Un célèbre corsaire d’origine néerlandaise...
Bir Mourad Raïs fut un coquet petit village devenu désormais un quartier de la périphérie d’Alger. Il conserve encore une superbe place et quelques constructions anciennes épargnées par l’architecture moderne, telles que l’école, le bureau de poste, la fontaine, la mosquée, la mairie et le tribunal.
Ces deux dernières bâtisses ont changé d’affectation. Bir Mourad Raïs porte le nom d’un célèbre corsaire, capitaine de navire, d’origine néerlandaise, converti à l’Islam et marié à une algérienne.
Un célèbre corsaire d’origine néerlandaise
Le village existait du temps de l’occupation turque, d’où le nom qu’il porte aujourd’hui. Le puits a été construit en 1733 à la mémoire du célèbre corsaire « qui a vécu au commencement du XVIIè siècle et dont les galères se sont montrées jusque sur les côtés d’Islande, en 1617 » (01)). « Il enleva en 1661 sur les côtés d’Islande, 237 personnes qu’il fît vendre à Alger, au Badistan » (02), nom turc du marché des esclaves situé sur l’emplacement occupé actuellement par le Trésor public, à la place des Martyrs, à Alger.
Une inscription gravée sur une plaque en marbre visible sur les lieux précise que la fontaine a été construite par Hassan Pacha, qui a régné sur Alger entre 1791 et 1798. « À merveille ! Bonheur immense, le Dieu Créateur a favorisé (cette œuvre) ! Le gouverneur du boulevard de la guerre sainte a construit cette fontaine. C’est la source de vie ! Bondis, pauvre étranger à la langue altérée. Le vase s’est clarifié : bois son eau et fais une prière pour Hassan Pacha. Année 1208 » (03).
L’an 1208 de l’hégire correspondait aux années 1793-1794 de l’ère chrétienne. La plaque en marbre est placée au-dessus de la fontaine, aujourd’hui à sec et dégradée, dans une voûte creusée dans le mur de la petite mosquée. Cette salle de prière rectangulaire est hissée de deux coupoles à ses extrémités.
La terre fertile de la Mitidja
Les premiers colons français ont investi les lieux dès 1831, quelques mois après la chute d’Alger. Leur village a été fondé en avril 1835 dans un vallon sur les bords de l’oued Kniss, dans le sillage des premières incursions des troupes françaises dans la Mitidja. Les premières bâtisses, dont des cafés et des restaurants, ont été édifiées sur la route menant vers Birkhadem et la riche plaine de la Mitidja.
On peut contempler aujourd’hui, sur cette route, la première du pays (RN1), de vieilles bâtisses épargnées — pour combien de temps encore ? – par le marteau et le pilon. Les bâtiments de l’ancienne mairie édifiée en 1912 et de l’ancienne église inaugurée en 1874, attribués à l’administration, affichent une bonne mine.
Les façades sont bien entretenues et conservées. La fontaine et son abreuvoir pour les bêtes avaient faits de Bir Mourad Raïs, autrefois, une halte utile pour les voyageurs allant vers les régions du Sud et de l’Ouest algériens ou venant de ces régions vers celles du Nord et de l’Est du pays.
Ici commence la Mitidja
De l’autre côté du versant sud de la colline, traversée aujourd’hui par la rocade sud d’Alger, apparaissent les premières bâtisses de Birkhadem. Ici commence la Mitidja. Cette petite ville, grouillante de monde en raison de ses marchés de fruits et légumes achalandés, marque le début du territoire de cette riche et fertile plaine agricole qui fait près d’une centaine de kilomètres de long et une vingtaine de large.
Turcs et Français, tout en mettant main basse sur ses terres, présentèrent la Mitidja, au début de la colonisation française, comme une région marécageuse, un réservoir de maladies et autres épidémies.
« C’est un pays marécageux et malsain, dont le sol ne vaut pas les autres terres de la Régence », affirmait Hamdan Ben Othman Khodja, algérien d’origine turque, homme d’affaires et grand propriétaire foncier (04) dans la Mitidja. M. Khodja se contredisait.
Il avouait, dans ce même ouvrage édité la première fois en 1833 à Paris, que sa famille possédait « de père en fils d’une assez grande partie » de la Mitidja. « Chaque année je sème dans cette plaine, pour mon compte, environ cent-soixante charges de chameaux en forment, et cent à cent-vingt charges d’orge » (05) écrivait-il.
Plusieurs siècles auparavant, El Bekri, géographe et historien, donnait une description élogieuse de la Mitidja, la présentant comme une région fertile. « Cet endroit, qui porte le nom de Mitidja, est riche en pâturages et en champs cultivés ; il surpasse toutes les localités voisines par la quantité de lin que l’on y récolte et que l’on transporte dans d’autres pays. On y remarque des sources d’eau vive et des moulins à eau » (06).
Hamdan Khodja rapportait que la Mitidja était occupée « principalement » par les habitants d’Alger, c’est-à-dire par les dignitaires ottomans. Par contre, les habitants de souche de la Mitidja « tirent leurs vivres » des régions de l’Oued Djer et de Miliana, selon lui. Spolié de ses biens, ruiné, Hamdan Khodja quitta définitivement l’Algérie en 1836.
L’âne du poète Youcef Oulefki
Pour soutirer le maximum d’aide financière et autre assistance de leurs autorités, les colons français donnaient une image lugubre de cette région. Ils la présentaient, eux-aussi, comme une sorte de mouroir, un immense réservoir de maladies. Mais, rares ceux qui étaient allés loin dans leur supposé désarroi en quittant les lieux, en abandonnant fermes et lots de terrains à bâtir qui leur furent offerts dans le cadre de la politique de colonisation de l’Algérie.
