Après l’échec de son coup de force vers Moscou, le chef du groupe paramilitaire devait aller en Biélorussie dans le cadre d’un accord conclu avec le président biélorusse Alexandre Loukachenko.
Le chef du groupe Wagner Evgueni Prigojine (à gauche) et le gouverneur de la région de Volgograd Andrey Bocharov (à droite), lors d’une cérémonie, le 24 septembre 2022. (KOMMERSANT/SIPA)
Le président biélorusse Alexandre Loukachenko a affirmé ce jeudi 6 juillet que le patron du groupe paramilitaire Wagner, Evgueni Prigojine, se trouvait toujours « en liberté » en Russie, malgré l’accord prévoyant son départ vers la Biélorussie après sa rébellion avortée le 24 juin.
Après la conférence de presse du président biélorusse, le Kremlin a confirmé ce jeudi ne pas surveiller le patron de Wagner. « Nous ne suivons pas ses mouvements », a déclaré aux journalistes le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, ajoutant que le président russe Vladimir Poutine communiquait « assez souvent » avec son homologue biélorusse Alexandre Loukachenko.
« Concernant Prigojine, il est à Saint-Pétersbourg. Il n’est pas sur le territoire biélorusse », a détaillé le président de la Biélorussie lors de cette conférence de presse, affirmant avoir eu mercredi une conversation téléphonique avec le chef de Wagner. Selon lui, les combattants de la milice se trouvent eux aussi « dans leurs camps » et non en Biélorussie, « pour le moment. Si [le gouvernement russe et le groupe Wagner] jugent nécessaire de déployer un certain nombre de combattants de Wagner en Biélorussie pour se reposer ou s’entraîner […] alors j’appliquerai ma décision » de les accueillir, a-t-il ajouté. « Je ne pense pas que Wagner se révoltera et retournera ses armes contre la Biélorussie. »
« Que va-t-il se passer ensuite avec lui ? Vous pensez que Poutine est rancunier et va le buter demain ? Non, ça n’aura pas lieu. »
Concernant le transfert en Biélorussie d’armes nucléaires russes, le président biélorusse a affirmé qu’elles ne seraient utilisées qu’à des « fins défensives ». « Nous ne prévoyons d’attaquer personne avec des armes nucléaires », a-t-il affirmé, tout en promettant une réponse « immédiate » si son pays était attaqué.
Une mutinerie tuée dans l’œuf
La rébellion du groupe paramilitaire, menée le 24 juin, a ébranlé le pouvoir russe, en plein conflit russo-ukrainien.
Pendant plusieurs heures, les combattants de Wagner ont occupé un quartier général de l’armée russe à Rostov-sur-le-Don (sud-ouest) et parcouru plusieurs centaines de kilomètres en direction de Moscou.
Le chef du groupe paramilitaire a appelé samedi soir ses troupes à stopper leur marche vers Moscou, dans une volte-face spectaculaire après avoir défié l’autorité de Moscou pendant vingt-quatre heures. Le président biélorusse, Alexandre Loukachenko, a joué le rôle de médiateur.
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Le chef du groupe paramilitaire a appelé samedi soir ses troupes à stopper leur marche vers Moscou, dans une volte-face spectaculaire après avoir défié l’autorité de Moscou pendant vingt-quatre heures. Le président biélorusse, Alexandre Loukachenko, a joué le rôle de médiateur.
de la journée de rébellion menée par le groupe paramilitaire Wagner
Les forces du groupe paramilitaire Wagner ont commencé samedi à quitter leurs positions en Russie sur ordre de leur chef, qui a fait volte-face après avoir frontalement défié l’autorité de Vladimir Poutine, tandis que Kiev a revendiqué des avancées à l’est de son territoire.
Evgueni Prigojine a annoncé que ses hommes « rentrent » dans leurs camps pour éviter que le « sang russe » ne coule, après avoir lancé vendredi soir un coup de force inédit contre le Kremlin pour selon lui « libérer le peuple russe ». Sa décision est intervenue à la suite de négociations avec le président biélorusse, Alexandre Loukachenko, que Vladimir Poutine a remercié pour « le travail accompli ».
Un accord a également été convenu entre la présidence russe et Evguéni Prigojine, a affirmé dans la soirée le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov. Le chef de Wagner va ainsi partir pour la Biélorussie et les poursuites contre lui vont être abandonnées. Quant aux combattants qui l’ont suivi, « personne ne (les) persécutera, compte tenu de leurs mérites au front » ukrainien, a précisé M. Peskov.
Les troupes de Wagner avaient été aperçues à moins de 400 km de la capitale après avoir notamment revendiqué la prise du quartier général de l’armée russe à Rostov (ouest), centre névralgique des opérations en Ukraine. Dans sa dernière déclaration, le chef du groupe disait s’être approché à près de 200 kilomètres de Moscou.
Certaines mesures de sécurité exceptionnelles, prises en Russie face à l’avancée de Wagner, ont commencé à être levées, notamment dans la région de Lipetsk, au sud de Moscou, où avaient pénétré des paramilitaires. « Dans un avenir proche, nous rouvrirons l’accès aux routes de la région », a fait savoir le gouverneur régional Igor Artamonov. Le maire de Moscou avait appelé les habitants à limiter les déplacements en ville, qualifiant la situation de « difficile » et décrété lundi jour chômé.
Du côté de l’Ukraine, cette journée de rébellion n’affectera « en aucun cas » l’offensive russe, a clamé la présidence russe. Le ministre des affaires étrangères russe promet, lui, que « tous les objectifs de l’opération militaire spéciale [en Ukraine] seront atteints ».
L’armée ukrainienne a, elle, revendiqué « des avancées dans toutes les directions » sur le front est où elle affirme avoir lancé de nouvelles offensives. Son commandant en chef, Valeri Zaloujny, a assuré au chef d’état-major américain que la contre-offensive ukrainienne « se déroule conformément aux plans », selon un communiqué.
Lors de consultations lancées à la hâte, le président américain Joe Biden s’est entretenu par téléphone de la situation en Russie avec ses homologues français Emmanuel Macron, allemand Olaf Scholz et britannique Rishi Sunak, selon la Maison Blanche. Les quatre dirigeants ont « affirmé leur soutien inébranlable à l’Ukraine », mais se sont gardé de commenter directement la rébellion armée du chef du groupe paramilitaire Wagner, Evguéni Prigojine.
Ce que l’on sait de la rébellion du Groupe Wagner à 17 heures
Les combattants du groupe paramilitaire Wagner continuaient samedi après-midi leur progression vers Moscou, moins de vingt-quatre heures après que leur chef, Evgueni Prigojine, est entré ouvertement en rébellion contre le commandement russe.
Qu’est-ce qui a déclenché la rébellion armée ?
Depuis des mois, Prigojine est dans une lutte de pouvoir avec la hiérarchie militaire russe, la blâmant pour la mort de ses troupes dans l’est de l’Ukraine. A plusieurs reprises, il a accusé de hauts gradés militaires de ne pas équiper de manière adéquate son armée privée, de retarder l’avancée de ses troupes avec des questions de bureaucratie, tout en s’attribuant toutes les victoires remportées par les hommes de Wagner.
Vendredi, Prigojine a laissé exploser sa colère, affirmant que les dirigeants militaires de Moscou avaient ordonné des frappes sur ses camps et tué un grand nombre de paramilitaires de Wagner. Moscou a nié être à l’origine de ces frappes. Il a déclaré que des hauts gradés de l’armée russe devaient être arrêtés, jurant « d’aller jusqu’au bout ».
Où en est l’insurrection armée ?
Dans la nuit de vendredi à samedi, le chef du Groupe Wagner a affirmé que ses forces avaient abattu un hélicoptère militaire russe. Quelques heures plus tard, il a assuré que ses hommes avaient pris « sans un coup de feu » le QG militaire à Rostov-sur-le-Don, dans le sud de la Russie, et y contrôler plusieurs sites militaires.
Depuis, les forces de Wagner ont été repérées dans deux autres régions russes : Voronej et Lipetsk. L’entrée de ces combattants dans l’oblast de Lipetsk, située à environ 400 kilomètres au sud de Moscou, confirme leur progression en direction de la capitale russe.
Comment réagit le pouvoir russe ?
La Russie a renforcé la sécurité à Moscou et dans plusieurs régions comme Rostov et Lipetsk, y imposant le « régime antiterroriste ».
Evgueni Prigojine a affirmé, samedi 24 juin, être entré en Russie avec ses troupes dans le but de renverser le commandement militaire, se disant « prêt à mourir » avec ses 25 000 hommes pour « libérer le peuple russe ». « Ce n’est pas un coup d’Etat militaire, c’est la justice qui est en marche. Nos actions ne gênent en rien les troupes [engagées en Ukraine] », a-t-il clamé.
Dans une série de messages audio postés tout au long de la nuit sur Telegram, le chef du Groupe Wagner a annoncé que ses forces, jusqu’à présent déployées en Ukraine, avaient traversé la frontière russe et étaient entrées dans la ville de Rostov (Sud). Il a aussi assuré que ses troupes avaient abattu un hélicoptère russe qui avait « ouvert le feu sur une colonne civile ». L’Agence France-Presse (AFP) n’a cependant pas été en mesure de confirmer la véracité de ses propos.
A Moscou, les mesures de sécurité ont été « renforcées » autour des sites sensibles, comme le ministère de la défense, la Douma, ou le Kremlin. Le maire, Sergueï Sobianine, a annoncé samedi matin que des « activités antiterroristes » étaient en cours. Le gouverneur de la région de Rostov − dont la capitale serait prise d’assaut par le Groupe Wagner selon son chef − a appelé la population à « rester à la maison ». Et celui de Lipetsk, à 420 kilomètres au sud de Moscou, a lui aussi annoncé « des mesures de sécurité renforcées ».
Un influent général russe, Sergueï Sourovikine, a appelé les combattants de Wagner à rentrer dans leurs casernes. Le service fédéral de sécurité (FSB) a également demandé aux combattants de Wagner d’arrêter leur chef.
Le parquet russe a annoncé une enquête pour « mutinerie armée » contre M. Prigojine. Selon la loi russe, Evgueni Prigojine risque entre douze et vingt ans d’emprisonnement s’il est arrêté.
Dans la journée, le patron de Wagner avait préalablement accusé le ministre de la défense russe, Sergueï Choïgou, − avec qui il est en conflit larvé depuis des mois − d’avoir ordonné des attaques sur ses positions, ayant fait un « très grand nombre de victimes » parmi ses hommes. Ce que le ministère de la défense a démenti.
Plus tôt, Evgueni Prigojine avait également assuré que l’armée russe reculait dans les zones de Zaporijia et de Kherson ainsi qu’à Bakhmout, contredisant les propos de Vladimir Poutine et de Sergueï Choïgou, selon qui l’armée russe « repousse » tous les assauts ukrainiens. « Il n’y a pas de succès militaires » de Moscou, avait cinglé M. Prigojine, affirmant que les militaires russes « se lavent avec leur sang », une manière d’affirmer qu’ils subissent de lourdes pertes.
En Ukraine, la Russie a lancé dans la nuit de vendredi à samedi une nouvelle salve de missiles contre plusieurs villes : à Dnipro, à Kiev, à Kharkiv. Des blessés ont été reportés.
Le ministère de la défense russe a de son côté averti que l’Ukraine se prépare à attaquer du côté de Bakhmout en « profitant de la provocation de Prigojine pour déstabiliser la situation ».
Les factions russes rivales ont commencé à « se dévorer entre elles pour le pouvoir et l’argent », s’est félicité le chef du renseignement militaire ukrainien, Kyrylo Boudanov. A Washington, la Maison Blanche a dit suivre de près la situation.
L’opposant russe et homme d’affaires en exil Mikhaïl Khodorkovski a appelé samedi à aider le chef du Groupe Wagner. « Oui, même le diable il faudrait l’aider s’il décidait d’aller contre ce régime ! », a-t-il déclaré.
Les combattants de Wagner ont quitté Rostov, selon le gouverneur régional
« La colonne du groupe Wagner a quitté Rostov et s’est dirigée vers ses camps », a annoncé le gouverneur régional Vassili Goloubev sur Telegram, sans donner plus de détails.
Ce qu’il faut retenir de la journée de rébellion menée par le groupe paramilitaire Wagner
Les forces du groupe paramilitaire Wagner ont commencé samedi à quitter leurs positions en Russie sur ordre de leur chef, qui a fait volte-face après avoir frontalement défié l’autorité de Vladimir Poutine, tandis que Kiev a revendiqué des avancées à l’est de son territoire.
Evgueni Prigojine a annoncé que ses hommes « rentrent » dans leurs camps pour éviter que le « sang russe » ne coule, après avoir lancé vendredi soir un coup de force inédit contre le Kremlin pour selon lui « libérer le peuple russe ». Sa décision est intervenue à la suite de négociations avec le président biélorusse, Alexandre Loukachenko, que Vladimir Poutine a remercié pour « le travail accompli ».
Un accord a également été convenu entre la présidence russe et Evguéni Prigojine, a affirmé dans la soirée le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov. Le chef de Wagner va ainsi partir pour la Biélorussie et les poursuites contre lui vont être abandonnées. Quant aux combattants qui l’ont suivi, « personne ne (les) persécutera, compte tenu de leurs mérites au front » ukrainien, a précisé M. Peskov.
Les troupes de Wagner avaient été aperçues à moins de 400 km de la capitale après avoir notamment revendiqué la prise du quartier général de l’armée russe à Rostov (ouest), centre névralgique des opérations en Ukraine. Dans sa dernière déclaration, le chef du groupe disait s’être approché à près de 200 kilomètres de Moscou.
Certaines mesures de sécurité exceptionnelles, prises en Russie face à l’avancée de Wagner, ont commencé à être levées, notamment dans la région de Lipetsk, au sud de Moscou, où avaient pénétré des paramilitaires. « Dans un avenir proche, nous rouvrirons l’accès aux routes de la région », a fait savoir le gouverneur régional Igor Artamonov. Le maire de Moscou avait appelé les habitants à limiter les déplacements en ville, qualifiant la situation de « difficile » et décrété lundi jour chômé.
