1889, une année riche en événements pour la France métropolitaine. La construction de la Tour Eiffel et l’organisation de la dixième édition de l’Exposition universelle de Paris vont dominer l’actualité à l’échelle mondiale en ce 19éme siècle finissant.
Les expositions universelles, depuis la première qui s’est tenue en 1851 à Londres sous l’ère victorienne, ont toutes représenté pour les pays organisateurs une occasion privilégiée de célébrer avec éclat leur puissance et leur rayonnement. En 1889, la France en est à sa quatrième Exposition universelle, après celles de 1855 et 1867 sous le second empire, et celle de 1878 sous la IIIème république. Dans ce sillage va se tenir, du 5 mai au 31 octobre 1989, l’Exposition universelle de Paris, placée sous le thème de la « Révolution française », dans le cadre des commémorations qui fêtent le centenaire de la Révolution de 1789.
L’événement est d’une importance capitale pour une France soucieuse de s’affirmer en tant que grande nation, après la cuisante défaite qu’accusa Napoléon III en 1871 face à l’armée prussienne, suivie de la grande dépression de 1873.
A la faveur de l’Exposition universelle, la France compte afficher au regard du monde la vigueur de son essor industriel, comme en témoigne de manière éclatante l’édification de la Tour Eiffel, une structure monumentale tout en fer, haute de 300 mètres, dont la forme empreinte d’une créativité des plus audacieuses a repoussé toutes les limites architecturales de son temps. La construction de cette tour emblématique avec ses révolutionnaires ascenseurs à vérins hydrauliques, inaugurée le 31 mars 1889, s’inscrit dans une double perspective ; la célébration du centième anniversaire de la Révolution française et la tenue de l’Exposition universelle de Paris.
Au 19éme siècle, les Expositions universelles ne sont pas seulement la vitrine du progrès scientifique et technique des nations participantes, leur finalité consiste aussi à mettre en évidence la puissance et la grandeur du pays organisateur. En cette année 1889, la France se revendique à la fois comme une puissance industrielle et militaire majeure, mais également comme un grand empire colonial.
Paris, la ville-Lumière, brille de tous ses feux, tandis que la France entière savoure le triomphe indéniable que suscite à l’échelle internationale l’ouverture officielle de l’Exposition universelle, dont la Tour Eiffel fait office de somptueuse porte d’entrée à la délégation officielle qui accompagne le Président de la république Sadi Carnot.
Si les Expositions universelles étaient censées ne véhiculer aucune idéologie politique, la France fit pourtant de l’Exposition de 1889, un hymne à la gloire de la colonisation. Toutes ses colonies et possessions sont à l’honneur. Le prestige de la France est à la mesure de son empire colonial en pleine expansion.
L’Exposition universelle caisse de résonance de la France coloniale
Le cadre géographique de l’Exposition universelle, grandiose et immense, s’étend sur une superficie de 96 hectares qui englobe le Champ-de-Mars, les jardins du Trocadéro, tout le quai d’Orsay avec les berges de la Seine ainsi que l’esplanade des Invalides. Trente-cinq pays participent à cette somptueuse manifestation. Les divers bâtiments abritent 61722 exposants. Des milliers de visiteurs déambulent quotidiennement dans l’enceinte de l’Exposition. La France a déployé tous les moyens pour se donner l’image d’une nation fière d’exercer un rôle « civilisateur » aux quatre coins du monde. Une France républicaine qui se cherche un nouveau souffle dans de nouvelles conquêtes territoriales.
Si la Tour Eiffel, flambant neuve, illustre l’essor industriel de la France, « La galerie des Machines », une immense nef de verre et de métal, n’est pas en reste. Elle revêt des proportions hors normes. Longue de 420 mètres, large de 115 mètres, haute de 43 mètres, sans appuis ou soutiens intérieurs, cette prouesse architecturale représentait le plus grand bâtiment de ce type jamais construit jusqu’alors.
