Alain Gresh : ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique, fondateur des journaux en ligne Orient XXI et Afrique XXI, spécialiste du Proche-Orient. Rony Brauman : ancien président de Médecins Sans Frontières, enseigne au Humanitarian and Conflict Response Institute (HCRI), chroniqueur à Alternatives Economiques.
La réalisatrice jordanienne évoque pour Middle East Eye les raisons qui l’ont poussée à faire ce film sur la « catastrophe » palestinienne et l’énorme impact qu’a eu son récit des événements de 1948.
Le film dramatique de Darin Sallam diffusé sur Netflix raconte l’histoire d’une adolescente vivant la Nakba (MEE/Azad Essa)
Darin Sallam a l’impression d’avoir attendu toute sa vie pour faire ce film.
Cette Jordanienne d’origine palestinienne ne se souvient pas du moment où elle a entendu parler pour la première fois de Radieh, jeune palestinienne cachée dans une pièce par son père lorsqu’une milice sioniste a attaqué leur village pendant la Nakba en 1948.
Tout ce qu’elle sait, c’est que cette histoire, l’une des nombreuses histoires de la Nakba (catastrophe en arabe) – le nettoyage ethnique qu’ont subi des centaines de milliers de Palestiniens lors de la création du nouvel État d’Israël –, l’a poussée à raconter un jour au monde ce qui s’est passé en 1948.
En 2011, alors étudiante à l’école de cinéma du Red Sea Institute for Cinematic Arts (RSICA) à Aqaba (Jordanie), elle s’est retrouvée à écrire sur l’histoire de la petite fille qu’elle avait entendue de sa mère.
L’impulsion d’écrire le film lui est apparue comme un signe. Dans son résumé de huit pages de son projet de long métrage en 2011, elle a nommé la petite fille Farha.
« Farha signifie joie. Et la Palestine était la joie volée aux Palestiniens »
- Darin Sallam, réalisatrice
« Farha signifie joie. Et la Palestine était la joie volée aux Palestiniens. Je savais que c’était le film que je voulais faire sous forme de long métrage », a confié Darin Sallim (35 ans) à Middle East Eye lors d’une visite à New York en décembre pour promouvoir et discuter de son nouveau film, Farha, qui a trouvé un écho auprès des Palestiniens du monde entier.
Le film, actuellement diffusé sur Netflix (disponible pour le moment uniquement en arabe avec sous-titres anglais), est un drame historique basé sur l’histoire vraie d’une jeune Palestinienne séparée de son père et de sa famille élargie lorsque la Haganah, une milice sioniste, entre dans leur village après la partition britannique de la Palestine en 1948.
Farha (Karam Taher) est enfermée dans un cellier par son père (Ashraf Barhom), qui part rejoindre la résistance. Elle est ensuite abandonnée à elle-même au milieu de l’instabilité extraordinaire à l’extérieur de la maison.
Au fil des heures et des jours, Farha est coincée sans nourriture ni eau dans une pièce poussiéreuse avec peu d’air. Dehors, des vagues de coups de feu et d’explosions, des cris et des appels à l’aide vicient l’air ; l’adolescente est terrifiée mais aussi impuissante et seule.
Elle cherche de la nourriture, gratte à la porte, manque de s’étouffer avec l’eau aigre qu’elle extrait d’une bouteille contenant du fromage, de l’akkawi.
Plus tard, elle est témoin du massacre d’une famille palestinienne à travers les fissures de la porte. La caméra sort à peine du cellier, mais elle permet une visualisation fascinante, et déchirante.
L’effondrement des rêves de Farha alors que le village se vide et que les coups de feu s’estompent est dévastateur.
Darin Sallam sur le tournage de Farha (IMDB)
Depuis sa première au Festival international du film de Toronto en 2021, le film a reçu l’appui retentissant de cinéastes et de jurys du monde entier pour sa cinématographie et sa réalisation ; il a surtout reçu énormément d’amour de la part des Palestiniens pour sa représentation de la Nakba, considérée comme une rareté dans le cinéma international.
Farha a maintenant été projeté dans une quarantaine de festivals cinématographiques et a remporté plusieurs prix. Sallam dit qu’elle et son équipe sont ravies de cet accueil.
Le film a été une expérience émouvante parce que beaucoup de figurants étaient des réfugiés palestiniens du « camp de Gaza » (camp de Jerash) en Jordanie, qui sont l’incarnation vivante de la Nakba. Même la broderie du film a été faite par les femmes du camp.
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La réalisatrice raconte qu’à certains moments, l’équipe a dû arrêter de filmer parce que les figurants pleuraient.
« La Nakba n’a jamais été montrée auparavant à travers les yeux d’une adolescente de 14 ans. Et vous ne pouvez pas ne pas compatir avec elle… Je ne voulais pas traiter Farha comme un numéro. Je voulais raconter son histoire. Je voulais la traiter comme un être humain, comme un enfant », explique Darin Sallam.
« Vous savez que les gens regardent le film – à Toronto ou à Londres – et puis ils imaginent que Farha est leur fille. C’est plus puissant comme ça. »
« C’est une révélation pour les spectateurs. Ils quittent le cinéma et cherchent ‘’Nakba’’ sur Google. C’est émouvant, ça touche le cœur des gens et pour moi, c’est pour ça qu’on fait des films. J’espère que le film vivra et sera transmis aux générations à venir », ajoute-t-elle.
Darin Sallam a touché une corde sensible. Plusieurs Palestiniens ont écrit que le film leur faisait penser aux expériences de leurs aînés dont l’avenir, comme celui de Farha, leur a été arraché sans aucune explication en 1948.