Du côté de l’Ukraine, cette journée de rébellion n’affectera « en aucun cas » l’offensive russe, a clamé la présidence russe. Le ministre des affaires étrangères russe promet, lui, que « tous les objectifs de l’opération militaire spéciale [en Ukraine] seront atteints ».
L’armée ukrainienne a, elle, revendiqué « des avancées dans toutes les directions » sur le front est où elle affirme avoir lancé de nouvelles offensives. Son commandant en chef, Valeri Zaloujny, a assuré au chef d’état-major américain que la contre-offensive ukrainienne « se déroule conformément aux plans », selon un communiqué.
Lors de consultations lancées à la hâte, le président américain Joe Biden s’est entretenu par téléphone de la situation en Russie avec ses homologues français Emmanuel Macron, allemand Olaf Scholz et britannique Rishi Sunak, selon la Maison Blanche. Les quatre dirigeants ont « affirmé leur soutien inébranlable à l’Ukraine », mais se sont gardé de commenter directement la rébellion armée du chef du groupe paramilitaire Wagner, Evguéni Prigojine.
Prigojine « a humilié Poutine », tâcle la présidence ukrainienne
A la suite de l’accord entre le Kremlin et Wagner, après une journée d’insurrection armée qui a ébranlé le pouvoir russe, « Prigojine a humilié Poutine / l’Etat et a montré qu’il n’y a plus de monopole de la violence » légitime en Russie, a raillé Mykhaïlo Podoliak sur Twitter.
Evgueni Prigojine est l’ancien voyou issu des arrière-cuisines de Poutine
Le patron du groupe Wagner, qui se rebelle aujourd’hui contre l’autorité du Kremlin, a derrière lui un parcours particulièrement sulfureux. En avril 2021, « L’Obs » avait publié ce grand portrait de celui qu’on appelait encore le « cuisinier de Poutine » : un ancien malfrat sanctionné pour ses ingérences dans les élections américaines, qui était devenu « l’homme de l’ombre » du président russe.
E-vgueni Prigojine (à gauche) avec Vladimir Poutine lors d’un dîner dans un restaurant de l’homme d’affaires, en 2011. (MISHA JAPARIDZE/AP/SIPA)
Le patron du groupe Wagner, qui se rebelle aujourd’hui contre l’autorité du Kremlin, a derrière lui un parcours particulièrement sulfureux. En avril 2021, « L’Obs » avait publié ce grand portrait de celui qu’on appelait encore le « cuisinier de Poutine » : un ancien malfrat sanctionné pour ses ingérences dans les élections américaines, qui était devenu « l’homme de l’ombre » du président russe.
Au premier regard, au premier geste, au premier mot, ils se sont sans doute reconnus. Deux anciens voyous des bas-fonds de Saint-Pétersbourg. Le président russe Vladimir Poutine et son nouveau Raspoutine, le fascinant, sulfureux et mystérieux Evgueni Prigojine, semblent s’être « trouvés ». Ils ont en commun un passé lourd et mouvementé. Dans les années 1970 et 1980, sous le pesant couvercle d’un croulant régime soviétique, c’était le bon vieux temps de la castagne, des trafics, des cuites à la méchante vodka et des mauvais coups à Saint-Pétersbourg, alors nommée Léningrad (« ville de Lénine »). Aujourd’hui, ils mijotent ensemble au Kremlin plats empoisonnés et coups tordus.
Evgueni Viktorovitch Prigojine est un homme impénétrable, secret et invisible, qui officie dans les cu
isines − mais surtout dans les arrière-cuisines du Kremlin. Ce nébuleux Novyj Russkij, ce « Nouveau Russe » rapidement et scandaleusement enrichi dans un capitalisme de Far West, voudrait effacer les traces de ses antécédents troubles. Il a ainsi poursuivi en justice, sans succès, le moteur de recherche internet russe Yandex. En revanche, son ami Vladimir Vladimirovitch Poutine adore évoquer sa jeunesse de malfrat, plutôt que ses études de droit à Saint-Pétersbourg. Dans un livre d’entretiens (« Première personne », éditions So Lonely), Poutine se rappelle ces années avec nostalgie. Il s’en vante même : « J’étais un vrai voyou ! » Ses exploits de petite frappe sont connus. Jusqu’à son adolescence, le jeune « Volodia » traîne dans les rues infestées de rats de « Piter ». Plutôt que d’aller à l’école, il passe des heures dans la cage d’escalier puante de son appartement communautaire. Le petit voyou fait des mauvais coups, fréquente des gangs d’enfants errants. De petite taille, mais teigneux et brutal, il fait le coup de poing au coin des rues.
« Volodia le Bagarreur » sera sauvé par la discipline physique et mentale du judo. Il deviendra un champion de cet art martial, puis lieutenant-colonel du prestigieux premier directorat du KGB (espionnage). De son passé de mauvais garçon, le chef d’un Etat parmi les plus puissants du monde a gardé des méthodes de bagarreur de rue et un vocabulaire argotique, fleuri et ordurier, qui ravit souvent le grand public. « Homme fort », le glaçant « tchékiste » parle souvent d’« attraper ses ennemis par les couilles », de « bouffer sa morve » (expression russe qui signifie faire traîner). Il s’est distingué en promettant d’« aller buter les terroristes jusque dans les chiottes ».
Colonie pénitentiaire
Crâne chauve et sourire rare, Prigojine est lui aussi né à Léningrad. Il a une dizaine d’années de moins que Poutine, mais près de dix ans de prison de plus que lui. Dans sa jeunesse orageuse, Prigojine le voyou « tombe » une première fois en 1979. Le tribunal populaire du district Kuibyshevsky de Léningrad le condamne à deux ans et demi avec sursis pour vol. « Zhenya » est envoyé se racheter dans une auberge de jeunesse à Novgorod. A peine de retour à Léningrad, il replonge : vol, cambriolage, violences, divers trafics, dont de jeans. A en croire le dossier d’enquête publié par le site russe rosbalt.ru, Prigojine était alors, comme son ami Poutine, un violent.
Une nuit de mars 1980, il suit dans la rue une fille à la sortie d’un restaurant pour lui voler son manteau. Il l’attrape, elle crie. Il lui serre la gorge, l’étouffe et la tire par le cou dans une ruelle. Elle s’évanouit. Quand elle reprend connaissance, elle n’a plus ses boucles d’oreilles ni même ses bottes. « Zhenya » tombe donc de nouveau, à l’âge de 20 ans, en 1981. Il est condamné à une peine de treize ans de prison et de confiscation de ses biens pour « vol », « fraude », « implication de mineurs dans la prostitution ». Il en passe neuf dans une colonie pénitentiaire à sécurité maximale.
Quels sont les liens entre Poutine et ce malfrat patenté ? Quel rôle joue-t-il dans la galaxie des hommes du président ? Officiellement, Evgueni Prigojine est d’abord le fournisseur des cantines de l’Etat russe et du Kremlin. Il y gagne le surnom de « cuisinier de Poutine ». Mais, officieusement, « Prigojine le Chouchou » mijote aussi avec le président des plats plus épicés dans les arrière-cuisines. Des spetz operatsiya, ces« opérations spéciales » dont raffole l’ancien « guébiste » devenu président.
L’intrigant « cordon-bleu » serait à l’origine de l’Internet Research Agency, l’« usine à trolls » qui fut au cœur du scandale des ingérences russes dans la présidentielle américaine de 2016 remportée par Donald Trump. Son nom est aussi cité dans les opérations visant à influencer les élections de mi-mandat de 2018. A ce titre, il est en tête de la liste des personnes sanctionnées par les Etats-Unis. Le FBI a même offert une récompense de 250 000 dollars (210 000 euros) pour toute information menant à son arrestation. L’intéressé dément tout en bloc, toujours. Mais Prigojine serait également le véritable financier de la compagnie de mercenaires russes Wagner, ces « chiens de guerre » officieux du Kremlin très actifs en Ukraine, en Syrie, en Libye, au Venezuela, au Soudan et en Centrafrique.
Ascension conjointe
Contrairement à la plupart des hommes de l’entourage du président russe, le « cuistot du Kremlin » ne fait pas partie de la « bande » de Saint-Pétersbourg. Ce premier cercle, cette garde rapprochée, est notammentissu des services de la mairie de l’ex-capitale impériale. Poutine y fut le chef du Comité aux relations économiques extérieures dans les années 1990. La meute de Poutine est aussi constituée de ses amis du KGB de Saint-Pétersbourg, des partenaires de son club de judo, réunis dans le club très fermé des propriétaires de datchas privées pétersbourgeoises de la coopérative Ozero (« le lac »).
Prigojine, lui, semble faire partie d’une autre galaxie, manifestement plus « mafieuse ». Deux versions circulent à propos de la rencontre entre le président et celui qui deviendra rapidement son « homme de l’ombre ». Selon le récit officiel, Prigojine aurait tout simplement fait la connaissance de Poutine dans un des restaurants de luxe qu’il possède à Saint-Pétersbourg. L’ancien voyou était en effet devenu un entrepreneur à succès, propriétaire de plusieurs établissements de prestige à « Piter », après sa sortie de prison. Libéré en 1990 au moment où le communisme et l’URSS s’effondraient, et que soufflait sur la Russie le vent du capitalisme sauvage, l’ancien zek (« détenu ») devient un « biznessman » à la mode « Nouveau Russe ». Il organise un réseau de vente de hot-dogs. Puis il dirige la première chaîne de supermarchés de la ville, avant de se lancer dans la restauration de luxe.
Inspiré par les restaurants installés sur des péniches de la Seine, il ouvre en 1997, sur un bateau, le New Island, qui devient vite le lieu le plus en vogue de Saint-Pétersbourg. Apprécié des « nouveaux entrepreneurs », des responsables fédéraux et locaux, c’est aussi la cantine préférée de Vladimir Poutine. Haut responsable de la mairie de la ville, ce dernier a officiellement démissionné du KGB lors du putsch de 1991 contre Gorbatchev, mais il continue en réalité de travailler pour les « services », parallèlement à ses fonctions à la mairie.Il sait très bien qui est « Zhenya » Prigojine. Non seulement il s’en moque, mais le restaurateur devient son nouveau chouchou.
Poutine apprécie tant le New Island, qu’il y célèbre son anniversaire, y invite des hôtes de marque. Pendant que le bateau-restaurant, généralement jugé « très romantique mais hors de prix », navigue le long de la Neva, bordée de magnifiques palais colorés, on peut y déguster une salade de crabe du Kamtchatka, un veau Orloff ou un filet de truite aux amandes, le tout arrosé de vins fins et ruineux. Après son accession à la présidence, Poutine emmènera Jacques Chirac dîner sur le bateau à l’été 2001, puis en mai 2002 le président américain George W. Bush, ainsi que le Premier ministre japonais. A chaque fois, c’est Prigojine en personne qui sert les chefs d’Etat et de gouvernement.
Dans les années 1990, Saint-Pétersbourg, rongée par la violence, la corruption et les mafias, se couvre de boîtes de nuit, de clubs de strip-tease et d’établissements de jeux, qui permettent de blanchir l’argent sale et de monnayer les services rendus. Les casinos sont alors sous la coupe du crime organisé, traditionnellement puissant dans cette ville qui est aussi un grandport de contrebande. Les juteuses licences et les agréments sont très difficiles à obtenir. A moins de connaître la bonne personne.
Or, dès 1991, c’est Vladimir Poutine en personne qui délivre, à la mairie de Saint-Pétersbourg, les autorisations pour le monde interlope du jeu. Le directeur du Comité aux relations économiques extérieures préside également le Conseil de surveillance pour les casinos et les entreprises de jeux de hasard. Coïncidence ? C’est à cette époque que commence l’ascension conjointe de Prigojine et de Poutine. Ce dernier est mouillé dans d’autres activités louches : il se fait prendre dans une sale affaire, vite étouffée, de détournement de près de 100 millions d’euros. Il a délivré des licences d’exportation pour du pétrole, du bois et des minerais précieux contre de la nourriture qui n’arrivera jamais.
Attaques contre des opposants
Fort de ses relations amicales avec Poutine, la société Concord Catering de Prigojine conquiert Moscou. Elle obtient vite pour des centaines de millions d’euros de contrats de restauration : elle sert les repas dans les écoles mais aussi aux militaires. En 2012, Prigojine décroche un marché de près d’un milliard d’euros pour nourrir l’armée russe. L’ancien délinquant est désormais un homme respecté et riche, un oligarque. Il déménage dans une résidence chic sécurisée de Saint-Pétersbourg, avec terrain de basket et piste d’hélicoptère. Il s’achète le « St Vitamin », un yacht de 37 mètres à 5 millions d’euros, immatriculé aux Seychelles.
Prigojine acquiert aussi un jet privé, enregistré aux îles Caïmans. L’avion personnel de « l’Affreux du Kremlin » sera repéré sur beaucoup de « points chauds » du globe où Moscou mène de sales guerres secrètes − Soudan, République centrafricaine, Madagascar, Libye, Syrie, Liban, etc. Des guerres parfois dénoncées comme « antifrançaises » par Paris, qui s’est notamment fait évincer de Centrafrique par Moscou.
Non content d’intriguer au cœur de la politique étrangère parallèle de l’Etat russe, Prigojine serait aussi derrière certaines attaques contre des opposants au régime. Valery Amelchenko, un criminel qui aurait participé à certaines de ces opérations, a fait en 2018 des aveux circonstanciés au journal indépendant « Novaya Gazeta ».Il a confié avoir « travaillé » pour les services de sécurité de Prigojine. Selon lui, les nervis du « cuisinier du Kremlin » sont derrière des passages à tabac, des empoisonnements et des « accidents » mis en scène, ciblant des militants de l’opposition. Une heure et demie après avoir témoigné, Valery Amelchenko a disparu. Quant à l’auteur de l’article, il a reçu une couronne funéraire ainsi qu’un panier-cadeau joliment garni d’une tête de bélier coupée.
