance des pays du Maghreb. En décembre 1947, il est nommé président du Comité de libération du Maghreb arabe avec son jeune frère et un certain Habib Bourguiba comme secrétaire.
“Pour Mohamed ben Abdelkrim, l’indépendance du Maroc était indissociable de l’indépendance de deux autres pays du Maghreb, soit la Tunisie et l’Algérie”, écrit Madariaga. Précurseur, il allait devenir une figure de la lutte dans les pays de la région. Il déclarera à cet effet : “Je suis venu trop tôt !”, dans une interview accordée à la revue El-Manar. Son legs ne sera heureusement pas perdu quelques années plus tard. Malgré l’échec, sa contribution “devint le ferment de l’indépendance future des peuples colonisés de la rive sud de la Méditerranée et même d’autres continents”, remarque la contributrice.
Abondant dans ce sens, l’historien et directeur de la publication Naqd, Daho Djerbal, estime que l’historiographie contemporaine des pays du Maghreb montre que “de part et d’autre des frontières algéro-marocaines comme des frontières algéro-tunisiennes, des solidarités séculaires n’ont jamais cessé de se manifester entre populations apparentées”.
Et de poursuivre : “L’épisode de la guerre du Rif et le parti pris de l’émir Abdelkrim El-Khattabi de faire appel en août 1925 à la solidarité des peuples frères d’Algérie et de Tunisie n’est pas un fait du hasard. Une série d’événements répertoriés par l’historiographie maghrébine laisse à penser qu’une solidarité active des communautés frontalières existe de longue date.” Par ailleurs, l’épisode du rapprochement d’El-Khattabi avec le FLN est cité par le professeur d’histoire contemporaine de l’islam, Bernabé Lopez Garcia.
Selon le rapport de Fernando P. de Cambra, écrit-il, “El-Khattabi comptait sur la collaboration d’un secteur de l’Armée de libération et sur l’aide du FLN algérien, intéressé à l’ouverture d’un nouveau front à la frontière maroco-algérienne pour soulager le tension créée dans les confins algéro-tunisiens (…) Le rapport assure que lors d’une réunion de l’état-major du FLN au Caire en mai 1958, on était arrivé à un accord de combiner le soulèvement au Maroc et l’ouverture d’un deuxième front moyennant une action combinée”.
Comme une torche enflammée et perchée à plus de 800 mètres d’altitude, Larbâa Nath Irathène est dévorée par de gigantesques flammes visibles encore, hier matin, à plusieurs kilomètres à la ronde.
Les feux qui se sont déclarés, lundi, dans la commune d’Ath Yenni, vers 14 heures, ont tout détruit sur leur passage, laissant derrière eux des paysages de désolation et des villages en ruine et encore fumants. On dénombre une vingtaine de brûlés dont certains gravement atteints. `Les feux à Ath Yenni, ont parcouru, selon des témoins sur place, toutes les collines de la région, avant d’atteindre, vers 17 heures, le seuil des maisons du village de Taourirt Mokrane, à Larbâa Nath Irathène. Sur place, le constat est accablant. Les stigmates des flammes témoignent d’une nuit d’horreur. Après plusieurs heures de lutte héroïque, mais vaine, contre les feux, les jeunes de ce village, un des plus grands de la Kabylie, ont fini par se résigner.
“Il faut dire que les vents forts nous ont trahis et Dieu nous a abandonnés”, dit Samir, près de la cinquantaine, d’une voix éraillée, le visage sombre. Avec les jeunes de Taourirt Mokrane, il a lutté toute l’après-midi de lundi contre les flammes qui ont “atteint par moments une dizaine de mètres de hauteur”, témoigne-t-il encore, le regard hagard. Devant la persistance des feux, la nuit durant, “nos bras étaient impuissants”. “On a vite compris, à ce moment, qu’on y pouvait rien. Il ne nous restait alors seulement qu’à quitter les lieux et fuir les flammes”, dit encore Samir, président du comité de village de Taourirt Mokrane.
À partir de là, il fallait organiser, dans l’urgence, l’évacuation de plus de dix mille âmes, raconte Madjid, encore sous le choc. “J’ai alerté tout le village. Des jeunes ont frappé à toutes les portes, demandant aux habitants de ramasser ce qui pouvait être sauvé et quitter, en urgence, les lieux”, ajoute-t-il. À 9 heures, ce mardi, son village est enveloppé d’une épaisse fumée. L’air est à peine respirable. Maisons détruites, voitures carbonisées, végétation en cendres, bétail décimé… Taourirt Mokrane donne l’air de sortir d’un mauvais film d’horreur.
Le sinistre est partout le même et là où se pose le regard, il n’y a que ruine et dévastation. Quelques éléments de la Protection civile, soutenus par la population, s’efforcent, ici et là, d’éteindre ce qui reste des feux qui pénétraient en ville. “Les vents ont soufflé très fort toute la nuit. Nous avons pu maîtriser, à un moment les feux, mais à chaque fois le vent revenait à la charge et les feux repartaient de plus belle”, affirme le lieutenant Sid-Ali Merad, à la tête d’une brigade de la Protection civile composée de 28 éléments.
Cette colonne de la Protection civile, dépêchée d’Alger, est arrivée sur les lieux du sinistre, lundi soir, vers 19 heures. Depuis, “nous n’avons eu aucun répit”, affirme le jeune lieutenant, la voix presque éteinte d’épuisement. Devant le vent qui soufflait très fort, les éléments de la Protection civile n’avaient d’autre choix que de battre en retraite. “Notre seul souci était alors de sauver des vies. Et Dieu merci, nous avons sauvé une vingtaine de personnes piégées par les flammes”, dit-il, en avouant n’avoir jamais assisté à une telle “calamité”, de toute sa carrière.
Rachid, Saïd et Youva, des jeunes ne dépassant pas la trentaine, sont affalés sur le bas-côté de la route principale du village. Épuisés et résignés, ils n’ont plus la force de se remettre sur pied. “On n’en peut plus. Nous avons vécu un véritable cauchemar”, témoigne l’un d’eux. “C’était l’apocalypse. On avait l’impression de lutter contre des monstres qui crachaient du feu”, raconte-t-il, le visage assombri par les cendres. Il est à bout de force. Un autre jeune s’en être sorti in extremis. “J’ai failli être dévoré par les flammes, en tentant de sauver notre maison”, raconte-t-il, le visage triste.
“La solidarité, nous n’avons que ça”
Taourirt Mokrane n’est pas le seul village à avoir vécu une nuit d’horreur. La fumée qui monte encore de tous les villages entourant la ville de Larbâa Nath Irathène témoigne de la puissance des feux. Les pertes matérielles sont immenses. Les toits pulvérisés de plusieurs maisons à Ath Atelli, un village situé à deux kilomètres du chef-lieu Larbâa Nath Irathène, témoignent, à eux seuls, de la violence des flammes. “Une catastrophe qui s’est abattue sur notre village”, lâche un passant sur place. Comme Taourirt Mokrane, le village d’Ath Atelli a été déserté de nuit. “Nous avons commencé l’évacuation vers 18h30 quand les flammes avaient atteint les premières maisons”, témoigne Moussa, 28 ans, et président du comité du village.
“Tous les habitants ont été évacués vers le village d’Affensou ou encore vers le village d’Aït Oummalou, dépendant de Tizi Rached”, ajoute-t-il. Près de lui, une septuagénaire, venue constater les dégâts, est en pleurs, face à sa maison, détruite en partie par le feu. “Moussiba”, dit-elle, avant d’avouer n’avoir jamais vu ça de toute sa vie. Quelques jeunes reviennent aussi dans leur village pour constater les dégâts causés par les flammes de la veille. Le jeune président du comité de village, fait des recommandations à ses amis pour organiser la solidarité. “Nous n’avons que ça, la solidarité”, dit-il. Son village aurait sans doute été totalement décimé n’était la mobilisation de la population des autres villages voisins. “Tout le monde s’est mobilisé.
Des dizaines de jeunes nous sont venus en aide pour affronter les flammes”, affirme Moussa. Les aides sont arrivées de partout, ajoute-t-il. “Pas uniquement des villages voisins mais aussi d’autres villes et d’autres wilayas du pays”, dit-il. Du chef-lieu de la wilaya de Tizi Ouzou, de Boumerdès ou encore d’Alger, des dizaines de jeunes sont venus en effet porter secours aux villages sinistrés de Kabylie. Ils ont roulé parfois pendant la nuit, bravant le couvre-feu mis en place depuis la flambée des contaminations par la Covid-19. Abdennour, la quarantaine est l’un d’eux.
Après avoir vu les premières images des flammes dévorant les villages de Larbâa Nath Irathène, sans tarder, il remplira sa citerne, attachée à son tracteur, et parcourra, de nuit, plus de 40 kilomètres, pour venir en aide aux populations locales. Il n’est pas le seul à tendre spontanément la main à Larbâa Nath Irathène. Azeddine et son ami Rabah sont arrivés de Bordj Menaïel, avec leur fourgon chargé de vivres (pain, bouteilles d’eau minérale et caisses de jus de fruits). Eux aussi, c’est à travers les réseaux sociaux qu’ils ont appris que la région a été la proie des feux ravageurs.
“Nous n’avons pas hésité un instant. Dès que j’ai vu les premières vidéos circuler sur Facebook, j’ai appelé mon ami en lui demandant de se préparer pour organiser la solidarité. Nous avons chargé, à l’aube, notre fourgon et avons pris la route pour arriver ici vers 8 heures”, raconte Azeddine. À l’heure où nous mettons sous presse, les feux continuent de brûler encore à Fort National, cette citadelle jadis imprenable que les flammes ont vidée de ses habitants.
