Rédigé le 07/11/2020 à 18:28 dans Guerre d'Algérie, Québec | Lien permanent | Commentaires (0)
Qu'est Dalila devenue ?
La première fois que la presse québécoise s'intéressa à une Algérienne du Canada ce fut pour étaler à coup de sensationnel et d'émotions la rocambolesque aventure de Dalila Maschino, entre 1978 et 1981 à Montréal.
L'affaire Maschino débute le 24 avril 1978 lorsque Dalila Maschino est enlevée par son frère Messaoud Zeghar à Montréal après avoir été droguée. Elle est alors conduite, dans un avion privé, de force en Algérie, à la barbe des autorités canadiennes. Conseiller de Houari Boumediene, Messaoud Zeghar est aussi un homme d'affaires. Sa sœur Dalila s'est enfuie après une histoire singulière avec celui qui deviendra son mari à Paris, le franco-algérien Denis Maschino1. Ils décident alors de s'installer à Montréal et de poursuivre leurs études, l'un à l'université Concordia et l'autre à l'université Mc Gill. Ils ont alors le statut d'"immigrant reçu" et vivent légalement à Montréal. Lorsque Dalila est enlevée en avril 1978, l'affaire met environ un mois et demi à s'ébruiter. Elle va alors devenir "un cauchemar des mille et une nuits". Daniel Proulx, revenant sur cette histoire en 1994, la décrit ainsi : "Cette mystérieuse histoire a passionné l'opinion à la fin des années 70 : voilà une jeune Algérienne de confession musulmane, établie à Montréal et mariée à un incroyant, que son clan aurait ramenée contre son gré dans le sérail. L'affaire prend d'énormes proportions, va de rebondissement en rebondissement, frôle l'incident diplomatique et alimente la chronique trois ans durant avant de se terminer en happy end. De nombreuses questions ont été soulevées au long de ces péripéties, elles n'ont pas toutes été résolues.2"
Le premier article paraît le 4 juin et marque le début d'une longue saga médiatique. Les associations féministes s'emparent de la question dans un Québec effervescent. Très vite, l'enquête de la Sécurité de Montréal arrive à la conclusion que le départ de Dalila n'est pas une fugue, mais un enlèvement et qu'il n'a pu être réalisé qu'en enfreignant de nombreuses lois canadiennes. Le 4 juin 1978, tous les ingrédients sont en place pour déclencher une affaire. Le Journal de Montréal et Le Devoir sont en pointe dans cette couverture médiatique. Un journaliste du quotidien montréalais The Gazette arrive même à joindre Dalila Maschino en Algérie, dans la nuit du 5 au 6 juin 1978, qui lui affirme avoir été enlevée et droguée par son frère, contre son gré. La société civile canadienne s'organise et soutient le mari afin de dénoncer un "crime d'un autre âge". Les Archives Nationales du Québec en conservent les traces. Une pétition est lancée et un appel du Conseil du Statut de la Femme (organisme gouvernemental de la province), le 19 juin 1978, montre l'ampleur de la mobilisation dans la société. "Après l'enlèvement de Dalila Maschino […] un droit fondamental a été bafoué, celui du droit des femmes à disposer d'elles-mêmes. Pour défendre ce principe, le CSF se joint au mouvement de protestation en faveur de la victime et ce, à la demande même des instigateurs, et invite toutes les québécoises et tous les groupes de femmes à signer la pétition qui circule, demandant aux autorités fédérales et provinciales d'intervenir de concert avec le gouvernement d'Algérie afin que Dalila Maschino et son mari se retrouvent au plus tôt3". La Fédération des femmes du Québec a été à cet égard très active dans son soutien à Denis Maschino, organisant de multiples manifestations, interpellant les politiques et les gouvernants, elle a réussi à créer l'événement et la mobilisation autour de cette Algérienne. Dans le Bulletin de la Fédération des Femmes du Québec du mois de septembre 1978, sont retracés sur deux pages, les évènements autour de la constitution d'un Comité de libération pour Dalila Maschino, au mois de juillet 1978, ayant pour membres associatifs tout ce qui compte de groupes de femmes et de féministes au Québec4.
Le Comité met alors en place un maillage important et interpelle les plus hautes autorités de l'Etat. Des lettres ouvertes et des télégrammes sont envoyés à Pierre Eliott Trudeau5, au Ministre de la Justice Ron Basford, à celui chargé de la condition féminine Marc Lalonde et à celui des Affaires extérieures Don Jamieson. Le gouvernement du Québec est également interpellé par le biais des ministres de la Justice Marc-André Bédard et de celui de l'Immigration Jacques Couture. Le Président Boumediène est appelé à réagir et à "mettre fin à cette situation bouleversante6". Le 30 juin Pierre Eliott Trudeau et les autorités québécoises se prononcent publiquement sur cette affaire, relayés largement par les journaux : "Il est clair que le ministre de la Justice du Québec trouve qu'il y a eu crime et que ce crime demande réparation. C'est dans ce sens que nous faisons des représentations auprès du gouvernement algérien7". Un émissaire canadien est envoyé en Algérie au mois de juillet sans grand résultat. Devant l'inertie et l'impuissance internationale, la mobilisation québécoise autour de cette Algérienne se renforce et des manifestations devant l'ambassade d'Algérie à Ottawa sont organisées, des soirées internationales de soutien marquent la volonté d'élargir le soutien à toute la population et d'interpeller les responsables politiques et l'Algérie. Cette affaire apparaît au Québec comme une résurgence des comportements du Moyen Age. En effet, à plusieurs reprises, il est fait état de la particularité de cette action : "Ce n'est arrivé ni au Moyen âge, ni dans un autre pays, mais bien à Montréal le 24 avril 1978. Dalila Maschino –femme algérienne, mariée légalement en France et immigrante reçue au Canada et vivant à Montréal depuis trois ans– a été droguée et enlevée par son frère Messaoud Zeghar. Par ses choix de vie (mariage avec un non-musulman) et ses décisions en tant que femme, Dalila remet en question le prestige et l'autorité de son frère, homme très puissant autant sur le plan économique que politique en Algérie. c'est pour ces raisons qu'il a décidé de ramener cette insoumise au bercail8". Le Comité rappelle et met en avant les luttes féministes occidentales dans ses appels à la mobilisation : "Révoltées en tant que femmes et femmes féministes par un événement qui, une fois de plus, démontre la violence avec laquelle les hommes entendent maintenir leur pouvoir sur les femmes9". Une grande soirée est organisée le 17 août 1978 à Montréal, pour soutenir et maintenir cette pression populaire et médiatique.