C’est à Birkhadem que l’armée française créa son premier camp en dehors d’Alger, moins de trois mois après le débarquement de Sidi Fredj, le 14 juin 1830. Le territoire du hameau colonial fut délimité en avril 1833. Trois mois plus tard, les fermes et les résidences d’été des dignitaires ottomans furent confisquées pour être cédées ou vendues, plus tard, aux colons français et européens. Le village vit le jour en novembre 1842, avant de prendre la forme d’une commune de plein exercice en décembre 1856.
Cinq ans auparavant, en 1851, Birkhadem accueillait des déportés politiques français. Ces « transportés », comme on les appelait à l’époque, étaient impliqués ou suspectés d’implication dans l’insurrection ouvrière de 1848, les barricades de 1851 et le coup d’état contre Napoléon III en 1858. Ils avaient été internés dans des camps militaires, des lazarets et des prisons à travers le pays. Certains déportés s’étaient établis en Algérie après avoir obtenu des concessions de terres agricoles.
Le pénitencier de Birkhadem, créé durant les premières années de la colonisation, avait servi de centre d’internement des convoyeurs (civils) algériens, ayant survécu à l’invasion française de Madagascar en 1895. Ils furent plus de 6 000 hommes à se faire recruter, particulièrement en Kabylie, pour conduire des ânes et des mulets chargés de matériel de guerre et des provisions alimentaires de l’armée, à travers les montagnes de Madagascar.
Les montures, plus de 5 000, composées d’ânes, de mulets et de chevaux, provenaient des réquisitions effectuées essentiellement en Kabylie par les autorités militaires françaises. Parmi elles figurerait l’âne de Youcef Oulefki. Ce poète de renom avait utilisé la confiscation de sa monture comme prétexte pour vilipender, à travers ses poèmes, la France coloniale.
De Madagascar à la prison de Birkhadem
Les statistiques de l’époque relevaient que des milliers d’Algériens avaient été engagés comme soldats pour participer à l’invasion de Madagascar. « Il y a de malheureux Kabyles qui n’ont pas changé de vêtements depuis leur départ d’Algérie ! La vermine les recouvre », rapportait dans une dépêche l’agence de presse française Havas, ancêtre de l’actuelle AFP, sur les convoyeurs (07).
« Ces malheureux, après avoir souffert à Madagascar et pendant la traversée de retour, étaient, à leur arrivée en Algérie, traités comme des malfaiteurs (…) D’autres Madagascaréens, ramenés par la Provence et autres bateaux, ont été menés au pénitencier militaire de Birkadem, près d’Alger, où ils sont parqués et enfermés — comme des malfaiteurs. Ils couchent sur des paillasses posées à terre. Depuis leur débarquement on les empêche de sortir et on les garde ainsi comme des disciplinaires. De plus, la nourriture est mauvaise et les soins les plus vulgaires leur sont pour ainsi dire refusés », selon La Dépêche d’Alger citée dans le même livre du général Gallieni qui avait dirigé cette invasion (08).
Birkhadem n’était pas seulement un relais. Il était habité avant l’arrivée des troupes françaises et des colons qui leur collaient aux basques. Des dignitaires turcs disposaient de plusieurs haouchs (fermes) et somptueuses résidences de villégiature. La fontaine adossée au mur de la mosquée en est la preuve. Elle a été, selon une épitaphe placée au-dessus du bassin, construite en 1797 (1212 de l’hégire) à l’initiative de Hassan Pacha, patron de la Régence d’Alger de 1791 à 1798. Mais, l’existence de la source était antérieure à l’arrivée des Turcs dans la région.
«Birkhadem a acquis une certaine importance qu’il doit à sa proximité d’Alger, ainsi qu’à la beauté de son site et à la fertilité de ses terres », écrivait, en 1865, Achille Fillias.
Son territoire « est un des plus richement cultivé du Sahel ; outre d’importantes cultures maraîchères, on y voit de nombreuses plantations d’orangers, mandariniers, muriers et de très belles vignes. Les eaux y sont saines et abondantes », relevait en 1880, Charles Gouillon, dans son Annuaire général de l’Algérie (09).
Il reste peu de traces des vestiges ottomans à Birkhadem. Même les belles bâtisses édifiées pendant la colonisation française ont subi d’irréparables dégradations. À l’image de la salle de cinéma, dont les superbes bas-reliefs ornant sa devanture ont été détruits lors de sa rénovation il y a quelques années.
Sources.
01) – Les édifices religieux de l’ancien Alger, Albert Devoulx, typographie Bastide, Alger, 1870,
02 – Feuillets d’El-Djezaïr, Comité du Vieil Alger, tome II, Editions du Tell, 2003, réédition en deux tomes de l’ouvrage en 1937 aux Editions L. Chaix à Alger,
03) – Corpus des inscriptions arabes et turques de l’Algérie, département d’Alger, Gabriel Colin, Ernest Leroux, éditeur. Paris, 1901.
04) – Aperçu historique et statistique sur la Régence d’Alger, intitulé en arabe Le Miroir, Sidi Hamdan Ben-Othman Khodja, traduit de l’arabe par H. D. Oriental, tome premier, imprimerie de Goetschy Fils et Compagnie, Paris, 1833.
05) – Idem
06) – Description de l’Afrique septentrionale, El Bekri, traduction De Slane, éditeur Adolphe Jourdan, 1913, Alger.
07) – L’œuvre de la France à Madagascar, la conquête, l’organisation, le général Galliéni, Augustin Challamel, éditeur, Paris, 1903.
08) – Idem
09) – le quotidien Algérie confluences, Mohamed Arezki Himeur.
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