Avant de quitter la région, nous nous sommes rendus à l’EPH de la ville livré à des scènes insoutenables. Le personnel est complètement dépassé. C’est l’affolement devant les victimes qui arrivent sans discontinuité. Un médecin venu d’Alger affirme n’avoir jamais vu ça. “C’est une médecine de guerre”, lâche-t-il.
Le postulat de départ des deux auteures est de “juxtaposer deux expériences de vie, à la fois personnelle et professionnelle”, et de mettre “en parallèle des récits de vie écoutés, transcrits et analysés, d’une part, et ceux lus et analysés dans des fictions, dans la société algérienne, autour de deux noyaux durs : le viol et la filiation”.
Passé inaperçu à cause de la crise de Covid et du marché du livre en cette période de pandémie depuis l’année dernière, l’ouvrage Viols et Filiations (éditions Koukou) de l’universitaire Christiane Chaulet-Achour et de la psychanalyste Faïka Medjahed mériterait pourtant bien un focus en raison de l’importance du sujet qu’il traite : le viol, les traumas et la violence faits aux femmes. Les deux amies, chacune au parcours singulier, ont écrit cet ouvrage à quatre mains alors que resurgit la question de la violence et des féminicides de manière inquiétante ces dernières années. Le postulat de départ des deux auteures est de “juxtaposer deux expériences de vie, à la fois personnelle et professionnelle”, et de mettre “en parallèle des récits de vie écoutés, transcrits et analysés, d’une part, et ceux lus et analysés dans des fictions, dans la société algérienne, autour de deux noyaux durs : le viol et la filiation”, écrit la préfacière et sociolinguiste Dalila Morsly.
En littérature, Chaulet-Achour, qui analyse “le versant littéraire” de l’acte du viol durant la guerre de Libération et de la décennie noire, relève que “l’accent est mis plus sur ce qu’entraîne le viol que sur l’acte lui-même : d’où ce corps escamoté, circonscrire le positionnement de la vox de la narration, le choix de la personne verbale, les complicités ou les rejets concernant les acteurs (paroles dites, portraits, actes) : ce sont des indices du traitement littéraire du ‘motif’”. Louisette Ighilahriz, dans son témoignage dans Le Monde en 2000, dénonce, quarante ans après les faits, le viol qu’elle a subi de la part du capitaine Grazziani. Chaulet-Achour impute ce différé “aux circonstances familiales – le rapport aux parents – et à des blocages personnels”. Et à la professeure de littérature comparée d’ajouter : “Cette brèche dans le mur du silence sur le viol a provoqué (…) un petit tsunami dont les répliques se font sentir depuis dans des fictions qui s’autorisent à regarder le viol en face en franchissant le mur de la honte.”
Les années 1990 charrient aussi leur lot de dénonciations via le littéraire. Dans quelques-unes des œuvres choisies, comme Imzad de Fatna Gourari ou le recueil de nouvelles Sous le jasmin la nuit de Maïssa Bey, “les écrivaines prennent le point de vue de la femme (…) ; elles vont s’attarder sur les violeurs, notant leur haleine, leur regard, leur brutalité, quelques éléments de leurs convictions, donnant tous leurs ‘mots’ aux victimes”.
Du côté de Medjahed, plusieurs cas traités dans son cabinet défilent ; une maman dont l’enfant a été violé, le petit-fils d’un bandit d’honneur aux tendances suicidaires, des histoires de notre réel, que l’ont rencontre à travers les ouvrages. Elle relève pour la majorité d’ente eux des raisons sous-jacentes en rapport avec l’environnement familial, voire celui des ancêtres. Que faire des héritages qui sont les nôtres ? se demandent les autrices. Qu’en faire et comment y parvenir ? Il est ainsi nécessaire de mettre de la distance entre le passé, “non pour rejeter, écrivent-elles, mais pour parvenir à faire la part des choses. En négociant avec lui, en l’appréciant, le jaugeant, le jugeant”.
Au Maroc, il est extrêmement rare qu’on porte atteinte à la mère. Toute mère est sacrée. Son statut est de l’ordre de l’intouchable.
L’attachement à la mère, l’amour filial sont des données d’une grande importance. Il arrive que les relations avec le père soient conflictuelles, jamais avec la mère. On ne laisse pas les conflits dégénérer jusqu’à atteindre la mère.
C’est parce que le joueur italien Materazzi, lors de la finale de la Coupe du monde de football le 9 juillet 2006, a insulté la mère de Zidane, que ce dernier lui a asséné un coup dans le ventre, sacrifiant par là même la victoire de son équipe. Zidane avait réagi sans réfléchir, car sa mère venait d’être injuriée par un joueur qui cherchait à le déstabiliser.
Au Maghreb, on ne touche pas à la mère.
Voilà qu’un homme de 32 ans vient de tuer sa mère et de découper son corps avant de s’en débarrasser. Ce fait divers est choquant et incompréhensible. La police nous dit que l’individu en question a des antécédents psychiatriques et aurait même trempé dans des histoires de terrorisme. C’est dire combien le meurtrier est un cas isolé et très spécial.
Le matricide est une forme ultime de suicide. Tuer la mère, c’est entamer sa propre mort. C’est être en totale rupture avec la société et aller au-devant du pire.
Cet individu a dû perdre la raison et a dû confondre sa mère avec quelqu’un d’autre. Sinon, on ne comprendrait pas son geste, d’autant plus qu’après la mort il a procédé au démembrement du corps. Dire que c’est un fou, ne résout pas l’énigme. On se pose la question de son passé, de son enfance, de sa jeunesse. Etait-il en contact avec la victime ou bien il aurait découvert que cette personne était sa propre mère ?
Des écrivains, des poètes ont écrit des pages très belles et émouvantes sur la mère. Que ce soit Albert Cohen, dans «Le livre de ma mère» ou Vivian Gomick, avec «Attachement féroce», ou Saint-Exupéry (« Lettres à ma mère»), ou même Romain Gary «La promesse de l’aube», ils ont tous tressé des éloges pleins d’affection et d’amour à celle qui leur a donné naissance. Evidemment, Roman Gary est plus nuancé, car sa mère était un peu envahissante, lui disant souvent «Alors, tu as honte de ta vieille mère?».
J'ai vu le film très dur..
Résumé de La ballade de Narayama
Japon, milieu du XIXe siècle. Dans une région touchée par la famine, un village vit au rythme des saisons et de traditions archaïques. L'une d'elles veut que les vieillards qui atteignent 70 ans partent en pèlerinage sur le mont Narayama pour y mourir. Pour Orin, le moment semble venu. Mais la vieille femme est en parfaite santé et son fils Tatsuhei ne peut pas se résoudre à la conduire à la mort. Pour éviter le déshonneur, Orin décide alors de se casser les dents pour contraindre son fils à l'emmener sur la montagne.
Par Tahar Ben Jelloun (@Tahar_B_Jelloun) le 09/08/2021
Au Maroc, il est extrêmement rare qu’on porte atteinte à la mère. Toute mère est sacrée. Son statut est de l’ordre de l’intouchable.
L’attachement à la mère, l’amour filial sont des données d’une grande importance. Il arrive que les relations avec le père soient conflictuelles, jamais avec la mère. On ne laisse pas les conflits dégénérer jusqu’à atteindre la mère.
C’est parce que le joueur italien Materazzi, lors de la finale de la Coupe du monde de football le 9 juillet 2006, a insulté la mère de Zidane, que ce dernier lui a asséné un coup dans le ventre, sacrifiant par là même la victoire de son équipe. Zidane avait réagi sans réfléchir, car sa mère venait d’être injuriée par un joueur qui cherchait à le déstabiliser.
Au Maghreb, on ne touche pas à la mère.
Voilà qu’un homme de 32 ans vient de tuer sa mère et de découper son corps avant de s’en débarrasser. Ce fait divers est choquant et incompréhensible. La police nous dit que l’individu en question a des antécédents psychiatriques et aurait même trempé dans des histoires de terrorisme. C’est dire combien le meurtrier est un cas isolé et très spécial.
Le matricide est une forme ultime de suicide. Tuer la mère, c’est entamer sa propre mort. C’est être en totale rupture avec la société et aller au-devant du pire.
Cet individu a dû perdre la raison et a dû confondre sa mère avec quelqu’un d’autre. Sinon, on ne comprendrait pas son geste, d’autant plus qu’après la mort il a procédé au démembrement du corps. Dire que c’est un fou, ne résout pas l’énigme. On se pose la question de son passé, de son enfance, de sa jeunesse. Etait-il en contact avec la victime ou bien il aurait découvert que cette personne était sa propre mère ?
Des écrivains, des poètes ont écrit des pages très belles et émouvantes sur la mère. Que ce soit Albert Cohen, dans «Le livre de ma mère» ou Vivian Gomick, avec «Attachement féroce», ou Saint-Exupéry (« Lettres à ma mère»), ou même Romain Gary «La promesse de l’aube», ils ont tous tressé des éloges pleins d’affection et d’amour à celle qui leur a donné naissance. Evidemment, Roman Gary est plus nuancé, car sa mère était un peu envahissante, lui disant souvent «Alors, tu as honte de ta vieille mère?».
J'ai vu le film très dur..
