ombien y a-t-il de musulmans en Europe ? Combien y a-t-il d’individus d’origine extra-européennes dans notre continent ? Non seulement personne ne le sait officiellement mais poser ce genre de question vous catalogue comme raciste ou « islamophobe » (le sens du mot ayant évolué au XXe siècle puisqu’il signifie désormais « qui n’aime pas l’islam » et non plus « qui a peur de l’islam »).
Selon diverses sources journalistiques, il y aurait plus de 40 millions de musulmans pour 515 millions de citoyens de l’Union européenne. L’islam est de plus en plus visible et audible, comme quand 90 000 musulmans, venus du monde entier, fêtent la fin du Ramadan dans le grand parc public de Birmingham (ils étaient 12 000 six ans plus tôt). Ou comme quand des mères d’élèves d’une école primaire publique de Lyon (celle des “ hussards ” de la République) demandent et obtiennent qu’on enlève d’un goûter de fin d’année des friandises d’une marque allemande bien connue au motif qu’ils sont fabriqués avec de la gelée, elle-même obtenue par le broyage de carcasses de porcs. Cette religion est également de plus en plus dominante dans des pays non européens, ce qui n’a pas toujours été le cas : l’Égypte fut chrétienne (mais Boutros Boutros Ghali ne put pas être chef d’État parce qu’il était chrétien), tout comme la Syrie, où le christianisme a reculé ; l’Afghanistan fut bouddhiste du IIIe au VIIIe siècles (en 2001 les talibans détruisirent les trois gigantesques Bouddhas de Bâmiyân classés au patrimoine de l’UNESCO) ; l’Iran fut zoroastrien du VIIe au Xe siècle. L’Égypte est aujourd’hui musulmane à 95%, la Syrie à 93%, l’Afghanistan à 99,9%, l’Iran à 99,7%.
Qu’en est-il de la France ? Si l’on s’en tient aux statistiques de l’Observatoire des migrations en France et dans le monde, il y avait, en 2014, 9,2 millions de personnes d’origine extra-européennes, sept fois plus qu’en 1975. N’étaient pas pris en compte, faute d’outils statistiques, les immigrés de troisième et quatrième génération. 200 000 personnes entrent légalement chaque année dans notre pays par le biais, entre autres, de visas de tourisme. On évalue à environ 70 000 le nombre annuel d’entrées illégales (la clandestinité commence après trois mois de séjour légal). 100 000 étrangers obtiennent chaque année la nationalité française.
Quelle est la population musulmane en France ? Il est difficile de donner du sens à cette question. De même qu’on peut être baptisé catholique et ne jamais mettre les pieds dans une église, la pratique de la religion musulmane est diverse et variée. Selon l’institut de recherche étasunien Pew Research Center, il y aurait un peu moins de 6 millions de musulmans dans notre pays, équivalent à 8 à 9% de la population. Selon une projection de cet institut, la population musulmane atteindrait 17% de la population en 2050. D’autres chiffres sont cités, qui vont de 4 à 15 millions. François Pupponi, ancien maire socialiste de Sarcelles, estime la population musulmane à 8,5 millions de personnes (13% de la population). L’ancien ministre de Jacques Chirac, Azouz Begay, pense qu’il y a 15 à 20 millions de musulmans sur notre sol : des Maghrébins, des Turcs, des personnes originaires d’Afrique noire, de l’ex-URSS, etc. Selon Ahmet Ogras, le président du Conseil français du culte musulman (CFCM), un proche de l’islamiste Tayyip Erdoğan : « Aujourd’hui, nous avons plus de dix millions de musulmans en France. […] Plus de six millions de Français d’origine algérienne […] plus de 3,5 millions de Français d’origine marocaine […] huit cent mille d’origine turque, huit cent mille d’origine tunisienne. On est même à plus de dix millions. Aujourd’hui, on ne peut pas nous sous-évaluer […]. » Le même Ahmet Ogras expliquant par ailleurs, avec une certaine ironie dont on pourrait discuter à l’infini, à propos du terrorisme (que j’évoquerai peu dans ces pages) : « Le terrorisme islamiste ? On ne va pas faire tout un foin pour 2, 3 terroristes […] qui ne sont absolument pas un produit du culte musulman mais un produit de la société française [et ce, même si 98% des terroristes assassins étaient musulmans….]. Jamais ils ne sont passés par la “ case mosquée reconnue par le CFCM ” ni par la “ mosquée ” tout court. En revanche, ils ont été « éduqués par des assistantes sociales et des familles d’accueil » [françaises].
Certains observateurs estiment que lorsque, dans un pays, la population musulmane représente 17% du total, la progression devient alors inexorable. Si je m’en tiens à la Côte d’Ivoire, que j’ai bien connue dans la durée, cette hypothèse est plausible. Après avoir accueilli de nombreuses familles maliennes et burkinaises, après avoir laissé se développer – contre l’avis de nombreux musulmans eux-mêmes – un prosélytisme très dynamique (la dawa), le pays a vu le pourcentage de musulmans passer de 20% en 1960 à 43% en 1993 (environ huit millions). J’ai fréquenté plusieurs collègues dans l’enseignement ivoirien qui, sans crier gare, adoptaient un prénom musulman, abandonnant de fait le christianisme. Je n’ai pas rencontré l’inverse.
La DGSI a récemment recensé 150 quartiers sous l’emprise de l’islam dur (j’évite le mot “ radical ” car je ne suis pas en mesure de dire en quoi il peut s’appliquer à cette forme d’islam). Il s’agit d’une étude pour le moment classée secret-défense. Dans des fiefs historiques comme les banlieues de Paris, Lyon et Marseille, dans des départements plus inattendus comme l’Ain ou l’Eure-et-Loir. On ne sait trop si les scores importants obtenus par l’Union des démocrates musulmans français (UDMF) dans de récentes élections sont le signe d’une prise en charge par des responsables politiques musulmans d’une expression intransigeante de plus en plus signifiante, ou s’il s’agit d’une ultime tentative raisonnable pour empêcher un déferlement qui ébranlera pour de bon la société française.
* *
Avant de revenir au cas français, je vais faire un petit tour dans quelques pays européens. Je laisserai de côté la Suède, où la présence des populations extra-européennes (5% de la population), et largement musulmanes, implantées depuis une quarantaine d’années dans un pays peu peuplé et protestant, est désormais ingérable. La situation devient pathétique : tout récemment, des hommes immigrés ont refusé, de manière répétitive, d’être servis par des femmes dans un grand magasin. Pas soutenues par leur hiérarchie, ces employées ont démissionné.