Avant de s’évaporer, l’ancien criminel a aussi reconnu avoir été mêlé à la tentative d’empoisonnement par injection, en novembre 2016, de l’époux de Lioubov Sobol, la très pugnace avocate d’Alexeï Navalny. Les proches de l’opposant numéro 1 du Kremlin, aujourd’hui emprisonné, estiment que Prigojine pourrait aussi être lié à son empoisonnement en août 2020. Alors que Navalny est encore dans le coma, Prigojine sort pour une fois de sa réserve et annonce vouloir faire payer à l’opposant près d’un million d’euros pour diffamation − « s’il survit », précise-t-il. Dans une de ses enquêtes, Navalny l’avait en effet accusé d’avoir servi de la nourriture avariée à des écoliers de Moscou. Comme on ne prête qu’aux riches, Prigojine est aussi soupçonné d’être impliqué dans l’assassinat, en juillet 2018, en Centrafrique, de trois journalistes russes qui enquêtaient sur des contrats miniers obtenus par sa compagnie de mercenaires Wagner.
C’est sans doute pour payer Poutine en retour que Prigojine a financé une « usine à trolls » à Saint-Pétersbourg, au service de l’influence russe sur internet. Et qu’il a monté l’entreprise de mercenaires Wagner. Là encore, Prigojine dément toute implication, tout renvoi d’ascenseur. Il va même jusqu’à contester devant la justice européenne les sanctions de l’UE qui le visent pour son rôle déstabilisateur en Libye. L’Etat russe dément lui aussi tout lien avec Wagner. Pourtant, beaucoup de ses mercenaires sont officiellement décorés par Moscou à titre posthume. Officiellement toujours, la société Wagner n’a pas d’existence légale en Russie. Et elle n’est pas dirigée par Prigojine, financier de l’ombre, mais par Dmitri Outkine. C’est un ancien lieutenant-colonel du GRU, les services secrets de l’armée, qui ne cache pas sa fascination pour Hitler et pour son compositeur fétiche : Richard Wagner.
Bien qu’il n’ait aucun rôle officiel dans la politique étrangère russe, on voit souvent le restaurateur du Kremlin devant les hauts fourneaux diplomatiques. En octobre 2019, on l’a ainsi vu à Sotchi lors du premier sommet Russie-Afrique, discutant avec des chefs d’Etat africains. En novembre 2018, il recevait à Moscou, avec Sergueï Choïgou, le ministre russe de la Défense, le général Khalifa Haftar, l’homme fort de l’est de la Libye, ainsi qu’une délégation de l’Armée nationale libyenne.
La nébuleuse des sociétés de Prigojine aurait récemment déployé des « consultants politiques » afin de promouvoir « en douceur » la « grande puissance russe » sur la planète. Cette galaxie, parfois surnommée « la Compagnie », serait ainsi intervenue en 2018-2019 pour « orienter » les élections présidentielles à Madagascar et au Zimbabwe, selon des enquêtes documentées. De même, les « fermes à trolls » de Prigojine ont été accusées par Facebook d’avoir orchestré des campagnes de désinformation dans une dizaine de pays d’Afrique, et les comptes internet russes qui leur sont liés ont été suspendus.
« Rôle grossièrement exagéré et mythifié »
Pour certains analystes, Prigojine, « homme lige » du Kremlin, mélangeant toutes les sauces, est devenu l’emblème d’un Etat russe hybride qui mène en catimini des guerres bâtardes autour du monde. Mais certains observateurs, comme Andrei Pertsev, journaliste et analyste pour le think tank de la fondation Carnegie à Moscou, pensent que « le rôle de Prigojine a été grossièrement exagéré et mythifié ». Wagner est en effet très loin d’avoir la taille du géant américain Blackwater (devenu Academi en 2011), la société militaire privée qui avait décroché en Irak et en Afghanistan des milliards de dollars de contrats avec l’armée américaine.
De plus, les coups tordus de Wagner ont souvent des allures de coups foireux. Ainsi, en Ukraine, leur berceau, les hommes de Wagner n’ont pas remporté de victoire décisive. En Syrie, où ils se sont moins distingués par leurs succès militaires que par des exactions et des crimes de guerre, ils ont même subi de lourdes pertes. Ainsi, en février 2018, lors de la bataille de Deir ez-Zor, près de 200 mercenaires de Wagner ont périsous le feu de l’aviation américaine. Au Mozambique aussi, Wagner s’est fait saigner. Et ce sont des privés sud-africains qui y ont remplacé les Russes. En Libye, malgré la participation de centaines d’hommes de Wagner, l’offensive sur Tripoli du général Haftar a tourné à la Bérézina en 2020. En Centrafrique, les concessions minières, négociées en échange de l’intervention de ses mercenaires, seraient très loin d’être rentables.
Quant à la fameuse « usine à trolls » de Prigojine à Saint-Pétersbourg, elle aurait, elle aussi, fait plus de bruit que de mal. « Très repérable, mais assez inefficace, sans véritable influence sur l’électorat américain », estiment certains spécialistes qui soulignent son amateurisme. Cependant, en donnant une grande notoriété aux trolls et aux hackers russes, elle aurait beaucoup plu au Kremlin. Car, pour Moscou, l’essentiel est de montrer, ou de faire croire, que la Russie a gardé une grande influence sur les affaires du monde. « Le Kremlin aime jouer le rôle du filou sournois que tout le monde connaît, mais que personne ne peut prendre la main dans le sac », souligne l’analyste Andrei Pertsev.
Dans ce jeu de miroirs, de faux-semblants, d’intox et de muscles gonflés, Prigojine semble jouer son rôle de « méchant » avec délectation. « Il incarne, conclut Pertsev, tous les mythes et stéréotypes sur le côté obscur du régime russe. » Rien pour déplaire à Vladimir Poutine, qui aime à rappeler qu’il fut une petite crapule à l’âme noire.
Le PDG du groupe Sonatrach, Toufik Hakkar, a annoncé qu’il sera procédé en 2028 à l’exploitation de deux gisements d’hydrocarbures au sud-est de Hassi Messaoud (Ouargla), en partenariat avec la société russe Gazprom, faisant état d’un investissement d’environ un milliard de dollars, rapporte l’APS.
Lors d’un entretien accordé à la chaîne russe RT, diffusé vendredi soir, dans le cadre de la visite d’Etat effectuée par le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, en Fédération de Russie, à l’invitation de son homologue russe, Vladimir Poutine, Hakkar a fait savoir que le groupe Sonatrach œuvrait avec Gazprom au développement des deux gisements découverts dans le périmètre d’Oum El-Assel (environ 140 km au sud-est de Hassi Messaoud) à travers l’établissement d’appels d’offres pour le forage et la construction d’usines de traitement du gaz naturel, précisant que «la première production est prévue pour 2028».
«Sonatrach et Gazprom ont mis en place un plan de développement, qu’ils ont finalisé en juillet 2022 et soumis le même mois à l’Agence nationale pour la valorisation des ressources en hydrocarbures (Alnaft), pour adoption», a précisé Hakkar.
Il s’agit, a-t-il ajouté, d’«investir 950 millions de dollars en deux temps pour produire environ 2 millions de mètres cubes de gaz naturel par jour (m3/j), plus de 1 000 tonnes/jour de condensats et plus de 220 tonnes de gaz de pétrole liquéfié (GPL)».
Hakkar a estimé que cette production «est de nature à renforcer le partenariat entre les deux parties, de même que la production nationale des hydrocarbures, vu la forte demande sur le gaz naturel enregistrée actuellement sur le marché international, ce qui nous permettra de valoriser les ressources découvertes».
«Nous œuvrerons ensemble à développer ces deux découvertes, confortées récemment par une troisième, ce qui encouragera le partenariat et appuiera les efforts de développement de ces gisements», a-t-il déclaré.
Et d’ajouter que la relation avec les entreprises russes «ne se limite pas à la recherche et à la prospection avec Gazprom», relevant que le groupe «travaille également avec d’autres sociétés russes, dans les services et la construction d’usines».
Ces partenariats «sont importants pour l’Algérie qui est en quête de développement et de diversification de tous les partenariats, d’autant que nous en comptons plusieurs aujourd’hui avec des pays d’Europe, d’Asie et d’Amérique», a-t-il soutenu.
«Pour Sonatrach, Gazprom est un partenaire fiable», a-t-il affirmé, indiquant que les deux groupes s’attèlent à développer ensemble certains périmètres et découvertes en Algérie, notamment avec «la forte demande sur le gaz qu’il y aura dans les prochaines années».
La relation qu’entretiennent les militaires algériens avec les Russes depuis la guerre d’indépendance jusqu’au voyage du Président Tebhoune ces jours est forte et ancienne. Encore que, contrairement à un cliché facile, les rapports entre Alger et Moscou ne sont pas et n’ont pas été toujours cordiaux. Historiquement, l’Algérie s’était rapprochée des thèses non-alignées Yougoslaves et essayait de maintenir de bonnes relations avec les deux camps.Ce qu’on ne sait pas par exemple, c’est à quel point le très socialiste Boumedienne, chef tout pusisant de l’Algérie jusqu’en 1979, a toujours soigné ses liens avec les États Unis.
L’URSS n’avait soutenu la Révolution algérienne que tardivement. Krouchtcheven effet voulait ménager le Général De Gaule et le conforter dans sa troisième voie. Ce ne fut que vers 1960 qu’il y a eu reconnaissance du Gouvernement provisoire de la République Algérienne (GPRA) par Moscou et un début de coopération, notamment dans les domaines militaires et du renseignement. Cela donnera la première génération de marins, d’aviateurs et d’officiers supérieurs de l’Armée Nationale Populaire et les premières promotions des services de renseignements de l’Algérie indépendante. Une promotion, appelée « Tapis Rouge », comprendra même l’encadrement de la « Sécurité militaire » qui perdurera jusqu’aux années 2000.
La clarification des années 1970-1980
Très tôt l’armée algérienne opte pour le modèle du Pacte de Varsovie pour se construire un système de défense sans risque de rupture des approvisionnements comme cela aurait pu être avec les USA. Lesquels ont fréquemment utilisé l’armement comme instrument de sanctions politiques envers ses alliés du tiers-monde.
À partir des années 70 et en particulier après la guerre du Kippour, la relation entre l’Algérie et l’URSS a connu une clarification. Trois grand axes sont apparus.
-l’excellence des relations entre les deux armées dans le domaine de la formation et de l’équipement
-le refus systématique de l’Algérie d’accueillir une base militaire soviétique sur ses terres, malgré l’insistance de Moscou.
–la poursuite des achats d’armes de l’ANP auprès du complexe militaro-industriel soviétique perdure après l’effondrement de l’URSS.
Il reste que les services de renseignement algériens ont pris leurs distances avec leurs homologues du KGB . Les intérêts de la Sécurité Militaire (SM) privilégiaient à l’époque les relations avec la France et la gestion de la nationalisation du pétrole.
L’irruption des services algériens durant les années 80 dans les conflits au Moyen-Orient et le conflit ouvert entre la SM et le Mossad, n’ont pas favorisé les liens entre les Algériens et les soviétiques. La guerre d’Afghanistan relance un peu la coopération. Les soviétiques étant très intéressés par l’infiltration des groupes de volontaires arabes qui ont rejoint le Pakistan afin de faire le coup de feu aux côtés des Mujahidines Afghans. Mais après les attentats du 11 septembre 2001, les services algériens font le pari d’un rapprochement avec la DST en France et la CIA après le 11 septembre 2001.
Une relance de la coopération en 1995
Face à de nouveaux défis après l’invasion de la Crimée et l’instauration de sanctions internationale contre la Russie, Poutine a saisi l’opportunité du départ en 1995 du puissant patron de l’ex Département du renseignement et de la sécurité (DRS) le général Mohamed Mediène ,alias Toufik, pour retisser des liens.
La visite en janvier 2018 en Algérie de Nikolai Patrushev, patron du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie et coordinateur de ses services de renseignements, a été le coup de départ d’un renouveau entre les services des deux pays. Coopération dans le domaine de la formations, mise en place d’une base de données commune, échange d’informations et unifications des procédures ont eu lieu suite à cette visite. La Russie étant à la recherches d’alliés sur les nombreux fronts qu’elle a ouverts, en Afrique à travers le travail de Wagner en Centrafrique, au Soudan, en Libye puis au Mali et d’appuyer sa présence en Syrie.
Patrushev jouera un rôle important avec d’autres leaders politiques russes pour une réconciliation entre les deux pays. On notera le rôle important joué par Valentina Matvienko, Présidente de l’assemblée fédérale Russie, qui avait effectuée deux visites en Algérie, Alexander Mikheev, cheville ouvrière de la vente d’armes à l’Algérie et grand facilitateur et défenseur de ses achats stratégiques et Dmitri Shugaev, Directeur du Service fédéral de coopération militaro-technique, qui a rang de Ministre et qui a joué le discrèt rôle d’intermédiaire entre Vladimir Poutine et les deux patrons successifs de l’ANP, Ahmed Gaid Salah et Saïd Chengriha. Cette intensification de la relation politique, voulue par Moscou atteindra son pic en 2020 avec l’invitation officielle et le programme spécial de feu Abdelkader Bensalah, alors Président par intérim aux cérémonies du 75 ème anniversaire de la victoire à Moscou. Bensalah n’avait pas pu s’y rendre à cause de son état de santé. La visite de Abdelmadjid Tebboune, prévue pour le mois de décembre à Moscou devrait, selon les indiscrétions d’officiels russes, marquer ce processus de rapprochement.
Le dossier épineux du gaz
Aux yeux des Russes, le dossier du gaz fait de l’Algérie un concurrent, voir un ennemi. L’Algérie a dès les années 70 fait irruption sur le marché du gaz et de manière prémonitoire a investi dans la liquéfaction ainsi que dans des gazoducs reliant l’Europe à l’Afrique. Cette stratégie avant-gardiste s’est révélée très menaçante pour les intérêts russes et l’utilisation par Moscou du gaz comme arme dans la poursuite de sa politique étrangère.