« Le promontoire des machines », deux ponts roulants situés à huit mètres de hauteur de part et d’autre de la galerie des Machines, permettent aux visiteurs d’avoir sur toute sa longueur, une vue plongeante sur les différents pavillons. Il y a là réunis sous l’immense voûte, les inventions les plus diverses dans le domaine industriel et technique. On y trouve des machines et moteurs à vapeur, des locomotives avec turbine à vapeur, des métiers à tisser, des machines à raboter, des machines d’extraction minière, des machines agricoles, des appareils de levage hydrauliques ou électriques à crémaillère, des machines à fabriquer des cigarettes, des meules mécaniques à concasser, des pompes à eau, des pressoirs mécaniques, des machines à trier les grains... Quatre prototypes de Peugeot type 1, des tricycles équipés de chaudière à vapeur, côtoient le premier moteur à explosion de Gottlieb Daimler. C’est une succession incroyable de machines motrices, de grandes roues et poulies en mouvement entrainées par des courroies pour toute sorte d’activités manufacturières et agricoles, sous l’enseigne publicitaire de telle ou telle marque de fabrique.
Autre invention de taille qui, elle, n’a nul besoin d’être exposée, puisque le soir tombé, partout elle se donne en un spectacle singulier. L’électricité illumine de mille feux l’Exposition universelle. On eût dit qu’il existait deux Expositions, celle du jour et celle du soir. Le premier étage et le haut de la Tour Eiffel sont garnis de perles lumineuses. Au sommet scintille le phare électrique d’une portée infinie avec ses feux bleu, blanc et rouge éblouissants. Du Trocadéro au Champ de Mars, c’est une orgie de lumières. Des générateurs à vapeur et des stations du nom de Feranti, Edison ou Gramme assurent cette féerie incomparable.
La grande bourgeoisie d’affaires où se mêle l’ancienne aristocratie du temps de la monarchie ainsi que des capitaines d’industrie internationalement connus, partagent fortune et pouvoir dans cette haute société parisienne de la fin du 19éme siècle qui a survécu à toutes les crises politique. La toile d’influence qu’elle s’est tissée dans la gigantesque machine militaro-industrielle et au sein des institutions de la république, confortait solidement la politique coloniale du gouvernement.
La convention de Berlin de 26 février 1885, signée par les puissances militaires de l’époque, avait établi un certain nombre de règles de conduite auxquelles celles-ci devaient s’astreindre pour procéder à un dépeçage en règle, sans conflits ni hostilités, des territoires africains non encore conquis, notamment la partie centrale et Ouest du continent, les dernières Terra incognita.
« La politique coloniale, disait Jules Ferry, est fille de la politique industrielle », autrement dit la colonisation est la suite logique de l’industrialisation. Lorsqu’en 1889 se tient l’Exposition universelle de Paris, la France connait une vigoureuse croissance économique. Les capitaux abondent et s’accumulent rapidement, y compris dans les colonies. L’industrie manufacturière est en développement continu. La culture de la terre s’industrialise peu à peu. Les besoins en matières premières deviennent un facteur essentiel de la prospérité nationale. L’apport des colonies doublé de l’expansion coloniale sont appelés à y pourvoir en écho à des perspectives métropolitaines de plus en plus ambitieuses. C’est au cours de l’année 1889 qu’est créée l’Ecole nationale de la France d’outre-mer, chargée de former des cadres de l’administration coloniale (Administrateur, Inspecteurs du travail, magistrats). Ouverte à Paris, l’Ecole va devenir le giron d’une véritable culture coloniale, incarnée par un système d’administration identique à toutes les colonies dont la finalité première était la consolidation du processus de colonisation.
Le Palais des industries diverses, miroir d’une civilisation occidentale conquérante
Le Palais des industries diverses est majestueux avec son hall d’accès monumental et son grand dôme central surmonté d’une imposante statue en zinc repoussé de neuf mètre de hauteur. Elle représente la France, personnifiée par une jeune femme pleine de grâce, inspirée de la sculpture grecque classique, qui distribue à 65 mètres du sol des palmes et des lauriers.