Je passerai rapidement sur la Suisse, extraordinaire ventre mou où l’islam dur s’enfonce comme il veut. Un simple exemple. Un imam obtient l’asile et le statut de réfugié car il a fuit la Libye. Depuis 1998, il a touché 800 000 francs suisses d’aide sociale. Il se rend régulièrement dans son pays, qu’il a fuit. En 2017, on lui retire son statut de réfugié mais il peut néanmoins continuer à résider dans la Confédération et percevoir des aides de base. Mais le plus beau est que, dans son mosquée, il se répand en imprécations contre ce qui n’est pas musulman, priant Allah pour qu’il « élimine les juifs et les chrétiens. »
Je dirai un mot du Royaume-Uni où les pouvoirs publics (police, justice, service sociaux, enseignants) ont caché pendant trente ans les crimes effarants de gangs de violeurs pakistanais (99% des Pakistanais sont musulmans) qui ont fait des milliers de victimes, toutes blanches et jamais noires (1000 rien que dans la ville de Telford). Les médias étant plus préoccupés par le foot et les amours princiers que par la détresse de ces jeunes filles. Moins dramatique mais très risible, cette décision des services de pompiers des West Midlands de recruter en 2021 60% de femmes et 35% de Noirs et de membres d’autres groupes ethniques. Cette décision racialiste mettant dans le même panier les femmes blanches et les Noirs. Parce qu’ils sont tellement pragmatiques, n’est-ce pas ?, les Britanniques ont accepté que les musulmans règlent leurs litiges devant des tribunaux spécifiques fonctionnant selon les principes de la Charia (tout comme les Grecs, soit dit en passant). Ils y ont été encouragés par une décision de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) en 2018 qui permet l’instauration de la charia dans n’importe quel pays : « Un État peut créer un cadre juridique déterminé pour accorder aux communautés religieuses un statut spécial impliquant des privilèges particuliers. » Les féticheurs Yacoubas bénéficient-ils de cette mesure ? Rappelons qu’en 2003 cette même Cour avait validé la dissolution d’un parti islamiste en Turquie au motif qu’il souhaitait instaurer la charia en Turquie. Les juges de Strasbourg avaient alors conclu à «l’incompatibilité de la charia avec les principes fondamentaux de la démocratie» et avec les normes de la Convention européenne des droits de l’homme.
Prenons la situation en Allemagne l’Allemagne. Pour des raisons qui finiront bien par être connues, ce pays a vécu en 2015 – à cause d’une décision de la chancelière Angela Merkel – une vague d’immigration soudaine et massive en provenance du Proche-Orient et d’Afrique. La liberté de circulation étant totale en Europe, les effets de ces arrivées inopinées se firent sentir un peu partout, en France y compris. L’extrême droite allemande, qui était une des plus faibles d’Europe, grossit et canalisa des sentiments de rejet qui n’avaient nullement existé depuis 1950, date à partir de laquelle une immigration de travail (Turcs, Italiens, Grecs, Yougoslaves) avait été organisée, dans l’industrie et le bâtiment principalement. En 1966, le regroupement familial fut instauré, si bien qu’en 1973 l’Allemagne de l’Ouest comptait environ 2,5 millions d’étrangers. Après la chute du Mur de Berlin, trois millions d’Allemands de l’Est passèrent à l’Ouest. En 2015, le petit Aylan al-Kurdi qui, avec sa famille, avait fui la Syrie, mourait noyé près de l’île grecque de Kos. La photo émut le monde entier. Son frère et sa mère avaient également péri dans le naufrage de deux embarcations de fortune. Surfant, si je puis dire, sur cette émotion, le gouvernement allemand ouvrit la frontière avec l’Autriche sans aucune restriction et fit accepter dans les instances européennes la plus importante arrivée de populations extra-européennes – et musulmane – de l’histoire. Dépassé par un flux inattendu qu’il ne parvenait pas à contenir ou à gérer, le gouvernement ferma provisoirement la frontière avec l’Autriche, ce qui n’empêcha pas, cette année-là, l’arrivée d’un million et demi de migrants, suivis par un million en 2016 et 90 000 en 2017. En 2018, un habitant sur huit en Allemagne était étranger. Un des nombreux problèmes posés par cette soudaineté est que 43% des enfants scolarisés à Berlin ont une mauvaise maîtrise de l’Allemand. Aujourd’hui, 5% de la population allemande est musulmane.
L’important est que l’Allemagne manquait de bras. De bras d’ouvriers plus que de cerveaux d’ingénieurs. Mais des milliers d’étrangers entrèrent après avoir, disaient-ils, détruit leurs papiers d’identité. En 2018, on dénombra 200 000 demandeurs d’asile nés un 1er janvier ! Une population de très bas étage profita du flot : 5 000 criminels de guerre, des souteneurs. Plus de 100 000 actes criminels furent commis par des étrangers en 2018. En réaction, le nombre de permis de port d’armes doubla. Angela Merkel finit pas reconnaître, en 2017, l’existence de zones interdites à la police et la constitution de gangs mafieux d’origine nigériane ou libanaise.
Le greffe des travailleurs ne prit pas vraiment : en 2018, un quart seulement des immigrants arrivés en 2015 avaient un travail, malgré 23 milliards d’euros consacrés à l’intégration des étrangers. L’Allemagne dut accepter des mœurs venues d’ailleurs, pour beaucoup datant de l’époque du Prophète. La Cour suprême fédérale jugea inconstitutionnelle la non reconnaissance d’un mariage à l’étranger d’un majeur avec un enfant de moins de 16 ans. Cette décision contrecarrait une loi adoptée en 2017 visant à lutter contre le mariage d’enfants. Le tribunal administratif de Leipzig estima en 2018 que la polygamie n’était pas un obstacle à la naturalisation d’un étranger. Le port du burkini par une lycéenne fut autorisé par le tribunal administratif fédéral pour ne pas empêcher la jeune fille de participer à des cours de natation organisés par son lycée. Une cour fédérale autorisa une élève de 16 ans à porter au collège un nikab noir masquant le visage.