« Farha était ma grand-mère. Elle était toutes nos grands-mères jeunes, pleines d’espoir et ambitieuses, dont la vie a été brisée à cause de la Nakba. Chaque scène de Farha était un visuel des histoires orales qu’on nous raconte depuis des générations », rapporte à MEE Rifqa Falaneh, une militante américano-palestinienne.
« C’est un film sincère »
L’inclusion du film sur Netflix, le service international de streaming, a été condamnée par le gouvernement israélien.
Les observateurs ont noté que les menaces émises par des Israéliens d’annuler leurs abonnements à Netflix et de supprimer le financement des organisations culturelles qui projettent le film n’ont fait qu’éclairer l’engagement d’Israël à étouffer les discussions sur la Nakba et à nier le fait historique du nettoyage ethnique des Palestiniens.
Plusieurs responsables ont accusé la cinéaste d’avoir créé un « faux récit » sur Israël, soulignant spécifiquement la représentation du massacre d’une famille palestinienne dans le film.
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Selon les historiens, la représentation était pourtant « tout à fait possible et crédible, et même modérée par rapport à d’autres récits », écrit Mondoweiss.
Darin Sallam a fait face avec fermeté aux attaques dont elle et son film ont été la cible, les qualifiant d’« organisées » et « coordonnées », mais elle est déterminée à ne pas laisser les sionistes détourner l’attention du message central de son œuvre : les Palestiniens ne seront pas réduits au silence.
« Quand on est Jordanien ou Arabe avec des racines palestiniennes, on grandit en écoutant beaucoup d’histoires sur la Palestine, la Nakba. Cela fait partie de notre identité. Cela fait partie de qui on est. Personnellement, j’ai aussi peur des lieux fermés. Et je pouvais m’identifier à elle. Je me vois aussi en elle. C’est une battante, c’est une rebelle, elle n’accepte jamais qu’on lui dise “non”, elle est ambitieuse, c’est moi. »
En septembre, le Royaume de Jordanie a choisi le film pour sa candidature officielle à la 95e cérémonie des Oscars dans la catégorie long métrage international pour 2023, suscitant l’espoir.
Mais Darin Sallam n’est pas intimidée par les nouvelles attentes qui pèsent sur ses épaules.
« Je suis croyante. C’est un film sincère. On a fait de notre mieux. On a dit la vérité et il n’y a donc rien à craindre. Chaque chose suit son propre chemin. Et quoi qu’il arrive, cela arrivera par la volonté de Dieu », conclut-elle avec un sourire.
L’ONU a adopté une résolution invitant la Cour internationale de justice à se prononcer sur l’occupation israélienne. Quelles seraient les conséquences de son avis ?
Un Un garde-frontière israélien est posté près de la barrière de séparation controversée d’Israël, le 26 avril 2017 à Bethléem, en Cisjordanie occupée (AFP)
L’adoption d’une résolution de l’ONU demandant à la Cour internationale de justice (CIJ) de se prononcer sur l’occupationisraélienne représente une victoire diplomatique majeure pour les Palestiniens.
Cependant, la CIJ, qui règle les différends entre pays, n’a pas le pouvoir de faire appliquer ses avis, bien qu’ils soient juridiquement contraignants. Quelles seraient donc les conséquences d’un avis consultatif de ce tribunal international pour Israël et les territoires palestiniens ?
Cette résolution, adoptée fin décembre par l’Assemblée générale des Nations unies, invite la CIJ à se prononcer « de toute urgence » sur « [l’]occupation, [la] colonisation et [l’]annexion prolongées du territoire palestinien » par Israël, décrites comme une violation du droit des Palestiniens à l’autodétermination.
« Un jugement contre Israël contribuerait sans aucun doute à faire évoluer le discours »
– Tariq Kenney-Shawa, chercheur pour Al-Shabaka
Elle fait référence aux terres palestiniennes occupées par Israël depuis la guerre des Six Jours en 1967 – la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est – et aux politiques visant à « modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem ».
La résolution de l’ONU demande à l’institution de rendre un avis sur la manière dont ces politiques et pratiques israéliennes affectent « le statut juridique de l’occupation » et sur « les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des Nations unies ».
Selon des experts en politique palestinienne et des universitaires, toute décision de la CIJ critiquant Israël aiderait les Palestiniens au niveau de la sensibilisation mais ne contribuerait guère à obliger Israël à rendre des comptes et à mettre fin à ses politiques visant les Palestiniens, que plusieurs groupes de défense des droits de l’homme identifient comme des mesures d’apartheid.
« Une décision de la CIJ représenterait une victoire symbolique pour les Palestiniens sur la scène internationale, mais il est peu probable qu’elle change grand-chose pour les Palestiniens qui vivent sous l’occupation et l’apartheid israéliens », indique à Middle East Eye Tariq Kenney-Shawa, chercheur en politique américaine pour Al-Shabaka, The Palestinian Policy Network.
Que peut faire la CIJ ?
La CIJ, composée de quinze juges, est le principal organe judiciaire de l’ONU et siège à La Haye (Pays-Bas), où elle statue sur les différends entre États.
Elle diffère de la Cour pénale internationale (CPI), qui juge des individus pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. La CPI mène également une enquête sur d’éventuels crimes de guerre commis dans les territoires palestiniens et en Israël.
Le greffier de la CIJ, le Belge Philippe Gautier, publiera bientôt le calendrier de l’institution pour les mois à venir. Les États membres de l’ONU et des ONG seront invités à présenter au tribunal des mémoires d’amicus curiae dans le cadre d’une mission d’enquête plus large.
La procédure risque d’être lente, puisque la CIJ ne devrait pas rendre son avis avant au moins un an.
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Il pourrait être déterminé que le contrôle exercé par Israël sur les territoires palestiniens occupés n’est ni temporaire ni justifié par une nécessité militaire, et qu’il est donc illégal. La décision demanderait alors à Israël de mettre fin à son occupation.