Le Palais des industries diverses abrite des expositions de produits manufacturés en France. La variété le dispute aux marques de renom. Tapisseries des Ateliers Gobelins, porcelaines de Sèvres, produits horlogers Lip, les galeries s’enchaînent les unes après les autres. Galerie de l’orfèvrerie, galerie de la bijouterie et de la joaillerie, galerie de la parfumerie, galerie de la soierie et de la draperie, galerie de la verrerie, galerie des fils et tissus... La gamme des produits est infinie sous le grand dôme de verre et d’acier. C’est l’endroit par excellence pour exposer les pépites d’une France raffinée, miroir d’une civilisation occidentale conquérante et sûre d’elle.
Une profusion de pavillons, un florilège de nations
Les pavillons et galeries répartis sur toute l’étendue de l’Exposition universelle couvrent un large spectre d’activités et un vaste catalogue de produits les plus variés présentés par les 35 pays participants.
Le Pavillon dédié au « Panorama du Pétrole » situé en bord de Seine, au niveau du pont d’Iéna, donne à travers cartes, dessins, planches et photographies, une vue panoramique sur l’exploitation du pétrole et ses diverses applications en tant que combustible. Eclairage, chauffage, force motrice, laissent présager l’avenir prometteur d’une industrie pétrolière naissante dont les Etats-Unis sont les pionniers dans le domaine. Le Pavillon du Pétrole préfigure le caractère stratégique d’une énergie qui, au tournant du 20éme siècle, va aiguiser les appétits féroces des puissances coloniales envers des pays détenteurs de cette précieuse ressource naturelle.
Un florilège de pavillons aux multiples décors entre pierre, faïences, acier et verre, bordent les allées de l’Exposition, tel le pavillon de l’industrie du gaz, le pavillon de l’agriculture ou le pavillon des manufactures nationales. Les pavillons des sections étrangères figurent aussi en bonne place. Ceux de l’Espagne, l’Italie, la Russie, l’Angleterre ou des Etats-Unis comptent des milliers d’exposants. C’est toute une ville avec l’incarnation propre à chaque pays qu’agrémente un riche programme de spectacles. Presque chaque jour une fantasia était organisée pour le public. Les spahis montés sur des chevaux barbe se lançaient dans des courses folles ponctuées d’impressionnantes charges de fusils, tandis que la nouba exécutée par des tirailleurs algériens ou Turcos du 1 er régiment d’Alger, emplissait l’air de joyeuses mélodies.
Les sections coloniales et leurs villages nègres, comparables à des zoos humains
A côté de la glorification des avancées scientifiques et techniques, la France a fait de cette grandiose manifestation qu’est l’Exposition universelle, une véritable foire coloniale.
L’esplanade des Invalides d’une superficie de 32000 mètres carrés est entièrement dédiée aux pavillons des « Sections coloniales », au Palais central des colonies et au Ministère de la guerre, un imposant bâtiment tout en longueur, hérissé de canons de campagne et de siège, de part et d’autre de son entrée centrale en forme d’arc de triomphe à la gloire de la république. Loin d’être un hasard, cet improbable voisinage était somme toute logique. « Colonies » et « guerre » sont toujours allées de pair.
Dans cette partie de l’Exposition située entre le champ-de-Mars et les jardins du Trocadéro, se trouvent regroupés des habitats et autres installations représentatives des peuples originaires des différentes colonies ou de colonies en devenir. Une mise en scène empreinte d’un exotisme réducteur, propre à la mentalité impérialiste de la IIIème république, tend à mettre en exergue la cartographie tentaculaire de son empire colonial de l’Afrique à l’Océanie, des Antilles à l’Extrême-Orient et aux Indes occidentales.
A l’image de modernité que l’Exposition proclame et célèbre sous le signe de l’ère industrielle, s’oppose comme dans un contre-miroir, l’image déshumanisante des « sections coloniales », une exposition à l’intérieur même de l’Exposition universelle avec des mises en scène exhibitionnistes au service d’un message propagandiste destiné à exalter le rayonnement de la IIIème république en tant que puissance coloniale déterminée à promouvoir le progrès économique, par l’entremise d’un capitalisme industriel florissant et expansif, mais aussi à la faveur d’un marché de denrées et produits coloniaux en pleine croissance.