Dans cette compétition, l’Algérie a fait bande à part face à la Russie. Le récent rapprochement entre l’Algérie et l’Italie et les promesses algériennes d’augmentation des livraisons de gaz vers ce pays sont autant d’accords qui mettent à mal la Russie dans son bras de fer avec l’Union Européenne. L’Algéri, bouée de sauvetage pour l’Union Européenne cet hiver.-, ne s’inscrit évidemment pas dans la guerre que mène aujourd’hui Vadimir Poutine
La relation entre l’Algérie et la Russie connait quelques sérieux désaccords: la présence russe en Libye; le choix du Président Tebboune d’apporter un soutien à la Turquie dans le conflit libyen; la présence de la société Wagner sur l’ensemble du Mali.
Autre motif de tensions avec la Russie, l’Ukraine. L’Algérie qui n’a jamais reconnu la souveraineté russe sur la Crimée, continue à abriter une ambassade d’Ukraine et préférerait ne pas jouer les acrobates lors des votes de résolutions de l’ONU. Alger se retrouve devant le choix difficile de répondre aux appels du pied de la France, de l’Italie et des Etats-Unis, tout en consolidant ses relations avec la Russie et en rejoignant une économie mondiale alternative autour des Brics (1).
Le président Abelmadjid tebboune devra trancher après sa visite à Moscou à la fin de l’année.
Le chef d'Etat russe Vladimir Poutine a reçu ce jeudi Abdelmadjid Tebboune, son homologue algérien, pour renforcer leurs relations "stratégiques".
L'Algérie reçue en grande pompe à Moscou. Le président russe Vladimir Poutine a exprimé jeudi son souhait de renforcer le "partenariat stratégique" entre Moscou et Alger, en recevant au Kremlin son homologue algérien Abdelmadjid Tebboune.
"Les relations avec l'Algérie revêtent une importance particulière pour notre pays et sont d'une nature stratégique", a déclaré Vladimir Poutine au début de leur entretien qui était retransmis à la télévision.
"A l'issue de nos négociations, nous signerons une déclaration sur l'approfondissement de notre partenariat stratégique, qui marquera le début d'une nouvelle étape dans nos relations", a-t-il ajouté.
RELATIONS PRIVILÉGIÉES DEPUIS LA GUERRE D'ALGÉRIE
Peu avant, le chef de l'Etat russe avait accueilli Abdelmadjid Tebboune en grande pompe sous les ors de la salle de réception Saint-Georges, au Grand palais du Kremlin.
Alger et Moscou entretiennent des relations privilégiées depuis que l'Union soviétique a appuyé les indépendantistes algériens lors de la guerre contre l'ancienne puissance coloniale française (1954-1962).
Aujourd'hui, les échanges commerciaux entre l'Algérie et la Russie avoisinent les trois milliards de dollars et la coopération militaire est active, Moscou étant un important fournisseur d'armement du plus grand pays d'Afrique par sa superficie.
UN PAS DE PLUS POUR LA RUSSIE EN AFRIQUE, AU DÉTRIMENT DE LA FRANCE
Ces deux puissances gazières coopèrent également sur le plan énergétique, Vladimir Poutine affirmant jeudi que la coordination entre les deux pays "contribue à la stabilisation" des prix mondiaux. Depuis le début du conflit en Ukraine, la Russie, désormais isolée en Occident, s'efforce de renforcer ses relations en Asie, en Amérique latine et en Afrique.
La Russie cherche à s'imposer comme le partenaire privilégié de plusieurs Etats en Afrique, parfois au détriment de la France, pays qu'elle renvoie régulièrement à son statut d'ex-puissance coloniale.
Abdelmadjid Tebboune devait également effectuer une visite d'Etat en France en juin mais selon des informations de presse, ce déplacement, initialement prévu en mai, risque d'être de nouveau reporté.
ALGÉRIE: AMIRA BOURAOUI, FIGURE DE L’OPPOSITION, EST ARRIVÉE EN FRANCE APRÈS AVOIR FUI LE PAYS
Dans "Apolline Matin" ce mercredi sur RMC et RMC Story, Nicolas Poincaré revient sur l’accueil en France d’Amira Bouraoui, opposante au régime algérien, qui a fui le pays via la Tunisie, où elle avait été arrêtée.
Amira Bouraoui vient d'être accueillie en France à l’issue d’un parcours qui ressemble à une évasion. C’est l’une des figures de l’opposition au régime algérien. Cette femme de 46 ans, une grande gueule qui n’a pas peur de grand-chose, dit connaître tous les commissariats d’Alger tellement elle a souvent été arrêtée.
Elle était au départ médecin gynécologue, mais elle a été interdite d’exercer à cause de ses activités politiques. Elle s’est alors reconvertie dans le journalisme et tenait une chronique sur Radio M, une web radio très critique envers le pouvoir. Elle a ouvertement critiqué, il y a quelques années, le vieux président Bouteflika, qui voulait se représenter une cinquième fois alors qu’il était mourant.
En 2020, Amira Bouraoui a été brièvement emprisonnée et condamnée pour offense à l’islam et atteinte à la personne du président de la République. Surveillée 24 heures sur 24, elle a senti la semaine dernière que cela sentait le roussi pour elle. Et elle a décidé de quitter le pays au plus vite en passant vendredi par la frontière avec la Tunisie.
GROS BRAS DE FER DIPLOMATIQUE
C’est là que les choses ont mal tourné, parce qu’elle n’avait pas le droit de quitter le territoire. Elle a donc utilisé à la frontière son passeport français, puisqu’elle a la double nationalité.
Mais les Tunisiens l’ont arrêtée, pour entrée illégale sur le territoire. Elle a été présentée à un juge qui l’a libérée et qui lui a rendu son passeport. Pourtant, la police tunisienne est passée outre et l'a enlevée à la sortie du bureau du juge et l’a conduite à l’aéroport pour l’extrader vers l’Algérie, où elle risquait gros.
Le président algérien Abdelmadjid Tebboune a décidé de réintroduire dans l’hymne national un couplet visant directement la France. Les explications de Laurent Neumann dans "Apolline Matin", ce vendredi sur RMC et RMC Story.
Les relations de la France avec Abdelmadjid Tebboune, président de la République algérienne, viennent à nouveau de s’assombrir… Depuis son élection en décembre 2019, le président algérien ne cesse de souffler le chaud et le froid sur la relation Paris-Alger. Le chaud, en mars dernier, quand il se réconcilie avec le président Emmanuel Macron en promettant de relancer la relation bilatérale entre les deux pays. Le froid avec la décision qu’il vient de prendre de réintroduire dans l’hymne algérien le 3e couplet qui, depuis un décret de 1986, n’était plus chanté que lors des congrès du FLN ou l’investiture du président algérien.
Un couplet qui vise directement la France: "Ô France ! Le temps des palabres est révolu, nous l'avons clos comme on ferme un livre. Ô France ! Voici venu le jour où il te faut rendre des comptes. Prépare-toi ! Voici notre réponse. Le verdict, notre révolution le rendra, car nous avons décidé que l'Algérie vivra".
Du coup, l’hymne algérien, composé en 1955 par le poète et fervent militant indépendantiste Moufdi Zakaria, et adopté en 1963, quelques mois après l’indépendance, devient ainsi le seul au monde à citer un autre pays, a fortiori pour l’attaquer.
UN VOYAGE EN FRANCE REPORTÉ SINE DIE
Pourquoi un tel geste d’hostilité? D’abord, ce passé qui ne passe pas, les blessures non refermées de la guerre d’Algérie. Ensuite, la personnalité ambivalente de Tebboune, né en 1945 à Mechria, en Algérie, alors considérée comme un département français, et membre du FLN depuis plus de 50 ans. Et surtout le contexte diplomatique tendu entre Paris et Alger. Il y a eu la crise des visas pour "punir" Alger de ne pas reprendre ses ressortissants faisant l’objet d’une OQTF. Puis une vraie brouille quand Paris a aidé à exfiltrer de Tunis vers la France une opposante franco-algérienne, sous le coup d’une condamnation en Algérie.
Du coup, le voyage de Tebboune en France prévu le 2 mai dernier a été reporté en juin. Or, non seulement la date n’est toujours pas fixée mais, en guise de pied de nez, Tebboune vient d’achever ce jeudi un voyage d’Etat de trois jours à Moscou. Ajoutez la récente interview d’Edouard Philippe dans L’Express qui veut dénoncer le traité franco-algérien de 1968 qui définit les conditions d’accueil et de séjour des Algériens en France… Le temps est à l’orage.
Le président Abdelmadjid Tebboune a annoncé, lors d'une conférence de presse, avoir proposé la médiation algérienne pour tenter de régler le conflit en Ukraine qui a été acceptée par Vladimir Poutine.
L'Algérie et la Russie ont signé, jeudi à Moscou, une Déclaration de partenariat stratégique approfondi, censée donner un nouvel élan à la relation entre les deux pays.
Le document a été paraphé par les présidents Abdelmadjid Tebboune, en visite de trois jours en Russie, et Vladimir Poutine lors d'une cérémonie qui s'est déroulée au palais du Kremlin, en présence des délégations des deux pays.
Signataires déjà en 2001 d'un accord de partenariat stratégique, les dirigeants des deux pays souhaitent renforcer davantage leur coopération économique et consolider leur relation politique. Une relation, a estimé le président Poutine, qui a un caractère stratégique et une signification à part".
S'exprimant lors d'un point de presse à l'issue de ses entretiens avec le président Tebboune, Poutine a souligné que "les relations entre l'Algérie et la Russie ont commencé à prendre forme au milieu des années 1950. Dès cette époque, nous pouvions dire qu'elles revêtent un caractère stratégique. Sans aucune exagération".
Le dirigeant russe a souligné qu’au cours de cette période "nous avons eu de très bonnes relations entre le peuple russe et le peuple héroïque et courageux d'Algérie, qui a lutté pour son indépendance pendant de nombreuses années et l'a emporté". Selon lui, la déclaration signée, ce jeudi, "marquera le début d'une nouvelle étape, encore plus avancée, de nos relations bilatérales".
-- Tebboune invité au sommet Russie-Afrique
Par la même occasion, Vladimir Poutine a affirmé avoir invité son homologue algérien au sommet Russie-Afrique qui se tiendra fin juillet à Saint-Pétersbourg. Intervenant à cette occasion, le président algérien a salué, de son côté, une "relation historique" entre l'Algérie et la fédération de Russie.
Abdelmadjid Tebboune a insisté, dans son intervention, sur "la nécessité d'accélérer l’adhésion de l’Algérie au groupe des BRICS".
"Actuellement, la situation internationale est très tendue. Il faut que nous renforcions le processus de notre adhésion aux BRICS", a-t-il déclaré, estimant que "l’intégration du bloc des cinq va stimuler le développement du pays plus que ne l’ont fait jusque-là d’autres organisations internationales financières".
-- Conflit en Ukraine: Tebboune parle d'une médiation algérienne
Toujours à l'occasion de cette conférence de presse, le président Tebboune a annoncé avoir proposé à son homologue la médiation algérienne pour tenter de régler le conflit en Ukraine. Il a remercié, ce faisant, son homologue, Vladimir Poutine pour avoir accepté cette médiation, affirmant que l'Algérie "sera à la hauteur de cette confiance".
À ce sujet, Poutine a remercié l'Algérie et le Président Tebboune pour cette disposition à fournir des efforts de médiation dans le conflit opposant son pays à l'Ukraine. Il a rappelé, dans ce sens, que l'Algérie est membre du groupe de contact de la Ligue arabe sur l'Ukraine, le président Poutine a indiqué avoir expliqué au président Tebboune "la vision russe, les origines de ce conflit, et les circonstances qui l'entourent".
Dans la foulée, il a fait savoir qu'il recevra, samedi, des chefs de délégations du continent africain pour débattre de l'initiative proposée par l'Algérie pour le règlement du conflit russo-ukrainien.
Aksil Ouali |15.06.2023 - Mıse À Jour : 15.06.2023
A Moscou, la Russie et l’Algérie renouvellent leur « partenariat stratégique »
La visite d’Etat du président Tebboune visait à rassurer le Kremlin, alors que la guerre en Ukraine pourrait contraindre Alger à diversifier ses acquisitions militaires.
Les présidents Abdelmadjid Tebboune et Vladimir Poutine, à Moscou, le 15 juin 2023. MIKHAIL METZEL / AFP
Côte à côte face aux défis du monde. Le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, a rencontré jeudi 15 juin son homologue russe, Vladimir Poutine, lors d’une visite d’Etat à Moscou mise en scène pour projeter l’image d’une Russie toujours courtisée par les pays du Sud et celle d’une Algérie à l’offensive diplomatique. Les deux chefs d’Etat ont signé une « déclaration sur un partenariat stratégique approfondi », renouvelant ainsi un document du même type paraphé en 2001. Outre le secteur des hydrocarbures, le renforcement de la coopération portera sur le domaine militaire, selon l’agence Tass qui mentionne des manoeuvres conjointes, des transferts de technologies et des coproductions.
La presse algérienne avait annoncé le déplacement du président Tebboune avec emphase, l’agence officielle Algérie presse service (APS) louant des « relations exceptionnelles fondées sur l’amitié ». Alors que la Russie, qui accueille au même moment le Forum économique de Saint-Petersbourg, tient à compter ses amis et dissiper toute impression d’isolement sur la scène internationale, l’ombre de la guerre en Ukraine plane sur cette visite.
Depuis l’éclatement du conflit, en février 2022, l’Algérie n’a cessé de ménager Moscou en s’abstenant lors des différents votes de résolutions des Nations unies dénonçant « l’agression » russe. Certes, la relation stratégique n’est pas sans nuages, ainsi que l’illustrent les critiques adressées par M. Tebboune contre l’action de la compagnie de sécurité privée Wagner au Mali. Le coût de cette présence, avait-il déclaré fin décembre au Figaro, « serait plus utile » au service du « développement du Sahel ».