Résumé de La ballade de Narayama
Japon, milieu du XIXe siècle. Dans une région touchée par la famine, un village vit au rythme des saisons et de traditions archaïques. L'une d'elles veut que les vieillards qui atteignent 70 ans partent en pèlerinage sur le mont Narayama pour y mourir. Pour Orin, le moment semble venu. Mais la vieille femme est en parfaite santé et son fils Tatsuhei ne peut pas se résoudre à la conduire à la mort. Pour éviter le déshonneur, Orin décide alors de se casser les dents pour contraindre son fils à l'emmener sur la montagne
Par Tahar Ben Jelloun (@Tahar_B_Jelloun) le 09/08/2021
C'était il y a 18 ans déjà ! La visite de Chirac à Alger et un traité d'amitié qui ne verra finalement jamais le jour ! Cependant ni Sarko ni Hollande ensuite n'ont reçu un tel accueil. Ce jour là c’était un peu Chirac l'algérien...
Chirac et l’Algérie : une histoire complexe
Sous-lieutenant puis haut fonctionnaire à Alger lors de la « guerre d’Algérie », Chirac a tenté, en vain, de réconcilier les deux pays une fois président.
Jacques Chirac, aux côtés de son épouse Bernadette et du président algérien Abdelaziz Bouteflika, salue la foule, le 4 mars 2003 à Oran, lors de sa visite d’État en Algérie (AFP
Quand Jacques Chirac, alors président, visite Alger en 2001, il est le premier chef d’État français à se rendre en Algérie depuis treize ans. Mais il atterrit en fait sur une terre qui ne lui est pas inconnue.
En 1947, alors qu’il n’était, à 15 ans, qu’un mousse sur un navire de marine marchande, jeune marin qui pour s’opposer aux dessins de ses parents choisit l’aventure, il découvre Alger et sa Casbah lors d’une brève escale.
À 23 ans, en 1956, c’est un autre bateau qui le ramène en Algérie : le sous-lieutenant Chirac du sixième Régiment de chasseurs d’Afrique (RCA, cavalerie) débarque du Sidi-Bel-Abbès pour rejoindre les renforts militaires en pleine « guerre d’Algérie » après une traversée Marseille-Oran.
« Pour moi, l’Algérie a été la période la plus passionnante de mon existence. Pendant de longs mois, j’ai eu une vie passionnante et enthousiasmante, mais détachée de tous les éléments qui pouvaient alimenter une réflexion politique. Si bien que pour moi, le problème algérien se situait dans un contexte très particulier », déclare-t-il à Paris Match en 1978.
Ce passage est cité par l’enquête menée par deux journalistes du quotidien Le Monde, « Chirac l’Algérien », partis sur les traces du sous-lieutenant d’alors, dans les environs de Souk Larbaa, dans l’ouest algérien, où le sixième RCA était stationné.
« Lorsqu’il est libéré [du service militaire], le 3 juin 1957, le sous-lieutenant Chirac est franchement Algérie française », expliquent les auteurs de cette enquête.
L’énarque Chirac reviendra en Algérie en 1959 dans le cadre du « renfort administratif » comme chef de cabinet du directeur général de l’agriculture et des forêts en Algérie. « Le jeune haut fonctionnaire est l’un des plus ‘’Algérie française’’ de la promo », relève encore l’enquête du Monde.
Sa première fille, Laurence, est née à Alger où le couple Chirac s’installe jusqu’en 1960. Lors de la « semaine des barricades », début 1960, lorsque des ultras de l’Algérie française organisent une insurrection à Alger contre Charles de Gaulle, contestant ses choix sur l’Algérie, Chirac, sans le manifester directement en tant que haut fonctionnaire, appuiera les insurgés « de cœur ».
Quand il passe par Alger en 2001, il tient à visiter Bab El Oued, quartier populaire d’Alger ravagé par de terrible inondations qui feront près d’un millier de morts.
« Un mauvais clin d’œil à l’histoire »
« Le jeune âge de Jacques Chirac, au moment des événements, n’aurait pas dû le dispenser de poursuivre le travail d’introspection que doit mener l’État français sur son action en Algérie », écrit alors un éditorialiste algérois.
« En évoquant le ‘’Bab El Oued cher au cœur de beaucoup de Français’’, le président Chirac a fait un mauvais clin d’œil à l’histoire. »
« Le Bab El Oued colonial est resté dans la mémoire d’Alger, comme le dernier bastion de ‘’l’Algérie française’’, le quartier général de l’OAS, le quartier de l’insurrection sanglante du 23 mars 1962 contre les accords d’Évian », précise-t-il.
Un traité d’amitié mort-né
En mars 2003, Chirac revient en Algérie pour une visite d’État, auréolé de sa position contre la guerre en Irak. L’accueil des Algérois est inédit, grandiose, reconnaissant pour cette position française.
Chirac tente, avec l’ex-président Bouteflika, de signer un traité d’amitié qui n’aboutira finalement pas.
Lors de cette visite, le président français veut mobiliser les symboles : il restitue aux autorités algériennes le sceau du dey d’Alger remis aux envahisseurs français en 1830, et serre la main d’anciens maquisards algériens en leur disant : ‘’Ceux qui ont fait la guerre sont ceux qui peuvent faire la paix’’ ».
« Le principal obstacle viendra de l’acte de repentance que le gouvernement algérien nous demande »
- Jacques Chirac
Ce fameux traité d’amitié ne sera pourtant pas signé entre les deux pays, « le président algérien paraissant reculer au cours de l’année qui suit », écrit Chirac dans ses mémoires.
« Le principal obstacle viendra de l’acte de repentance que le gouvernement algérien nous demande, quelques mois plus tard, de faire figurer dans le préambule, acte par lequel la France exprimerait ses regrets pour ‘’les torts portés à l’Algérie durant la période coloniale’’ », poursuit l’ancien président français.
Mais le couple franco-algérien n’en finira pas de connaître des frictions.
En 2005, le Parlement français adopte une loi « portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés ».
L’article 4, parlant du « rôle positif de la colonisation » déclenche la colère côté sud de la Méditerranée.
D’Alger, Bouteflika qualifie cette loi de « cécité mentale confinant au négationnisme et au révisionnisme ».
Le président algérien déclare également : « Comment un Parlement peut-il glorifier une présence coloniale coupable de massacres contre tout un peuple et prétendre que cette présence a rendu service aux peuples colonisés ? ».
Chirac fait abroger l’article de loi contestée onze mois plus tard, espérant relancer son projet de traité d’amitié. En vain. « L’amitié franco-algérienne se passerait donc de traité », écrira Chirac dans ses mémoires.
Nicolas Sarkozy : une relation glaciale
Sous Nicolas Sarkozy, les relations franco-algériennes ne se réchauffent pas. Il faut dire que pendant la campagne de 2007, le candidat de l'UMP avait surtout envoyé des signes aux harkis, les soldats algériens qui ont combattu avec l'armée française entre 1954 et 1962, proposant de reconnaître la responsabilité de la France dans leur abandon, et refusant la "repentance". Elu, Nicolas Sarkozy choisit pourtant l'Algérie, en juillet 2007, pour son premier déplacement hors de l'Europe. Mais il ne fera pas date.
Cinq mois plus tard, le président français effectue une visite officielle importante, dans un climat tendu entre les deux pays. Quelques jours auparavant, un ministre algérien avait en effet affirmé que Nicolas Sarkozy devait son élection "au lobby juif". Ce qui n'a pas empêché le chef de l'Etat français de condamner le système colonial, "injuste par nature", décrit comme "une entreprise d'asservissement et d'exploitation".
Ces déclarations n'ont pas le retentissement escompté. Le ministre de l'Intérieur algérien a par exemple estimé qu'elle allaient "dans le bon sens" et constituaient "un progrès" mais que "ce n'est pas assez quand nous plaçons ces paroles dans leur contexte". Par la suite, les relations de Nicolas Sarkozy avec l'Algérie s'en tiendront au strict minimum.
François Hollande : tourner la page
François Hollande, lui, entretient un rapport particulier à l'Algérie, où il a effectué un stage à sa sortie de l'ENA, en 1978. En 2008, c'est en tant que premier secrétaire du PS qu'il s'y rend. "Nous condamnons le système colonial, qui n'a pas de caractère positif, et qui ne peut pas en avoir, puisque la colonisation c'est l'occupation d'un pays par un autre et l'exploitation de ses ressources", déclare-t-il.
Sa visite actuelle, le chef de l'Etat l'aura beaucoup peaufinée. Depuis le début du quinquennat, cinq ministres ont été dépêchés à Alger pour préparer le terrain. En octobre, il reconnaît "avec lucidité" la répression "sanglante" des manifestants algériens du 17 octobre 1961 à Paris.
Devant le Parlement, à Alger, il a qualifié la colonisation de "système profondément injuste et brutal" auquel le pays a été soumis "pendant 132 ans". "Je reconnais ici les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien", a-t-il affirmé, applaudi debout par les parlementaires algériens.
Reconnaissant à son tour le massacre de Sétif, le chef de l'Etat a aussi évoqué ceux de Guelma et de Kherrata, qui demeurent de la même manière "ancrés dans la mémoire et dans la conscience des Algériens".
Mais Hollande n'a pas fait acte de repentance. Il n'a pas davantage présenté d'excuses au nom de la France, préférant évoquer le "socle de vérité" sur lequel doit reposer la relation franco-algérienne, car "rien ne se construit sur des dissimulations, dans l'oubli ou le déni". L'avenir dira si cette volonté de réconciliation se traduira dans les actes.