La CIJ pourrait également aller plus loin et rejoindre l’opinion de plus en plus répandue parmi les organisations israéliennes et internationales de défense des droits de l’homme qui affirment qu’Israël pratique une forme d’apartheid à l’encontre des Palestiniens.
Le dernier jugement en date de la CIJ sur la question de l’occupation israélienne remonte à 2004, lorsqu’elle a jugé illégal le mur construit par Israël en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Israël a rejeté cette décision, accusant l’institution d’entretenir des motivations politiques. Cette décision a été reprise dans de nombreux rapports consacrés à l’occupation israélienne. Cela n’a pourtant eu aucun effet sur le mur.
« Un jugement contre Israël contribuerait sans aucun doute à faire évoluer le discours en mettant en lumière l’illégalité du système d’oppression israélien, ce qui est important compte tenu de la dépendance d’Israël à l’égard de la communauté internationale, qui lui permet d’éviter de rendre des comptes », souligne Tariq Kenney-Shawa.
« Toutefois, elle sera également un tout nouvel exemple des limites inhérentes au système juridique international, qui ne repose que sur l’application des mesures par une poignée d’États puissants, à savoir les États-Unis et l’Occident, les plus fervents défenseurs d’Israël. »
Les États-Unis, proche allié d’Israël, ont protégé ce dernier à de nombreuses reprises des critiques de l’ONU en utilisant leur droit de veto au Conseil de sécurité pour bloquer plus d’une cinquantaine de résolutions critiquant Israël.
« Une partie réfractaire »
Israël s’est déjà insurgé contre la résolution, déclarant en amont du vote que l’ONU était désespérément partiale et que cette initiative compromettait les perspectives de paix.
Il est également peu probable qu’Israël participe à l’enquête de la CIJ, selon des responsables du ministère des Affaires étrangères interrogés par le Times of Israel. Le pays a également refusé de participer à une enquête de la CPI sur les possibles crimes de guerre commis en Israël et dans les territoires palestiniens.
Quelle que soit l’issue de la procédure du tribunal international, le gouvernement israélien rejettera probablement toute critique à l’égard d’Israël. Par ailleurs, les responsables israéliens ont déclaré que toute issue négative de la CIJ pourrait nuire aux négociations de paix.
« Les Palestiniens veulent remplacer les négociations par des mesures unilatérales », a prévenu Yaïr Lapid, alors Premier ministre, après un vote préliminaire sur la résolution en novembre. « Ils utilisent encore une fois l’ONU pour attaquer Israël. »
« Aucun [rapport de l’ONU] n’a semblé freiner le rouleau compresseur colonial d’Israël [… en raison du] cocon d’impunité que les États-Unis et l’Europe de l’Ouest ont contribué à construire autour de ce pays en déjouant toutes les tentatives faites à ce jour pour l’appeler à rendre compte de ses infractions »
- George Bisharat, professeur à l’université de Californie
Interrogé par Middle East Eye, George Bisharat, professeur à la faculté de droit de l’université de Californie, souligne que l’ONU a constaté qu’Israël « enfreint régulièrement et manifestement le droit international » dans une multitude de rapports et d’avis.
« Pourtant, aucun d’entre eux n’a semblé freiner le rouleau compresseur colonial d’Israël, qui continue d’établir son contrôle sur les terres palestiniennes, tant en Israël qu’en Cisjordanie. Ceci, bien sûr, est principalement dû au cocon d’impunité que les États-Unis et l’Europe de l’Ouest ont contribué à construire autour de ce pays en déjouant toutes les tentatives faites à ce jour pour l’appeler à rendre compte de ses infractions », soutient George Bisharat.
Selon le professeur, un nouvel avis consultatif n’apportera probablement que peu de changements, étant donné que celui-ci est « inapplicable contre [la] partie réfractaire » que constitue Israël.
George Bisharat ajoute que si la CIJ finit effectivement par apparenter la politique israélienne à un apartheid, « cela pourrait avoir un impact à long terme profond sur le discours relatif aux droits des Palestiniens, mais aussi contribuer à réorienter les efforts en abandonnant le mirage d’une solution à deux États pour privilégier l’égalité des droits entre le fleuve [Jourdain] et la mer [Méditerranée] ».
Le nouveau gouvernement d’extrême droite israélien suscite de vives inquiétudes, notamment parce qu’il pourrait nuire à la réputation internationale d’Israël.
Fin décembre, plus d’une centaine d’anciens diplomates israéliens ont fait part de leur « profonde inquiétude face aux graves dommages pour les relations étrangères d’Israël, sa réputation internationale et ses intérêts fondamentaux à l’étranger que pourrait causer ce qui sera apparemment la politique du nouveau gouvernement »
Le Premier ministre palestinien, Mohammad Shtayyeh, a appelé la Fédération internationale de football (FIFA) à condamner l’assassinat par l’armée sioniste du jeune joueur palestinien Ahmed Atef Daraghmeh. Dans un communiqué relayé par des médias, Shtayyeh a dénoncé le meurtre de Daraghmeh, 23 ans, originaire de la ville de Tubas, est footballeur dans l’équipe de Tulkarm (Nord), par l’armée sioniste lors d’un raid dans la ville de Naplouse, dans le nord de la Cisjordanie occupée. Le responsable palestinien a également appelé les institutions internationales des droits de l’Homme à «assumer leurs responsabilités pour arrêter les meurtres des Palestiniens, punir les auteurs et les traduire en justice». L’agence de presse palestinienne WAFA a rapporté que « le jeune homme, Ahmed Daraghmeh est tombé en martyr sous les balles de l’armée sioniste lors d’une incursion dans la ville de Naplouse, et cinq autres ont été blessés. »
Peu après un raid des forces israéliennes sur la ville de Jénine dimanche, une adolescente de 15 ans a été retrouvée morte sur son toit, criblée de balles.