Mais les réserves d’Alger vis-à-vis d’entités militaires non étatiques – M. Tebboune avait également dénoncé en janvier 2020 le rôle de « mercenaires » (sous-entendant ceux de Wagner mais sans les citer) ciblant à l’époque la capitale libyenne, Tripoli – n’ont toutefois pas perturbé outre mesure la coopération sécuritaire.
Lune de miel
L’Armée nationale populaire (ANP) algérienne, dont des générations de cadres ont été formées après 1962 dans les académies soviétiques, s’est procuré à Moscou 73 % de ses acquisitions d’armes à l’étranger entre 2018 et 2022, selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm. Et à l’heure où Alger intensifie son effort de modernisation militaire – avec un budget de 2023 propulsé à 23 milliards de dollars, en augmentation de 120 % par rapport à 2022 –, ses regards vont de nouveau se tourner vers la Russie.
Mais l’enlisement des troupes de Moscou en Ukraine et son impact sur l’industrie de défense russe bouleversent la donne. « Il est fort probable que les Russes n’ont pas la capacité de fournir les armes souhaitées par les Algériens, souligne Isabelle Werenfels, spécialiste du Maghreb à l’Institut allemand des affaires internationales et de sécurité (SWP), basé à Berlin. Et hors de la Russie, il n’y a que les Européens, les Chinois, un peu la Turquie et peut-être l’Inde qui peuvent les leur fournir. »
Parmi les Européens, si toute transaction avec la France – qui répond déjà à 5,2 % des besoins d’armements algériens – est politiquement délicate, l’Allemagne, l’Italie ou le Royaume-uni peuvent être des fournisseurs potentiels.
Un autre terrain où l’Algérie peut voir sa relation avec l’Europe se densifier au risque de troubler Moscou est celui de l’énergie. La question a gagné en urgence alors que les Européens cherchent des alternatives au gaz russe sur fond de guerre en Ukraine. Aujourd’hui source de 11 % des importations de gaz de l’Europe, l’Algérie est vouée à étoffer à terme son statut de fournisseur du Vieux Continent, même si sa capacité à relever dans l’immédiat son niveau d’exportation est limitée.
Avec l’Italie, en pleine lune de miel diplomatique avec Alger, les projets se multiplient via notamment des gazoducs reliant les deux pays. L’Allemagne, pour sa part, se prépare à importer de l’hydrogène vert à partir de l’Algérie.
Objectif Brics
Dans ce contexte, la visite de M. Tebboune a Moscou vise à « rassurer les Russes, à leur faire savoir que l’Algérie est encore là », observe Mme Werenfels : « Cette visite ne signifie pas que l’Algérie bascule dans le camp de la Russie. Elle permet avant tout aux Algériens de contrebalancer ce qu’ils entreprennent dans d’autres domaines. Leur message est : “Nous avons toutes les options”. »
Cette visite survient en outre à un moment clé de l’évolution de la région Afrique du Nord et Moyen-Orient. L’émergence d’un nouveau pôle de développement autour des ambitions économiques de l’Arabie saoudite suscite en effet des interrogations inquiètes en Algérie. « L’implication du Maghreb dans ce projet ambitieux ne semble aucunement à l’ordre du jour, écrivait le 6 juin le quotidien algérien L’Expression. […] Autant dire que [les pays maghrébins] sont tout bonnement sommés de se mettre à niveau s’ils ne veulent pas être marginalisés. »
Aussi l’Algérie, confrontée depuis 2021 à la dégradation de sa relation avec le Maroc – qui plombe tout espoir de dynamique économique au Maghreb – et plus récemment à un refroidissement de ses rapports avec l’Arabie saoudite, doit-elle se trouver de nouvelles marges de manœuvre.
Sa campagne visant à rejoindre le forum des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) trouve là tout son sens. La Russie soutient sa candidature. D’où l’importance de la présence, jeudi, de M. Tebboune à Moscou au côté de M. Poutine, ainsi que vendredi au forum de Saint-Persbourg pour y vendre l’image d’une Algérie présentée comme riche en nouvelles opportunités d’investissements à travers ses projets de diversification hors hydrocarbures. « L’Algérie connaît une renaissance économique sans précédent », a lyriquement lancé, mercredi, M. Tebboune à des hommes d’affaires russes.
Le chef de l’Etat algérien, Abdelmadjid Tebboune, l’avait dit en janvier 2023, il le fait. Il est attendu ce mardi 13 juin à Moscou pour une visite officielle de trois jours. Il avait dit aussi qu’il se rendrait à Paris le même mois mais la crise diplomatique a eu raison de l’élan réconciliateur de Tebboune. Donc ça se passera chez Vladimir Poutine, à qui l’Occident a fermé toutes les portes depuis qu’il s’est installé chez son voisin, l’Ukraine…
«A l’invitation du Président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, le Président de la République, Abdelmadjid Tebboune, entame aujourd’hui une visite d’Etat en Fédération de Russie, qui dure trois jours, dans le cadre du renforcement coopération entre les deux pays amis», dit le communiqué de la présidence algérienne.
Moscou et Alger avait peaufiné cette visite haut en couleurs en février dernier, en mettant le curseur sur la consolidation des partenariats dans moult domaines. Le communiqué indique qu'”au cours de cette visite, le président de la République participera aux travaux du Forum économique international de Saint-Pétersbourg, en Russie“.
A noter que l’Algérie et la Russie ont des relations diplomatiques depuis plus de 50 ans et la coopération bilatérale touche des secteurs tels que l’énergie, la défense et la culture. Leurs liens n’ont pas été impactés par la guerre en Ukraine, Alger a même accentué le virage en déposant officiellement son dossier pour rejoindre les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Cette visite à Moscou balaie les derniers doutes sur les intentions et choix stratégiques de Tebboune.
On a appris que des accords économiques de poids seront paraphés avec Poutine, notamment dans le domaine de l’énergie où les deux pays pèsent lourd, même si les sanctions occidentales ont fermé à la Russie ses plus gros marchés, d’ailleurs Alger en a tiré un gros profit, notamment en Europe.
Les entreprises russes lorgnent les domaines de la construction, de l’agriculture et de la technologie en Algérie. Il est également question d’explorer les niches dans la santé, les sciences et l’éducation.
Par ailleurs la crise libyenne devrait être mise sur la table. On sait que l’Algérie est un acteur important dans ce dossier, la Russie aussi en tant que soutien du maréchal Khalifa Haftar. Tebboune milite activement auprès de la communauté pour une solution politique en Libye, il tentera d’entraîner Moscou dans cette direction…
Algérie : le président Tebboune entame une visite d'Etat en Russie
Alger et Moscou entretiennent des relations privilégiées de longue date
Le président algérien Abdelmadjid Tebboune entame mardi une visite d'Etat de trois jours en Russie à l'invitation de son homologue Vladimir Poutine, a annoncé la présidence algérienne. Cette visite s'inscrit "dans le cadre du renforcement de la coopération entre les deux pays amis", souligne un communiqué de la présidence.
Lors de ce déplacement, M. Tebboune participera également aux travaux du Forum économique international à Saint-Pétersbourg qui se tiendra du 14 au 17 juin, a-t-on ajouté de même source.
Alger et Moscou entretiennent des relations privilégiées de longue date. Les échanges commerciaux entre les deux pays avoisinent les trois milliards de dollars et se basent "en grande partie sur les constructions mécaniques, la métallurgie, l’agroalimentaire", selon la mission économique russe en Algérie.
La coopération militaire n'est pas en reste. Moscou est un important fournisseur d'armement du plus grand pays d'Afrique par sa superficie.
M. Tebboune devait également effectuer une visite d'Etat en
Début janvier 2023, l’oligarque russe Evguéni Prigojine libérait d’anciens détenus russes ayant combattu en Ukraine sous la bannière du groupe Wagner, sous sa direction, en leur prodiguant quelques conseils atypiques : « Ne buvez pas trop, ne vous droguez pas, ne violez pas les femmes »[1]. Immortalisés en une vidéo loin d’avoir été tournée en caméra cachée, ces mots devaient faire le tour des rédactions et plateaux de médias du monde entier.
Celui qui se fait surnommer le « cuisiner de Poutine » pour sa longue carrière de restaurateur dans l’orbite du Kremlin n’en était pas à sa première prise de parole publique. L’été précédent, l’homme d’affaires faisait le tour des prisons russes pour encourager les détenus à s’engager pour une durée de six mois auprès de la « société militaire privée Wagner »[2], se targuant de pouvoir, au contraire de « Dieu et Allah », « faire sortir » les prisonniers vivants. Sous réserve de ne pas déserter, de ne pas se rendre et, non des moindres, de ne pas mourir au front, les condamnés devaient retrouver leur liberté une fois leur contrat rempli. Après plusieurs mois d’hostilités avec Kyiv et des années à nier tout lien avec la PMC (private military company) Wagner, le gouvernement russe accordait sa confiance à Evguéni Prigojine, lui-même ancien détenu, pour regarnir les rangs des combattants en Ukraine au moyen de recrutements express parmi les repris de justice, dont les premiers engagés devaient être délivrés en janvier.
Au-delà de leur dimension volontiers provocatrice, les propos du fondateur de Wagner en disent long. Un tel avertissement témoigne du caractère systémique des dérives et exactions des groupes militaires privés, à l’heure où ceux-ci connaissent une nouvelle jeunesse.
Le groupe Wagner, avatar russe de la privatisation contemporaine de la guerre
Qu’est-ce la tchastnaïa voïennaïa kompania « Wagner » ? À l’heure où la privatisation de la guerre, phénomène ancestral, entre dans une phase marquée par le brouillage des distinctions entre public et privé ou entre mercenariat et prestation de services de sécurité, et au vu du silence longtemps entretenu par la Fédération de Russie au sujet de cette entité, l’interrogation est de rigueur.
Le mercenariat serait, de parole de l’un de ceux qui l’ont pratiqué au siècle dernier, le « deuxième plus vieux métier du monde »[3]. Ces mots de Bob Denard, marin français passé au service de nombreux États post-coloniaux dans les années 1960 à 1980, ne sont pas sans exactitude, en cela que le plus ancien exemple documenté de recours d’un État à des troupes étrangères remonte a minima au XIXe siècle… avant notre ère, lorsque le pharaon Sésostris III employa des guerriers venus du Soudan, de Palestine et de Syrie[4]. On en trouve de nombreux exemples chez les Grecs ou les Perses de l’Antiquité, attestant de l’existence dès cette période du trinôme de la relation mercenariale, entre un client, un entrepreneur et un employé en armes[5]. Les routiers du Moyen Âge, les bandes armées des condottieri dans l’Italie du XVe siècle et les gardes suisses qui constituent aujourd’hui encore l’armée du Vatican sont autant d’exemples de la permanence, à travers les siècles, de la pratique consistant à confier à des acteurs privés, souvent mais pas systématiquement étrangers aux parties en conflit, des missions d’ordre militaire.
Moment charnière dans l’histoire de la privatisation de la guerre, la guerre de Trente Ans (1618-1648) mobilise essentiellement des troupes mercenaires, qui passent régulièrement du service d’un souverain à celui d’un autre, et qui tendent à s’en prendre au pays traversé lorsqu’elles ne sont plus employées ou que le paiement se fait trop attendre. La conclusion de ces trois décennies d’hostilités avec les traités signés dans les villes de Münster et Osnabrück, en Westphalie, par de nombreux États européens a semblé marquer une rupture dans l’ordre international, actant a priori la souveraineté de chacun d’eux en excluant l’intervention d’acteurs extérieurs dans leur gouvernance interne.
Si les armées levées par la suite ont un caractère « national » sensiblement plus poussé que par le passé – une idée à relativiser étant donné l’émergence tardive du concept d’État-nation et des nationalismes – en cela qu’elles emploient de moins en moins de sujets étrangers, des soucis d’économie favorisent néanmoins le maintien d’un système semi-entrepreneurial, celui de la vénalité des charges, où l’officier paie et entretient sa propre compagnie dont la responsabilité lui a été confiée par l’État, privatisant ainsi les coûts[6]. Dans le même temps, les chartered companies, compagnies privées habilitées par les États européens de l’époque moderne, au moyen d’une charte écrite, à coloniser le Nouveau Monde et à y commercer[7], poursuivent leur expansion. La paix de Westphalie représente néanmoins une étape dans le temps long du rejet des mercenaires du champ de la guerre juste. Plus tard, l’essor de l’État-nation, étroitement lié à la conscription en vigueur dans bien des pays aux XIXe et XXe siècles, achève de reléguer le mercenaire au rang de guerrier vénal, d’un autre temps, ennemi de tous et rejeté par l’opinion publique.
L’ordre international dit westphalien, reposant théoriquement sur la souveraineté de chaque État, en vient, à l’époque contemporaine, à l’élaboration de traités multilatéraux dans lesquels la problématique du mercenariat n’est pas absente. Les conventions de Genève de 1949, portant notamment sur la question des blessés, malades et prisonniers de guerre, sont ainsi enrichies en 1977 d’un protocole qui, entre autres dispositions, exclut de ce dernier statut les mercenaires, et leur dénie la qualité de combattants[8]. Ce texte de droit international définit comme mercenaire toute personne non membre des forces armées d’une « Partie au conflit »[9], « spécialement recrutée dans le pays ou à l’étranger pour combattre dans un conflit armé » en prenant « une part directe aux hostilités », « essentiellement en vue d’obtenir un avantage personnel et à laquelle est effectivement promise, par une Partie au conflit ou en son nom, une rémunération matérielle nettement supérieure à celle qui est promise ou payée à des combattants ayant un rang et une fonction analogues dans les forces armées de cette Partie », sans être ressortissant d’une « Partie au conflit » ni résident sur son territoire, ni « envoyée par un État autre qu’une Partie au conflit en mission officielle en tant que membre des forces armées dudit État ». Ce texte est doublé, la même année, d’une Convention sur l’élimination du mercenariat en Afrique, texte à portée régionale adopté par l’Organisation de l’unité africaine (OUA) alors que le continent est en proie, depuis plus d’une décennie, à une forte présence de mercenaires étrangers, notamment ceux qui, sévissant au Katanga – dans l’actuelle République démocratique du Congo -, se font appeler les « Affreux ».
