Marcel Bigeard, "le combat contre la vieillesse, personne ne le gagne"
Le général Bigeard est mort le 18 juin 2010, quelques mois avant sa disparition, à l'occasion de la sortie de son livre de souvenirs, il acceptait une dernière interview. A 93 ans, l'ancien militaire n'avait toujours pas sa langue dans sa poche, comme à son habitude...
Nous sommes le 3 novembre 2009, le général reçoit chez lui, à Toul et en direct, les caméras de l'émission 18-30 aujourd'hui, diffusée dans la tranche d'information de France 3. Comme à son habitude, il répond sans ambages aux questions de Laurent Bignolas concernant son dernier livre intitulé Mon dernier round, c'est mon combat final, paru aux éditions du Rocher.
Laurent Bignolas lui demande d'abord : "dans ce livre, j'ai l'impression que vous voulez rallier du monde à votre panache blanc. C'est bien ça votre message aujourd'hui?"
Marcel Bigeard, bien calé à son bureau devant une impressionnante bibliothèque acquiesce, "oui, c'est un peu ça, je continue à dire ce que je pense. Il y a beaucoup d'amis qui sont comme moi. Faudrait qu'ils prolongent, parce que moi, dans 93 ans, bientôt 94, les jours qui me sont comptés, ils ne sont pas très nombreux vous voyez."
"on la paye la période glorieuse, faut payer la facture..."
"Alors, votre dernier combat, c'est quoi? C'est encore un coup de gueule en fait ?"
Le nonagénaire au regard encore vif réfute ce terme et se justifie à la troisième personne comme s'il parlait d'un autre illustre personnage, "non, ce n'est pas un coup de gueule. C'est faire comprendre qu'il y a eu un Bigeard glorieux pendant des décennies : la campagne contre les Allemands, dix ans d'Indochine, six ans d'Algérie, neuf ans d'Afrique noire et de Madagascar. On a parlé constamment de Bigeard. Plutôt en bien, alors ça, c'était la période glorieuse. Maintenant, on la paye la période glorieuse, faut payer la facture, parce que le combat contre la vieillesse, personne ne le gagne. Qu'on soit riche, pauvre, con ou glorieux. Elle gagne, elle gagne. Donc je perdrais là, je perdrais, mais je fais face. Je fais face à la mort, la regardant dans les yeux, en disant t'auras ma peau mais je la défendrais jusqu'au bout !"
"La France était incommandable actuellement par n'importe quel homme !"
Laurent Bignolas l'interroge ensuite sur le panorama politique de l'époque : "qu'est-ce qui vous blesse le plus aujourd'hui en France? Les affaires politico-judiciaires, par exemple ?"
"Oh ben, je dirais tout hein ! Les valeurs ont foutu le camp. L'esprit, la camaraderie. Il y a tellement de choses à remettre en place. La France était incommandable actuellement par n'importe quel homme. Sarkozy se donne du mal mais enfin, c'est pas possible ! Les partis, les ceci, les cela, les divisions, même dans les partis de la majorité. Regardez ce qui se passe. Non. Il y a une remise à l'ordre, remise en place des valeurs nécessaires pour faire repartir le pays et le pays en a besoin, croyez moi. Et beaucoup de jeunes, contrairement à ce qu'on pense, voudraient bien que ça change". Il assume c'est un message politique. "Les jeunes, ben si ils m'entendent là. Moi, j'étais jeune, partant à zéro, ne comprenant rien à la vie. Je l'ai faite la vie, c'est du mal, faut travailler, faut y croire. Parce que face à ces guerres subversives qui posent des bombes. Des volontaires de la mort? Qu'est-ce qu'on oppose? Ben oui, des militaires, c'est bien. Mais il y en a un certain nombre qui vont aux militaires parce que ça permet de gagner au minimum sa vie. Ce qui ne veut rien dire parce que même s'ils partent mécontents, s'ils ont de bons chefs, on transforme un gars comme ça, en héros, croyez moi".
"Chirac a été des années au pouvoir et a laissé la France s'enliser..."
Laurent Bignolas lui demande ce qu'il pense des mémoires de Jacques Chirac qui viennent elles aussi de paraître, "quand Jacques Chirac publie aujourd'hui ses mémoires et règle bien-sûr quelques comptes. Vous approuvez?