Des personnes endeuillées aux funérailles de Jana Zakarneh à Jénine, en Cisjordanie occupée, le 12 décembre 2022 (Reuters)
Jana Majdi Zakarneh, adolescente palestinienne de 15 ans, était en pyjama sur son toit, en train de jouer avec son chat dimanche soir, lorsque les forces israéliennes lui ont tiré dessus à plusieurs reprises (dont deux au visage).
Le lendemain, le choc était perceptible à Jénine, où Jana a été tuée. Des personnes endeuillées ont assisté à ses funérailles sur des chaises en plastique dans un silence morne.
La voix de sa tante, Hanan Said Zakarneh, a retenti : « Qu’avait fait cette enfant pour être abattue ainsi ? »
« Quel était son crime ? », s’est-elle interrogée en retenant ses larmes.
« Elle était jeune. Elle passait presque tout son temps avec ses parents et ne sortait pas de la maison », confie Hanan à Middle East Eye, expliquant que les deux parents de Jana ont des handicaps qui requièrent une prise en charge et une assistance constante.
Jana, qui allait avoir 16 ans à la fin du mois, s’occupait d’eux.
« Ma sœur n’avait que sa fille, aujourd’hui martyre, et un garçon encore jeune », poursuit Hanan.
« Personne ne savait quoi faire »
Ce dimanche soir, les tirs ont claqué dans le quartier lors du raid des forces israéliennes, mais personne n’a réalisé sur le moment que Jana avait été touchée.
La descente a débuté vers 21 h 30, et une vingtaine de minutes après le départ des soldats, le corps de Jana a été découvert.
Son oncle, Majid Zakarneh, rapporte à MEE que ce sont son père et son petit frère de 13 ans qui ont découvert son corps sur le toit après avoir remarqué son absence et être partis à sa recherche.
« Lorsque je suis arrivé, elle était au sol, semblant saigner de partout »
- Majid Zarkaneh, oncle de Jana
« Elle était sur le toit, assise avec son chat. Elle y est allée après le début de la fusillade mais elle n’était pas du tout à côté des soldats », assure Majid.
Il indique qu’elle a été atteinte de quatre balles : deux au visage, une dans le cou et une dans l’épaule.
« La famille a remarqué son absence et l’a appelée, en vain. Lorsque je suis arrivé, elle était au sol, semblant saigner de partout », relate Majid.
« Il y avait énormément de sang par terre. Personne ne savait quoi faire.
« Ma sœur ne comprend même pas que sa fille est morte. Elle est dans un monde à part et ne parvient pas à appréhender ce qui se passe autour d’elle. »
Le ministère palestinien de la Santé a annoncé son décès après minuit lundi, précisant qu’elle avait été tuée d’une balle dans la tête tirée par les forces israéliennes lors d’un raid dans la ville de Jénine.
Nulle part où se cacher
Peu après le début de la descente dans le quartier d’al-Bayadir, des affrontements ont éclaté entre des combattants palestiniens armés et des soldats israéliens. Les forces israéliennes ont perquisitionné plusieurs maisons et arrêté trois Palestiniens.
Après ces arrestations, les affrontements ont dégénéré entre les combattants palestiniens et les forces israéliennes, signale à MEE Saleem al-Subar, activiste de Jénine.
« Les soldats sont passés à l’offensive alors qu’il y avait encore des civils dans les rues, notamment des familles avec enfants », précise-t-il.
« On a commencé à entendre des fusillades partout, les gens étaient déboussolés et ne savaient pas quoi faire. Ils se sont mis à courir se cacher parce qu’ils ne savaient pas d’où tiraient les soldats. »
Majid rapporte à MEE que des douilles ont été trouvées dans une maison voisine, appartenant à l’un des hommes arrêtés par les forces israéliennes. Il pense que c’est depuis cette maison que Jana a été abattue par un sniper.
Traduction : « Lolo, le chat de l’enfant Jana Zakarneh, erre autour de l’endroit où elle a été assassinée par les forces d’occupation israéliennes lors du raid sur la ville de Jénine la nuit dernière. »
L’armée israélienne a publié lundi après-midi un communiqué : « Après une enquête préliminaire, il apparaît qu’il y a de fortes chances que l’adolescente tuée ait été touchée par un tir accidentel venant d’hommes armés sur un toit des environs, depuis lequel des tirs visant les forces [israéliennes] ont été tirés. »
« L’armée et ses commandants regrettent tout préjudice subi par les civils innocents, notamment ceux qui se trouvent dans un environnement de combat et à proximité immédiate de terroristes armés lors d’échanges de tirs », a ajouté l’armée.
Pour autant, la population de Jénine et de Cisjordanie occupée ne se sent pas en sécurité.
« Même si vous vous cachez chez vous, ce n’est pas sûr. Regardez Jana, elle était chez elle et elle a été tuée. Donc même quand les gens fuient, ils ne savent pas s’ils survivront », indique Saleem al-Subar.
« Où sont censés aller les gens si même chez eux, ils ne se sentent pas en sécurité ? Où est le reste du monde ? Pourquoi ne nous défend-il pas ? »
« Chaque jour, un nouveau martyr »
Jana est la 59e Palestinienne et la 15e mineure tuée par les forces israéliennes dans la ville palestinienne de Jénine en 2022.
En Cisjordanie, Jana est la 166e Palestinienne et la 39e mineure tuée par les forces israéliennes cette année, selon Wafa.
Cette année est la plus meurtrière pour les Palestiniens depuis que l’ONU a commencé à dénombrer les victimes en 2005.
L’armée israélienne mène des raids presque tous les soirs en Cisjordanie pour « contrecarrer le terrorisme ».