Finalement, en 1989, l’ONU se saisit de la question en adoptant une Convention internationale contre le recrutement, l’utilisation, le financement et l’instruction de mercenaires. La démarche, qui se veut multilatérale, a toutefois ses limites : le texte n’entre en vigueur qu’en 2001 et ne compte, à ce jour, que 37 États signataires. De même, bien que la définition du mercenaire soit élargie, ne s’appliquant plus seulement au « conflit armé » mais à « toute autre situation », la répression effective de cette activité ne peut être effectuée que par un État, dans son cadre national… laissant de facto une forme de champ libre à chacun d’eux quant à l’utilisation ou à la répression de telles forces privées.
Au lieu de disparaître, celles-ci viennent à muter. À l’heure du néolibéralisme, marqué par l’externalisation de nombreuses activités jusqu’alors confiées à l’État, apparaissent des sociétés commerciales structurées qui proposent des services ayant trait à la défense. Le coup d’envoi est donné en 1989 en Afrique du Sud par l’entreprise Executive Outcomes, qui offre de nombreux services d’excellence, notamment la formation au tir de précision, à la contre-insurrection ou à la chute libre, qu’elle prodigue rapidement à des forces armées comme celles de l’Indonésie[10]. Ainsi débute l’ère des sociétés militaires privées (SMP, traduction française de private military company). L’émergence de ces entités est symptomatique de la dissolution de l’ordre westphalien qui prévalut longtemps[11]. De manière générale, ces entreprises usent d’une sémantique nouvelle : elles ne parlent pas de « soldats » ou de « violence » mais de « risque », de « menace » et de « conseil », se veulent des acteurs de paix plutôt que de guerre, et travaillent principalement pour le compte de leurs États d’origine[12] ; elles seraient des sociétés de sécurité plutôt que « militaires », une différence qui, pourtant, est parfois une différence de degré plutôt que de nature[13].
De fait, bien des services qu’elles prodiguent ne relèvent pas, en eux-mêmes, du combat, mais de la logistique, de la protection rapprochée (tant pour des ambassades que pour des ONG ou des entreprises[14]), de la santé ou encore de la restauration des armées, loin de l’image d’Épinal du mercenaire[15]… et de la définition qu’en donne le droit international, selon lequel seule une personne physique, et non une entité comme une entreprise, peut être considérée comme mercenaire. Cette notion suppose qu’elle intervienne dans un conflit armé en particulier, qu’elle participe directement aux hostilités et ait pour motivation un avantage personnel et financier, ce qui en exclut également, dans bien des cas, les employés[16]. C’est sur ce flou juridique que prospèrent les sociétés militaires privées.
Pourquoi donc certains auteurs scientifiques, journalistes et activistes perçoivent-ils ces sociétés et leurs personnels comme des mercenaires, au point d’y voir une « nouvelle génération »[17] de ces derniers ? Certes, on ne peut pas exclure qu’une telle qualification s’insère avant tout, de la part de ceux qui l’énoncent, dans un discours moral visant l’État qui les emploie[18]. Tel fut le cas lorsque, pendant la guerre en Irak, les employés de la SMP Blackwater (aujourd’hui Academi), au service des États-Unis, ont été qualifiés de tels par la presse quand fut révélée leur implication dans pas moins de 195 fusillades entre janvier 2005 et septembre 2007, dont 163 où les contractors avaient ouvert le feu en premier[19]. Mais il s’agissait justement, alors, d’exactions liées à un usage de la force par des individus qui, dans les faits, participaient bel et bien en secret à des actions offensives, aux côtés des forces spéciales et de la CIA[20].
Alors même que la participation directe aux hostilités est un élément sine qua non de la définition du mercenaire, il arrive que les États confient des guerres par procuration (ou proxy wars) et des opérations sensibles, dont la paternité a vocation à être dissimulée, à de telles sociétés qui s’assimilent alors à des shadow armies[21] dont le lien avec les commanditaires ne peut pas toujours être prouvé. Cela leur permet, notamment, de mener des opérations de manière plus discrète qu’avec des forces armées régulières, et sans faire subir à ces dernières des pertes de plus en plus regrettées par l’opinion publique. C’est ainsi que, pendant des années, le Kremlin a pratiqué la stratégie du « déni plausible »[22] (en russe bezulikovye deistviia), niant systématiquement avoir la moindre connaissance d’un groupe Wagner que la communauté internationale commençait à découvrir ni, de ce fait, de rapport avec ses activités et exactions. En effet, il y a longtemps que celui-ci est présent, en temps de guerre comme de paix, dans des zones où le Kremlin a des intérêts ou des alliés à protéger, de la Syrie au Venezuela en passant par la Libye, le Soudan ou encore le Mali[23].
Certains des « petits hommes verts », ces personnages armés, en treillis militaire, sans insigne et masqués qui prirent discrètement le contrôle de lieux stratégiques de la péninsule de Crimée en vue de son annexion par la Russie en 2014, pourraient bien être des employés de Wagner[24], fondée la même année. Dans la guerre du Donbass, qui oppose depuis lors le régime de Kyiv aux républiques populaires autoproclamées de Donetsk et de Louhansk, le groupe, sans reconnaissance légale, pourrait avoir discrètement œuvré à appuyer les forces armées des États fantoches. Son mode opératoire, sous les ordres du Kremlin – et du Kremlin seul, à l’exclusion de tout autre régime -, relève alors essentiellement de la guerre hybride, privilégiant la guérilla, les attaques cyber, la sape des arrières de l’ennemi et la désorganisation de sa logistique au combat direct[25]. Lorsque, fin février 2022, le conflit change d’échelle, des centaines de ces « musiciens » fraîchement revenus d’Afrique sont, selon les informations du gouvernement ukrainien, chargés d’assassiner Volodymyr Zelensky[26] : encore une mission inavouable confiée à des professionnels. Longtemps, les opérateurs de Wagner étaient majoritairement des militaires à la retraite âgés de 35 à 55 ans, pour beaucoup des vétérans et anciens membres du renseignement intérieur russe, le FSB, et de son pendant militaire, le GRU[27] : en bref, des hommes aussi expérimentés que discrets.
De fait, il faut attendre le 4 novembre 2022, avec l’ouverture d’un quartier général à Saint-Pétersbourg[28], pour que le groupe ait pignon sur rue en Russie. Cette officialisation de l’existence de la société militaire privée intervient six semaines après la diffusion de la vidéo du recrutement dans les prisons, déjà virale. Jusqu’à cette dernière, Evguéni Prigojine n’avait eu de cesse de contester tout lien avec ce groupe. Il a pourtant, comme beaucoup s’en doutaient depuis longtemps, contribué à le fonder aux côtés de Dmitri Outkine, ancien militaire des spetsnaz – terme générique désignant les unités spéciales des forces armées et services de renseignement russes -, dont les sympathies néonazies pourraient expliquer le nom de l’entreprise[29] et connu comme le « chef d’orchestre » de l’organisation. La révélation au grand jour de l’existence de Wagner et de sa connexion étroite avec le pouvoir poutinien ne fait que confirmer l’hypothèse formulée depuis plusieurs années par des chercheurs, selon laquelle on assiste en Russie à « une privatisation de la violence légitime de la force où l’État russe serait à la fois le principal client et le principal bénéficiaire, un peu à l’image de l’emploi des acteurs privés par les armées américaine et britannique dans les années 2000, à la différence près que, contrairement à la Russie, ces dernières n’envoyaient pas ces acteurs en première ligne »[30]
Le changement de sociologie induit par la séquence du recrutement en prison n’a pas changé cela, bien au contraire, puisqu’il s’agissait justement de trouver là des volontaires manquant à l’armée régulière. Quitte à la concurrencer.
Par les armes
« Au début, j’avais besoin de vos talents de criminels pour tuer l’ennemi. Maintenant, ces talents ne sont plus nécessaires. Essayez de ne pas replonger »[31]. Ces mots d’Evguéni Prigojine, prononcés dans le même discours que « ne violez pas les femmes », semblent bien résumer le pari qui fut le sien, et sans doute celui de Vladimir Poutine, lorsque la décision fut prise de lancer une campagne de recrutement dans les prisons russes. Si ces hommes sont violents, autant mettre leur brutalité au service de l’État sur un front où les hostilités sont plus difficiles que prévu, nationalisant leur violence en même temps qu’on privatise la guerre. Qu’importe que la présence de ces « criminels » près de civils étrangers mette ces derniers en danger, et qu’importe qu’ils retrouvent par la suite la liberté en Russie sans avoir purgé la totalité de leur peine. Le groupe Wagner devait permettre d’apprivoiser et d’utiliser leur violence. Néanmoins, il n’a pas réussi à pleinement la maîtriser.
Certes, le choix de recruter des détenus fut probablement un pis-aller, faute de jeunes gens libres prêts à risquer leur vie dans une « opération militaire spéciale » meurtrière sous la bannière de la Fédération de Russie ou d’une société militaire privée. Peut-on pour autant exclure toute intention de mettre à profit la violence bien connue de ces condamnés ? Les paroles du « cuisinier de Poutine », tout coutumier de la provocation qu’il soit, ne sont probablement pas sans fondement. Aux dires de Sergey, volontaire des prisons interrogé par Cyrille Louis, reporter au Figaro, après sa capture par les forces ukrainiennes, une « rapide sélection »[32] aurait bien été effectuée dans les prisons par les recruteurs de Wagner. Il se serait agi d’exclure les délinquants sexuels, les hommes trop âgés et les toxicomanes, mais le niveau d’exigence semble avoir été très maigre, aucune vérification n’ayant apparemment été effectuée quant aux capacités sportives des hommes. Au vu des besoins urgents de volontaires, sans doute ne fallait-il pas trop en faire.
De là à rassembler volontairement des repris de justice parce qu’ils sont des repris de justice, il y a une marge. Cependant, une telle démarche ne serait pas sans précédent. En 1940, dans l’Allemagne nazie, on procéda ainsi au recrutement de braconniers condamnés en une unité spéciale, intégrée à la Waffen-SS, devant servir à la lutte contre les partisans des régions envahies sur le front de l’Est, contre une remise de peine voire une amnistie[33]. Il s’agissait de mettre à profit, contre un ennemi sans uniforme et camouflé, non seulement un savoir-faire cynégétique mais aussi la cruauté particulière que prêtait Hitler à ces chasseurs délinquants voire criminels, puisque certains d’entre eux étaient condamnés pour des crimes de sang comme l’agression de garde-chasses[34]. Leur chef, Oskar Dirlewanger, avait été condamné dans les années 1930 pour détournement de mineur, c’est-à-dire, en réalité, pour des viols répétés sur une bénévole de la Croix-Rouge âgée de moins de quatorze ans[35]. Ses deux ans de réclusion semblent ne pas avoir étanché sa soif de violence sexuelle puisqu’il n’allait pas manquer, en guerre, d’organiser des Kameradschaftliche Abend, des soirées arrosées où ses hommes pouvaient à loisir violer collectivement des prisonnières[36]. Les crimes de la brigade Dirlewanger étaient tout à fait tolérés, sinon stimulés, par le Reich, dont le ministère de la Justice prévoyait explicitement de rassembler ces prisonniers, dont le recrutement s’étendit finalement aux détenus des camps de concentration, « en bandes qui seraient engagées à l’est. Dans les territoires qui leur seraient confiés, ces bandes, dont la mission prioritaire serait l’anéantissement des directions des groupes de partisans ennemis, pourraient tuer, brûler, violer, profaner et seraient de nouveau sous stricte surveillance [une fois revenues] au pays »[37]. Clairement, il s’agissait d’intégrer ces marginaux dans la cité militaire en les laissant commettre les crimes qu’ils souhaitaient, mais uniquement dans certaines marges de l’empire en construction, dans une optique de contention[38].
Si le recrutement des volontaires pour le front ukrainien semble ne pas avoir répondu aux mêmes critères de sélection ni visé à l’exécution de tels ordres, on ne saurait exclure qu’il y ait bien eu au Kremlin, comme le suggèrent les mots du « cuisinier de Poutine », une volonté similaire de contention de la violence de criminels au service d’une force armée en difficulté. Le groupe Wagner a, par ailleurs, ceci de commun avec les unités de la Waffen-SS, comme avec la garde prétorienne de Rome et la garde républicaine dans l’Irak de Saddam Hussein – autant de régimes autoritaires -, qu’il constitue une structure parallèle aux forces armées régulières de l’État qu’il sert, voire en concurrence avec celles-ci, sous les ordres directs du pouvoir[39].
Il est vrai que, dans la vidéo virale du recrutement à la colonie pénitentiaire de Iochkar-Ola, Prigojine avait tenu à avertir les futurs engagés que, outre la désertion, le pillage et la consommation de drogue et d’alcool seraient passible d’exécution[40]. On est loin, donc, de l’atmosphère des soirées de la brigade Dirlewanger. Cependant, il serait bien naïf de prendre pour argent comptant les paroles d’un oligarque devant des recrues en devenir, sous l’œil des caméras et loin des lignes ennemies. De plus, celles-ci accusent une contradiction patente avec celles prononcées, six mois plus tard, par le même Prigojine délivrant les premiers engagés, dont les « talents de criminels » lui auraient servi, et leur intimant de ne pas violer les femmes, une injonction aux allures de fin de récréation. Peut-être faut-il y lire un renoncement, une fois sur le front, aux résolutions d’ordre et de bonne tenue des troupes.