Cependant, l'affaire va lentement, jusqu'au mois de novembre s'estomper dans les quotidiens montréalais. En effet, Denis Maschino, cherche à faire diminuer la pression médiatique autour de lui et souhaite se convertir à l'islam et ne plus être importuné par la presse. Le Canada et le Québec n'ont pas voulu sacrifier leurs relations prometteuses avec l'Algérie et n'ont jamais porté plainte. Après la journée nationale du 28 octobre 1978 à Ottawa, les articles s'espacent et l'actualité laisse place à d'autres évènements. Entre le mois de juin 1978 et le mois de décembre de la même année, Le Devoir a ainsi publié 22 articles consacrés à l'affaire Maschino. La Presse, The Gazette et Le Journal de Montréal en ont fait autant en couvrant ces évènements et en cherchant et analysant leurs tenants et leurs aboutissants sans tout bien comprendre. Plusieurs hypothèses, plusieurs points furent contredits par les protagonistes eux mêmes et tout au long de cette année 1978, l'Algérie, les relations canado-algériennes, les coutumes et pratiques de ce pays parfois jusqu'à la caricature, furent largement mises en avant pour expliquer les circonstances et les blocages dans cette affaire. L'année 1979 est, elle aussi, mais dans des proportions bien moindre, occupée par l'histoire de Dalila Maschino avec l'interview qu'elle accorde à Pierre Nadeau de Radio-Canada à Los Angeles. Les quotidiens montréalais tentent également, à l'approche de l'anniversaire de l'enlèvement et durant l'été, de décrypter cette aventure rocambolesque sans que cela soit concluant. Cette mobilisation internationale s'est structurée autour d'une vision du féminisme occidental très développée au tournant des années 1980, notamment au Québec. Elle a entraîné une large conscientisation de la population au Québec autour de ces différences culturelles et a marqué, pour ceux qui l'ont vécue, une confrontation difficile, entre un modèle occidental et une interprétation du rôle et de la place de la femme qui fut amalgamée à l'Algérie et aux musulmans.
La communauté algérienne de Montréal, qui à cette époque était très peu nombreuse et composée pour beaucoup d'hommes jeunes, ne s'est pas mobilisée autour de cette affaire, bien que des individualités aient pris fait et cause pour Dalila et Denis Maschino et aient participé au Comité de soutien. Pour d'autres, cela symbolisait la manière dont était dirigé leur pays, soulignant toutefois l'image déformée de l'Algérie dans la presse. Zaïda Radja, amie proche de Dalila Maschino a rejoint la forte mobilisation de l'époque autour de ces évènements. Toutefois elle n'est pas à cet égard représentative de son milieu communautaire embryonnaire à l'époque qui n'a pas construit une convergence forte autour de cette réalité. Le seul article de presse connu, écrit par un membre de l'émigration algérienne durant cette période, est celui d'Amar Ouerdane, politologue et militant de la cause kabyle, installé depuis les années 1960 à Montréal. Il a publié dans Le Devoir en date du 16 novembre 1978 un papier intitulé "l'Ambiguïté qui rend perplexe".
Il faudra attendre 1981 pour assister à un rebondissement dont l'ensemble de la presse se fait l'écho, du New York Times10 en passant par La Presse ou Le Devoir. En titre "Dalila Maschino revient à Montréal trois ans après son présumé enlèvement11", "Dalila Maschino incite les femmes à prendre leur liberté12." Le combat que cette Algérienne a soulevé et la mobilisation de la société québécoise autour d'elle, marquent le premier mouvement de solidarité entre un membre de la communauté algérienne et le monde québécois. Cependant, il s'agit d'une rencontre capitale entre l'émotion suscitée par cette affaire algérienne et l'un des combats les plus profond de la société québécoise depuis bien longtemps : les droits des femmes et le droit des femmes à disposer d'elles-mêmes. Le monde du féminisme a trouvé là un symbole de l'oppression des femmes qui a connu son épilogue avec le retour de Dalila Maschino à Montréal trois ans après le soutien populaire qui avait été bâti autour d'elle.
L'affaire Maschino est réapparue dans un article de presse au mois de juin 1994 écrit par Daniel Proulx. Récapitulant les multiples rebondissements de cette saga rocambolesque, il ne peut tirer de conclusions de tous ces évènements et ne sait en saisir tous les impacts qu'elle a eus dans l'opinion publique et la communauté algérienne. Il laisse la conclusion à l'un de ses prédécesseurs "Qui disait vrai ? On s'est peu embarrassé de la question à l'époque. Comprendra-t-on un jour cette affaire de A jusqu'à Z ? Beaucoup d'eau a coulé sous les pont depuis". Louis Bernard Robitaille conclut : " si vous essayez de percer le mystère, la réponse est toujours la même : elle a été récupérée psychologiquement par son milieu13". Ainsi pour la presse québécoise, le monde algérien est alors perçu comme une société assez archaïque et l'image de l'Algérie et des relations humaines dans ce pays ont été souvent caricaturées à partir du cas de Dalila Maschino.
Cette affaire est restée dans les mémoires des personnes ayant vécu au Québec en 1978.
Marion Camarasa
[1] Le père de Denis Maschino fut l'un des conseillers de Mohamed Ben Bella. La mère de Denis Maschino est Algérienne.