« Nos jeunes se font tuer ici et personne ne s’en soucie. Après leur mort, seuls leurs parents se souviennent d’eux » - Hanan Zakarneh, tante de Jana
La nuit où Jana a été tuée, trois Palestiniens ont été arrêtés à Jénine et quinze autres dans d’autres raids à travers la Cisjordanie.
« Chaque jour, il y a un nouveau martyr ici. Parfois, il y en a un, parfois deux et parfois même trois. Personne ne se demande ce qu’Israël fait ici », regrette Saleem al-Subar.
Les organisations de défense des droits de l’homme condamnent la politique du « tirer pour tuer » d’Israël, tandis que se multipliele nombre de Palestiniens tués par les soldats israéliens alors qu’ils ne posaient aucune menace. Jana en est l’exemple parfait.
Même si Majid espère obtenir justice pour sa nièce et que « la personne qui lui a fait ça soit trouvée et arrêtée », il a peu d’espoirs concernant l’intégrité des cours pénales israéliennes.
« On sait que ça n’arrivera jamais parce que les Israéliens ont le feu vert de la communauté internationale et ne se soucient pas des vies palestiniennes », déplore-t-il.
De même, la tante de Jana a pris congé de MEE en demandant de dire au monde « de prendre soin du peuple palestinien ».
« Nos jeunes se font tuer ici et personne ne s’en soucie. Après leur mort, seuls leurs parents continuent de se souvenir d’eux. »
L’ascension aux plus hautes fonctions gouvernementales en Israël d’Itamar Ben Gvir, un « suprémaciste juif » assumé et partisan de l’utilisation des méthodes les plus brutales à l’égard des Palestiniens est donc acté. Il devrait être le ministre de la sécurité nationale du prochain gouvernement de Benyamin Nétanyahou. Hier considéré comme un paria, son parcours incarne l’évolution de la société israélienne en trois décennies.
Une extrême droite fasciste, ultracolonialiste et raciste a toujours existé dans l’histoire du mouvement sioniste. Mais elle y a longtemps été très minoritaire, la droite nationaliste oscillant selon les circonstances entre proximité et ostracisme à son égard. Le cas le plus célèbre fut celui de Brit Habirionim (Alliance des zélotes), un groupe qui scissionna en 1928 des jeunesses de la droite sioniste, jugée trop molle. Son leader, Abba Ahiméïr, publiait une chronique hebdomadaire dans le quotidien Doar Hayom intitulée « Journal d’un fasciste ». Son organisation ne vécut que quelques années. D’un racisme anti-arabe exacerbé et dominé par une phobie anticommuniste, Ahiméir en vint à soutenir Adolf Hitler. Il admettait que le chef nazi était un antisémite virulent, mais il était avant tout anticommuniste, et là était l’essentiel…
L’Alliance des zélotes fut un mouvement fugace, comme le fut en Israël le kahanisme dans les années 1970-1980. Celui-ci tenait son nom du rabbin américain Meïr Kahane, qui développa d’abord sa Ligue de défense juive aux États-Unis avant de s’installer en Israël en 1971. Il y professa une idéologie mêlant un mysticisme ethnique juif fondé sur le culte de la Terre d’Israël et un racisme brutal envers « les Arabes », dont il prônait l’expulsion de cette même terre. Après trois échecs, Kahane réussit à se faire élire député en 1984. Mais un consensus général du Parlement, droite et gauche unies, aboutit à l’ostraciser. En 1988, qualifié de « raciste » par la Cour suprême, son parti, le Kach, se vit interdire de participer aux élections.
Depuis, quarante ans ont passé. Kahane a été assassiné en 1990 à New York (par un Américain d’origine égyptienne) et le kahanisme s’est ensuite délité. Mais un autre phénomène l’a remplacé, que l’accession d’Itamar Ben Gvir au poste de ministre de la sécurité nationale incarne de manière spectaculaire. Si le kahanisme n’existe plus tel quel, son influence idéologique n’a cessé de croître dans la société, jusqu’à faire de ses héritiers le troisième parti du Parlement en nombre d’élus (14 sur 120), et de la culture kahaniste une force idéologique de premier plan.
RECONSTRUIRE LE TEMPLE
Itamar Ben Gvir a 14 ans lorsque Kahane est assassiné. Enfant d’un couple juif d’origine irakienne, sa famille n’est pas religieuse, mais lui porte la kippa dès l’adolescence. Il s’engage très tôt dans l’extrême droite la plus vindicative : les kahanistes. Vivant dans le culte du héros disparu, ils prônent l’expulsion des Palestiniens, la « souveraineté juive » exclusive sur la terre d’Israël et la reconstruction du Temple (détruit en 70 après Jésus-Christ par les Romains), étapes obligées pour la venue du Messie. À 18 ans, Ben Gvir est le coordinateur des jeunesses kahanistes. L’armée l’exempte du service militaire. Motifs invoqués : le jeune homme promeut des idées subversives et dégage une violence peu commune. Ces caractéristiques le suivront toute sa vie.
Cette violence est surtout dirigée contre « les Arabes », qui n’ont rien à faire selon lui sur la terre juive. Mais il ne dédaigne jamais de s’en prendre aussi aux juifs israéliens qui ne partagent pas son colonialisme effréné. Le nom de son non-parti, Puissance juive, créé en 2015, résume tout. Ben Gvir incarne ce que B’Tselem, l’organisation israélienne de défense des droits humains dans les territoires palestiniens appelle le « suprémacisme juif ». Les inculpations pour propos et actes racistes accompagnent tout son parcours politique et dans une interview de 2015, il disait en avoir compté 53. Devenu avocat tardivement, la liste de ses clients, a écrit le quotidien Haaretz, « se lit comme un who’s who des suspects juifs d’actes de terrorisme et des cas de crimes haineux en Israël »1.