Le nombre de mosquées est en croissance régulière, en particulier celles financées par les pays du Golfe. Des quartiers entiers sont désormais régis par la Charia, qui se substitue au droit du pays, au nom de la liberté d’expression ! En réaction à cette avancée d’un islam de plus en plus rigoriste et exigeant, s’est créé en 2014 le mouvement d’extrême droite Pegida : Les Européens patriotes contre l’islamisation de l’Occident (« Patriotische Europäer gegen die Islamisierung des Abendlandes »). Principalement pour protester contre les échauffourées opposant Kurdes et salafistes. Á noter que Pegida, très hostile aux étrangers, est influent dans l’ex-Allemagne de l’Est, où il y a peu d’immigrés et, par conséquent, peu de risques d’islamisation. Á la même époque fut crée le parti Alternativ für Deutschland (Alternative pour l’Allemagne), sur des bases nationalistes et eurosceptiques. On remarquera que, tout comme le parti nazi en son temps, l’AfD compte de nombreux universitaires dans ses rangs. Il dispose de 91 députés (sur 709) et de 11 députés européens. Sous son influence, Angela Merkel a durci sa politique migratoire : elle a renforcé les contrôles aux frontières, elle a établi des quotas pour le regroupement familial et a refoulé des demandeurs d’asile déjà enregistrés dans un autre pays européen. Décisions qui ont augmenté le nombre de migrants en France.
En 2020, le politiquement correct en Allemagne frise les sommets. Les Allemands d’origine en sont à se mortifier sans même aucune pression des populations immigrées, musulmanes ou pas. Deux exemples récents : la WDR, chaîne de télévision publique, a décidé que les joueurs de handball étaient « trop blancs et allemands ». Un bon exemple de position qui se veut antiraciste lancée sur des bases racistes ou racialisées. « Le Blanc et l’Allemand deviennent un problème » estime la chaîne (si l’on prend les 15 meilleures équipes mondiales, pas une qui soit – disons pour simplifier – non blanches). Que dire alors des stades de football où les Noirs dominent sur la pelouse et les Blancs dans les tribunes ? Après qu’un crime atroce eut été commis par un Nigérian résidant en situation illégale dans le pays, et surtout après que ce Nigérien eut été protégé par la Justice contre sa compagne allemande qu’il martyrisait et à qui il avait annoncé qu’il allait tuer leur enfant, la magistrate refusa de parler de décapitation. Elle évoqua de “ graves blessures au cou ” et elle interdit aux médias d’en parler.
Les citoyens allemands sont un peu perdus. Récemment, un homosexuel, jusqu’à il y a peu militant de gauche, s’est tourné vers le parti politique d’extrême droite, l’AfD, le seul parti qui ait répondu à sa demande de contact, après avoir été brutalement attaqué par des « extrémistes musulmans ».
Ci-dessous : photo d’une piscine en Allemagne où le bermuda est interdit aux hommes. En Suède, le “look” de l’année a été décerné par le magazine Elle à une femme voilée.
II
Le Danemark a connu une forte immigration ces quarante dernières années. Récemment, des mesures ont été prises pour préserver une certaine homogénéité de la population danoise. Jusqu’en 1975, l’immigration avait été faible au Danemark, principalement en provenance des pays d’Europe du nord. Puis le pays manquant de main-d’œuvre, des travailleurs étrangers furent accueillis à cette époque : Turcs, Pakistanais, Africains, Moyen-Orientaux. L’ouverture des frontières par l’Allemagne en 2015 créa une arrivée soudaine de demandeurs d’asile, dont le nombre tripla en deux ans, tandis que celui des bénéficiaires du regroupement familial doublait. Une cinquantaine de milliers de migrants (principalement des Syriens et des Afghans) entrèrent dans un pays comptant moins de 6 millions d’habitants. Le nombre de résidents au Danemark nés hors du pays est passé de 93 000 en 1960 à 613 000 en 2019, dont la moitié issus de pays non-européens. Le Danemark compte désormais plus de 800 000 personnes issues de l’immigration (13% de la population).
Malgré un coût annuel de 4 milliards d’euros, la politique d’immigration connaît des ratés sérieux. Les autorités dénombrent 25 ghettos dans lesquels vivent 50% de non-Européens, 50% de chômeurs et 3% de personnes ayant commis des délits. Dans ces ghettos, de nombreuses écoles privées musulmanes ne préparent pas les enfants – selon les pouvoirs publics – à une véritable insertion dans la société danoise. Par ailleurs, c’est au Danemark que fut mise à prix en 2005 la tête de dessinateurs proches de l’équipe de Charlie Hebdo après que le Jyllands-Posten (quotidien conservateur) eut publié 12 caricatures relatives à Mahomet. Depuis une vingtaine d’années, une guerre des gangs fait rage, dans laquelle s’illustrent des Turcs, des Albanais, des Arabes. Cette guerre aliment l’hostilité vis-à-vis des immigrants.
En septembre 2015, le gouvernement danois prit diverses mesures afin de freiner le flux des migrants : baisse du revenu minimum, éloignement des déboutés du droit d’asile, interdiction du regroupement familial avant trois ans de résidence, raccourcissement de la durée des titres de séjours, abandon du quota fixé par les Nations Unies. Ces mesures eurent l’aval de la plupart des forces politiques. En 2020, les musulmans comptent pour 4, 1% de la population danoise.
Les Pays-Bas ont accueilli en nombre des immigrants de leurs anciennes colonies. Par exemple, 300 000 Indonésiens après la Deuxième Guerre mondiale, 200 000 Surinamais dans les années 1970. Ce ne fut pas toujours facile mais ces populations, en provenance d’Asie principalement, se sont intégrées tant bien que mal. Depuis une trentaine d’années, le pays a tenté de répondre par le multiculturalisme à une immigration très variée de plus en plus importante. Comme en Allemagne, des partis populistes ont canalisé les craintes et l’hostilité des populations d’origine. Selon les standards européens, les Pays-Bas sont quasi surpeuplés : plus de 400 habitants au km2 dans un pays de 17 millions d’habitants. Le pays comptait 53 000 étrangers en 1900, 100 000 en 1950, 540 000 en 1982. De 1996 à 2003, le nombre d’immigrés est passé de 1 284 106 à 1 714 155 personnes, soit un accroissement de 33,5 % en sept ans. Résident actuellement dans le pays 400 000 Turcs, 400 000 Marocains, 360 000 Indonésiens et 350 000 Surinamais. Le pays compte 900 000 musulmans (5% de la population).
Le nombre d’arrivants ne cesse de croître : 140 000 en 2008, 240 000 en 2018. La population extra-européenne est passée de 1% en 1972 à 13,5% en 2018. Une des raisons étant le vieillissement de la population d’origine et sa natalité en baisse. La population immigrée est particulièrement présente dans les grandes villes : à Rotterdam, Amsterdam, Utrecht et La Haye, la population d’origine devient minoritaire. Á Amsterdam, 52% des jeunes de moins de 18 ans sont originaires de pays hors OCDE. Á Rotterdam, 75 % des moins de 3 ans sont d’origine extra-européenne.