[2] In : La Presse, Daniel Proulx, l'énigme Dalila Maschino, édition du 12 juin 1994. p A6.
[3] Copie du Communiqué de presse amis par le CSF le 19 juin 1978 Archives nationales du Québec dépôt de Montréal, Luttes pour la liberté des femmes Affaire Dalila Maschino côte : P652 56 554 5552 D4.
[4] Ainsi en sont membres: Assistance aux Femmes de Montréal, Comité de Lutte pour l'Avortement Libre et Gratuit, Centre d'Aide aux Victimes de Viol, Centre de Documentation Féministe, Librairie de Femmes, La Coop Femmes, Collectif de Production de Pluri-elles, Editions Pleine-Lune, Regroupement des Femmes Québécoises, Têtes de Pioche, Regroupement des Femmes de l'Université de Montréal, Consult-Action Femmes, Librairie Androgyne, Action-Travail des Femmes, Editions Remue-Ménage, Fédération des Femmes du Québec, et bien d'autres encore.
[5] Archives Nationales du Québec, dépôt de Montréal, Luttes pour la liberté des femmes Affaire Dalila Maschino côte : P652 56 554 5552 D4.
[6] In lettre à Houari Boumediène, versée en Annexe, Archives Nationales du Québec dépôt de Montréal, Luttes pour la liberté des femmes Affaire Dalila Maschino côte : P652 56 554 5552 D4.
[7] In Le Devoir, Jean Claude Leclerc Editorial l'Affaire Maschino Zeghar, édition du 30 juin 1978 page 4.
[8] In Bulletin de La Fédération des Femmes du Québec, numéro de septembre 1978. volume 9 n° 1.p. 17.
[9] In Bulletin de La Fédération des Femmes du Québec op. cit.
[10] In The New York Times, Henry Giniger, Moslem abducted by her family is back with husband in Canada, section A page 10, 4 mars 1981.
[11] In Le Devoir, 2 mars 1981 p. 3.
[12] In Le Devoir, 9 mars 1981 p. 3.
[13] In La Presse, Daniel Proulx, article déjà ci
https://www.ksari.com/index.php/coll-marion-camarasa/728-dalila-maschino-ou-la-premiere-mobilisation-pour-une-algerienne-au-canada
Rédigé le 10/10/2020 à 22:35 dans Québec | Lien permanent | Commentaires (0)
"Quand les hommes vivront d'amour, il n'y aura plus de misère, et commenceront les beaux jours, mais nous, nous serons morts mon frère1". Ces paroles célèbres sont issues de la chanson québécoise de Raymond Lévesque, qui écrivit cette œuvre en s'inspirant des malheurs causés par la guerre d'Algérie. Elle fut un succès populaire et peu de gens se doutent en écoutant cette mélodie qu'elle y fait allusion. Au Québec, lorsque Raymond Lévesque y retourne en 1958, la population s'intéresse d'avantage à ce conflit de décolonisation et la chanson revêt souvent une autre signification qu'en France ou de par le monde. Encore aujourd'hui certains Québécois se souviennent, à l'image de Denis Chouinard2, de l'inspiration et de la signification de ces paroles.
L'intérêt du Québec pour l'Algérie et son accession à l'indépendance va de pair avec la volonté d'émancipation de la province canadienne. La guerre d'Algérie devient alors pour certains nationalistes québécois un événement inspirant pour une part leurs luttes et leurs réflexions sur la souveraineté. Jusque dans les années 1956-1957, cette lointaine guerre coloniale ne représente pas un sujet majeur dans la vie politique et culturelle de la province. Magali Deleuze3 inscrit cet attrait important dans une redécouverte de la France par les Québécois. ("La redécouverte de la gauche française pour certains, celle de la France moderne et émancipatrice pour d'autres expliquent que la guerre d'Algérie fait véritablement partie de la mémoire québécoise4"). L'ampleur de ces évènements au Québec est considérable et a eu un écho au sein de la population. Plusieurs Québécois ayant vécu cette période m'ont ainsi rappelé leurs souvenirs et leurs connaissances de la guerre d'Algérie. Denis Chouinard, cinéaste réalisateur né à Laval, m'a également fait état de ses souvenirs québécois d'Algérie. Cette imprégnation dans la mémoire populaire apparaît comme un lien ténu entre ces deux peuples. De nombreux Québécois sont partis travailler en Algérie dans le cadre de coopération des entreprises phares québécoises, telles que SNC-Lavalin.
Cette particularité entre ces deux peuples travaillant (par des moyens dissemblables) à leur indépendance avec plus ou moins de réussite a scellé dans les années 1960, une amitié idéologique, un compagnonnage relatif. Magali Deleuze analyse et décortique les nationalismes québécois et l'influence du modèle algérien. Ainsi le nationalisme sociologique porté par la revue Laurentie et incarné par Raymond Barbeau un Etat corporatiste prolongeant la cellule familiale ainsi qu'un choix moral et politique dans lequel les peuples doivent s'émanciper du joug colonial. Il n'a qu'un lointain apparentement avec les nationalistes algériens. Mais Laurentie et Raymond Barbeau utilisent l'émancipation algérienne de la puissance coloniale comme un exemple à imiter et des raisons de croire à leur projet indépendantiste. Cette guerre de libération nationale doit être prise en compte comme un modèle pour les Laurentiens. Si l'on soutient l'autodétermination algérienne, ces mêmes personnes doivent soutenir l'accès à la souveraineté du Canada français. En janvier 1960, Raymond Barbeau écrit dans Laurentie : "On a aussi beaucoup entendu parler depuis quelques années même au Canada français de l'Algérie aux Algériens. Par exemple, Monsieur André Laurendeau a réclamé à plusieurs reprises l'autodétermination pour l'Algérie mais il écrit non moins souvent que la souveraineté du Québec est une évasion, une utopie5". En septembre 1959, un de ses collaborateurs, Pierre Guilmette, justifiait ainsi son intérêt pour ces évènements : "le nombre sans cesse croissant des peuples qui s'émancipent du joug colonial depuis bientôt deux siècles constitue un exemple que le Canada français ne peut ignorer6". La guerre d'Algérie apparaît alors pour ces nationalistes de droite, comme un instrument à étudier avec attention afin d'enrichir les moyens de lutte pour "bouter les Britanniques hors du Québec" (Laurentie est cependant une conception non raciste du nationalisme québécois stigmatisé par certains fédéralistes dont Pierre Eliott Trudeau dans ses écrits de Cité-Libre).