De fait, en Ukraine, le contrôle des musiciens semble bien avoir quelquefois échappé aux donneurs d’ordres. Dans un témoignage rendu public le 9 mai 2022, Marat Gabidullin, ex-soldat de l’armée russe désormais « horrifié »[41], passé commandant de Wagner qui le fit combattre en Syrie et au Donbass jusqu’en 2019, affirmait que les employés du groupe « sont présents sur tous les fronts, selon le même schéma qu’en Syrie, comme des unités d’assaut, de percée ». Dans la guerre actuelle, les recrues de Prigojine sont employées, pour l’essentiel, en première ligne[42], au sens stratégique comme tactique du terme. Mais, là où, par le passé, ces recrues étaient pour la plupart d’anciens militaires expérimentés, à l’instar de Marat Gabidullin, celles qui servent aujourd’hui sur le front ukrainien sont pour une grande part d’anciens prisonniers engagés pour un contrat court, de six mois, leur laissant à peine de temps pour s’entraîner. Leur emploi en première ligne relève donc moins d’une logique de choc que de barrage[43] et de chair à canon, ces contractuels étant envoyés les premiers à l’assaut des positions ennemies pendant que, derrière eux, les militaires professionnels d’expérience veillent, le doigt sur la gâchette, à ce qu’ils ne prennent pas la fuite.
Là-dessus, l’oligarque semble bien avoir tenu parole. Le sort des déserteurs serait bel et bien l’exécution, comme le groupe a tenu à le montrer en diffusant, en novembre 2022, une vidéo de la mise à mort, à coups de masse, d’Evgueni Noujine, « traître » présenté comme ayant rejoint les rangs ukrainiens après avoir quitté ceux de Wagner[44]. Une telle logique de spectacle visait clairement à terrifier ceux qui voudraient l’imiter, sans qu’il soit possible d’affirmer qu’un tel traitement est bien systématique. En a également témoigné Andreï Medvedev, ancien officier de Wagner dont l’un des subordonnés fut capturé après avoir déserté et exécuté sous l’œil des caméras à la mi-novembre[45]. Medvedev prit la parole sur le sujet dans un entretien avec le média indépendant russe The Insider[46], expliquant avoir réussi, après avoir assisté à de tels meurtres de refuzniks, à s’enfuir en Norvège… c’est-à-dire avoir lui-même déserté[47]. D’après ses dires, une unité spéciale du groupe Wagner serait préposée à l’exécution aussi bien des Ukrainiens que des mercenaires errants[48] : les exactions ne prendraient donc pas seulement pour cible l’ennemi national mais aussi l’ennemi intérieur, responsable de la désagrégation des rangs. Une telle situation de désertion d’un gradé, doublée de la révélation par lui de pratiques de ce genre, en dit long sur le caractère non seulement implacable mais aussi contre-productif de ce genre de sanctions.
À une échelle plus macroscopique, Wagner s’est plus d’une fois comporté comme un acteur autonome de la guerre en Ukraine plutôt que comme un outil pleinement entre les mains du Kremlin. En effet, le 10 janvier 2023, le groupe revendiquait la prise de la ville de Soledar, à proximité de Bakhmout, épicentre des combats dans le Donbass. Ainsi Evguéni Prigojine put-il se targuer d’avoir remporté la première victoire russe depuis des semaines, allant même jusqu’à affirmer qu’« aucune unité autre que les combattants de Wagner n’a participé à l’assaut de Soledar »[49]. L’information circula rapidement, mais l’incertitude demeura : l’Institute for the Study of War, groupe de réflexion américain attentif à la guerre depuis ses débuts, confirma l’information selon laquelle la ville était tombée, au contraire de certains reporters[50] et de Kyiv. Même le ministère russe de la Défense contredit Wagner[51], ne revendiquant la prise de la ville que trois jours plus tard, le 13 janvier.
De telles contradictions dans la communication de forces opérant, en principe, ensemble sur le terrain en disent long sur les enjeux à l’œuvre : Prigojine semblait déjà se comporter comme un protagoniste à part entière de la guerre, non comme un maillon de l’appareil militaire russe. Cela ne va pas sans rappeler l’avertissement formulé dès le XVIe siècle par Machiavel dans Le Prince, traité politique dont l’influence fut et est encore considérable parmi les dirigeants : « Les armées mercenaires sont inutiles et dangereuses ; et si quelqu’un tient son État en le fondant sur les armées mercenaires, il ne sera ni affermi, ni sûr, car elles sont désunies, ambitieuses, sans discipline, infidèles, gaillardes parmi les amis et, parmi les ennemis, lâches ; sans crainte de Dieu, sans foi envers les hommes »[52]. La pertinence de cette mise en garde témoigne, outre d’une clairvoyance de l’auteur florentin, du caractère systémique de tels écueils liés à l’emploi de forces vénales.
Les velléités dissidentes de l’entrepreneur sont apparues au grand jour lorsque, au mois de février 2023, furent publiées sur internet des vidéos montrant des mercenaires de Wagner se plaindre de ne plus être fournis en munitions par le pouvoir russe[53]. Le 16 du mois, Evguéni Prigojine prit personnellement la parole, déclarant : « Je pense qu’on aurait pris Bakhmout s’il n’y avait pas cette monstrueuse bureaucratie militaire et si on ne nous mettait pas des bâtons dans les roues tous les jours »[54], un discours qui serait perçu comme insolent dans bien des pays, et plus encore dans un État dictatorial comme la Russie de Vladimir Poutine. L’ancien restaurateur alla encore plus loin, mettant en avant que ces « hommes meurent dans les tranchées. Ils perdent des bras et des jambes. Leurs familles perdent un être cher »[55], tandis que, ajoutait-il face aux caméras, « vous mangez sans gêne dans des assiettes dorées et laissez vos enfants partir en vacances à Dubaï pendant que des soldats meurent »[56]. Alors que le recours au mercenariat a l’avantage, en principe, d’épargner à l’opinion publique le deuil de la mort de ceux qu’elle perçoit comme les siens, Prigojine mit justement en avant, de la sorte, le fait que ses employés seraient les véritables représentants du patriotisme combattant russe, loin du confort de familles riches épargnées par la guerre. Les hommes de Wagner ont ceci de différent des mercenaires classiques levés à l’étranger qu’ils sont recrutés en Russie, et notamment auprès des classes populaires : en rappelant cette condition, l’oligarque met le pouvoir russe au-devant de sa propre responsabilité dans la mort de ses citoyens.
Dans les jours suivants, Prigojine, affirmant qu’on aurait même interdit de lui livrer des pelles pour creuser des tranchées, alla jusqu’à accuser publiquement de « trahison à la patrie »[57] le général Valeri Guerassimov, chef de l’état-major des forces armées russes, et le ministre de la Défense Sergueï Choïgou, proche parmi les proches de Poutine, et dont il semblait vouloir la peau… sinon la place, à la droite du tsar. S’il ne l’obtint pas, du moins finit-il par se faire livrer ses munitions.
C’est toutefois, bien entendu, auprès de la population ukrainienne que les pires dérives ont été constatées. Indissociable de la guerre, l’exaction l’est plus encore du mercenariat. On se souvient des bavures des contractors de la guerre en Irak, si fréquentes et médiatisées qu’elles finirent par nuire à la stratégie américaine de contre-insurrection[58], les rebelles risquant d’être provoqués plutôt qu’assagis par les crimes de la puissance occupante. Plus récemment, en août 2020, des gardes armés privés, censés protéger un navire d’attaques pirates, détournèrent l’embarcation pour exiger le paiement de leurs salaires qui tardaient à venir[59]. Même sans être constituée de criminels à l’origine, une troupe équipée, motivée par l’argent et tenue au loin de la vigilance de ceux qui l’emploient, voire couverte par eux, représente un danger en puissance pour ceux qui ne portent pas les armes. Ainsi, avant même le déclenchement de la guerre en Ukraine, le groupe Wagner, dont l’existence était encore niée par le Kremlin, était accusé de toutes sortes d’exactions sur les théâtres africains où il était déployé : tortures, exécutions sommaires, détentions arbitraires[60]…
Des mercenaires russes du groupe Wagner servant de garde rapprochée au président de la République Centrafricaine, Faustin-Archange Touadéra, en février 2022, Wikimedia Commons
Au vu de ces actes commis dans d’autres pays, des nombreux crimes de guerre dont est accusée la Russie en Ukraine et de la composition nouvelle des rangs de Wagner, on pouvait à bon droit soupçonner la société militaire privée d’y avoir pris sa part. Mais, au-delà de la révélatrice injonction faite par Prigojine à ses anciens employés de ne pas violer les femmes une fois libérés, suggérant qu’ils aient pu avoir ce type de licence sur le front, quelle a effectivement été la place de ce groupe, en particulier, dans les exactions russes régulièrement portées à la connaissance du monde entier ?
Il est, à l’heure actuelle, bien délicat de trancher sur la question, faute de preuves concluantes. De fait, les crimes de guerre ne sont souvent découverts que bien après avoir été commis, et les traces laissées par ceux qui les ont administrés sont rarement suffisantes pour en établir la responsabilité exacte. Il en va ainsi du massacre de Boutcha, ville de la banlieue de Kiev conquise par la Russie dans les premiers jours de l’invasion : ce n’est qu’à la libération de la localité, début avril 2022, que des cadavres ukrainiens ont été mis au jour, témoignant de mises à mort massives par les troupes russes, mais sans que les auteurs exacts – militaires ou employés de Wagner ? – puissent en être désignés avec certitude. Toutefois, d’importants soupçons pèsent, d’une part, sur certains membres d’unités régulières russes identifiés par des collectifs ukrainiens de veille en ligne et de renseignement en sources ouvertes[61]. D’autre part, les musiciens sont en cause : le magazine allemand Der Spiegel écrivant clairement que « des membres du groupe de mercenaires appelé Wagner ont joué un rôle central dans ces atrocités »[62], comme auparavant en Syrie. En effet, le média d’investigation faisait état d’interceptions de communications radios opérées par les services de renseignement de Berlin, également relevés par le Washington Post[63].
Comme souvent, ce massacre semble avoir été l’occasion de violences sexuelles, la médiatrice ukrainienne pour les droits humains Lioudmyla Leontiivna Denissova faisant ainsi état de 25 jeunes filles âgées de 14 à 24 ans violées collectivement dans un sous-sol de la ville et qui, pour neuf d’entre elles, se sont retrouvées enceintes[64]. Cependant, pour l’heure, on ne saurait trancher sur l’appartenance des coupables de ces crimes, en particulier, à l’armée régulière russe ou à la société militaire privée, question à laquelle les victimes n’étaient pas forcément, dans l’immédiat, en mesure de répondre. La participation des hommes du groupe Wagner à de tels crimes serait, toutefois, d’autant plus plausible que d’importants soupçons similaires les entourent sur leurs autres théâtres d’opérations.
En effet, en mai 2022, des membres des forces armées centrafricaines sous couvert d’anonymat confiaient au site d’information américain TheDaily Beast que trois mercenaires russes de Wagner, pudiquement désignés sur place comme des « instructeurs militaires », avaient violé plusieurs femmes dans la maternité de l’hôpital militaire Henri Izamo, à Bangui, capitale du pays[65]. Plusieurs d’entre elles venaient d’y accoucher, tandis qu’une infirmière était agressée pendant plusieurs heures, les mercenaires s’étant relayés dans leur criminelle entreprise, d’après le site d’informations francophone Corbeau News Centrafrique citant un témoin[66]. Ces faits, survenus dans la nuit du 10 avril précédent, seraient les troisièmes de ce genre à avoir été portés à la connaissance des militaires centrafricains. Par trois fois, les enquêtes semblent avoir confirmé les accusations, mais sans être suivies de sanctions contre les agresseurs, les officiers locaux ayant apparemment « peur de fâcher les Russes »[67]. L’un d’eux ajoute, toujours en privé, que « discipliner un instructeur russe qui a commis un crime, ce n’est pas quelque chose qu’on peut accomplir en confiance »[68], puisque « seul le président peut décider de s’occuper des Russes ».
Ce cas illustre le fait que le besoin des services fournis par le groupe Wagner est trop grand pour que ses clients osent agir, qui plus est à visage découvert, contre ses méfaits. L’usage d’une structure extérieure, et particulièrement privée, à des fins militaires semble impliquer de fermer les yeux sur ses exactions. Là où, par le passé, l’emploi de troupes mercenaires pour les sièges de ville donnait souvent lieu à une tolérance de fait pour le pillage et la violence sexuelle des hommes, entre autres par souci de veiller à leur fidélité au rang[69], leur usage contemporain à des fins de formation pour des forces armées d’États, mettant à profit une expertise de professionnels, pour beaucoup des anciens militaires d’armées régulières, induit le même genre d’indulgence. En d’autres termes, on observe à travers les siècles que le problème de l’exaction, et tout particulièrement de la violence sexuelle, commise par des entités militaires privées n’est pas conjoncturel mais bel et bien systémique.
Cela dit, ces exactions sont-elles simplement passées sous silence et tolérées ou font-elles l’objet d’une exploitation intentionnelle par le commandement et les décideurs politiques ? Autrement dit, la violence sexuelle du groupe Wagner, comme de l’armée russe régulière, sert-elle véritablement d’arme de guerre ? Sur le théâtre centrafricain, où les mercenaires russes sont présents à des fins de formation et non de combat contre un ennemi défini, et où les victimes sont des ressortissantes de l’État qu’il s’agit d’aider, ces crimes ne vont nullement dans le sens des logiques militaires d’une partie en conflit : ces actes semblent échapper aux logiques d’emploi des forces plutôt que les servir, ce qui n’enlève rien à la terreur ainsi provoquée et à l’indifférence manifeste des pouvoirs publics locaux.
Concernant l’Ukraine, Olena Zelenska, première dame du pays engagée dans le combat pour l’égalité femmes-hommes, a fait valoir, à l’occasion d’une conférence sur les violences sexuelles dans les conflits organisée à Londres en novembre 2022, que celles-ci et les « crimes sexuels »[70] font partie de l’« arsenal russe » visant à « humilier les Ukrainiens ». Une telle thèse apparaît d’autant plus logique au regard des massacres répétés de civils, à bout portant ou au moyen de bombardements, commis par la Russie depuis le début de l’invasion, à commencer par les violences mises au jour à Boutcha qui, selon des « sources proches des enregistrements »[71] évoquées par le Spiegel, feraient « potentiellement même partie d’une stratégie plus large » de la Russie. Celle-ci y recourrait « systématiquement et ouvertement »[72], aussi y a-t-il selon Olena Zelenska urgence à une « réponse globale » des dirigeants du monde pour « poursuivre les agresseurs ». Plus de cent enquêtes pour ce genre de faits auraient été confiées au bureau du procureur d’Ukraine.