Bien que les Pays-Bas jouissent d’un taux de chômage peu élevé (3% en 2000, 6% en 2019) et qu’un milliard d’euros soit consacré chaque année à l’éducation et à des cours de langue pour les immigrés, l’intégration de ces populations n’est pas un franc succès. Les chômeurs sont surreprésentés chez les étrangers depuis les années 80 malgré des mesures de discrimination positive dans les années 90. Le taux d’emploi des femmes immigrées, celui des Turques et des Marocaines principalement, est très faible. Dans le cas des Syriens, l’aide sociale compte pour 90% de leurs revenus, ce qui ne résout pas leurs problèmes de chômage.
Le pays subit des actes de violence de la part de gangs albanais. Le gouvernement a demandé en 2019 à la Commission européenne de suspendre l’exemption des visas pour les Albanais mais cette demande n’est pas près d’aboutir.
Depuis l’époque de Descartes, et surtout depuis la séparation de l’Église et de l’État en 1848, les Pays-Bas présentent un vrai visage de tolérance, surtout en matière religieuse. Au XIXe siècle, le pasteur conservateur – pour ne pas dire réactionnaire – Abraham Kuyper a théorisé le principe de “ pilarisation ” de la société, chacun étant « souverain dans sa propre sphère ». Ce principe a été dévoyé par les colons qui se sont installés en Afrique du Sud, ce qui a donné l’apartheid. Les musulmans qui se sont installés ces cinquante dernières années au Pays-Bas ont utilisé cette pilarisation pour vivre au sein de leur communauté religieuse, ce qui a freiné l’intégration et renforcé les différences. C’est dans le cadre de la pilarisation que furent construites des mosquées, des écoles musulmanes et des universités islamiques. Par des financement conformes à la charia. Au nom de la pilarisation, la communauté musulmane tenta même, en vain, de construire à Rotterdam un hôpital avec des départements séparés pour les hommes et les femmes, avec de la nourriture halal, des lieux de prière, des tours de garde d’imams, du personnel médical arabophone respectant les croyances et coutumes des musulmans.
Bref, le pays s’est ghettoïsé. Il existe désormais des écoles publiques 100% arabo-africaines. Á Rotterdam, le Qatar a récemment financé l’ouverture d’un centre salafiste par le biais de la fondation Eidcharity, sur le site de laquelle chacun peut se rendre et apporter son obole (à condition de comprendre l’arabe).
Dans les rues, le port du voile se généralise, particulièrement chez les femmes turques et marocaines. Même si la loi interdit le port du voile intégral dans les écoles, les hôpitaux et les transports en commun. La consommation de nourriture halal est devenue majoritaire chez les musulmans qui deviennent de plus en plus visibles (6% de la population) tandis que les Néerlandais d’origine se sécularisent chaque jour davantage (un quart des Néerlandais se disent athées contre 14% en 2006). Les partis politiques musulmans sont en plein essor et particulièrement décomplexés : Tunahan Zuzu, le chef du parti Denk (musulman et turc), le seul parti néerlandais qui ne reconnaît pas le génocide arménien, a déclaré en octobre 2019 : « Si les Néerlandais ne veulent pas accepter le changement aux Pays-Bas, où vivent des gens de différentes cultures, comme dans la ville de Zaandam ou le quartier de Poelenburg, ils devraient partir. » Aux élections législatives de 2017, le parti Denk a obtenu trois députés (7,5% des voix à Amsterdam). Il souhaite que le mot “ intégration ” soit remplacé par “ acceptation ”. Ce ne serait plus aux immigrés de s’intégrer dans une société qui leur préexiste mais aux habitants d’origine d’accepter les étrangers tels qu’ils sont et qui resteraient séparés. Les trois députés du Denk ont été les seuls à ne pas voter la reconnaissance du génocide arménien.
L’autocensure règne désormais en maîtresse aux Pays-Bas. Les services de la mairie d’Amsterdam ne font pas appliquer les règles sur la Burqa. Des universitaires suggèrent aux Blancs d’origine néerlandaise de faire un effort pour s’intégrer dans les villes où ils sont désormais minoritaires. On notera un acte de résistance plutôt isolé : des journalistes ayant été empêchés d’évoquer l’arrivée de migrants dans la ville d’Appeldoorn, ils ont démissionné collectivement.
On a naturellement assisté au retour du refoulé. Ancien membre du parti travailliste néerlandais, l’universitaire Pim Fortuyn a mis en garde dans les années 1990 contre une immigration numériquement trop importante. Sans jamais parler de race et en se démarquant des partis d’extrême droite. Il estimait également que l’islam était incompatible avec les valeurs fondamentales des Pays-Bas et menaçait la séparation de l’Église et de l’État. Il fut assassiné par un écologiste radical qui lui reprochait de « se servir des musulmans comme de boucs émissaires ». Lors des élections subséquentes, le parti de Fortuyn envoya 26 députés à la chambre basse du Parlement en devenant le deuxième parti du pays
En 2004, Theo Van Gogh, arrière petit-neveu du peintre, était assassiné par un islamiste. Il était connu pour son talent de cinéaste et ses propos orduriers antisémites. En 2004, en collaboration avec Ayaan Hirsi Ali, cinéaste néerlando-étasunienne d’origine somalienne, il réalisa un court métrage sur la soumission des femmes dans l’islam. Le 2 novembre 2004, un musulman d’origine marocaine naturalisé néerlandais tuait Van Gogh de huit balles de pistolet. Il lui planta ensuite deux couteaux dans la poitrine dont l’un portait sur le manche une lettre adressée à Ayaan Hirsi Ali
Plus prudent, Geert Wilders a fondé le Parti pour la liberté en 2006, qui a connu un réel succès sur la durée. En bon libéral européen, Wilders a été l’assistant parlementaire de Frits Bolkenstein. Il est soutenu par des conservateurs étasuniens et par la droite israélienne. Il a fait l’objet de nombreuses menaces de mort et d’appels à son assassinat.
Plus modéré encore dans l’hostilité à l’islam, Thierry Baudet a fondé en 2017 le Forum pour la démocratie, parti qui est devenu la première force politique aux élections de 2019.
III
Qu’en est-il de la France ?