Une grande partie des intellectuels québécois durant cette période charnière pour l'histoire du Québec ont apporté leur contribution, internationalisant leurs pensées et leur vision du Monde. La guerre d'Algérie fut l'un des conflits les plus symboliques de la décolonisation. De ce fait, il est apparu comme un instrument et un moyen d'accès à l'indépendance pour le Québec. Son interprétation marque une fracture dans le mouvement intellectuel de la Province : le Québec était-il colonisé ? Les fédéralistes tel Pierre Eliott Trudeau répondirent bien évidemment non. Par contre dans la mouvance souverainiste en construction, les réponses furent nuancées et parfois même bien tranchées. La position de René Lévesque sera présentée en fin de paragraphe car il occupe une place spécifique à plusieurs titres dans le cœur des Québécois.
André Laurendeau, figure incarnant le renouveau du nationalisme québécois, rédacteur en chef du quotidien Le Devoir7, apporte une analyse des évènements algériens dans son journal à travers le prisme de son engagement pour un Québec plus autonome. "Tout en accordant une place de choix aux évènements dans son journal – auxquels il s'intéresse manifestement de près -, il tend à souligner les dangers et les souffrances que peut engendrer l'accession à l'indépendance plutôt qu'à insister sur la nécessaire libération des peuples et le développement du nationalisme à l'échelle mondiale, comme le font d'autres intellectuels québécois. […] Il veut, au fond, utiliser l'exemple algérien pour montrer que si le nationalisme est légitime, ce n'est toutefois pas à n'importe quel prix, et que celui de l'indépendance de l'Algérie est beaucoup trop élevé, aussi bien pour les Algériens que pour la France8". 1960 apparaît comme l'année de l'instrumentalisation de la guerre d'Algérie par les idéaux nationalistes tant pour les étayer que pour les rejeter. Il est ainsi très intéressant de souligner que cet événement apparemment lointain et insignifiant pour cette province a suscité tant de passion. Il a offert ainsi une tribune à ce pays en devenir qu'est l'Algérie. Plusieurs générations de Québécois se sont senties interpellées et ont apporté une attention toute particulière à l'Algérie alors que rien ne le supposait. Jusqu'en 1962 le devenir de ces "évènements" a une portée considérable sur le débat interne de la Belle Province. Elle offre aux intellectuels un modèle, un support ou bien un repoussoir afin de justifier et mettre en exergue leurs conceptions. Des personnalités comme Pierre Eliott Trudeau, futur Premier Ministre du Canada, utilisent cette situation pour légitimer leurs positions et décrédibiliser les théories souverainistes : celui-ci expose sa vision des choses dans un article resté célèbre "La nouvelle trahison des clercs" : "pour ce qui est de l'Algérie du GPRA, que nos indépendantistes citent toujours en exemple, on a prétendu que tout anticolonialiste sincère, qui veut l'indépendance pour l'Algérie, devrait aussi la vouloir pour le Québec. Ce raisonnement postule que le Québec est une dépendance politique, ce qui est bien mal connaître son histoire constitutionnelle.9" Il revendique ainsi une parenté entre le nationalisme algérien et le nationalisme canadien rejetant l'idée québécoise dans un nationalisme ethnique et francophone réactionnaire et dangereux. Il dénie le droit d'Etat-Nation au Québec. Ces néolibéraux réaffirment ainsi leur attachement indéfectible au Canada et refusent d'inscrire la politique québécoise dans un combat de décolonisation développant la thèse radicalement opposée des souverainistes qui voient la Belle Province comme une terre colonisée par Ottawa et l'Empire Britannique justifiant ainsi leur appui et leur parallèle avec la lutte algérienne.
Le RIN (Rassemblement pour l'Indépendance Nationale) ainsi que La Revue Socialiste notamment, s'inspirent des écrits de Frantz Fanon et d'Albert Memmi. En introduisant l'idéologie développée dans Les Damnés de la Terre, ils accentuent l'importance de la culture nationale dans l'idée de nation et inscrivent leur combat dans un mouvement de décolonisation. La branche la plus active de ce mouvement d'idées se reconnaîtra dans les actes par les prises de positions du FLQ (Front de Libération du Québec). Ce dernier explique que "l'anticolonialisme justifie toute action d'épuration nationale, et toute action, aussi violente qu'elle puisse être, pour rendre à un peuple tout ce qui lui appartient" (Raoul Roy). Le FLQ lors de la crise d'Octobre 70 demandera des visas pour Alger et une partie des militants sera accueillie par le régime de Boumediene. Certains depuis sont revenus vivre au Québec. L'analogie entre l'Algérie et le Québec est ainsi poussée à son paroxysme, mais elle fut également prise en compte dans la nature du mouvement souverainiste qu'allait porter le Parti Québécois et son chef René Lévesque : l'étapisme et le refus de la violence.
"La guerre d'Algérie fait dorénavant partie de la mémoire collective du peuple québécois10".
Marion Camarasa
Je travaille actuellement entres autres dans le cadre de mes recherches sur la mémoire de la Guerre de Libération (1954-1962) dans l’émigration algérienne. Si vous souhaitez m’apporter votre témoignage, ce sera avec grand plaisir et je vous en remercie par avance.
1- QUAND LES HOMMES VIVRONT D'AMOUR paroles et musique: Raymond Lévesque 1956.