Ce who’s who du terrorisme israélien est son milieu social et politique depuis trois décennies (il a aujourd’hui 46 ans). Jusqu’à récemment, il avait placé en majesté dans son salon une grande photo de Baruch Goldstein, ce colon kahaniste qui, en 1994, après l’accord israélo-palestinien d’Oslo, avait assassiné 29 musulmans priant au caveau des Patriarches d’Hébron, en blessant 125 autres. En 2020, sur le conseil de certains proches, Ben Gvir a retiré la photo du mur pour ripoliner sa propre image. Mais une photo du vénéré Kahane y figure encore, avec l’autographe que le rabbin lui a dédié. Et il n’a jamais caché son respect pour Yigal Amir, le fanatique qui, en 1995, a assassiné le premier ministre israélien Yitzhak Rabin.
Une large kippa brodée sur la tête, insigne du sionisme religieux radical, Ben Gvir porte aussi les épais souliers emblématiques des « jeunes des collines », ces fanatiques généralement ultrareligieux qui sillonnent la « Judée-Samarie » pour s’y implanter sur des terres confisquées par la force à des Palestiniens. Le journaliste Armin Rosen, du magazine juif américain Tablet, qui a rencontré Ben Gvir en août 2022, décrit un homme habité d’une haine compulsive des Arabes. « Au cours de notre conversation, il ruminait l’idée d’envoyer des terroristes à la chaise électrique et dénonçait “la viande d’agneau, la confiture et le chocolat” que l’on servirait supposément à manger aux “tueurs arabes de juifs” dans les prisons israéliennes »2, écrit-il. Durant la récente campagne électorale, il a modéré ses propos, mais le fond est resté le même. Si un Palestinien jette un cocktail Molotov sur un soldat, « il doit être emprisonné puis, sa peine purgée, expulsé » du pays. Attention, il n’a « rien contre les Arabes » en général. Mais que faire si les Palestiniens sont quasiment tous des terroristes à ses yeux ?
LES PALESTINIENS D’ISRAËL, UNE CINQUIÈME COLONNE
Ses propos de campagne suivent une veine populiste confortant la vision messianique des uns, le racisme des autres, flattant le rejet de l’establishment honni. Ben Gvir, qui vit à Kyriat Arba, une colonie juive limitrophe d’Hébron, pousse au paroxysme l’idée que les Juifs en Israël subissent un sort identique à celui des Juifs d’Europe orientale et centrale aux XIX et XXe siècles. En Israël, ce sont eux qui subissent l’intolérance des « Arabes ». Interdire aux Juifs de se rendre sur l’esplanade des Mosquées les jours de prière musulmane, c’est une discrimination. À Jérusalem, les Juifs, explique-t-il, « ont peur d’aller au mur des Lamentations, dans la Vieille Ville » arabe, précisément là où lui, Ben Gvir, coopère activement depuis des décennies à la politique permanente de « judaïsation » de la ville menée tant par l’État israélien que par la municipalité. « Nous sommes revenus chez nous après deux mille ans d’exil. C’est notre maison. Pourtant, nous nous comportons comme si nous y étions des invités », dit-il encore au journaliste américain.
La particularité de Ben Gvir, au-delà de son activisme colonial, réside dans l’offensive qu’il mène contre les Palestiniens citoyens d’Israël. Il estime que la principale menace pour l’avenir n’est située ni en Iran ni dans les territoires palestiniens occupés, où l’armée israélienne règne en maitre. Non, l’ennemi insidieux est installé au cœur d’Israël : ce sont les Palestiniens citoyens israéliens, assimilés à une cinquième colonne. C’est ce qui, indubitablement, a contribué à lui apporter les voix d’un nouvel électorat. Car l’immense majorité des Israéliens ne connaissent pas les Palestiniens vivant sous occupation. Les seuls « Arabes » qu’ils sont amenés à rencontrer, ce sont précisément ces Palestiniens d’Israël. C’est à eux que pensent la majorité des juifs israéliens lorsqu’ils disent souhaiter vivre « séparément » des Arabes3.
QUI EST LE PROPRIÉTAIRE ?
Voilà pourquoi la campagne électorale de Puissance juive était centrée sur une idée : « C’est qui les proprios ici ? » Son thème de prédilection tenait en l’éternelle idée-force des kahanistes : « faire comprendre aux Arabes qui est le patron ». L’expression utilisée, « Mi baal habayit ? » (qui est le propriétaire ?) est aussi une allusion que chaque Israélien comprend. En hébreu, le terme « bayit » veut dire maison, mais il signifie aussi « Temple ». La question posée par Ben Gvir peut s’entendre comme « Qui possède le Temple ? » Comprendre : aujourd’hui ce sont les musulmans qui détiennent le lieu du Temple où est bâtie la mosquée Al-Aqsa ; encore une preuve de la dépossession indue que subissent les Juifs. Deux semaines avant les élections législatives, on voit Ben Gvir, à la tête d’un groupe de fanatiques juifs, brandir un pistolet dans le quartier palestinien de Cheikh Jarrah. Il hurle : « Ici c’est moi le propriétaire ! ». À Cheikh Jarrah, l’extrême droite israélienne mène depuis des années une campagne d’expropriation des familles palestiniennes.
Même s’il a dédiabolisé sa campagne pour élargir sa base électorale, Ben Gvir reste entouré de kahanistes endurcis, focalisés sur leur vocation messianique. L’un de ses principaux fidèles, Yaakov Ben Moshé, a cette phrase : « Nous sommes les barbus. Nous ne croyons pas à moitié en Dieu et à moitié en l’État ». Dit autrement, nous ne faisons allégeance qu’à Dieu.4. Après leur succès électoral, ces barbus alliant Bible et krav maga (un sport de combat israélien) se sentent le vent en poupe.