Avant de réfléchir à la manière dont la France a évolué depuis cinquante ans du fait de l’immigration et de l’importance grandissante de l’islam, je proposerai deux études de cas en reprenant tout d’abord un article du Journal du Dimanche du 19 janvier 2020. Nous sommes à Roubaix, une ville qui a profondément changé en un demi siècle. Le journaliste craint un « repli communautaire » :
Au supermarché Le Triangle à Roubaix (Nord), les caissières, toutes voilées, alternent entre « Salam » et « Bonjour », en fonction de la clientèle. Partout dans les allées du magasin, le français est traduit en arabe, et à la sortie, une urne invite au don pour la construction d’une nouvelle mosquée. La ville de 96 000 habitants en compte déjà sept, dont une salafiste. Dans la rue aux maisons de briques rouges, les commerces s’appellent L’Aziza, Les Mille Merveilles, Les Délices du Maghreb. Et proposent pâtisseries orientales, voiles, livres en arabe ou viande halal. « Ici, c’est comme au bled ! », s’exclame en souriant Hourya, qui flotte dans un jilbab, un voile enveloppant tout son corps.
Ici, en plein quartier de reconquête républicaine, l’islam est ostentatoire. Mais est-ce vraiment un problème ? Oui, à en croire un rapport sur l’efficacité des politiques publiques mises en œuvre à Roubaix émanant des services d’inspection de plusieurs ministères. Ce document daté de juin 2019 et commandé par le Premier ministre pointe une « tendance au repli communautaire ». « Certains lieux ne sont plus fréquentés par des femmes », « le port du voile a fortement progressé », s’inquiètent les auteurs. Une source policière dépeint, dans certains quartiers, « un laisser-aller total, un non-respect général de la loi française ». Stationnement illicite, employés de commerces en situation irrégulière, terrasses de cafés non déclarées : « Ce sont des rues qui se gangrènent. »
[…] Les éducateurs, glisse l’un d’entre eux, s’emploient à convaincre certains jeunes que « voter, ce n’est pas haram », c’est-à-dire pas contraire aux préceptes du Coran. « Il y a un gros travail d’éducation à faire sur la laïcité », abonde Michel David, ancien directeur général adjoint des services de la ville. Le rapport interministériel de juin 2019 révèle aussi « une hausse des demandes d’enseignement à domicile pour des motifs d’ordre confessionnel ».
Autre reportage : une visite en Seine-Saint-Denis où la « montée tranquille du satanisme » en vient à effrayer les musulmans eux-mêmes (Émilie Blachère, Paris Match, 19 janvier 2020) :
« Le groupe scolaire s’appelle Al-Andalus, du nom donné à la péninsule ibérique sous domination musulmane. Cette école privée à Saint-Denis, sous la direction de l’association du Centre d’enseignement génération avenir (Cega), est gérée par Mustapha Halloumi. L’imam salafiste, « défavorablement connu » des services de renseignement, a été écarté de sa mosquée, en 2012, par la mairie d’Epinay. Quatre ans plus tard, l’Éducation nationale lui a délivré un agrément… Il est 16 h 30, les élèves commencent à sortir. Des fillettes voilées courent vers des pères barbus. Ce n’est pas leur barbe – épaisse, longue, parfois teinte au henné – ni leur qamis, longue tunique traditionnelle affectionnée par les salafistes, qui inquiètent le plus, mais leur nombre : « Quand on ne voit plus les mères, c’est qu’il y a un problème d’intégrisme radical », nous explique-t-on. Dans certaines cités, on ne fume plus dans les rues, dénonce une habitante de Saint-Denis. Plus jamais les femmes ne discutent entre elles en bas des immeubles. Les couples ne se tiennent plus la main. On n’entend plus de musique… A Trappes, toutes les boucheries sont halal. Même constat dans le quartier de la cité de la Rose-des-Vents, à Aulnay-sous-Bois. Ce mardi 31 décembre, jour de marché, les températures sont glaciales, le ciel bleu vif et les femmes voilées. Quelques-unes disparaissent sous le djilbab, qui montre juste leur visage. Dans des effluves de menthe et d’agrumes, les allées sont bordées de stands de vêtements amples, de voiles islamiques et de livres religieux. Des hommes fument devant des bars bondés. A l’intérieur, pas de femme. « L’accès ne leur est pas interdit, dira une Aulnaysienne, mais ici on pense que les femmes n’ont rien à faire dans un café ! » A Mantes-la-Jolie, Aubervilliers, Pantin, les thèmes de l’islamophobie, des discriminations sont abordés avec agressivité. On appelle à ne pas voter ni se soumettre aux lois, à ne pas se mêler aux juifs, aux chrétiens, aux kouffars (les mécréants). »
On a beau se dire – et on le dit – que l’ennemi n’est pas l’épicier arabe du coin mais le capitalisme financier, le type de situation décrit par le JDD et Paris Match est, à court terme, lourd d’inquiétudes sérieuses. Des pans entiers de notre société ont décroché (le quartier de la Reine Jeanne près d’Avignon en est un des exemples les plus frappants, qui conjugue satanisme et extrême violence). Des centaines de milliers d’habitants, pour beaucoup citoyens français, vivent et se pensent « comme au bled ». Plus le temps passe, plus les fractures s’élargissent. « On vit côte à côte, je crains que demain on vive face à face, avait déclaré Gérard Collomb en cadeau d’adieu lors de sa démission du ministère de l’Intérieur. » Avant d’ajouter : « Nous sommes en face de problèmes immenses ». Pour Collomb, nous sommes clairement à deux doigts de la rupture de la paix civile à cause de la paupérisation et de la ghettoïsation de ce qu’on nomme – hypocritement – des « quartiers ». En surface, officiellement, les autorités musulmanes souhaitent « une insertion sereine de l’islam dans la République ». Le problème est que, autant on peut parler de l’insertion des musulmans, autant, depuis la loi de 1905, il n’est pas possible d’insérer l’islam dans la République.
Selon l’Observatoire de l’islamisation, le nombre de mosquées est passé de 100 en 1970 à 2500 en 2016. Il y aurait plus de 150 mosquées dites salafistes, où l’on enseigne que la loi islamique doit primer sur les lois de la République. Et c’est chez les nouveaux arrivants que ce type de discours passe le mieux.
Dans les années cinquante ou soixante, un paysan italien immigré en France était d’abord un paysan, puis un Italien. Idem pour un maçon polonais (j’ai conscience de simplifier en écrivant cela). Les immigrés d’aujourd’hui, en majorité extra-européens et musulmans, sont, se pensent, comme des entités de forces et de mouvements collectifs qui les dépassent. Pas moins que les Français d’origine, cela dit, dans notre pays fracturé.