Au titre des sections coloniales de l’Exposition universelle se dressent côte à côte sur l’esplanade des Invalides, le pavillon du Cambodge représenté sous forme d’une pagode d’Angkor-Wat grandeur nature; le Palais de la Cochinchine conçu dans un style typique de l’architecture propre à cette région du monde, le Palais de l’Annam et du Tonkin flanqué d’un théâtre annamite, les comptoirs de l’Inde française que symbolise la pagode de Villenour avec sa statuaire dense et raffinée.
Les territoires d’outre-mer sont représentés par des villages traditionnels où les figurants, des kanaks et guadeloupéens ramenés de leurs lointaines îles du pacifique par des chefs d’expédition, vivent en autarcie dans des sortes d’enclos, le corps demi-nu offert à la curiosité des visiteurs dont certains leur jetaient de la nourriture ainsi que les animaux d’un zoo.
Les noirs africains, tous réduits au terme générique de « nègre » fortement connoté de racisme, sont parqués dans plusieurs villages quadrillés et cadastrés, reproduits à l’identique ou presque, avec leurs cases de toutes grandeurs et de toutes formes, éventuellement la mosquée ou un mur d’enceinte en terre, et leurs habitants, quelques échantillons parfaitement sélectionnés, assignés à demeure fixe dans leurs espaces respectifs. Il s’y trouve aussi des animaux sauvages, des singes surtout, ou des chiens du pays; le tout au milieu d’une grande variété d’ustensiles et d’objets du quotidien où les idoles en bois, les tambours et autres instruments de musique occupent une place de choix. Ainsi se côtoient le village Pahouin d’une ethnie du Gabon, le village Louango d’une tribu du Congo, le village sénégalais dominé par la reconstitution de la Tour de Saldé, partie d’un ouvrage militaire aux proportions imposantes édifié aux premiers temps de la conquête du Fouta-Djalon par le commandant Faidherbe qui prit part en 1851 à l’expédition de la petite Kabylie, attaché aux troupes du général Bosquet.
Les villages indigènes, villages exotiques, villages d’exposition et d’exhibition, étaient censés reconstituer la vie quotidienne de ces peuples lointains soumis à la France. C’était des lieux de vie imposés et des lieux de spectacle obligés, sans pratiquement possibilité d’en sortir, sous peine de punition, pendant les six mois que va durer l’Exposition universelle. Quatre cent indigènes auront ainsi été déplacés de leur pays d’origine pour faire le spectacle et peupler des décors montés de toute pièce.
Les indigènes noirs eurent le plus à souffrir des conditions de vie déplorables lors de leur séjour en métropole. Le dépaysement, le climat, les contraintes inhérentes à des exhibitions journalières (danses, chants, simulation d’activités collectives...) qui les exposaient au public, comme des animaux de foire ou des ours savants, les épuisaient physiquement et moralement.
Dans une scénographie intentionnellement perverse, les villages nègres donnaient l’image de zoos humains. C’était l’attraction la plus courue avec ces hommes et ces femmes dont la couleur de peau était la première des curiosités. A leur insu, ils assumaient par eux-mêmes la fonction légitimatrice à la fois de la colonisation à vocation civilisatrice et des thèses qui prônaient une hiérarchie des races. Le visiteur mesurait les efforts redoublés que devait déployer l’administration coloniale pour civiliser ces peuplades primitives. Le mythe du « sauvage cannibale » devant évoluer vers celui du « bon sauvage ».
Le Pavillon de l’Algérie, partie intégrante de la France
L’Algérie a été de toutes les expositions universelles, depuis la première, celle de 1851 à Londres, puis les suivantes qui se tinrent dans les grandes villes du monde au 19éme siècle, tel que Vienne en 1873, Philadelphie en 1873 et Melbourne en 1880. A partir de l’Exposition universelle de Paris de 1867, l’Algérie disposait de son propre pavillon. En tant que colonie de peuplement, l’objectif était non seulement d’exposer ses richesses agricoles, minières et industrielles, mais aussi d’attirer des capitaux et une population européenne, surtout française.