Quand les hommes vivront d'amour, Il n'y aura plus de misère Et commenceront les beaux jours Mais nous nous serons morts, mon frère Quand les hommes vivront d'amour, Ce sera la paix sur la terre Les soldats seront troubadours, Mais nous nous serons morts, mon frère Dans la grande chaîne de la vie, Où il fallait que nous passions, Où il fallait que nous soyons, Nous aurons eu la mauvaise partie Quand les hommes vivront d'amour, Il n'y aura plus de misère Et commenceront les beaux jours, Mais nous nous serons morts, mon frère Mais quand les hommes vivront d'amour, Qu'il n'y aura plus de misère Peut-être songeront-ils un jour À nous qui serons morts, mon frère Nous qui aurons aux mauvais jours, Dans la haine et puis dans la guerre Cherché la paix, cherché l'amour, Qu'ils connaîtront alors mon frère Dans la grande chaîne de la vie, Pour qu'il y ait un meilleur temps Il faut toujours quelques perdants, De la sagesse ici-bas c'est le prix Quand les hommes vivront d'amour, Il n'y aura plus de misère Et commenceront les beaux jours, Mais nous serons morts, mon frère.
2- Cinéaste québécois engagé qui a réalisé L’ange de goudron film sur la communauté algérienne de Montréal.
3- DELEUZE Magali, L'une et l'autre indépendance 1954-1964 : les médias au Québec et la guerre d'Algérie, Coll. Histoire point critique, Ed. Point de fuite, Montréal, 2001.
4- DELEUZE Magali, op. cit. p. 26.
5- In BARBEAU Raymond, Laurentie, "le Québec aux Québécois", janvier 1960. pp. 373-374.
6- In GUILMETTE Pierre, Laurentie, La fin du colonialisme, septembre 1959. p. 345.
7- André Laurendeau a élaboré sa théorie au sein de la revue L'Action Nationale. Très attaché aux principes de Lionel Groulx sur les deux nations, il aborde la question nationaliste sous la forme d'un "autonomisme humaniste".
8- In DELEUZE Magali, op. cit. pp. 96-97.
9- In TRUDEAU Pierre Eliott, La nouvelle trahison des clercs, Cité Libre, Montréal, avril 1962. pp. 3-4.
10- In DELEUZE, Magali, op. cit.
https://www.ksari.com/index.php/coll-marion-camarasa/861-le-quebec-et-la-guerre-dalgerie-une-histoire-demotions
Rédigé le 10/10/2020 à 22:23 dans Québec | Lien permanent | Commentaires (0)
Il y a 50 ans, le diplomate britannique James Cross est séquestré par le Front de libération du Québec (FLQ) dans un appartement de l’avenue des Récollets, à Montréal-Nord. Cet enlèvement marque le début de la crise d’Octobre. Retour sur cette page d’histoire du Québec.
Le matin du 5 octobre 1970, des membres de la cellule Libération passent à l’acte. Ils enlèvent James Richard Cross à son domicile de Westmount. Leur objectif: faire plier le gouvernement à leurs demandes, dont la publication ou la diffusion du manifeste du FLQ, le paiement de 500 000$, la libération de prisonniers politiques et un avion vers Cuba ou l’Algérie.
À l’époque, le Québec est dans une période charnière. Malgré la Révolution tranquille, les inégalités socio-économiques persistent. Si certains préconisent toujours les moyens démocratiques pour s’affranchir du pouvoir économique anglophone, d’autres sont plus radicaux.
«Il y a des jeunes qui étaient impatients et qui voulaient aller plus vite», explique Louis Fournier, auteur du livre F.L.Q.: histoire d’un mouvement clandestin et ex-journaliste qui avait couvert la crise.
Le 12 septembre, les membres de la cellule Libération, dont le couple Jacques Cossette-Trudel et Louise Lanctôt, s’étaient occupés de louer un logement sous le nom d’emprunt Jacques Tremblay. C’est donc au 10945, avenue des Récollets que Cross est emmené en voiture après son enlèvement. C’est ici qu’il sera tenu captif pendant 59 jours.
Pourquoi avoir choisi de s’installer à Montréal-Nord ?
«J’avoue que vous me posez une bonne question, répond Louis Fournier. Ils cherchaient un logement avec un garage. Montréal-Nord a été choisi comme ça aurait pu être Saint-Léonard. Ce n’était quand même pas trop loin sur l’île de Montréal.»
Pendant près de deux mois, alors même que Pierre Laporte était tué et que l’armée canadienne était déployée au Québec, James Cross est séquestré.
«Il était dans une pièce du logement, raconte M. Fournier. Il avait des menottes, mais il pouvait lire les journaux, regarder la télévision. Il était nourri par ceux qui étaient là.»
Contrairement à Pierre Laporte, Cross en est sorti vivant. Il a d’ailleurs 99 ans aujourd’hui. Le FLQ lui avait promis de le garder en vie, mais l’attitude du diplomate a aussi joué un rôle.
«Ce qui l’a sauvé probablement, c’est qu’il a été très cool, explique M. Fournier. C’était un Britannique qui avait œuvré dans l’armée. Il connaissait les comportements qu’il fallait avoir. Il a été très calme.»
Cela aura pris près de deux mois à la GRC pour trouver le repère des ravisseurs. Les voisins nord-montréalais n’avaient rien noté de suspect venant de l’appartement. M. Cross a été libéré le 3 décembre lors d’une vaste opération impliquant l’armée canadienne.