Ce qui est en train de disparaître sous les coups de boutoir du capitalisme financier, de la construction européenne, des politiques identiques menées dans la plupart des pays d’Europe, c’est l’effacement de la Nation. Ce dont profitent, sans voir à quel point c’est dangereux pour elles à long terme, les populations immigrées. Elles en profitent parce qu’elles n’ont plus à se fondre dans une communauté nationale construite au fil des siècles, une communauté de culture produite par l’Histoire. Une nation, c’est une langue, une éducation commune, des mythes, des souffrances partagées. Et des frontières. Á Roubaix, en Avignon et ailleurs, nous n’en sommes plus du tout là. La nation française disparaît. Le pays devient – l’individualisme effréné régnant de par le monde aidant – une agence de prestations où le bien et l’intérêt publics ne comptent plus. La droite et les Fauxcialistes n’ont eu de cesse de transformer la Fonction publique en Fonction aux intérêts du public. Tout cela sous le regard bienveillant de l’Union européenne pour qui les différences de classe comptent beaucoup moins que les singularités individuelles ou de groupe, ethnique, cela va sans dire. Parlez d’un peuple dans un territoire (ce qui est, pour partie, la définition d’une nation) à Bruxelles et on vous regardera avec des yeux de merlan frit ! Il n’y a plus de peuple, mais des populations.
L’énorme problème que l’on refoule – de moins en moins car le nez au milieu de la figure finit toujours par se voir – est que l’immigration massive amène de l’« Autre » (culture, religion, entités ethniques) qui n’est pas forcément compatible avec la société d’origine tant qu’il reste « Autre ». En outre, la plupart du temps, les immigrés provenant de pays violents, non démocratiques et corrompus, ils importent ces graves travers à la semelle de leurs souliers. Danton s’est lourdement trompé en affirmant qu’on n’emportait pas sa patrie à la semelle de ses souliers. Je fus très frappé, dans les années 80, lorsque je vis arriver en Côte d’Ivoire (un des pays où l’intégration des étrangers a été l’une des plus remarquables au monde avant les dérives mortelles de l’ivoirité dans les années 1990) quelques dizaines de jeunes hommes libanais à la dégaine sauvage, prêts à en découdre avec tout un chacun. Le pays comptait plusieurs centaines de milliers de Libanais, dont certains étaient installés depuis le début du XXe siècle. Dire qu’ils étaient parfaitement intégrés était superflu : ils exerçaient, dans le calme le plus total et fort utilement pour le pays, des fonctions de commerçant, d’artisan, de médecin. Quelques centaines étaient riches (quelquefois immensément), quelques milliers étaient pauvres : je pense aux petits épiciers qui vendaient de tout dans des petites échoppes de petits villages. Les nouveaux Libanais un peu fous venaient directement de la plaine de la Bekaa. Ils avaient participé à une guerre civile atroce qui avait fait plus de 200 000 morts. Ces soldats perdus étaient les autres Libanais d’un autre Liban qu’ils avaient apporté – en Côte d’Ivoire, au Togo, au Sénégal etc., – à la semelle de leur soulier. Le président de la République d’alors, Félix Houphouët-Boigny, pressa les notables libanais d’Abidjan de régler rapidement ce problème avant qu’il s’en occupe lui-même. Ce qu’ils firent.
Plus la Nation et l’État sont évanescents, plus l’« Autre » s’impose dans son altérité. Ce qui ne fut pas le cas durant les années 1880 à 1975. La France demanda et accueillit une immigration de travail provenant principalement d’une Europe blanche et catholique : péninsule ibérique, Pologne, Italie. L’intégration de populations culturellement proches, donc n’ayant rien de spécial à revendiquer, ne se fit pas sans mal. On se souvient des Ritals de Cavanna. Mais l’assimilation (dans “ assimilation ”, il y a “ semblable ”) fut possible. Comment reconnaît-on une femme protestante dans la rue ? C’est très simple, on ne le reconnaît pas, bien qu’elle soit issue d’un peuple qui a beaucoup souffert chez nous, un peuple qui, autrefois, fut considéré par la France catholique comme un agent de l’étranger, l’Angleterre en l’occurrence. Á l’origine, le concept d’assimilation est biologique et physiologique, comme chez ceux qui souffrent de diabète et ne peuvent assimiler les glucides. L’assimilation implique le recours au milieu, une synthèse et une reconstruction. On vit parce qu’on assimile. D’un point de vue sociétal, l’assimilation implique que l’on va du différent au semblable. Pour qu’il y ait un chemin vers ce semblable, il faut que les individus qui viennent de l’extérieur acceptent d’être modifiés par le groupe accueillant. Cela s’est vu à maintes reprises au cours de l’Histoire. La culture hellénique, accueillie dans la culture chrétienne, subit une transformation profonde. La culture étrusque fut assimilée par la culture gréco-latine.
Ces processus, toujours lents, sont incompatibles avec la soudaineté de la mondialisation et la violence des guerres qui se sont déclarées dans un passé récent et dont les victimes furent, dans leur très grande majorité, des civils. On pense, bien sûr, aux tragiques événements de Syrie et de Libye. Et l’on aura à traiter, dans un avenir proche les conséquences démographiques catastrophiques – qui ont déjà commencé – de l’errance des millions de réfugiés climatiques. Autant il fut possible d’intégrer, d’assimiler, plusieurs millions d’Italiens sur une période de plus d’un demi-siècle, autant cela est une gageure lorsque déboulent, en cinq semaines, des centaines de milliers de Syriens en constituant la plus importante population de réfugiés au monde (quatre millions émigrèrent, dont un million vers l’Europe). Ceux-ci n’ont alors d’autres possibilités que de se regrouper, de se communautariser. Dès lors, il leur est impossible d’abandonner ce qui était à la semelle de leurs souliers. Parce qu’elles ne peuvent réellement s’agréger à la société d’accueil, ces populations migrantes finissent par ne plus le vouloir et se raccrochent au mode de vie ante. Tout est à refaire, mais ce n’est pas possible dans le court et moyen termes.
Ci–dessous le camp de réfugiés de Zaatari en Jordanie.
Le drame historique de l’immigration de masse en France est que les populations concernées sont arrivées au mauvais moment, vers 1975. C’était l’époque où la Chine s’éveilla avec Den Xiao Ping, où les chocs pétroliers de 1973 et 1979 appauvrirent durablement les Français, et où le pays était dirigé par trois hommes (Giscard, Chirac, Barre) qui ne se souciaient guère de faire dans le social. C’est en ces temps de désindustrialisation, de disparition d’emplois, que les immigrés arrivèrent. Mitterrand et Mauroy tentèrent un court instant de panser les plaies mais l’Europe des banques et des marchés les remit dans le droit chemin. Les populations immigrées vécurent des moments nettement plus difficiles que leurs aînées des années cinquante et soixante. Elles transmirent à la génération suivante un fardeau qui devint de plus en plus lourd.
