Porte ouverte sur l’Andalousie . Kamel
Bouchama nous revient, moins de trois mois après son remarquable
ouvrage De Lol, à Caesarea, à… Cherchell, avec une autre production,
aussi intéressante que luxueuse sur le plan de la structure. Il nous
revient, dans sa course furibonde dans le vaste domaine de l’écriture,
avec un autre produit, en quelque sorte, un livre pionnier à la fois
dans son contenu et dans ses buts.
Le professeur Ahmed Djebbar qui lui préface cet ouvrage, qu’il a lu certainement avec beaucoup d’attention, et sans être dithyrambique outre mesure, s’est contenté de donner, en homme de science et spécialiste d’histoire de l’Andalousie et de la civilisation arabo-musulmane, un point de vue averti sur l’auteur qu’il connaît bien depuis la célèbre « médersa » de Ben Aknoun. Ce n’est pas étonnant, écrit-il, que ce soit un « homme de la cité », comme Kamel Bouchama, et non pas un spécialiste de l’histoire de la civilisation arabo-musulmane, qui se soit lancé dans cette aventure. Ses origines étroitement liées à l’histoire de sa ville natale, sa formation originale qui s’est nourrie de deux cultures « savantes » et d’une précieuse culture « populaire » et, enfin, son itinéraire citoyen, lui ont fait prendre conscience de la place que doivent retrouver l’histoire et la mémoire dans le vécu de nos concitoyens. C’est son riche itinéraire et son propre vécu qui l’ont également préparé et l’ont convaincu que notre histoire est trop importante pour la laisser entre les seules mains de ceux qui conçoivent les programmes scolaires, conclut-il. La Clé d’Izemis raconte les Mémoires anachroniques de l’Andalousie perdue. C’est par ce titre révélateur d’une lecture attachante que l’auteur nous invite à découvrir cette Andalousie des ancêtres qui a rayonné, de par sa culture et son avance dans le domaine des sciences, dans tout le bassin méditerranéen et même au-delà, en Europe du Moyen-âge. Ce livre donc est une passionnante plongée dans le passé, écrit sous forme de récit historique que l’auteur a choisi pour nous donner le maximum de repères et d’événements, certes éloignés les uns des autres dans le temps, mais qui forment, dans l’étendue des éphémérides, une suite logique relatant un riche fragment de l’histoire de nos ancêtres dans le vécu de l’épopée andalouse.
Dans cette forme d’écriture, que plusieurs ont adoptée bien avant lui, il reste aussi à estimer que le récit – à différencier d’une affabulation littéraire ou philosophique – est une fouille du terroir que l’auteur restitue agencée et ordonnée pour instruire le lecteur des faits de l’histoire, à première vue si épars mais si enchevêtrés les uns aux autres. C’est une narration subtile et pénétrante, ce n’est pas une fable, une parabole moralisante que nous livre Kamel Bouchama, c’est plutôt une démonstration qui clarifie des événements très importants et, à tous égards, qui se répètent au fil du temps. Ce livre vient également et surtout pour réhabiliter cette présence des Arabo-Berbères au pays de la péninsule ibérique et rectifier au travers d’un style aéré et fluide — et le récit en cela est un argument de justification — ces hauts faits dont ils ont été les principaux protagonistes. Ainsi, nous saurons que de 711 à 1492, et bien plus tard, il y a eu des événements, beaucoup d’événements, où musulmans, chrétiens et juifs ont eu à se rencontrer, à s’allier et à se confronter, à s’unir et à se diviser, à s’aimer et à se haïr, à se soutenir et à se médire réciproquement… L’auteur remémore tout cela, sans oublier de dire là où nos ancêtres ont réussi — Dieu est témoin de leur bilan positif —, affirme-t-il, comme il ne pouvait occulter là où ils ont failli…, souvent lamentablement. Là aussi, l’histoire ne leur effacera jamais de graves erreurs !