Quelle sera la marge de manœuvre que Nétanyahou laissera à Ben Gvir, une fois qu’il sera devenu ministre de la sécurité intérieure ? « Bibi » est un politicien bien plus roué que lui, et aussi plus au fait du fonctionnement de « l’État profond ». Mais Ben Gvir n’est pas dénué de moyens. Nétanyahou l’a aidé à entrer en force au Parlement pour bénéficier en retour d’un appui pour garantir son immunité parlementaire. En lui offrant le poste qu’il espérait — celui de chef de la police — Nétanyahou n’a cherché qu’à se protéger lui-même. Mais que fera-t-il si Ben Gvir présente de nouvelles exigences ? Ce dernier détient des cartes non négligeables, dont la principale est qu’avec son seul parti — 6 députés — il peut faire tomber le gouvernement s’il quitte la coalition forgée par Nétanyahou, qui ne dispose que de 64 élus sur 120.
Dès les lendemains de son succès électoral, Ben Gvir et ses sbires ont conduit dans les rues de Jérusalem menant à la Vieille Ville arabe de véritables ratonnades, sous les yeux d’une police complice. À Hébron, le 19 novembre, des centaines de ses adeptes participant à une procession religieuse réunissant 30 000 colons se sont déchainés, saccageant les appartements de Palestiniens, brutalisant leurs occupants sous les yeux de soldats israéliens passifs — dont certains se mêlaient même avec fureur aux brutalités. Ne pensez pas que la troupe de Ben Gvir soit composée des seuls « casseurs » de bas étage. Certes, ils y sont nombreux, issus de colonies ou de bourgades déshéritées où domine la précarité. Mais on trouve aussi parmi eux nombre de rejetons de la bonne société de Tel-Aviv et des jeunes « craignant Dieu » yérosolomites, tous mobilisés au cri de « mort aux Arabes ». Parmi les élus de Puissance juive entrés au Parlement, on trouve aussi un général de réserve… Comme Arturo Ui, le chef des malfaiteurs est désormais protégé par ceux qui font la loi5. Mieux : en Israël, il est lui-même devenu chef de la police.
LES INQUIÉTUDES DE L’ÉTAT-MAJOR
L’état-major israélien avait fait savoir à Nétanyahou qu’il verrait d’un très mauvais œil la nomination de Betzalel Smotrich, l’acolyte de Ben Gvir, au ministère de la défense. Mais il s’inquiète aussi de la désignation de Ben Gvir au ministère de la sécurité intérieure. Que fera-t-il de son pouvoir à la tête de la police ? Et comment ses troupes réagiront-elles si le début d’insurrection que l’on constate en Cisjordanie s’étend ? Dans le récent déchainement des colons israéliens à Hébron, ceux-ci s’en sont évidemment pris aux Palestiniens. Mais on a pu voir un soldat israélien en train de tabasser violemment un activiste anticolonialiste juif pendant qu’un de ses collègues expliquait devant les caméras la nouvelle réalité qui désormais allait régner dans les territoires occupés. « Ben Gvir va arranger les choses ici. Maintenant, c’est moi qui fais la loi »6, disait-il.
Le soldat ayant commis les violences filmées a été incarcéré par l’armée pour dix jours. Que croyez-vous qu’a fait Ben Gvir ? il s’est précipité pour visiter la famille de l’agresseur et lui exprimer son soutien. Un ministre de la sécurité nationale dont la compassion va à l’agresseur, voilà qui augure de ce qui pourrait advenir bientôt sous sa coupe. On peut imaginer un déchainement prochain de violences des colons et de leurs supporters, tellement avec lui ses partisans peuvent espérer une totale impunité.
De fait, l’accès d’un Ben Gvir aux plus hauts cercles du pouvoir israélien n’est pas une rupture dans les normes de l’occupation que subissent les Palestiniens. Ce n’est pas la première fois que de hauts dirigeants israéliens traitent des actes commis par des colons de « pogrom ». Le 7 décembre 2008, le premier ministre de l’époque, Ehoud Olmert, s’exclamait : « J’ai honte du comportement pogromiste des colons à Hébron ». Avant lui, le 30 juillet 2002, le colonel Moshé Givati, conseiller du ministre de la sécurité intérieure, avait aussi traité les actes d’émeutiers juifs de « pogrom ». Bref, Ben Gvir n’est ni le créateur ni la seule incarnation de la violence coloniale dans les territoires occupés. Pourtant, sa désignation à un poste ministériel de premier plan symbolise l’aboutissement d’un long processus qui a vu le kahanisme, en quarante ans, passer de sa position de paria dans la société israélienne à une légitimité agréée par la majorité de la classe politique.
Dans les années 1980, c’est le Likoud au pouvoir qui avait exclu Kahane du champ de la bienséance. Lorsqu’en 2005 Ariel Sharon, premier ministre, ordonna le retrait de l’armée de la bande de Gaza, Ben Gvir était au premier rang des hooligans qui assistèrent les colons dans leur résistance à l’évacuation. Peu après, Sharon était victime d’un AVC et sombrait dans un coma définitif. Ben Gvir organisa un barbecue pour fêter l’événement avec ses amis. Il y vit un « message divin à tous ceux qui veulent abandonner la terre d’Israël ». Fanatique déterminé, l’homme était encore totalement marginal.