Le président français a prononcé jeudi 20 décembre 2012 un discours très attendu devant le Parlement algérien sur la question du passé douloureux entre la France et l'Algérie.
François Hollande a dénoncé, jeudi 20 décembre 2012, le système colonial "profondément injuste et brutal" instauré en Algérie durant 132 ans par la France, au deuxième jour de sa visite d'Etat dans l'ancienne colonie. "Je reconnais ici les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien", a déclaré le président français dans un discours devant le Parlement algérien. Parmi ces souffrances, il a cité "les massacres de Sétif, de Guelma et de Kherrata" qui "demeurent ancrés dans la mémoire et dans la conscience des Algériens".
"L'histoire, même quand elle est tragique, douloureuse, elle doit être dite" a-t-il souligné. François Hollande et son homologue algérien, Abdelaziz Bouteflika, ont signé mercredi une déclaration commune dans laquelle ils s'engagent à mettre en œuvre "un partenariat exemplaire et ambitieu
Et alors est arrivé Emmanuel Macron qui a commencé par nous surprendre alors qu’il n’était que candidat à l’élection présidentielle :
L'historien français Benjamin Stora a remis à Emmanuel Macron son très attendu rapport sur la colonisation et la guerre d'Algérie (1954-1962) pour tenter de "décloisonner" des mémoires divergentes et apaiser les relations entre la France et l'Algérie.
Les premiers gestes d’Emmanuel Macron
Il reconnait l’assassinat de Ali Boumendjel
Emmanuel Macron a demandé "pardon" à la veuve de Maurice Audin en venant lui remettre une déclaration reconnaissant que le militant communiste, disparu en 1957, était mort sous la torture du fait d'un "système légalement institué" alors en Algérie.
Mais alors Emmanuel Macron nous a beaucoup déçu
Ils ont osé… Ils ont occulté l’OAS !!!
Aucun président de la République avant M. Macron avait osé envoyer (son, sa ministre) en l'occurrence pour le 26 mars 2021 la Ministre déléguée auprès de la ministre des Armées, chargée de la Mémoire et des Anciens combattants Geneviève Darrieussecq participer à la Commémoration de la fusillade de la rue d’Isly du 26 mars 1962 au mémorial du Quai Branly, c’est une honte !!!
Auprès de Geneviève Darrieussecq et Arnaud Ngatcha, Hugues Renson commémorait le 26 mars dernier la fusillade de la rue d’Isly.
Chaque année, le 26 mars, des groupuscules extrémistes organisent des commémorations pour les victimes de la fusillade rue d'Isly à Alger qui ne sont pas « Mortes pour la France », mais tombées pour soutenir l’OAS qui les a manipulées et les noms de ces victimes n’auraient jamais dû avoir leur place au Mémorial National du Quai Branly à Paris, qui devait demeurer le lieu d’hommage aux militaires français « Morts pour la France » durant la guerre d’Algérie et les combats en Tunisie et au Maroc, sans oublierles victimes des jusqu’au-boutistes de l’Algérie française agissant au sein des commandos de la mort de l’OAS : c’est-à-dire les civils, les représentants des forces de l’ordre, les magistrats, les fonctionnaires de l’éducation nationale restés fidèles à la République jusqu’au sacrifice de leur vie.
À partir du moment où le juge d’instruction n’avait pas fait son travail, c’était à l’historien de le faire [1][1]Pierre Vidal-Naquet, L’Affaire Audin 1957-1978, Paris, Éditions…. » Ainsi Pierre Vidal-Naquet présentait-il son engagement dans l’affaire Audin, en pleine guerre d’indépendance algérienne (1954-1962). Militant du Parti communiste algérien (PCA), Maurice Audin avait été arrêté en 1957 à Alger, par les parachutistes. Ces derniers étaient alors titulaires des pouvoirs de police qui leur permettaient d’arrêter, de détenir et d’interroger tout individu. Le PCA, auquel Audin appartenait, était une des cibles de la répression française. Il avait été dissout et ses militants, entrés dans la clandestinité, s’étaient engagés dans la lutte pour l’indépendance, de diverses manières : maquis, propagande, terrorisme urbain [2][2]Sur le PCA : Allison Drew, We are no Longer in France.…… Précisément, les parachutistes recherchaient activement les dirigeants du PCA et ils ont arrêté Audin en pensant qu’il pourrait les mener à eux [3][3]Merci à Nathalie Funès, François Demerliac, Josette Audin et….
2Audin n’est jamais réapparu. La recherche de la vérité, déclenchée par sa femme à Alger même, a été rapidement relayée en France par un Comité portant le nom du disparu. Sensibilisé parmi les premiers, Vidal-Naquet, spécialiste de la Grèce ancienne, est devenu l’éminent représentant du Comité et il a mis ses compétences d’historien au service de son combat. Il en a fait son premier ouvrage, L’Affaire Audin, publié par Jérôme Lindon, aux Éditions de Minuit, en 1958, puis réédité en 1989. Closes au pénal par un non-lieu en 1962, en raison de l’amnistie prononcée à la fin de la guerre, les procédures judiciaires ont été reprises au civil. Josette Audin demandait réparation du préjudice subi. In fine, le Conseil d’État l’a déboutée en 1978. Il a fallu une décision ministérielle, en 1983, pour que la femme de Maurice Audin et ses enfants obtiennent un dédommagement [4][4]Pierre Vidal-Naquet, L’Affaire Audin…, op. cit., p. 186..
3L’histoire n’est pourtant pas close. Comme dans toutes les disparitions, l’absence de corps de la victime empêche d’y mettre un point final et rend impossible lacicatrisation des plaies de ceux que la disparition a fait souffrir [5][5]À ce sujet : Didier Bigo, « Disparitions, coercition et iolence…. La vérité reste inconnue, faute de preuves. Dans ce contexte, de nouvelles révélations ont émergé dans les années 2011-2014, avec toutes les fragilités inhérentes à leur caractère tardif. Confrontées les unes aux autres, ainsi qu’aux déclarations de témoins retrouvés, elles donnent des versions des faits dissemblables, contrariant la recherche de la vérité. Ces discordances n’en intéressent pas moins les historiens, tant elles sont révélatrices de ce qui se joue dans ce processus de révélation si éloigné des faits : le rejeu de querelles anciennes, la volonté de se dédouaner de responsabilités culpabilisantes – et criminelles – ou encore le désir de se mettre en avant, d’accéder à la notoriété médiatique et de provoquer la polémique.
4Aujourd’hui comme pendant la guerre elle-même, par conséquent, cette affaire mobilise les historiens. Elle pose la question de leur apport, forts de leurs compétences et de leurs savoirs, à la recherche de la vérité. Si les historiens sont indéniablement des experts, de quelle plus-value peuvent-ils faire bénéficier l’enquête ? Cet article, outre la démonstration de l’impossibilité pratique de faire émerger la vérité un demi-siècle après, livre un premier retour d’expérience.
Du sort d’un homme à l’analyse d’un système. L’engagement de Pierre Vidal-Naquet
5Pierre Vidal-Naquet a revendiqué la spécificité de son engagement, en tant qu’historien. Se revendiquant d’une idée « ancienne, puisqu’elle remonte à Hérodote et à Thucydide », il pensait l’historien en « témoin de la vérité [6][6]Pierre Vidal-Naquet, Face à la raison d’État. Un historien dans… ». Aussi, poursuivait-il, « pendant la guerre d’Algérie, je n’ai pas écrit une seule ligne sans être convaincu de l’éminente dignité de ma profession [7][7]Ibid. ». Plus près de lui qu’Hérodote et Thucydide, Jean Jaurès lui servait de modèle. Il se référait tout particulièrement aux Preuves, dans lesquelles Jean Jaurès examinait les pièces produites par l’accusation du capitaine Dreyfus, pour en démontrer la fausseté [8][8]Ibid., p. 10. Jean Jaurès, Les Preuves. Affaire Dreyfus….
6De même, Vidal-Naquet a minutieusement examiné les papiers fournis par les autorités françaises après la disparition d’Audin. Alors que des réponses dilatoires étaient d’ordinaire opposées aux familles demandant des nouvelles d’un des leurs, arrêté par les parachutistes et qui n’avait pas reparu depuis, les militaires sont allés, dans le cas d’Audin, jusqu’à inventer et jouer un scénario. D’après eux, Audin aurait été placé à l’arrière d’une jeep pour être transféré du lieu où il était détenu et il aurait profité d’un virage un peu serré pour sauter de la voiture puis s’enfuir. Après que le chauffeur, le sergent Cuomo, a stoppé le véhicule, son passager, le sergent Misiri, armé, a tiré dans la direction du pseudo-Audin mais sans pouvoir l’atteindre. Un riverain, sorti de chez lui, pouvait en témoigner. Pièce maîtresse de la version officielle, les militaires ont produit un compte rendu d’évasion. Le sergent Misiri, tenu pour responsable de l’évasion, a même été puni pour sa négligence.
7Josette Audin déposant plainte contre X pour homicide volontaire, l’instruction a collecté ces premiers papiers avant d’en produire elle-même de multiples autres, dont des procès-verbaux d’interrogatoire. C’est ce dossier que Vidal-Naquet a passé au crible dans L’Affaire Audin, avec sa lecture d’historien attentif à la reconstitution minutieuse des faits. Relevant de multiples incohérences, au premier rang desquelles les horaires du trajet de la jeep, il démontrait le caractère mensonger de cette version. Si la démonstration était la sienne, la mise en forme du manuscrit, devait tout à son éditeur, Jérôme Lindon, au point que Vidal-Naquet a par la suite estimé qu’il aurait dû signer l’ouvrage [9][9]Pierre Vidal-Naquet, Mémoires. Le trouble et la lumière….