C’est alors que, tout au long du texte, Kamel Bouchama apporte des précisions sur plusieurs péripéties, sur les hommes, leur engagement, leurs défaillances, leurs bilans… Il fait donc allusion à cette présence incontestablement évidente et souvent controversée, de par ces luttes intestines, ces complots et ces dissensions qui aboutirent au morcellement territorial et politique de l’Andalousie… Le lecteur remarquera également que ce travail vient pour ressusciter, en même temps qu’exalter, de nombreux souvenirs, ceux des Berbères et des Andalous, ou ceux des Andalous-Berbères, c’est-à-dire ceux qui ont vécu ces interférences culturelles et qui les ont développées pendant de nombreux siècles, dans un pays qui « fut perçu comme puissance allogène à l’Europe par l’Occident chrétien alors en pleine mutation ». Alors, cet ouvrage qui commence à partir d’un jeune que l’auteur invente, « Izemis », et qui représente tous les jeunes des villes algériennes, qui ont fait le voyage avec le conquérant Tariq Ibn Ziyad, vient raconter nos ancêtres qui, des siècles durant, ont participé à la gloire de cet empire qui a brillé de tout son éclat pour, hélas, tomber dans le délabrement après la « Reconquista ». Là, le commentaire est vrai, et La Clé d’Izemis que Bouchama raconte…, est là, elle existe bel et bien. Elle se trouve quelque part dans les objets de sa famille, à Cherchell, en tout cas, elle est présente dans son esprit, parce qu’il l’a vue chez son grand-père maternel, quand il était encore enfant. En fait, elle ne les a jamais quittés, depuis cette triste journée de l’an 1492, après la chute de Grenade, le 2 janvier…, marquant la fin de l’Empire musulman d’Andalousie, quand nos aïeux, les Berbères, reconvertis en « mudéjars » et en « morisques », sont partis sous d’autres cieux, vers d’autres horizons, parce que chassés de ce pays qu’ils n’ont pu préserver après plus de huit siècles de présence.
L’auteur a choisi Izemis (ou mimis n’Izem, le fils du lion), pour souligner la vaillance, la noblesse et le courage de ces Berbères qui ont effectué le voyage. Il le met en bonne compagnie de véritables « interprètes » de l’épopée ibérique, et d’autres jeunes Berbères qui ont certainement existé dans le vécu de l’Andalousie, sous d’autres noms et d’autres aspects. Sinon, qui était là-bas, si ce n’étaient nos enfants, affirme l’auteur en une question aussi directe que sincère ? Est-ce les Arabes de Qoraïch ou d’El Khazradj qui ont eu l’honneur de conquérir la péninsule en ces débuts du VIIIe siècle ? Non ! L’histoire confirme qu’au début, les Arabes ne représentaient rien, sinon une minorité par rapport aux Hispaniques et aux Berbères qui constituaient la majorité de la population. Ainsi, c’est avec les siens, les autochtones de la Berbérie que Tariq Ibn Ziyad a entamé sa campagne de l’expansion de l’Islam en Ibérie. C’est avec les siens qu’il a traversé le détroit, devenu après « détroit de Gibraltar », pour perpétuer son nom et sa bravoure. Quant à la clé, qui fait le titre, elle n’apparaîtra qu’à la fin de l’ouvrage, dans un pathétique sentiment de nostalgie — bien plus, de regret pour dire combien était grand cet empire que nous avons laissé choir et combien était brillant cet « âge d’or sans précédent de l’Islam sur tous les plans civilisationnels et que l’Occident a acquis sans complexe ». Ainsi, le lecteur comprendra de lui-même le message que lui transmet l’auteur à travers ce long récit. Il saura que de toute cette grandeur, hélas, il ne nous reste que le rétroviseur (ou La Clé d’Izemis) pour revenir à notre boutique de souvenirs…
Enfin, cet ouvrage, de très bonne facture un grand bravo pour l’éditeur développe également toute cette ambiance de lutte de classes et de générations plus ou moins versées dans les conflits les plus abjects et les plus altérants qui puissent exister… Il vient au bon moment pour expliquer le dilemme, pas cornélien bien sûr, où le héros perd sa maîtresse, mais tout un autre dilemme, celui d’un peuple qui, après une longue cohabitation où il a produit l’art et forgé la très riche civilisation moderne de la péninsule ibérique, s’est trouvé non seulement délogé de ses terres, mais aussi « réduit systématiquement à son passé disparu, comme si ce passé n’avait rien à voir avec la culture et la vie espagnoles actuelles ». Cet ouvrage doit être mis à la portée des jeunes et surtout des étudiants qui doivent en prendre connaissance et profiter d’un large éventail de références que l’auteur a eu le plaisir de nous servir intelligemment.
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La Clé d’Izemis 300 pages-Editions Mille Feuilles -Sid Ali Sekheri, libraire-éditeur
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