Monsieur le Président,



Je vous adresse cette lettre, non pas en tant que professeur de français au Département de français à l'université de Gaza - un département créé avec le concours du Consulat de France à Jérusalem, et soutenu par des associations francophones - ni en tant que chercheur universitaire ou bien encore comme écrivain, poète d'expression française ; je vous écris en tant que simple citoyen palestinien qui vit le blocus, la souffrance et l'horreur dans cette prison à ciel ouvert de Gaza.

Je suis un Palestinien francophone qui développe l'enseignement du français dans la bande de Gaza en dépit de toutes les difficultés, et cela en coopération avec le Consulat Général de France à Jérusalem, un consulat très actif en faveur la francophonie dans les Territoires palestiniens. Mais un Palestinien souvent bloqué dans sa ville et empêché de sortir de sa cage pour participer à des conférences et colloques universitaires dans des pays francophones à cause du blocus impitoyable et des fermetures des frontières qui relient la bande de Gaza à l'extérieur.

Je suis un Palestinien qui garde espoir d'un lendemain meilleur, un lendemain de paix et de justice, et qui a décidé de rester très attaché à son pays et à sa ville natale, aux côtés de ces jeunes et ces enfants afin de les soutenir et de leur remonter le moral dans le contexte très difficile de Gaza.

Je suis un Palestinien qui a décidé de résister contre les mesures atroces de l'occupation par l'éducation et par l'enseignement de cette si belle langue, le français.

Je suis un Palestinien très attaché aux principes de démocratie, de liberté et des droits de l'Homme, principes inspirés de la Révolution française.

Je suis un Palestinien qui espère beaucoup en la France, un pays qui partage avec la Palestine une somme de valeurs ; un pays très apprécié par les Palestiniens, qui essaye toujours de développer des relations politiques, économiques, culturelles, et éducatives avec les Palestiniens.
 

Les Palestiniens comptent beaucoup sur la France et sur l'Europe pour relancer le processus de paix en plein échec, à l'agonie plus exactement. Un processus de paix commencé à Oslo en 1993, alors que 27 ans après les Palestiniens n'ont rien obtenu, bien au contraire puisqu'ils voient leurs terres volées et colonisées jour après jour.


Je vous écris cette lettre au nom des enfants de Gaza qui sont privés de leurs loisirs et de la simple joie, des enfants qui apprennent dans des écoles et des classes détruites par les différentes agressions israéliennes. Même leurs rares centres culturels sont quasiment tous détruits suite à des bombardements israéliens.

Je vous adresse cette lettre au nom des jeunes palestiniens qui ont entre 20 et 25 ans et qui n'ont jamais quitté leur ville ; des jeunes désespérés et qui souffrent du chômage, du blocus, et de l'absence de perspectives pour l'avenir.

Je vous envoie cette lettre au nom de ces familles palestiniennes en Cisjordanie qui souffrent de la colonisation, du mur de l'apartheid, des check-points de l'armée de l'occupation et qui, malgré tout cela, envoient leurs enfants à l'école.
 
 
Je vous adresse cette lettre au nom des mères des enfants et des jeunes palestiniens tués tous les jours en Cisjordanie et dans la bande de Gaza par les tirs de l'armée israélienne ; au nom des mères qui ne trouvent personne pour effacer leurs larmes ou clamer leur colère.

72 ans après la décision de l'ONU, nous sommes encore et toujours occupés, humiliés et privés de nos droits. Le temps n'est-il pas venu, Monsieur le Président, d'instaurer la justice dans notre région ?

Nous sommes en 2020. Le temps n'est-il pas venu pour que la France prenne une décision courageuse pour dire non à l'injustice, à l'oppression, et pour mettre fin à l'occupation ?

Aidez-nous, Monsieur le Président, par une décision courageuse, qui va sans doute encourager d'autres pays européens qui bougent sur ce sujet, à reconnaître notre Etat afin d'aider à mettre fin à la souffrance de toute une population civile et à réaliser les espérances et les revendications de tout un peuple.

Nous demandons un geste politique fort et utile à la France : nous lui demandons la reconnaissance de l'Etat de la Palestine. Nous demandons de la France une décision pour la justice car nous croyons qu'elle a une voie singulière à exprimer dans notre région.

Nous sommes pour une paix juste et durable, une paix qui passera avant tout par l'application des décisions internationales et par la création d'un Etat palestinien libre et indépendant.

Vive la France !

Vive la Palestine !

Vive les relations franco-palestiniennes !

Veillez accepter, Monsieur le Président, mes meilleures salutations distinguées de Gaza la vie.
 
 
 
 
ZIAD MEDOUKH
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Ziad Medoukh
Ziad Medoukh est un professeur de français, écrivain et poète palestinien d’expression française. Titulaire d’un doctorat en sciences du langage de l’Université de Paris VIII, il est responsable du département de français de l’Université al-Aqsa de Gaza et coordinateur du Centre de la paix de cette université. Il est l’auteur de nombreuses publications concernant la Palestine, et la bande de Gaza en particulier, ainsi que la non-violence comme forme de résistance. Il a notamment publié en 2012 Gaza, Terre des oubliés, Terre des vivants, un recueil de poésies sur sa ville natale et son amour de la patrie. Ziad Medoukh a été fait chevalier de l’ordre des Palmes académiques de la République française en 2011. Il est le premier citoyen palestinien à obtenir cette distinction. En 2014, Ziad Medoukh a été nommé ambassadeur par le Cercle universel des ambassadeurs de la paix. Il a remporté le premier prix du concours Europoésie en 2014 et le prix de la poésie francophone pour ses œuvres poétiques en 2015.