8L’instruction de la plainte déposée par Josette Audin à Alger a ensuite été transférée au Parquet de Rennes, dans une logique de dépaysement des affaires de torture d’Algérie en métropole qui s’est progressivement imposé au ministère de la Justice [10][10]À ce sujet : Sylvie Thénault, Une drôle de justice. Les…. Le juge d’instruction de Rennes a repris l’affaire et convoqué nombre de témoins ; en vain. C’est cette instruction qui a été close par un non-lieu en 1962. Réciproque, l’amnistie impliquait en effet la libération des personnes ayant combattu côté algérien pour l’indépendance, tandis qu’elle exonérait de toute poursuite les membres des forces de l’ordre françaises qui se seraient rendus coupables de crimes dans l’exercice de leurs fonctions [11][11]Stéphane Gacon, L’amnistie. De la Commune à la guerre….
9L’expertise des pièces du dossier d’instruction impliquait de reconstituer, concrètement, au plus près de la réalité du terrain, dans le quotidien, le travail des militaires quadrillant la ville. Aussi Vidal-Naquet a-t-il cherché à comprendre le fonctionnement du système répressif mis en place à Alger par les parachutistes, au point d’en devenir, in fine, le premier historien. Si ce système est aujourd’hui connu, l’analyser à l’époque n’avait rien d’évident [12][12]Ce système répressif a été analysé par Raphaëlle Branche dans…. Non seulement il était alors inédit mais les militaires entouraient leurs opérations du plus grand secret.
10Les ouvrages de Vidal-Naquet témoignent de son évolution. En 1962, il signait La Raison d’État, un recueil de documents collectés par le Comité Maurice Audin, sur la pratique de la torture, au fur et à mesure de la guerre. Il les présentait un à un, les annotait et leur adjoignait des déclarations de responsables politiques susceptibles de les éclairer. Il les encadrait également par une introduction et une conclusion d’ensemble. Il s’y livrait à un exercice ordinaire d’historien : l’édition critique de documents. Il ne cherchait pas à établir la vérité de la pratique de la torture, qui était connue et ne pouvait être niée. Son ambition était de démontrer que cette pratique était « une affaire qui nous concerne tous [13][13]Pierre Vidal-Naquet, La raison d’État, Paris, La Découverte,… ». En effet, argumentait-il :
« Comment déterminer le rôle dans l’État futur de la magistrature, de l’armée ou de la police si nous ne savons pas d’abord comment l’État en tant que tel s’est comporté devant les problèmes posés par la répression de l’insurrection algérienne, comment il a été informé par eux dont c’était la mission d’informer, comment il a réagi en présence de ces informations, comment il en a informé à son tour les citoyens… L’État, c’est-à-dire l’armée, c’est-à-dire la police, c’est-à-dire l’administration, c’est-à-dire la justice [14][14]Pierre Vidal-Naquet, La raison d’État…, op. cit., p. 17.. »
12À terme, Vidal-Naquet a produit un ouvrage devenu incontournable : La torture dans la République, paru aux Éditions de Minuit en 1972. Ce livre a d’abord été publié en anglais et en italien, dès 1963, à la demande d’un éditeur étranger [15][15]Torture: a Cancer of Democracy, Harmondsworth, Penguin Books,…. Il s’agissait cette fois d’un essai. Dans la lignée de La raison d’État, Vidal-Naquet y défendait fortement sa thèse : celle de la contamination progressive de l’État par la torture. La démonstration n’en était pas moins dotée d’un fondement empirique. Les chapitres reposaient sur quantité de documents et d’informations collectées à la faveur du combat mené contre la torture pendant la guerre. « Ce livre n’est pas un ouvrage d’érudition, s’expliquait Vidal-Naquet, mais j’aimerais que le lecteur sache qu’il repose sur une documentation solide et de première main [16][16]Pierre Vidal-Naquet, La torture dans la république, op. cit.,…. »
13En pionnier, Vidal-Naquet a mobilisé ses compétences d’historien dans un mouvement d’élargissement progressif, à partir de l’étude de pièces produites dans un cas pour aboutir à une analyse d’ensemble, en passant par l’édition critique de documents. Un tel engrenage s’inscrit d’évidence dans la temporalité même du conflit. Pour Vidal-Naquet, pris dans l’urgence du moment, la dénonciation de la torture impliquait, en historien, d’en comprendre les ressorts ainsi que, en citoyen, d’alerter ses contemporains sur la menace qu’elle représentait pour les libertés et la nature même de l’État. Plus d’un demi-siècle après les faits, alors qu’une historiographie s’est constituée et que les archives sont en grande partie inventoriées et accessibles, quelle pouvait être la contribution d’un historien à l’enquête qui prenait une nouvelle impulsion ?
Le manuscrit d’Yves Godard ou l’ex-OAS contre de Gaulle ?
14Dans la première édition de L’Affaire Audin, rédigée à chaud, en 1957-1958, alors que l’instruction traînait encore à Alger, Vidal-Naquet a formulé l’hypothèse qu’Audin était décédé au cours de son interrogatoire sous la torture, par « accident [17][17]Le mot est entre guillemets dans le texte de L’Affaire Audin… ». Par la suite, il a été convaincu que le lieutenant Charbonnier, l’officier de renseignements qui avait torturé Audin, l’avait étranglé lors d’un accès de fureur. L’armée protégeant les siens et les témoins se dérobant, cependant, aucune preuve n’a pu être apportée. L’information repose sur le témoignage d’un officier de police détaché à l’État-Major du secteur Alger-Sahel, le secteur dans lequel s’est produite la disparition d’Audin. Ce policier a cependant refusé de confirmer cette version par écrit devant le juge d’instruction de Rennes [18][18]Pierre Vidal-Naquet, L’Affaire Audin…, op. cit., p. 145.. Il n’en a pas non plus donné le fondement : a-t-il simplement relayé ce qu’il a entendu dire à l’État-Major ou avait-il des éléments plus solides en sa possession ?
15À l’automne 2011, une journaliste au Nouvel Observateur, Nathalie Funès, a contacté la famille – Josette et ses enfants, Michèle et Pierre – pour leur montrer un documentnouveau. Au hasard d’une enquête portant sur un autre sujet, elle avait été amenée à découvrir un manuscrit de l’ex-colonel Godard, dans lequel celui-ci donnait une nouvelle version de ce qui serait arrivé à Audin. Ici, l’expertise historienne consistait à évaluer la crédibilité du contenu du manuscrit à l’aune de l’état des savoirs sur la guerre d’indépendance algérienne. Il fallait, tout à la fois, resituer le colonel Godard dans l’organigramme militaire d’Alger en 1957, revenir sur sa biographie, éclairer – du mieux possible – les circonstances de la rédaction de son texte et tenter de restituer l’histoire même de ce dernier. Les enjeux de la révélation de Godard, qui aurait dû intervenir dans les années 1970, sont alors apparus comme capitaux.
16Au moment de l’arrestation d’Audin, le colonel Godard commandait le secteur militaire concerné : le secteur Alger-Sahel. Devenu ensuite chef de la Sûreté nationale en Algérie, Godard a fini par rejoindre l’OAS (Organisation Armée Secrète), cette organisation terroriste qui combattait l’indépendance de l’Algérie et prenait tout particulièrement le général de Gaulle pour cible. Après l’indépendance, Godard a vécu dans la clandestinité afin d’échapper aux sentences prononcées contre lui par contumace – il avait été condamné à mort. Il aurait pu revenir en France après l’amnistie bénéficiant aux membres de l’OAS, en 1968, mais il a fini sa vie en Belgique, où il est décédé en 1975 [19][19]Sur l’OAS et le rôle de Godard en son sein : Olivier Dard,….
17Godard avait entrepris de rédiger sa propre histoire de la « Bataille d’Alger » – pour reprendre l’expression consacrée en dépit de ses imperfections. Elle est trop normative, en effet, pour décrire ce qu’a été l’engagement des parachutistes contre le FLN dans la ville, en 1957, conduisant à un quadrillage serré de l’espace urbain, des arrestations en masse et la généralisation de la torture [20][20]De façon significative, Gilbert Meynier parle de « la grande…. L’histoire que Godard comptait en écrire devait comprendre trois tomes. Le premier est sorti en 1972, aux éditions Fayard [21][21]Les Trois batailles d’Alger, tome 1 : Les paras dans la ille,…. Le récit s’arrêtait cependant avant l’arrestation d’Audin. Le mois de juin était traité dans le second tome, rédigé, mais qui n’a jamais été publié pour des raisons encore inconnues – l’état de santé de Godard a été invoqué [22][22]Dans François Porteu de la Morandière, Soldats du djebel.…. C’est ce manuscrit que Nathalie Funès a retrouvé. Son existence n’était pas secrète. Un extrait en a été publié en 1979 dans un ouvrage dirigé par François Porteu de la Morandière, président de l’Union nationale des Combattants en Afrique du Nord (UNAC), une association qui a depuis intégré l’Union nationale des combattants (UNC) [23][23]François Porteu de la Morandière, Soldats du djebel…, op. cit..…. L’UNC se situe clairement à droite de l’échiquier politique. Elle a en particulier combattu le choix du 19 mars comme date commémorative de la guerre d’indépendance algérienne [24][24]Voir l’édito du président de l’UNC, consacré à la commémoration…. François Porteu de la Morandière a également été dirigeant et élu du Front national dans la seconde moitié des années 1980 [25][25]Sur François Porteu de la Morandière, voir Guy Birenbaum et…. Nathalie Funès a d’ailleurs eu connaissance de l’existence du manuscrit en enquêtant dans ces milieux. Si, en tant que journaliste, elle ne peut que protéger sa source, l’information est en elle-même significative. Il est certes impossible de reconstituer précisément la circulation du manuscrit et/ou de son contenu depuis la publication d’extraits en 1979 dans le livre dirigé par François Porteu de la Morandière jusqu’à la transmission de l’information à Nathalie Funès en 2011. Reste que le manuscrit – ou son texte ? – a navigué dans des courants politiques situés à l’extrême droite et soudés par l’antigaullisme après l’indépendance de l’Algérie [26][26]A ce sujet : Ariane Chebel d’Appollonia, L’extrême droite en….