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10 octobre 2020
https://www.msn.com/fr-ca/actualites/r%c3%a9gion%20de%20montr%c3%a9al/il-y-a-50-ans-le-flq-d%c3%a9tenait-cross-%c3%a0-montr%c3%a9al-nord/ar-BB19TebC?li=AAayzNa&ocid=mailsignout
Rédigé le 10/10/2020 à 22:12 dans Québec | Lien permanent | Commentaires (0)
Photo: Archives La Presse canadienneUn soldat du Royal 22e Régiment montant la garde à proximité d’un pont montréalais après l’instauration de la Loi sur les mesures de guerre en octobre 1970
https://www.journaldequebec.com/2020/09/12/les-50-ans-de-la-crise-doctobre-une-escalade-de-violence
Photo: La Presse canadienne (photo) Paul Rose à l’entrée du palais de justice de Montréal en janvier 1971. Son garde-chiourme, Albert Lysachek (à droite), s’empressera de rabaisser son poing combatif tendu vers le ciel.
Acteur central de la crise d’Octobre en 1970, militant socialiste et ancien président du Nouveau parti démocratique au Québec, Paul Rose est décédé jeudi des suites d’une attaque cérébrale.
En 1969, Paul Rose n’est pas encore Paul Rose. À la belle saison, il anime avec d’autres la Maison du Pêcheur à Percé, un vivier de contestataires et de jeunes en quête d’un monde nouveau dont la simple expression des rêves suscite déjà la colère des autorités. Imaginez alors le moment où ce groupe s’empare de la station de radio de New Carlisle pour dénoncer sur les ondes la misère dont souffrent les Gaspésiens !
Né dans le quartier Saint-Henri en 1943, c’est-à-dire exactement au milieu du monde du Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy, Paul Rose a huit ans lorsque sa famille déménage à ville Jacques-Cartier, un quasi-bidonville aujourd’hui avalé par Longueuil. Comme l’écrit Jacques Ferron, médecin du lieu, les chiens de ville Jacques-Cartier remplacent la police, les bécosses, l’égout, les puits, l’aqueduc. Les trottoirs et l’asphalte y sont inexistants.
Garçon d’ascenseur, plongeur, manoeuvre, débardeur, professeur de mathématique et de français ici et là, Paul Rose arrive à payer tant bien que mal ses études au collège Sainte-Marie. Il fait ses gammes politiques au sein du Rassemblement pour l’indépendance nationale présidée par Pierre Bourgault. Toute la famille Rose, à commencer par sa mère Rose Rose, souhaite connaître un jour un monde où les hommes seront égaux non seulement devant la loi, mais aussi dans les faits.
La marginalisation du français, langue de la majorité au Québec, lui apparaît une des injustices criantes qui affectent en définitive la condition socio-économique des siens. Il prend une part active aux rudes manifestations de la Saint-Jean de 1968, à celles pour des écoles françaises à Saint-Léonard la même année, ainsi qu’aux actions qui dénoncent le financement public de l’université anglaise de McGill. Les militants connaissent et reconnaissent ce grand gaillard convaincu et convainquant qui dépasse tout le monde de deux têtes au moins. Mais le grand public ignore encore à peu près qui il est.
Crise d’Octobre
Paul Rose ne devient Paul Rose qu’en 1970. Avec Jacques, son frère, Bernard Lortie et Francis Simard, ils forment la cellule Chénier au sein du Front de libération du Québec.
Le 10 octobre 1970, cette cellule kidnappe devant chez lui Pierre Laporte, « ministre du chômage et de l’assimilation » du gouvernement de Robert Bourassa, tel que l’affirme le communiqué. Ce faisant, les felquistes tentent de soutenir l’action impromptue d’une autre cellule responsable de l’enlèvement de James Richard Cross, un attaché commercial du Royaume-Uni. Ce type d’action terroriste connaît alors une vague de popularité dans les milieux révolutionnaires internationaux, mais il n’est pas pour autant prisé par l’ensemble des felquistes.
Une semaine après ce coup d’éclat de la cellule Chénier, on retrouve le politicien et ancien journaliste du Devoir raidi par la mort, recroquevillé au fond du coffre d’une voiture abandonnée sur un terrain de l’aéroport de Saint-Hubert. Paul Rose, on le saura plus tard, n’était pas dans la maison des ravisseurs au moment du décès de Pierre Laporte.
Cet Octobre québécois est marqué par la mise en vigueur de la Loi sur les mesures de guerre, un cadre qui donne libre cours à la détention arbitraire de près de 500 personnes. L’épisode fait date dans les consciences au Québec.
Après Octobre 1970, la traque des frères Rose et de Francis Simard par les bras armés de l’État canadien ne fait qu’accroître l’intérêt pour ces fugitifs. On finit par les repérer en décembre, au fond d’un tunnel de fortune construit de peine et de misère dans le sous-sol gelé d’une maison de ferme. La reddition est l’objet d’une négociation dont on charge en bout de compte l’écrivain Jacques Ferron.
Devant ses juges, Paul Rose doit d’abord se défendre lui-même puisqu’on lui refuse l’aide du coloré avocat Robert Lemieux, alors en prison lui aussi dans le contexte de la crise. Rose est expulsé de son propre procès. Il croupira douze ans derrière les barreaux, avant d’obtenir une libération conditionnelle qui ne lui aura pas permis d’assister aux dernières heures de sa mère.
Ses conditions de détention seront parmi les plus sévères : incarcéré 23 heures et demie sur 24, sous une lumière constante. La libération conditionnelle est assujettie à une interdiction de faire partie d’organisations politiques et syndicales, de faire des déclarations publiques et d’assister à des assemblées politiques ou des manifestations. Des manifestations et des soirées sont organisées contre ces sanctions supplémentaires imposées à ceux que nombre d’intellectuels considèrent comme des prisonniers politiques. Des artistes chantent pour Paul Rose : Claude Gauthier, Gilles Vigneault, Pauline Julien, Raymond Lévesque, pour ne nommer que ceux-là, auxquels s’ajoutent des artistes africains et amérindiens.