Marcel Bigeard, comme à son habitude ne va pas mâcher ses mots concernant l'ancien président, "Chirac. Chirac, il est très populaire, je ne peux rien dire. Mais, quand j'ai eu 90 ans, il y a eu une commission, en disant regardez les décorations, les décorations qu'il n'a pas Bigeard, qu'on lui donne. Et je n'avais même pas l'ordre du mérite. Alors cette commission me dit, général, vous l'avez même pas l'ordre du mérite. Je n'ai jamais rien demandé de ma vie et j'ai tout eu. Ben il dit, vous allez avoir encore mieux, parce que dans l'ordre de mérite, on va vous donner un grand grade et c'est Chirac qui vous décorera. Alors j'ai dit, écoutez stoppez ça, d'abord je n'ai jamais rien demandé, donc stoppez votre affaire. Et décoré par Chirac, ça, jamais, parce que Chirac a été des années au pouvoir et a laissé la France s'enliser et je lui en veux uniquement pour ça. Autrement, il est sympathique et chaleureux".
Un manque de reconnaissance ?
Pour conclure l'entretien, le journaliste l'interroge sur ses regrets : "s'il y avait un regret dans la vie pour vous, ce serait quoi ? De ne pas avoir été maréchal de France ?"
Il plaisante "ben, il y en a beaucoup qui ont écrit à Sarko, on l'appelle Sarko hein, en disant comment se fait-il qu'il n'est pas maréchal ? Quel est le général qui a fait ce qu'il a fait ? Alors son chef d'état-major a répondu : mais il n'a pas commandé en chef devant l'ennemi. Alors là, j'ai dernièrement, à l'échelon d'état-major de l'Armée de Terre, j'ai été sortir un papier disant, finalement la fin de Diên Biên Phu, finalement c'est commandé par Bigeard et l'Anglais, un commandant et un lieutenant-colonel. C'est vrai, quand tout s'écroule, les morts partout, c'est la défaillance. Et puis alors le type vient, mais Bigeard revient, c'est a été le moral. Ça a tenu soixante jours grâce à ces gens-là."
Le général Bigeard reste aujourd'hui encore le général français le plus décoré de l'armée française, avec 27 citations. Ancien résistant, son nom reste associé à la guerre d'Indochine et à celle d'Algérie. Resté dans l'armée de 1936 à 1976, il poursuivra une carrière politique comme secrétaire d’État à la Défense nationale et député. Une fondation à son nom a été créée le 9 juin 2011.
Petite bio express
Né en 1916, le général Bigeard est mort le 18 juin 2010 à l’âge de 94 ans. Au cours d’une carrière militaire longue de 40 ans, il a combattu pour la Seconde Guerre mondiale, la guerre d’Indochine et la guerre d’Algérie. Lors de la bataille d’Alger en 1957, il dirige des troupes de parachutistes qui ont repris la ville aux indépendantistes. En 1975, il est nommé secrétaire d'Etat à la Défense dans le gouvernement de Jacques Chirac, sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing. Accusé d’actes de tortures et d’exécutions sommaires durant la guerre d'Algérie, Marcel Bigeard a toujours nié avoir participé à de telles opérations.
Pour aller plus loin
Zoom : Bigeard le para. Portrait et interview du général Marcel Bigeard, parachutiste et figure légendaire de l'armée française (12 septembre 1967)
19-20 Locale France 3 Nancy : portrait du général Bigeard. "Je pars battu car il y a la mort, c'est un combat contre la vieillesse, c'est le plus dur ; j'ai vécu avec la jeunesse, je l'aime beaucoup et quand je vois des hommes de mon âge, je me dis il a l'air d'un vieux con celui-là…Je reste là, je fais face à cette mort qui me regard". (4 novembre 2009)
L'invité du jeudi : portrait de Marcel Bigeard par Anne Sinclair. Marcel Bigeard réagit sur plusieurs points. (8 mai 1980)
L'invité du jeudi : Anne Sinclair interviewe le Général Bigeard sur la torture durant la bataille d'Alger. (8 mai 1980)
L'invité du jeudi : Reportage. Marcel Bigeard explique ses fonctions à l'Assemblée nationale, fait une comparaison entre les mondes politique et militaire. Filmé aussi à Toul, dans sa circonscription, il dévoile une partie de sa vie privée, parle de sa carrière militaire et de l'écriture.
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