18L’authenticité du texte ne fait pas de doute. Nathalie Funès a retrouvé l’original dans les archives privées de l’ex-colonel, à Stanford [27][27]Les archives d’Yves Godard sont conservées à la Hoover…. Godard y prétendait qu’Audin avait été exécuté par un commando « assisté du commandant Aussaresses [28][28]On peut lire des reproductions de l’extrait du manuscrit d’Yves… ». Officier de renseignements, Aussaresses dirigeait, à Alger, en 1957, une équipe notamment chargée de l’exécution de prisonniers importants arrêtés par les parachutistes et qu’il était décidé d’éliminer [29][29]Les révélations de Paul Aussaresses sur cette activité ont fait…. D’après le récit de Godard, Audin aurait été exécuté par erreur. Audin n’était pas, en effet, un prisonnier important, dans la mesure où il n’était pas un responsable du PCA. Les parachutistes l’avaient arrêté en pensant qu’il serait susceptible de les mener à Henri Alleg, l’un des principaux dirigeants du PCA. Or Alleg avait été arrêté peu après Audin et il était détenu au même endroit que lui. D’après Godard, c’est Alleg que devait assassiner le commando d’Aussaresses mais il serait trompé de prisonnier. Godard allait même jusqu’à donner le nom de l’exécuteur : Gérard Garcet.
19Au vu de l’historiographie de la guerre d’indépendance algérienne – et en particulier de la connaissance des milieux militaires et du système répressif algérois en 1957 –, il est possible que le colonel Godard ait menti, entièrement ou en partie. L’hypothèse même d’une exécution par un commando est à vérifier. Qu’une telle exécution ait résulté d’une erreur suppose en outre que les militaires aient confondu Audin et Alleg, ce qui n’est pas très plausible. Le signalement d’Henri Alleg, recherché, était connu et il différait largement du physique de Maurice Audin. Enfin, lorsqu’il désignait Garcet comme l’assassin d’Audin, Godard prenait soin d’indiquer que Garcet était l’aide de camp du général Massu – son ancien aide de camp, en réalité – et il lui faisait porter la responsabilité de l’exécution, avec Aussaresses. L’inimitié de Godard pour Aussaresses était notoire et Aussaresses a dit ensuite qu’elle était réciproque. Non seulement Godard aurait désapprouvé les exécutions que pratiquaient les commandos d’Aussaresses à Alger, en 1957, mais, avant même l’Algérie, les deux hommes avaient été professionnellement en concurrence et en désaccord [30][30]Quelques années après la guerre, Yves Courrière mentionnait….
20À travers Garcet, présenté comme l’aide de camp de Massu, Godard impliquait aussi ce dernier, avec lequel il avait eu des différends. Godard critiquait en effet la mission de police acceptée par Massu à Alger en 1957 tandis que Massu le jugeait peu efficace [31][31]Yves Godard, Les paras…, op. cit., p. 228-229 et Jacques Massu,…. Au-delà, Massu était une cible politique dans les cercles que fréquentait l’ex-colonel dans le contexte post-Mai 68, au moment où il rédigeait son manuscrit. Massu incarnait en effet le loyalisme envers de Gaulle, au contraire du choix fait par Godard. Non seulement, pendant la guerre d’indépendance algérienne, en dépit de ses désaccords avec la politique du chef de l’État, Massu n’a jamais rejoint ni soutenu l’OAS, mais en outre, en mai 68, c’est vers lui que de Gaulle s’est tourné en allant le rencontrer secrètement à Baden-Baden. Ainsi la fidélité de Massu à de Gaulle a-t-elle été réaffirmée, alors que le chef de l’État restait honni des anciens partisans de l’Algérie française [32][32]Massu en a témoigné dans un livre au titre significatif :…. La loi d’amnistie que de Gaulle a fait voter en juillet 1968, au bénéfice des derniers condamnés de l’OAS, n’a en rien contribué à infléchir les positions des ex-militants de l’Organisation à l’égard du chef de l’État. Cette loi visait en fait l’électorat d’extrême droite qu’il s’agissait de rallier dans la perspective du référendum sur des réformes institutionnelles, conçues pour sortir de la crise – référendum à l’issue duquel, in fine, de Gaulle, désavoué par un résultat négatif, a quitté le pouvoir [33][33]Stéphane Gacon, L’amnistie.., op. cit. Olivier Dard analyse….
21L’expertise du contenu du manuscrit de Godard conduit à revenir sur le récit de la guerre d’indépendance algérienne, tel qu’il s’est constitué dans le contexte des années 1970 parmi des anciens d’Algérie se retrouvant à l’extrême droite. Elle conduit également à une immersion dans le milieu du commandement algérois de l’année 1957, révélant des tensions de diverses natures – personnelles, professionnelles, tactiques – entre ses membres. Apparaît aussi nettement l’impact de la disparition d’Audin au sein du commandement algérois. Elle semble y avoir constitué un événement, commenté et avivant des tensions préexistantes. Le policier défendant la thèse de l’étranglement par Charbonnier, d’ailleurs, était lui-même en détachement à l’État-major du secteur Alger-Sahel. Les témoignages de militaires sont au cœur de l’enquête ; elle y a trouvé ses limites.
Aux limites de l’enquête : les témoignages de militaires sur la disparition d’Audin
22Une exploration de la bibliographie révèle que la version de la mort d’Audin donnée par Godard dans son manuscrit avait déjà été publiée. Elle figure en effet dans la vaste fresque en quatre tomes consacrée à La guerre d’Algérie par le journaliste Yves Courrière, parue entre 1968 et 1972 chez Fayard – le même éditeur que celui du premier tome de Godard. Cette histoire était rédigée dans un style vivant, imagé et romancé qui a contribué à son succès public [34][34]Yves Courrière en a témoigné dans ses Mémoires : Éclats de ie,…. Pour les historiens, l’ouvrage reste délicat à manier. Non seulement le primat donné au style conduit l’auteur à déformer les faits mais aucune information n’est référencée. La liste des témoins donnée en annexe n’identifie en outre qu’une partie d’entre eux. Dans le passage sur la mort d’Audin, Courrière rapportait que « tout le monde savait qu’O… était responsable de la mort d’Audin. Ou plutôt ses hommes. Car il s’agissait d’une méprise [35][35]Yves Courrière, La guerre d’Algérie, tome 2, op. cit., p. 532. ». D’une manière significative de sa façon d’écrire l’histoire, Courrière allait jusqu’à imaginer la scène d’exécution et mettre ces mots dans la bouche d’Audin : « Vous faites erreur, je suis européen [36][36]Ibid.… » Cette version est celle donnée dans le manuscrit de Godard, dont le nom est cité par Courrière dans son ouvrage. Godard en serait donc la source. Courrière, cependant, aurait-il aussi rencontré Aussaresses, que désignait la lettre « O » ? Rien ne permet de le savoir. Courrière est resté allusif sur ses sources dans ses mémoires et ni les éditions Fayard, ni sa veuve, interrogés, n’ont pu éclairer la question [37][37]Yves Courrière, Éclats…, op. cit., p. 387-420..
23Au contraire de Godard, toutefois, Courrière ne citait pas le nom de Garcet et invoquait la responsabilité d’Aussaresses, même s’il renvoyait également à ses « hommes ». Garcet était d’évidence un témoin-clé. Nathalie Funès a réussi à le retrouver ainsi que d’autres protagonistes [38][38]Nathalie Funès a rendu compte de son contact avec Gérard…. La quête de la vérité a en outre été menée par François Demerliac, un documentariste qui a réalisé un film sur l’affaire Audin [39][39]Diffusé sur Public Sénat en 2010, le film est aujourd’hui…. Tous deux ont recherché et contacté divers témoins de cette histoire, dialogué au moins par téléphone avec ceux qui ne voulaient pas aller plus loin, rencontré et éventuellement enregistré – voire filmé pour François Demerliac – ceux qui le voulaient bien. Semant le doute, certains s’en tenaient à de strictes dénégations qui ne semblaient pas toujours dénuées de crédibilité, d’autres mentaient de manière éhontée, d’autres encore racontaient tout et son contraire, parfois au cours d’un seul et même entretien. Peu se sont dérobés à tout contact, à l’exception notable d’Aussaresses.