« Je ne regrette rien, confiera Paul Rose au Devoir : 1970, les enlèvements, la prison, la souffrance, rien. J’ai fait ce que j’avais à faire. Placé devant les mêmes circonstances, aujourd’hui, je ferais exactement la même chose. Jamais je ne renierai ce que j’ai fait et ce qui est arrivé. Ce n’était pas une erreur de jeunesse. »
Libre, il va se consacrer au militantisme social. Il écrit et participe aux activités du mensuel L’Aut’Journal pendant de nombreuses années. C’est d’ailleurs ce journal qui a annoncé jeudi sa mort.
Le nouveau monde
Paul Rose va plaider sa vie durant pour un monde où la disparité économique ne serait plus un fait de tous les jours aux conséquences désastreuses. « La solidarité, c’est une dimension importante dans la construction de toute société, et ça a été un élément central de notre vie familiale, autant à l’école, qu’au travail et dans les engagements politiques, sociaux, syndicaux », dit-il en 2004 au moment de présenter un projet de télésérie sur l’engagement politique et social.
Paul Rose fut très lié à Michel Chartrand. Fort en gueule, celui-ci ne manquait d’ailleurs jamais l’occasion de lui rendre hommage dans une boutade plusieurs fois répétée. Chartrand disait adorer l’architecture du nouveau pont de Québec, mais que son éclairage légèrement rosé la nuit l’encourageait à l’appeler « le pont Rose » plutôt que le « pont Pierre-Laporte ».
En 1982, Paul Rose avait signé avec les autres membres de la cellule Chénier Pour en finir avec Octobre, un livre écrit par Francis Simard. Le groupe s’était par la suite définitivement brouillé.
Parlant des Rose, le cinéaste Pierre Perrault soutenait pour sa part que ces gars-là « avaient eu du courage et méritaient qu’on les encourage ». « Dans notre histoire, écrivait Perrault, nous n’avons pas beaucoup d’exemples de courage pour susciter l’avenir, pour dérider la peur, pour accueillir une légitimité, pas beaucoup d’hommes d’honneur qui nous enseignent à refuser l’enclos de la médiocrité. » Pour son engagement social et politique envers les moins nantis, Paul Rose suscitait toujours une solide vague d’admiration.
Son monde idéal, il le définissait sans faillir : « Je ne veux pas du pays à Parizeau. Je ne veux pas d’une souveraineté de business man. L’indépendance, c’est l’affaire de tous. Des pauvres, comme des riches. Il s’agit d’un projet de société visant le respect des travailleurs et la fin d’une économie froide et inhumaine. »
En 2012, lors du printemps érable, il avait soutenu à plusieurs reprises les étudiants. Jeudi, le député de Québec solidaire Amir Khadir a souligné son importance dans l’histoire tandis que le Parti libéral et le Parti québécois préféraient s’abstenir de tout commentaire.
Cinquante ans après la crise d’Octobre, le fils de Paul Rose, Félix Rose, revient sur ce qui a mené son père et son oncle Jacques à rejoindre les rangs du Front de libération du Québec (FLQ) et à participer à l’enlèvement du ministre Pierre Laporte, retrouvé mort en 1970.
Votre documentaire Les Rose, qui sortira le 21 août, raconte Octobre 1970 tel que vécu par votre famille. Quelle est l’origine de ce film ?
J’avais environ six ans quand une cousine m’a dit que mon père avait enlevé et tué un ministre. Ça a été un bouleversement. L’image du héros révolutionnaire pour les uns, ou du terroriste pour les autres, ne correspondait pas à l’homme si doux que je connaissais. Paul était un papa poule ; quand je traversais un boulevard seul, c’était un drame ! Pendant longtemps, j’ai été incapable d’aborder la question avec lui. Je me suis plutôt pris de passion pour l’histoire du Québec. Adolescent, je passais mes week-ends à la bibliothèque à lire des journaux de l’époque. J’ai aussi entrepris de reconstituer ma généalogie pour connaître l’histoire de notre famille. Par ces démarches, je cherchais à comprendre pourquoi Paul et Jacques avaient commis des gestes aussi graves. [NDLR : Ils ont été emprisonnés pour ces gestes ; une commission d’enquête a conclu plus tard que Paul Rose n’était pas présent quand Pierre Laporte est mort.]
Dans quelles circonstances avez-vous discuté avec votre père de son passé pour la première fois ?
C’était en 2011, au retour d’un voyage avec lui en Irlande, d’où les Rose sont originaires. Nous avions été reçus par le Parlement, car il y avait eu dans le passé une solidarité entre le FLQ et l’IRA [Irish Republican Army, une organisation paramilitaire pour l’indépendance de l’Irlande du Nord]. Au cours de ce périple d’un mois, mon père a perdu la vue. Sa santé déclinait, alors j’ai senti l’urgence de mettre en branle mon documentaire, pour que sa parole ne se perde pas. C’est là que j’ai abordé de front les événements avec lui. Ça l’a ébranlé de voir que je portais un regard critique sur ses actes. Je me demandais pourquoi mon père et mon oncle étaient allés aussi loin. Mais il a été généreux et à l’écoute.
En quoi l’histoire de votre famille est-elle liée à l’action politique des Rose ?
Ils ont grandi dans un quartier ouvrier très pauvre, Ville Jacques-Cartier [fusionnée à Longueuil depuis], où les gens habitaient dans des maisons faites de pièces de tôle et ne mangeaient pas à leur faim. Depuis quatre générations, les Rose travaillaient pour la raffinerie Redpath Sugar dans des conditions pénibles, forcés de parler anglais à l’usine. Paul et Jacques ne voulaient pas de ce destin. Les enfants de leur classe sociale n’avaient pas les mêmes perspectives que ceux des milieux anglophones nantis, et ils ne trouvaient pas ça normal. Mon père m’a souvent raconté l’anecdote de la piscine d’un quartier riche voisin, d’où les petits francophones de Ville Jacques-Cartier étaient expulsés.
Pourquoi votre père a-t-il choisi la violence ?