Pramila Patten, représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU sur les violences sexuelles commises en période de conflit, allait dans le même sens quelques semaines plus tôt, en soulignant que « les investigations sur des cas précis, vérifiés, prouvent qu’il s’agit d’une stratégie militaire visant à déshumaniser les victimes et à terroriser la population »[73]. Sans détailler les éléments qui tendent à prouver le caractère d’« arme de guerre » qu’elle prête aux viols commis en Ukraine comme, « depuis longtemps, dans de nombreux conflits », la juriste perçoit donc ces violences, dont la réalité ne fait aucun doute, comme un élément de l’effort de guerre russe. Elles seraient commises dans ce but précis, en tant que « tactique délibérée », observait-elle, évoquant entre autres des violences commises à dessein devant les membres de la famille de la victime, forcés à regarder la scène, voire à y participer[74]. Là non plus, l’appartenance des agresseurs à la société militaire privée ou à l’armée russe n’est pas précisée, peut-être même n’est-elle pas connue des enquêteurs, mais toujours est-il que, sur un terrain où les deux opèrent conjointement, il est facile de s’imaginer que les uns, éventuellement passés par les latitudes africaines, aient pu initier les autres à leurs sordides pratiques…
Corps d’une femme victime du massacre de Boutcha, découvert en avril 2022, Wikimedia Commons
Une chose est sûre. Le droit international stipule que les États engagent leur responsabilité, non seulement « pour les actes officiels de leurs organes et agents, mais aussi pour les actes de personnes ou d’entités privées auxquelles ils ont délégué certaines tâches ou qui agissent sous leur contrôle »[75], à l’exemple des sociétés militaires privées. L’État russe voit donc bel et bien sa responsabilité engagée au titre des actes commis par le groupe Wagner, nécessitant des « mesures adéquates pour contrôler les sociétés militaires privées et prévenir, enquêter, punir ou réparer leurs violations du DIH [droit international humanitaire] ou du DIDH [droit international relatif aux droits de l’homme] », comme les États-Unis pouvaient légalement être tenus pour responsables des exactions de Blackwater en Irak. La responsabilité de l’État passe alors par une « obligation d’agir avec la diligence requise (due diligence) ». En recourant aux services du groupe Wagner sans l’admettre et sans reconnaître officiellement son existence, le gouvernement russe a pu, des années durant, se couvrir de cette responsabilité et de ce devoir de due diligence. Dans le cas d’une entreprise comme celle-ci, « l’établissement des responsabilités des États et/ou des SMP s’avère complexe en raison notamment d’une chaîne de commandement entre la SMP et son client souvent floue », en particulier lorsque ladite SMP combat en première ligne aux côtés des forces armées régulières. Derrière l’avertissement lancé le 15 septembre par Evguéni Prigojine à ses nouvelles recrues venues de prison comme quoi « toute personne responsable de désertion, pillage, consommation de drogue et d’alcool sera immédiatement fusillée »[76], peu semble avoir été effectivement fait pour réprimer de tels comportements. Peu de chances, donc, que cette expérience du feu ait été de nature à assagir ces ex-prisonniers avant leur retour à la liberté.
Après le front
« Quelqu’un qui revient de la guerre a toujours du mal à s’adapter à la vie ordinaire. Parce que le type a fait la guerre pendant un an et demi, et quand il revient ici, où ira-t-il travailler ? Il sera agent de sécurité dans une supérette ? Où un jeunot de 18 ans à moitié bourré va lui expliquer la vie et le rabaisser ? Lui qui a pris l’habitude de régler tous ses problèmes en appuyant sur la gâchette, il a les mains qui le démangent. C’est une catégorie de gens, qu’on appelle les “hommes-guerre”. Ils ne peuvent pas vivre sans la guerre »[77].
Ainsi répondait, dès 2018, un chef de guerre proche d’une société de mercenaires russes, sous couvert d’anonymat[78], à une question de la journaliste franco-russe Elena Volochine sur la réinsertion des combattants revenus de la guerre du Donbass à laquelle ils participaient plus ou moins secrètement.
Une fois de plus, la problématique n’est pas nouvelle. La formule de l’interviewé a des allures d’écho lointain à une phrase prêtée à Ramon Muntaner, chef de la compagnie catalane, mobilisée par l’empire byzantin contre les Turcs au XIIIe siècle : « Nous ne savons rien faire d’autre »[79], signe, là encore, d’une persistance des enjeux liés au mercenariat. Pourtant, la question de l’après est d’autant plus prégnante que l’engagement de prisonniers dans les rangs du groupe Wagner ne s’étend que sur six mois, non sur la totalité de la guerre.
Pire, rappelle Catherine Van Offelen : les sociétés militaires privées ont tout intérêt à prolonger les hostilités[80], dans la mesure où celles-ci sont nécessaires à leur financement et à leur survie même. Et si la guerre à laquelle ils ont participé venait à se terminer, les « hommes-guerre » devraient survivre tant bien que mal, les armes à la main. Il est plus d’une fois arrivé, dans l’histoire, que des groupements mercenaires échappent au contrôle de leurs clients, une fois que ceux-ci les avaient remerciés : dès lors que le paiement a été effectué, le chef des mercenaires n’a plus d’obligation contractuelle, et dirige les opérations comme bon lui semble[81], subsistant sur le pays au moyen de la violence en attendant une nouvelle commande, comme le firent les grandes compagnies mobilisées sur le sol du royaume de France pendant la guerre de Cent Ans. Ce souci est plus délicat encore dans le cas d’une entreprise comme Wagner, dont le dirigeant a plus d’une fois donné des signes de dissidence vis-à-vis des décideurs politiques et militaires russes.
En attendant, en délivrant ses employés temporaires, Evguéni Prigojine a certes mis en garde ces derniers en leur faisant comprendre que leurs « talents de criminels » n’étaient « plus nécessaires », que ce qu’ils ont « appris n’est pas fait pour la vie civile. Là, il n’y a pas d’ennemis »[82] et qu’ils ne devaient pas violer les femmes. Cet avertissement, dont les destinataires ne sont autres que des personnes déjà condamnées dans le passé, semble témoigner à demi-mot d’une forme de tolérance tacite pendant leur service. Après un temps de délinquance, voire de criminalité, dans la vie civile, puis six mois de violence organisée au front, on attend désormais d’eux une modération. Peut-on vraiment y croire ?
Si les paroles de Prigojine sont, une fois de plus, provocatrices, peut-être traduisent-elles également une réelle inquiétude quant à la potentielle violence des ex-prisonniers. Une telle inquiétude serait fondée. En effet, début avril 2023, un ex-mercenaire âgé de 28 ans était arrêté dans un village de l’oblast de Kirov, en Russie centrale, pour avoir vandalisé des voitures une fourche et une hache à la main, aux cris de « je vais tuer tout le monde ! » ; une menace qu’il semblait avoir pour partie mise à exécution dans une ville voisine où il était suspecté d’avoir commis plusieurs meurtres. Les habitants auraient supplié la police de le renvoyer au front, pourquoi pas pour y mourir. L’homme avait été recruté en prison où il purgeait une peine de quatorze ans pour plusieurs faits dont un meurtre[83].
Plus généralement, relève le journaliste français Benoît Vitkine, lauréat du prix Albert-Londres en 2019, les statistiques russes ont montré en 2022 une tendance vertigineuse à la hausse de la criminalité, avec une augmentation des affaires pénales pour des crimes commis avec des armes à feu ou des explosifs, de l’ordre de 24 % dans l’ensemble du pays et un triplement à Moscou et dans les régions frontalières de l’Ukraine[84]… À coup sûr, tous ces faits ne sont pas liés à des employés ou ex-employés de Wagner, mais les chiffres témoignent du caractère criminogène de la guerre et de la circulation d’armes. Il ne faudrait pas que ceux qui les maniaient hier sur demande de l’État fassent preuve de violence une fois de retour dans la Mère Patrie.
Les autorités russes semblent bel et bien prêter attention à ce souci, mais en prenant le problème à l’envers. Les « meilleurs fils de la Russie »[85], comme les nomme Prigojine, sont en effet assez largement couverts par le pouvoir. Le 31 décembre 2022, Vladimir Poutine décorait personnellement un ancien prisonnier avant que, le 25 janvier, le président de la Douma – chambre basse du parlement russe – n’invite les députés à concocter une loi sur la « discréditation des participants aux opérations militaires » visant à interdire de mentionner les crimes qui auraient été commis non seulement par les membres des forces armées russes, déjà protégés par une disposition de ce genre, mais aussi par tous ceux qui auraient pris part aux hostilités, mercenaires compris donc[86]. Peu importe leurs méfaits commis sur le front ou avant de rejoindre le front, ces combattants sont des héros, dit en substance l’État russe. Les musiciens ne courent donc pas le moindre risque d’être ennuyés pour ce qu’ils ont fait à la guerre ou en dehors de celle-ci, alors même que ce sont d’anciens prisonniers qui n’ont pas purgé la totalité de leur peine. C’est dire l’importance prise par le groupe Wagner, et son chef, dans la sphère du pouvoir russe.
Tombes de combattants du groupe Wagner dans un cimetière de l’oblast de Tioumen, en Russie, Wikimedia Commons
Cependant, maintenant que ces hommes sont libres, à eux de se tenir à carreau. Mais que faire loin du feu ? La précision de l’ex-cuisinier à ses anciens employés comme quoi « si vous voulez revenir à la guerre, vous n’avez pas besoin de passer par la prison »[87] n’est sans doute pas hasardeuse, visant à laisser une porte ouverte à ces hommes qui ont déjà fait usage de violence et qui pourraient avoir du mal à trouver une nouvelle place dans une société russe que l’« opération militaire spéciale » en cours en Ukraine n’est pas censée trop solliciter. Voire, l’invitation formulée par Prigojine à ses ex-recrues à revenir sous les drapeaux s’ils le souhaitent pourrait se comprendre comme un acte de prévention, pensé avec Poutine, pour rappeler à ces hommes que leurs éventuelles envies de violence peuvent encore trouver un débouché, un débouché patriotique, plutôt que de se retourner contre les civils russes.
Il pourrait également s’agir, plus simplement, d’un moyen de garder la main sur une potentielle main-d’œuvre, faute de certitude d’en trouver une nouvelle. En effet, début février 2023, un mois à peine après la libération des premiers enrôlés, le groupe Wagner annonçait cesser ses recrutements en prison[88]. Comment l’expliquer ? Pour le média indépendant russe Mediazone, qui a scruté la baisse du nombre de détenus dans les établissements pénitentiaires du pays, la SMP ne parviendrait plus à convaincre les prisonniers, qui auraient pris conscience, au moyen des médias et de contacts avec les recrues, que tout n’est pas si beau que Prigojine tendrait à le faire croire[89]. Un mois plus tard, le renseignement militaire britannique avançait une autre explication : les différends de l’entrepreneur avec le ministère russe de la Défense auraient « probablement » conduit ce dernier à lui fermer les portes des prisons[90]. Désormais, les efforts de recrutement de l’ex-cuisinier le conduiraient, toujours « très probablement », à se tourner vers les citoyens russes libres, notamment dans des centres sportifs ou des lycées où seraient distribués des questionnaires intitulés « candidature d’un jeune guerrier » aux potentiels volontaires, sans que ces derniers soient en nombre suffisant pour remplacer les détenus[91]. À l’heure où, de l’aveu même de Prigojine, l’interminable bataille de Bakhmout a « gravement endommagé » les troupes du groupe Wagner[92], le système de recrutement de la société semble battre de l’aile.
Faut-il pour autant y voir un échec du modèle entrepreneurial de la guerre, et le début de la fin d’une ère pour la privatisation de celle-ci ? Loin de là. Le 7 février, les renseignements ukrainiens mettaient la main sur une note russe. Celle-ci semblait attester que Moscou donnait son assentiment à Gazprom, géant du gaz naturel et du pétrole, pour la création de sa propre société militaire privée, sur le modèle de Wagner[93]… Une telle perspective est d’autant plus inquiétante qu’il s’agit ici de veiller aux intérêts privés d’une entreprise plutôt que d’un État, dans des temps où le secteur de l’énergie est marqué par les incertitudes liées à la guerre et aux rivalités commerciales[94]. Deux mois plus tard, les médias occidentaux découvraient, à la suite d’informations du renseignement militaire britannique, une nouvelle société militaire privée, nommée Convoy et basée en Crimée, sous la direction de Konstantin Pikalov, ancien bras droit de Prigojine[95]. La ressemblance ne s’arrête pas là : Convoy, qui compterait pour l’heure 300 combattants, recrute, entre autres, parmi les prisonniers[96].
Ces deux nouvelles sociétés ne sont probablement que la partie émergée d’un iceberg déjà imposant, ou amené à se développer. Sans qu’il soit possible de l’affirmer avec certitude à ce stade, il pourrait s’agir, pour le Kremlin et ses annexes, en l’occurrence le pouvoir local de Crimée, de placer Wagner en situation de concurrence, afin de multiplier les chances de succès tout en diminuant l’influence propre de Prigojine, voire de remplacer, à terme, le groupe Wagner[97]. Serait-il devenu trop encombrant, et son dirigeant trop récalcitrant ? À nouveau, le mercenariat pourrait muter, mais pas disparaître.
Peut-être d’anciens employés de Prigojine trouveront-ils dans ces structures un nouvel emploi à leur convenance. Toujours est-il que, en faisant appel à la société fondée par Dmitri Outkine, et en laissant à Evguéni Prigojine les mains libres pour recruter chez les détenus, la Russie, où les SMP sont toujours officiellement illégales, a ouvert la porte non seulement à des violences utiles à son effort de guerre à l’étranger mais aussi à des exactions dont on ne peut plus ignorer, aujourd’hui, le caractère systémique. Pas de doute, la Russie fait, de la sorte, planer le danger de graves violences sur ses ennemis mais aussi, dans une certaine mesure et bien involontairement, sur elle-même.
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