24Bien qu’ayant accompagné leurs recherches, il ne m’est pas possible de livrer ici le contenu de tels échanges. Non seulement le format d’un article n’y suffirait pas mais ces contacts et entretiens n’ont pas donné lieu à la production de témoignages respectant le cadre formalisé de la pratique historienne : enregistrement systématique, retranscription, soumission au témoin pour accord, engagement éventuel d’anonymat pour toute citation… D’évidence, cette méthode aurait été contre-productive. Dans le contexte de la recherche de la vérité sur la disparition d’Audin, les pratiques journalistiques sont plus adaptées. Il faut passer par une phase d’enquête souterraine, multipliant les contacts, recueillant des informations tous azimuts, parfois de façon détournée, hors de tout dispositif risquant d’alerter et/ou d’effrayer des témoins restés sur leurs gardes, avant de procéder à un travail de recoupement permettant d’approcher au mieux la vérité. La restitution même du résultat peut se faire sous l’empire de la protection des sources, si celle-ci est posée d’emblée comme condition du recueil de l’information. L’administration de la preuve doit alors passer par d’autres moyens que la référence à un témoignage pouvant être rendu public.
25L’enquête n’a toutefois pas atteint ce stade ultime. La difficulté reste de démêler le vrai du faux, notamment en cernant les enjeux contemporains des dires des uns et des autres. Le cas de Cuomo, le chauffeur de la jeep, ancien adjudant-chef et moniteur au 1er régiment de chasseurs parachutistes, qui s’est exprimé publiquement en 2001, l’illustre parfaitement [40][40]Son décès, le 1er janvier 2017, a été annoncé par l’Amicale du…. En mai 2001, en effet, Aussaresses a publié un livre au beau milieu d’un véritable débat national sur la torture et les exécutions sommaires en Algérie pendant la guerre d’indépendance [41][41]Pour une fine chronologie et une analyse de ce débat : Tramor…. Il affirmait que Cuomo avait fait partie d’une équipe spéciale, clandestine, à son service [42][42]Services spéciaux…, op. cit., p. 113.. Cuomo s’en est alors défendu dans La République des Pyrénées[43][43]La République des Pyrénées, 11 mai 2001, p. 1 et 3.. Interrogé sur la disparition d’Audin, il déclarait que l’homme transporté à l’arrière de la jeep était cagoulé. Fait surprenant – et qui rend la déclaration suspecte –, jamais cette cagoule n’avait été mentionnée auparavant. Cuomo fragilisait évidemment la version officielle. Si le soi-disant prisonnier était cagoulé, comment prouver qu’il s’agissait d’Audin ? D’un point de vue personnel, Cuomo se dédouanait de toute responsabilité – si le prisonnier était cagoulé, Cuomo ne pouvait plus rien attester. Il affirmait même être prêt à rencontrer Josette Audin et n’avoir rien à craindre. Paradoxalement, il était sorti de sa réserve pour se protéger. Aussaresses, en revanche, très visiblement en quête de notoriété, s’érigeait en figure centrale dans la recherche de la vérité.
26Aussaresses n’a pourtant pratiquement rien dit de la disparition d’Audin dans Services spéciaux, en 2001,et il a refusé de se livrer au cours d’entretiens avec Jean-Charles Deniau, parus en 2008 aux éditions du Rocher : Je n’ai pas tout dit. Les confidences qu’il a finies par faire à ce journaliste ont été publiées de façon posthume. Ainsi est sorti, en janvier 2014, un livre au titre retentissant : La vérité sur le mort de Maurice Audin, aux Éditions des Équateurs. Jean-Charles Deniau y reprenait la thèse de l’exécution d’Audin par un commando aux ordres d’Aussaresses, comprenant Garcet, mais non par erreur : il se serait agi de faire un exemple. L’exécution aurait servi d’avertissement à tous ceux qui auraient été tentés de s’engager pour l’indépendance. Ce motif est plus qu’étonnant. Outre qu’il est invraisemblable qu’une exécution ait valeur d’exemple si elle ne s’accompagne pas de publicité, les disparitions d’individus arrêtés par l’armée étaient suffisamment nombreuses et connues à Alger en 1957 pour que les partisans de l’indépendance algérienne aient été conscients des risques qu’ils encouraient. Nul besoin d’exécuter Audin pour les alerter. Les fondements du livre de Jean-Charles Deniau sont en outre fragiles : parole d’Aussaresses et déclarations de Pierre Misiri, le passager de la jeep, auteur des coups de feu lors de la pseudo-évasion – le témoignage de ce dernier mériterait pourtant d’être considéré avec les plus grandes précautions. Pour affirmer qu’il livrait la « vérité », enfin, Jean-Charles Deniau a gommé tout ce qui pouvait semer le doute. Il n’étudie aucune autre des hypothèses existantes : un étranglement par Charbonnier, une exécution par erreur ou encore – pourquoi pas – la mort sous la torture. Ce livre ne peut que susciter la suspicion. Il a été très vivement rejeté par Josette Audin et ses enfants [44][44]On peut écouter la réaction de Josette Audin à la Matinale de…. L’élucidation du sort d’Audin s’avère en l’état impossible.
Savoirs et compétences des historiens : quelle plus-value dans l’enquête ?
27Cette enquête pose la question des frontières séparant les historiens – et, plus généralement, les chercheurs en sciences humaines et sociales – de professionnels de l’investigation, journalistes et documentaristes en l’occurrence. Dans ce cas, ce ne sont pas une distance ni des différences et encore moins des désaccords qui sont apparus. Bien au contraire, l’enquête a pu être menée de pair et dans l’entente, sur un socle commun de principes et de méthodologie, au premier rang desquels le recoupement des sources et la prudence : impossible de défendre une thèse au détriment d’une autre, en l’absence de preuve. L’accord a aussi régné sur la relation avec la famille à qui cette histoire appartient et qui doit être associée aux démarches accomplies. Loin de faciliter alors la définition de règles qui distingueraient strictement les historiens d’autres enquêteurs, ce travail a estompé les frontières entre les pratiques professionnelles des uns et des autres. S’est dessiné un espace de collaboration, chacun apportant ses compétences et ses savoirs à une entreprise qui, si elle n’est pas totalement commune, est partagée. Il en découle une certitude : celle de la proximité, dans ce cas précis, du travail d’investigation mené par une journaliste, un documentariste et une historienne. Ces trois professions partagent en outre une limite forte dans la recherche de la vérité et l’administration de la preuve : l’absence de moyens scientifiques d’investigation qui finissent par être indispensables [45][45]La philosophe Isabelle Delpla en a fait la démonstration dans…. Précisément, dans l’enquête sur la disparition d’Audin, une expertise génétique pourrait être un jour sollicitée, si des restes étaient retrouvés. Jean-Charles Deniau prétend avoir localisé le lieu d’exécution et d’inhumation de Maurice Audin [46][46]Jean-Charles Deniau, La Vérité sur la mort de Maurice Audin,…. Le cas échéant, il appartiendrait à la famille de décider de telles expertises.
28Quelle peut être dès lors la spécificité de l’intervention des historiens ? La connaissance du contexte factuel, celle de la bibliographie et de l’historiographie sont au fondement de leur expertise. L’évolution de la connaissance historique depuis l’époque de la guerre elle-même, lorsque Vidal-Naquet cherchait en pionnier à comprendre le système répressif mis en place à Alger, est fondamentale. Aujourd’hui, ce système est parfaitement analysé. De ce point de vue, l’effet du temps écoulé depuis les faits est très exactement contraire à celui qu’il produit sur une enquête portant sur un cas précis. Comme le démontre le cas de la disparition de Maurice Audin, le temps écoulé depuis les faits est un obstacle difficile à surmonter lorsqu’il s’agit de rechercher la vérité sur le sort d’un individu. Au contraire, l’analyse du système répressif dans sa globalité gagne en intelligibilité et celle-ci facilite l’évaluation des informations recueillies.
29La pratique des archives est cependant l’apport le plus spécifique des historiens. En 2012, Josette Audin a obtenu du président de la République, François Hollande, l’autorisation de consulter toutes les archives relatives à la disparition de son mari. La décision du chef de l’État, tout à fait exceptionnelle, a été suivie d’effet au ministère de la Défense. Josette Audin a reçu copie de documents conservés dans les archives militaires. Elle n’a pas eu à se présenter dans les services d’archives pour consulter les inventaires disponibles et formuler des demandes de consultation de documents dans les règles. Si l’évitement d’une telle procédure repose sur une intention louable, il n’en pose pas moins problème, d’un double point de vue : déontologiquement, en offrant un accès particulier, privilégié, à des documents, mais surtout méthodologiquement. Difficile d’expertiser des documents extraits de fonds épars et de diverses natures et plus encore, de leur donner du sens : rapports, pages de registre, procès-verbaux, fiches…
30La quête était en outre incomplète. Il devait y avoir des documents aux Archives nationales à Pierrefitte et aux Archives nationales d’outre-mer (ANOM), à Aix-en-Provence, notamment dans les archives judiciaires, en raison de l’instruction de la plainte déposée par Josette Audin. La recherche et la consultation de ces documents suivant cette fois la procédure en vigueur, il fallait orienter Josette Audin au sein des diverses institutions archivistiques, la guider dans la procédure à suivre, l’accompagner dans la consultation en salle de lecture ou dans le décryptage des documents dont des copies lui ont de nouveau été fournies. Une piste a également été suivie, à partir de L’Affaire Audin. Vidal-Naquet y faisait en effet référence à « un dossier sur l’affaire Audin [47][47]L’Affaire Audin…, op. cit., p. 163. » constitué par Godard. Le personnel compétent et très coopératif des Archives nationales a pu retrouver, dans le fonds de la Cour de sûreté de l’État, des papiers saisis au domicile de Godard lors des poursuites judiciaires ouvertes contre lui en 1961 – celles qui ont abouti à sa condamnation à mort par contumace. La consultation de ces archives, après obtention d’une dérogation, n’a cependant rien donné.