Il n’a pas opté pour ça d’entrée de jeu ; avant de se joindre au FLQ, il avait milité pendant 10 ans. Notamment pour l’indépendance, car il y voyait un outil pour réduire les inégalités vécues par les francophones. Mais il a été choqué de voir le traitement réservé à des manifestants comme lui, qui utilisaient les voies démocratiques pour s’exprimer. Chaque fois, les autorités sortaient les matraques, comme lors du défilé de la Saint-Jean en 1968 et à la Maison du pêcheur, à Percé, en 1969. Quand une loi pour interdire les manifestations est passée à Montréal, il a conclu, avec mon oncle, que la clandestinité était le seul moyen de faire bouger les choses. Il faut se remettre dans le contexte de l’époque : il y avait eu la révolution cubaine, la guerre d’indépendance en Algérie, des luttes de libération en Amérique latine. Mon père était à l’affût de ces mouvements.
Quel regard portez-vous sur leur décision ?
Je ne dirai jamais que c’est ce qu’il fallait faire. Mais, en même temps, je n’ai pas subi les mêmes oppressions que cette génération. J’ai au moins compris que leurs gestes n’étaient pas gratuits, qu’ils étaient portés par des idéaux.
Votre père a toujours dit qu’il ne regrettait rien. Jugeait-il, rétrospectivement, que son action avait contribué à l’émancipation des Québécois ?
Il situait ça dans un tout. Après la mort de Pierre Laporte, le FLQ a perdu la sympathie populaire. Bien des Québécois étaient d’accord avec leurs idées, mais pas avec leurs méthodes, car le peuple québécois est non violent. Je ne pourrais pas dire avec certitude que les luttes du FLQ ont aidé à ce que le PQ, un parti indépendantiste, prenne le pouvoir six ans plus tard, chose qu’on n’aurait jamais pu imaginer en 1970. Mais, en tout cas, ça n’a pas nui. Quant à mon père, malgré la prison et les défaites référendaires, il est resté optimiste jusqu’à sa mort, en 2013. Il était toujours en combat, notamment à la CSN, où il était négociateur. Il croyait au pouvoir d’améliorer les choses.
Votre documentaire vise-t-il à rétablir son image ?
Non. Lui-même n’a jamais voulu être réhabilité. Je pense tout de même que les gens seront surpris de découvrir qui il était, au-delà du cliché. J’ai notamment mis la main sur des cassettes enregistrées en prison, dans lesquelles il s’adresse à sa mère, et qui révèlent toute sa sensibilité. Mon film est subjectif, bien sûr, et je sais qu’il va choquer ceux qui voient mon père comme un terroriste. Mon but était de laisser ma famille raconter les événements, ce qui n’avait pas encore été fait. Jamais mon oncle Jacques n’avait accepté d’en parler. J’ai mis des années à le convaincre. Il a accepté en échange de mon aide pour rénover sa maison ! À ma grande surprise, il s’est abandonné à l’exercice, comme si la caméra n’était pas là.
Quelle découverte vous a le plus remué ?
La révélation, c’est ma grand-mère, Rose Rose. Tout part d’elle. Elle s’est battue pour que ses enfants sortent de la pauvreté en s’instruisant, et ensuite pour faire libérer ses fils incarcérés dans des conditions inhumaines. Mon père a passé deux ans au « trou », 24 heures par jour, humilié. Elle les défendait dans des tribunes téléphoniques à la radio, avec un grand talent de communicatrice. Elle a été évacuée de l’histoire. Je souhaite que mon documentaire la fasse maintenant exister.
https://lactualite.com/culture/un-portrait-inedit-des-rose/
Rédigé le 02/10/2020 à 04:35 dans Québec | Lien permanent | Commentaires (0)
Réalisé Par Réda Brixi
http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5265931
Rédigé le 01/09/2020 à 17:04 dans Québec | Lien permanent | Commentaires (0)
Kerouac que tu racontes pour jazzer le périple d'abord
Lowell puis la route les autres sons français les déroutes de la route les autres dimensions improvisent une passion un secret un regret une chanson des routes
comme celle entendue sur les pas des géants des amoureux des poètes des amis d'autrefois qui sont devenus grands des efforts pour durer des enfances en-allées sur la toute on the road
à partir vers les cieux tu dévides et dévales tes mots aux creux d'itinéraires fauves comme les enjeux scandés tu répètes que les mots elliptiques sont en toi territoire sacré du quotidien qui file on the road sur la page
tu répètes que les mots sont la route infinie d'un jardin d'Amérique aux immeubles enfouis dans des rêves d'enfants qui regardent la télé sur des postes
impossibles où ils n'osent rêver tellement les horreurs les peurs les monstres de la vie sont des flambeaux meurtris des crises de néant aux soucoupes volantes des armes de
propagande aux anciennes féeries tu dis que la nature a presque disparu mais là où tombent ces affres fêlées
demeure un homme qui se bat contre l'hégémonie les folies les rejets les mensonges les tabous un homme resté debout rêveur face à l'écran des étoiles et du vent
tu répètes les mots on the road pour la vie tu répètes qu'il parlait français comme toi aussi
et qu'il est d'Amérique du Québec de Bretagne
d'ailleurs au creux d'ici
en toi aussi qui répètes ses mots
on the road pour la vie
l'Amérique à ses pas accroche ses rêves fous à l'envers du brassage
des cerveaux annulés par la machinerie d'un enfer consommé tu
répètes et tu dis que la voie est un mot qui en toi prend racine on the
road tu répètes que
tu es comme lui enfant d'une Amérique qui s'écrit en français et donne à ses rêve-rires des allures rythmiques jazzant dans le périple qui traverse l'Amérique de Montréal à L.A. de Lowell à là-bas dans l'enfance des lettres aux sons d'un temps présent improvisé
on the road sur les routes d'Amérique où dans les mots français la vie
poursuit la vie d'une mémoire qui brûle rebelle en ses trajets
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CLAUDE BEAUSOLEIL
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Rédigé le 11/08/2020 à 20:41 dans Québec | Lien permanent | Commentaires (0)
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