Lors de l’Exposition universelle de 1889, le « Palais de l’Algérie » est implanté sur l’esplanade des Invalides, un espace entièrement réservé aux pavillons et villages des « Sections coloniales », mais il se trouve un peu en retrait, à l’angle du quai d’Orsay et de la rue de Constantine, là où se situe le Ministère des Affaires étrangères. De par son intérêt stratégique pour l’économie française, c’est le pavillon le plus important et le plus visible dans cette partie coloniale de l’Exposition universelle. D’ailleurs, le chemin de fer intérieur, une des attractions phare, marque un arrêt devant le Palais de l’Algérie parmi les neuf stations que compte la ligne.
Le pavillon de l’Algérie et ses annexes occupent 6300 mètres carrés, soit un peu plus du cinquième de la superficie totale de l’esplanade des Invalides. L’Algérie, partie intégrante de la France, jouit de ce fait, d’un statut privilégié par rapport aux autres colonies.
La composition architecturale du pavillon de l’Algérie rappelle à la fois la mosquée par son minaret de 22 mètres surplombé du drapeau tricolore, et le palais de style mauresque dont des éléments esthétiques modernes ont été ajoutés à la construction, selon une démarche conceptuelle néo-mauresque, une sorte d’appropriation par le colonisateur des caractères distinctifs du patrimoine traditionnel algérien, modélisé d’après l’image mentale que celui-ci se fait de l’assimilation culturelle.
A l’intérieur du Palais de l’Algérie, les exposants présentent des articles du pays ; vins et autres boissons fermentées, produits agricoles, miels et spécimens de produits alimentaires, lièges et bois divers, minéraux, marbres, tapis, maroquinerie... Les organisateurs de l’Exposition universelle ont conçu un discours adapté aux différents types de colonies et possessions, en fonction de l’ancienneté de l’implantation française. Pour le cas de l’Algérie, le discours misait essentiellement sur son potentiel économique et les bénéfices que la métropole pouvait en tirer, une manière de justifier les dépenses importantes consacrées à la pérennisation de la présence française.
Sur le terre-plein situé derrière le Palais de l’Algérie ont été reconstitués :un souk traditionnel, lieu de rassemblement hebdomadaire des populations rurales, animé par des marchands indigènes et des petits artisans qui s’adonnent à leurs tâches habituelles; une habitation typique du Djurdjura; un campement nomade où s’élèvent de vastes tentes à larges rayures multicolores avec un peu plus loin des chevaux de la jumenterie de Tiaret attachés à des pieux ; et pour le spectacle, un café maure où la secte des Aïssaouias avec bannières et étendards se livre à des rituels d’automutilation, lors de danses extatiques au son du tambourin et de la gheita. C’était là une mise en scène délibérément archaïque et caricaturale de l’Algérie colonisée. Pour les visiteurs l’illusion était complète. Ces reconstitutions qui se voulaient d’un caractère didactique pour faire connaître un pays mal connu, en disaient davantage sur la perception qu’avait le pouvoir colonial du peuple algérien, faute de le montrer sous son véritable jour et dans toute son authenticité.
Situation de l’Algérie colonisée à l’époque de l’Exposition universelle de 1889
Tandis que festivités fastueuses, cérémonies mondaines ponctuent chaque jour de l’Exposition universelle, le peuple algérien vit depuis plus d’un demi-siècle sous le joug colonial. Il est dans ce monde, mais il n’existe pas en tant que tel. Les indigènes musulmans ne sont pas des citoyens à part entière, mais des sujets français soumis au Code de l’indigénat adopté le 28 juin 1881. Par volonté discriminatoire, le régime de l’indigénat fait des libertés individuelles et collectives dont jouissent les Français de la colonie, de véritables infractions lorsqu’il s’agit des indigènes-musulmans, alors passibles de mesures punitives spéciales tout aussi dégradantes les uns que les autres.