Pour que les “ quartiers ” ne s’embrasent pas, pour préserver la “ paix sociale ”, la France se transforma en une sorte de libre-service de l’immigration. Comme elle ne pouvait pas donner du travail et des conditions de vie décentes à ces populations, elle leur accorda des droits, en bricolant : droit au regroupement familial, droit à la nationalité par mariage, droit à la régularisation à l’usure (au bout de cinq ans en général) pour environ 40 000 personnes chaque année, droit d’interdire la possibilité de changer de religion (dans la législation européenne, des personnes ayant été baptisées enfants peuvent se faire rayer des registres des églises), possibilité d’aménager des planches horaires pour la pratique religieuse dans les entreprises privées.. Le regroupement familial fit gonfler les chiffres de l’immigration. En 1976, après avoir mis fin à l’immigration pour motif économique, le gouvernement Chirac l’autorisa, à l’exclusion des familles algériennes. En 1977, le gouvernement Barre suspendit cette décision pour trois ans, sauf pour « les membres de la famille qui ne demandent pas l’accès au marché de l’emploi. » En 1978, le Conseil d’État instaura un nouveau principe général du droit, celui de « mener une vie familiale normale. » Par un revirement de jurisprudence très important, il annula le décret Barre. Paul Collier, économiste de l’université d’Oxford, a calculé que 10 immigrés installés en font venir 7 autres – par le regroupement familial, le mariage, les naturalisations – et ces 17 en appellent douze autres.
IV
Depuis cinquante ans, la gauche et la droite ont voulu de l’immigration, pour des raisons différentes. La droite et la classe dominante pour faire baisser le coût du travail, la gauche parce qu’elle avait cru voir dans l’immigration un autre prolétariat se substituant à une classe ouvrière ayant – croyait-elle – disparu. Cette même gauche a alors vu resurgir un problème qu’elle pensait évacué depuis 1905 : une religion particulièrement visible, à cheval sur le privé et le public, sur le sociétal et le politique, sur le cultuel et le culturel. Une religion traversée par des valeurs dont la société française avait mis des siècles à essayer de se débarrasser, comme la tradition au service de la réaction, le patriarcat, le machisme, la pudibonderie. Et une religion qui, qu’on le veuille ou non et même si elle n’est pas la seule, est une fauteuse de troubles graves un peu partout dans le monde. Je ne parlerai pas de ces deux jeunes filles égorgées au nom d’Allah devant la gare de Marseille, ni du massacre des collaborateurs de Charlie Hebdo, mais plutôt d’un événement sans précédent quoique non létal en octobre 2001. Lors d’un match de football France-Algérie auquel assistait le président de la République, des spectateurs d’origine algérienne sifflèrent l’hymne national français. Á la 76è minute, des centaines de supporters envahirent le terrain alors que la France menait 4 à 1. La partie cessa (à noter que le 8 septembre 2007, des supporters italiens avaient sifflé “ La Marseillaise ” à Milan lors d’une qualification pour l’Euro).
Assurément la colonisation de l’Algérie par la France, puis la longue et meurtrière guerre d’Algérie furent un drame et ont laissé des traces dans tous les esprits. Lyrique, le jeune banquier éborgneur qui nous gouverne parla même de « crime contre l’humanité » à propos de la colonisation en général. Il avait raison au sens où toute colonisation détourne des populations entières, donc une humanité, de sa nature profonde, de son évolution propre, du destin qu’elle s’est choisie. Cela dit, l’identité de l’Algérie en tant que nation s’est forgée durant la colonisation. La Guerre d’indépendance souda de peuples qui s’étaient combattus à maintes reprises. Signe que le nationalisme en Algérie est particulièrement fort, son hymne national est l’un des rares au monde (le seul ?) à s’en prendre à un pays étranger :
Yâ firansâ qad madhâ waqt ul-ʿitâb
Ô France ! le temps des palabres est révolu
Wa tawaynâhu kamâ yutwa l-kitâb
Nous l’avons clos comme on ferme un livre
Yâ firansâ inna dhâ yawm ul-hisâb
Ô France ! voici venu le jour où il te faut rendre des comptes
fa-staʿiddî wa khudhî minnâ l-jawâb
Prépare toi ! voici notre réponse
Inna fî thawratinâ fasl al-khitâb
Tout de même : l’ironie de l’Histoire est que le pays qui a le plus lutté contre la France pour se libérer de son joug est celui qui a envoyé (ou laissé partir) le plus grand nombre de ses ressortissants vers l’ancienne puissance colonisatrice honnie. Avant la Guerre de 1914/1918, il y avait 13 000 Algériens en France qui travaillaient dans les mines, le bâtiment ou certaines industries en bénéficiant des mêmes droits sociaux que les travailleurs français. Après 1945, l’apport des travailleurs algériens fut considérable, les immigrés – dont une forte proportion d’Algériens – ayant construit 90% des autoroutes françaises et un logement sur deux. Les années soixante et soixante-dix furent une période de très forte immigration, la population algérienne vivant en France passant de 350 000 à 800 000 (contre 450 000 Marocains). La victoire du parti islamiste FIS aux élections de 1990 poussa 100 000 Algériens à demander le statut de réfugié politique entre 1993 et 2003. La France en accorda moins de 20 000, contre 44 000 à l’Allemagne. La population algérienne en France est aujourd’hui variée puisque 25% des médecins étrangers exerçant dans les hôpitaux français sont algériens.
En décembre 2019, je me posais dans la question de savoir si l’immigration était un bienfait économique pour la France. Sans savoir répondre formellement à cette question. J’écrivais ceci : « Á ma connaissance, aucune étude sérieuse n’a pu déterminer, au milliard d’euros près si, depuis une cinquantaine d’années, l’immigration a été une chance économique ou pas pour notre pays. Que l’on écoute des gens de droite ou des gens de gauche s’exprimer sur la question, on n’obtient en fait que des réponses idéologiques, du discours. Pour la gauche de gouvernement – qui oublie que Marx et ses épigones ont toujours considéré les travailleurs immigrés comme une armée de réserve au service du patronat, en concurrence avec les travailleurs locaux, pour faire baisser les salaires – l’immigration est du sang neuf, de la diversité pour notre société, un enrichissement. La droite considère comme de première nécessité un afflux continuel de main-d’œuvre, en provenance principalement de l’Afrique. Avec deux fonctions principales : pallier le manque de travailleurs locaux dans les métiers pénibles et peu qualifiés, et abonder nos retraites. Jean-Paul Delevoye, spécialiste en cette matière, exprime parfaitement le point de vue et les désidérata du capitalisme financier quand il affirme que l’Europe a besoin de 50 millions de travailleurs immigrés pour que nos régimes de retraite soient à l’équilibre, alors qu’il y a 150 milliards d’euros en réserve. Notez bien la rigueur de cette éminence : 50 millions, pas 55 ou 48. Une question simple à Delevoye et ses patrons : le destin d’un enfant malien (sarakolé si possible) est-il de s’arracher à son village, à sa famille, à l’âge de 20 ans, de parcourir un périple semé d’embûches et d’accepter pendant quelques dizaines d’années des travaux pénibles pour payer nos retraites ? La réponse est oui, si l’on considère que l’Afrique doit, pour l’éternité, subir une colonisation dont la forme s’adapte au gré du gré des pays riches : après le pillage des ressources, la détérioration des termes de l’échange et, actuellement, le pillage, le rapt des humains. »
Économiquement, l’immigration n’est positive pour le pays d’accueil que si le niveau moyen des immigrés et de leurs descendants est supérieur au niveau moyen de qualification des populations d’origine. Le problème étant de savoir – et je n’en sais naturellement rien – si la France dispose de réserves importantes de travailleurs, avec les chômeurs, les femmes ou les personnes de plus de cinquante ans. Avant de rapporter, l’immigration a un coût. En terme d’investissement public, le prix Nobel d’économie Maurice Allais l’avait évalué à quatre fois le revenu potentiel de l’arrivant.