31Cette quête dans les archives est restée vaine, ce qui ne peut être surprenant pour des historiens. Les archives publiques sont en effet les papiers produits par diverses administrations : armée, police, justice, ministères, présidence de la République, etc. Pour y trouver la vérité sur la disparition de Maurice Audin, il aurait fallu que l’un de ces services l’ait connue à l’époque, l’ait mise par écrit, puis que cet écrit ait été conservé et qu’il soit retrouvé aujourd’hui. Il n’était guère plausible que ces conditions soient réunies. De fait, les archives publiques ont enregistré la version mensongère de l’évasion. Se trouvent parmi les archives consultées quantité de documents la concernant, en particulier des documents produits, précisément, par l’élaboration du mensonge : procès-verbaux des militaires et du riverain témoins de la scène, rapport sur la punition du militaire considéré comme responsable, rapport de reconstitution des faits avec schéma des lieux à l’appui, etc. Les pièces du dossier d’instruction elles-mêmes étaient déjà connues de la famille, puisque l’instruction avait été déclenchée, précisément, par Josette Audin. Ses avocats, suivant l’affaire, en avaient déjà eu connaissance. Les archives témoignent par ailleurs de l’activité du Comité Maurice Audin pour la dénonciation de la torture et la recherche de la vérité. D’un point de vue historien, ces archives n’en sont pas moins extrêmement intéressantes, parce qu’elles donnent à voir la Raison d’État en marche. Quantité de documents témoignent du fait que les développements de l’instruction judiciaire, ainsi que l’action du Comité Maurice Audin étaient suivis en très haut lieu. L’éclatement d’une vérité mettant en cause l’armée était crainte et, de ce fait, la recherche de la vérité a été contrariée. Reste que, si les archives devaient un jour apporter du neuf sur ce qui est réellement arrivé à Audin, ce serait certainement de façon incidente. Il est possible d’imaginer qu’un jour un document émerge, contenant un élément nouveau qui, telle une pièce manquante à un puzzle, viendrait conforter l’une ou l’autre des hypothèses envisageables, voire en prouver une au détriment des autres. Une telle découverte est toutefois hasardeuse.
32Pour finir, un constat s’impose : bien qu’encore inabouti, le travail d’enquête a été mené. En juin 2014, François Hollande, dans une déclaration officielle, a remis l’affaire entre les mains des historiens, sans reconnaître toute la vérité. Rappelant qu’il avait favorisé les recherches dans les archives pour « lever les incertitudes qui continuent d’entourer les circonstances précises de la mort de M. Audin », le président estimait en effet que « c’est aux historiens qu’il appartient désormais de les préciser ». Et il concluait, au sujet d’Audin : « Il est mort durant sa détention [48][48]Le texte complet de la déclaration est disponible sur le site…. » François Hollande a ainsi rompu avec la version mensongère de l’évasion, restée la version officielle jusqu’à sa déclaration. Il est cependant évident que l’affirmation selon laquelle Audin « est mort durant sa détention » ne peut satisfaire ceux qui tiennent à la vérité. Qu’il ait été étranglé par l’un de ses tortionnaires, exécuté par un commando spécialisé ou qu’il soit décédé sous la torture, Audin est l’une des victimes de la torture et du système répressif mis en place à Alger en 1957. La responsabilité de l’État, à travers celle de l’armée, est engagée.
Sur le PCA : Allison Drew, We are no Longer in France. Communists in Colonial Algeria, Manchester and New York, Manchester University Press, 2014. Pour un récit très factuel : Henri Alleg (dir.), La guerre d'Algérie, 3 tomes, Paris, Temps Actuels, 1981. Voir aussi le cas d’un militant en rupture avec la ligne du Parti : Jean-Luc Einaudi, Un Algérien, Maurice Laban, Paris, Le Cherche Midi Éditeur, 1999. Gilbert Meynier, enfin, aborde longuement la question des relations entre le FLN et le PCA dans Histoire intérieure du FLN, Paris, Fayard, 2002.
À ce sujet : Didier Bigo, « Disparitions, coercition et iolence symbolique », Cultures & Conflits En ligne, 13-14 | printemps-été 1994, mis en ligne le 14 mars 2006, URL : http://conflits.revues.org/181 ; DOI : 10.4000/conflits.181 en ligne, consulté le 10 février 2017. Sur les disparitions dues à l’armée française pendant la guerre d’indépendance algérienne, précisément : Raphaëlle Branche, La torture et l’armée, Paris, Gallimard, 2001, p. 137-146. L’historiographie s’est en outre emparée des disparitions de Français à la fin du conflit. Tout en ayant les mêmes effets sur les proches des ictimes, elles n’ont pas eu la même ampleur et ne relèvent pas de la même analyse dans la mesure où il ne s’agit pas de disparitions dues à des forces étatiques agissant dans le cadre d’une politique répressive : Jean-Jacques Jordi, Un silence d’État. Les disparus civils européens de la guerre d’Algérie, Paris, Éditions SOTECA, 2011.
Ce système répressif a été analysé par Raphaëlle Branche dans La torture et l’armée…, op. cit., ainsi que par Gilbert Meynier dans Histoire intérieure du FLN…, op. cit.. La journaliste Marie-Monique Robin l’a également décrit sur le fondement de témoignages : Escadrons de la mort. École française, Paris, La Découverte, 2008.
Sur l’OAS et le rôle de Godard en son sein : Olivier Dard, Voyage au cœur de l’OAS, Paris, Perrin, 2005 ; Anne-Marie Duranton-Crabol, L’OAS, la peur, la iolence, Bruxelles, André Versaille éditeur, 2012.
Voir l’édito du président de l’UNC, consacré à la commémoration du 19 mars, dans son Bulletin, La Voix du combattant en mars 2016 (p. 3) : http://www.unc.fr/journal/la-voix-du-combattant en ligne, consulté le 15 février 2017.
Sur François Porteu de la Morandière, voir Guy Birenbaum et Bastien François, « Unité et diversité des dirigeants frontistes », dans Nonna Mayer et Pascal Perrineau (dir.), Le Front national à découvert, Paris, Presses de Sciences Po, 1996, p. 83-106. Pour un aperçu des idées de François Porteu de la Morandière, voir son ouvrage : Sacrée Marianne ! Fausse crise politique et raie crise morale, Issy-les-Moulineaux, Muller édition, 2000.
A ce sujet : Ariane Chebel d’Appollonia, L’extrême droite en France. De Maurras à Le Pen, Bruxelles, Complexe, 1987 ; Valérie Igounet, Le Front national de 1972 à nos jours, Paris, Seuil, 2014.
Les archives d’Yves Godard sont conservées à la Hoover Institution on War, Revolution and Peace, à l’université de Stanford : http://www.oac.cdlib.org/findaid/ark:/13030/tf387002s7/?query=godard. en ligne, consulté le 8 février 2017. Des copies des documents peuvent être envoyées sur demande.
On peut lire des reproductions de l’extrait du manuscrit d’Yves Godard sur le site de la LDH de Toulon, à cette adresse : http://ldh-toulon.net/affaire-Audin-la-verite-doit-etre.html en ligne, consulté le 8 février 2017
Quelques années après la guerre, Yves Courrière mentionnait déjà l’animosité de Godard envers Aussaresses : La guerre d’Algérie, tome 2 : Le temps des léopards, Paris, Fayard, 1969, p. 531-532. Aussaresses est revenu sur leurs relations antérieures dans Services Spéciaux…, op. cit., p. 92-93.
Massu en a témoigné dans un livre au titre significatif : Baden 68. Souvenirs d’une fidélité gaulliste, Paris, Plon, 1983. Pour un aperçu synthétique de la politique gaulliste en 1968 : Boris Gobille, Mai 68, Paris, La Découverte, 2008.
Nathalie Funès a rendu compte de son contact avec Gérard Garcet : « Révélations sur l’Affaire Audin », dans LeNouvel Observateur, 1er mars 2012, p. 10-14.
Son décès, le 1er janvier 2017, a été annoncé par l’Amicale du régiment : http://www.camps-parachutistes.org/t6164-deces-de-l-adc-yves-cuomo n ligne : consulté le 30 mars 2017.
Pour une fine chronologie et une analyse de ce débat : Tramor Quémeneur, « La mémoire mise à la question : le débat sur les tortures dans la guerre d'Algérie, juin 2000-septembre 2001 », Regards sur l'actualité, n° 276, décembre 2001, p. 29-40.
On peut écouter la réaction de Josette Audin à la Matinale de France Inter le 8 janvier 2014 : https://www.franceinter.fr/emissions/le-7-9/le-7-9-08-janvier-2014 en ligne : consulté le 22 février 2017.
La philosophe Isabelle Delpla en a fait la démonstration dans le cas du massacre de Srebrenica : « Faits, responsabilités, intelligibilité : comparer les enquêtes et les rapports sur Srebrenica », Cultures & Conflits En ligne, 65 | printemps 2007, mis en ligne le 4 janvier 2010, URL : http://conflits.revues.org/2221 en ligne : consulté le 25 mars 2017.
Le texte complet de la déclaration est disponible sur le site de l’Élysée : http://www.elysee.fr/declarations/article/message-du-president-de-la-republique-a-l-occasion-de-la-remise-du-prix-maurice-audin-pour-les-mathematiques/ en ligne : consulté le 25 mars 2017
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