En 1889, l’Algérie coloniale a de quoi se réjouir, et pour cause, l’œuvre de pacification est pratiquement achevée dans le nord du pays et les premières marche du Sud, après la longue chaîne des insurrections et révoltes de différente ampleur, réduites les unes que les autres par des répressions sauvages. La dernière en date, l’insurrection menée de mars 1871 à janvier 1872 par Cheikh El-Mokrani, avec le concours de son fils Boumezrag et l’appui de son allié Cheikh El-Haddad, chef de la confrérie Rahmaniya, a été écrasée dans le sang. S’en suivront peines de mort, déportations, confiscations de terres, séquestres et amendes collectives impressionnantes. Ce fut la dernière grande insurrection dans le nord de la colonie où le processus de colonisation était à son apogée.
Epuisé, exposé aux disettes et épidémies, le peuple algérien vit les heures les plus sombres de son histoire. Les populations n’ont plus le souffle pour poursuivre la résistance face au colonisateur français, qui à présent étendait sa politique de pacification en profondeur dans les zones sahariennes où Bouamama et les tribus du Sud Oranais, les Ouled Sidi Cheikh, vont prendre le relais de la résistance armée.
A l’heure où l’Exposition universelle faisait de la France la vitrine de la civilisation occidentale, le peuple algérien écrasé par la domination coloniale, endurait souffrances et misères, sans pour autant s’avouer vaincu. C’était bien ce même peuple si courageux, si vaillant qui suscita l’admiration de Napoléon III, à l’occasion d’un spectacle de fantasia auquel il assista le 19 septembre 1860 lors d’un voyage en Algérie. Ce jour-là, de fougueux cavaliers arabes, burnous au vent, se lançaient dans des courses folles sur leurs montures richement harnachées, tout en faisant tournoyer au-dessus de l’épaule leurs mousquets à silex qu’ils déchargeaient dans d’assourdissantes détonations en passant devant la tribune impériale. « Ce n’est pas un peuple, c’est une armée ! », s’exclama avec émerveillement Napoléon III.
Les indigènes de l’Exposition universelle, spectacle de la cérémonie de clôture
Le 29 septembre 1889, quarante-huit heures avant la clôture de l’Exposition universelle, le Président de la république procède dans la grande nef du « Palais des industries diverses », à la distribution des récompenses aux exposants. A cette occasion, l’Algérien Hamoud, fondateur de la société Hamoud Boualem, est récompensé d’une médaille d’or, catégorie hors concours, pour sa boisson « La Royale ». Le gouvernement de la métropole choyait les représentants de la vieille bourgeoisie citadine algéroise dans le secret espoir de l’associer aux élites indigènes favorables à son projet assimilationniste, clé d’une paisible cohabitation entre les communautés arabe et européenne.
Le 31 octobre 1889, une cérémonie est organisée en grande pompe pour la clôture de l’Exposition universelle. Une cérémonie haute en couleur. Les indigènes de l’Exposition universelle dans leurs tenues traditionnelles défilent en délégations devant la tribune officielle où sont présents tous les membres du gouvernement et le Président de la république Sadi Carnot. Encore une fois, les indigènes des colonies ; Indochinois, Kanak, Congolais ,Gabonais, Sénégalais, Cambodgiens, Algériens, Tunisiens...sont exhibés en guise de spectacle à la gloire de l’empire colonial de la France qui a retrouvé sa place parmi les grandes puissances.
A quatorze heures, sur un coup de canon tiré depuis le premier étage de la Tour Eiffel et enregistré sur le phonographe d’Edison, l’Exposition universelle de Paris avec un score de trente-deux millions d’entrées, ferme officiellement ses portes dans une effervescence festive. Elle se clôture sur l’image d’une France républicaine confiante en elle-même, plus conquérante que jamais. Au même moment, sur l’autre rive de la Méditerranée, le peuple algérien, plongé dans une longue nuit coloniale, attendait son heure avec la résignation active du croyant devant les fatalités de l’histoire.
par Djamal Kharch
Ex Directeur Général de la Fonction Publique - Ecrivain. Docteur en sciences juridiques
http://www.lequotidien-oran.com/?news=5294219
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