Encore une fois, les immigrés sont là au mauvais moment. Les dépenses publiques se faisant désormais en euros constants, ce que l’on donne à l’un, on le prend à l’autre. Rien de tel pour mettre en concurrence populations d’origine et immigrées et accroître l’hostilité. Le capitalisme financier a augmenté ses profits par le biais de la spéculation internationale, de la privatisation des services publics, de la diminution de la protection sociale et des salaires. Qu’elles l’aient voulu ou non, les forces communautaristes, identitaires et racialistes sont devenues les idiotes utiles de ces politiques.
V
Les choses bougent à la vitesse V. En 2000, il y avait en France un établissement scolaire musulman. Il y en a aujourd’hui plus d’une centaine. Plus de la moitié des bovins et des caprins sont abattus rituellement. En 1989, 60% des musulmans observaient le ramadan. Ils sont aujourd’hui plus de 80%. 65% des musulmans sont favorables au port du voile. 60% sont favorables au port du voile dans l’enseignement secondaire.
On voit bien que la République une et indivisible a cessé d’exister. Disons que des populations cohabitent. Le pays compte au moins un millier d’enclaves – 5 millions d’habitants peut-être – quasiment dépourvues de populations européennes. Des tensions violentes se sont faites jour, comme lorsque l’état d’urgence, pour la première fois depuis la Guerre d’Algérie, fut établi en 2005 (avec couvre-feu) et en 2015. Il ne s’agit pas de zones de non-droit mais, comme le disent les Britanniques, de zones où l’on ne va plus. Il existe en effet un droit qui n’est pas celui de la République, qui est loin d’être anarchique et qui organise le « côte à côte ». En attendant peut-être le « face à face ». C’est dans ces zones qu’ont été élevés 90% des terroristes qui, tous, se réclament du suprématisme islamiste. Ces enclaves son armées. En janvier de cette année, une perquisition chez une “ nourrice ” a débouché sur la saisie de deux fusils d’assaut, un fusil à pompe, une carabine 22 Long Rifle, trois pistolets automatiques, deux gilets pare-balles, une cagoule et un important stock de munitions. Et, accessoirement, de la drogue.
Restent de graves questions en suspens. Les pouvoirs publics n’ont plus vraiment les moyens (peut-être est-ce un choix de leur part ?) de promouvoir l’intégration, l’assimilation, que les populations d’origine, influencés par le modèle ethnique anglo-étasunien, ont toujours plus tendance à voir comme un repoussoir, une volonté de l’ancien colon d’acculturer les anciens colonisés.
En matière d’immigration, c’est l’arrêt GISTI (Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés) de 1978 qui a marqué une prise de pouvoir par le judiciaire, le Conseil d’État au premier chef, lequel, à partir de cette date, est devenu, en conformité avec la doxa le parangon du refus d’une politique de maîtrise des flux. Par cette évacuation du politique, l’État a été confiné à un rôle bureaucratique. En démissionnant de ses prérogatives, il a même régularisé ceux qui ne respectaient pas le droit. Ce laxisme a permis aux plus durs des quartiers (disons 30% de la population, en chien de faïence face aux 30% de sympathisants du Rassemblement National) de renforcer leur pouvoir dans les “ territoires perdus de la République ” et de constituer une armée de francophobes titulaires d’une carte d’identité française, de Français de confort.
Á quoi sert-il de maintenir dans une situation de précarité des étrangers sans papiers dont chacun sait qu’ils ne quitteront jamais la France et à qui il est, de toute façon, extrêmement difficile d’imposer des Obligations de Quitter le Territoire ? Au moins 300 000 étrangers en situation irrégulière vivent en France. Parmi eux, de nombreux « ni-ni » : ni régularisés, car ils ne correspondent pas à l’interprétation des critères retenue par l’administration, ni expulsés, car cela amènerait, cas de figure de plus en plus fréquent, à séparer des enfants – non expulsables – de leurs parents.
Les pouvoirs publics, du sommet de l’État aux élus locaux, s’efforcent de trouver des « arrangements raisonnables », comme, par exemple, des horaires de piscine réservés aux femmes. Le problème est que ces compromissions clientélistes, s’adressent non pas aux musulmans qui veulent réellement s’intégrer mais à ceux qui exigent que la société française accepte leur mode de vie et leur prosélytisme. Sans le savoir ou en le sachant, la majorité de la population de la région parisienne mange ordinairement de la viande halal (ou casher). Auparavant, les abattoirs étaient gérés par les communes mais le désengagement des municipalités a vu l’ensemble de l’abattage francilien confié à des opérateurs privés. Pour simplifier, n’est-ce pas ?, pour réduire les coûts, ces opérateurs, avec le consentement des pouvoirs publics, ont privilégié un procédé unique d’abattage rituel. On n’a pas vraiment entendu les anti-spécistes protester.
La société française n’est pas près de s’apaiser et n’est pas prête à s’apaiser.
En avril 2018, traitant du paradigme islamiste qui se répandait à travers le monde, j’écrivais que des millions de gens étaient tétanisés devant les exigences, non pas de l’islam, mais d’un caïdat rigoriste qui, avec la complicité du capitalisme financier, était en train de transformer notre planète en un immense champ de communautarismes divers et déflagrateurs.
Je n’ai pas changé d’avis.
https://1dex.ch/2020/02/lislam-aura-t-il-raison-de-la-republique-2/