COLONISATION ET RÉPRESSION ACCÉLÉRÉES
Aujourd’hui, comme l’indique le nom de son parti, Ben Gvir incarne la « puissance » à laquelle est parvenue sa faction qui, en un demi-siècle, a progressivement ancré la population israélienne dans l’adhésion très majoritaire à une idéologie d’apartheid, ou de « suprémacisme juif », comme l’appelle systématiquement B’Tselem. Le kahanisme est mort, mais son legs s’est instillé très amplement dans les esprits. Le soir des élections israéliennes, j’étais invité sur France 24 à commenter leurs résultats. Un de mes interlocuteurs, représentant du Likoud, expliqua que Ben Gvir n’était pas le personnage décrit par ses adversaires. C’est, dit-il, un « bon garçon, qui veut le bien d’Israël ». Le Likoud est toujours au pouvoir, mais c’est lui qui a changé, pas Ben Gvir. Ce dernier est juste parvenu à imposer sa légitimité.
Au poste qu’il occupera, Ben Gvir sera forcément membre du Cabinet de sécurité, la plus importante instance du gouvernement. D’ailleurs, peu s’en sont aperçus, mais le nom de son ministère a déjà changé. De tout temps, il a été celui de la « sécurité publique ». Il est devenu, pour Ben Gvir, le « ministère de la sécurité nationale », manière d’afficher qu’il aura plus d’importance que celui de ses prédécesseurs. L’influence de Ben Gvir dans la Jérusalem palestinienne sera prépondérante, comme elle le sera dans les villes et les bourgs dits « mixtes » où vivent (séparément) Juifs et Palestiniens et ceux habités par les seuls Palestiniens citoyens israéliens, qu’il soupçonne prioritairement de « déloyauté ». Mais il aura aussi une importance majeure dans les territoires palestiniens occupés, dès lors que Nétanyahou a accepté sa requête de détenir le contrôle sur la police des frontières, jusqu’ici soumise au ministère de la défense. Or celle-ci est particulièrement connue pour sa brutalité.
Parallèlement, le dirigeant de l’autre frange du sionisme religieux radical, Betzalel Smotrich, ayant compris qu’il n’obtiendrait pas le poste de ministre de la défense, revendique désormais celui des finances, exigeant de plus que l’administration civile de la Cisjordanie soit placée… sous son contrôle. Bref, jusqu’ici, Ben Gvir a obtenu l’essentiel de ce qu’il exigeait. Cela ne présage pas de son avenir politique sous Nétanyahou, mais cela renforce deux craintes : d’abord que les supporters de la mouvance Ben Gvir-Smotrich se sentent beaucoup plus libres de mener des actions brutales contre les Palestiniens et aussi contre les juifs israéliens anticolonialistes et leurs ONG ; ensuite que le premier ministre est prêt à beaucoup de concessions pour assurer sa survie politique et éviter la prison.
Dans Tablet, Armin Rosen évoque le programme satirique télévisé Un pays merveilleux, très suivi en Israël. Cinq semaines avant les récentes élections, celui-ci présentait une parodie de Ben Gvir sur la musique de « Springtime for Hitler », la chanson de la cultissime comédie de Mel Brooks Les producteurs. Ben Gvir en clown nazi grotesque.
Les participants au Festival de l'Inchad de solidarité avec le peuple palestinien ont été unanimes, samedi à Alger, à affirmer leur attachement à la mise en œuvre de la "Déclaration d'Alger" pour la réconciliation palestinienne, ainsi que l'attachement du peuple palestinien à recouvrer sont droit à l'établissement de son Etat indépendant.
Dans une allocution prononcée à la salle Ibn Khaldoun, dans le cadre de ce festival et dans le cadre de la célébration du 68e anniversaire du déclenchement de la Guerre de libération, le recteur de Djamaâ El-Djazaïr et président du forum Abou Médiène, Mohamed Maâmoun Al Kacimi Al Hoceini a précisé que ce festival intervient après la rencontre historique qui a réuni les différentes factions palestiniennes, et l'annonce de la signature de la Déclaration d'Alger pour la réconciliation palestinienne qui a couronné les efforts initiés par l'Algérie.
L'Algérie a voulu, lors du sommet arabe, donner une nouvelle impulsion à l'action arabe commune sur la base de facteurs d'unité, avec à leur tête la question palestinienne, "étant la question centrale majeure qui unit la Nation".
Dans une allocution prononcée à cette occasion, le Secrétaire général du Forum Abou Mediène, Mohamed Nawasa a mis en avant la position constante de l'Algérie à l'égard de la question palestinienne, rappelant que le président de la République, M. Abdelmadjid Tebboune avait souligné que l'Algérie ne participera pas au processus de normalisation avec l'entité sioniste.
De son côté, Oussama Hamden, dirigeant au Mouvement Hamas, a affirmé que "la résistance est la seule solution pour vaincre l'ennemi, en l'occurrence l'entité sioniste, et recouvrer nos droits".
Le chef de la délégation du Mouvement Hamas, Zaher Jabarin a également affirmé son attachement à la Déclaration d'Alger pour la réconciliation palestinienne, félicitant, par la même, le président, le gouvernement et le peuple algériens, pour la réussite du Sommet arabe d'unification des rangs", tenu les 1er et 2 novembre en cours.
Par ailleurs, le représentant du Front démocratique pour la libération de la Palestine (FDLP), Mohammad Al-Hamami est revenu sur les attaques quotidiennes et les viles pratiques dont est victime le peuple palestinien, citant notamment la profanation par l'entité sioniste des lieux saints en Palestine, notamment la mosquée al-Aqsa, indiquant que le peuple palestinien demeure attaché à la résistance.
Mohammad Al Hammami a remercié le Président Tebboune pour son soutien permanent à la cause et au peuple palestiniens ainsi que le peuple algérien qui "porte la Palestine dans son cœur", mettant en valeur la Déclaration d'Alger pour la réconciliation palestinienne.
Ont participé au Festival, le secrétaire général de la Coalition mondiale pour El Qods et la Palestine (GCQP), Munir Said, le directeur général du Fonds des wakfs d'El Qods, Tahar Dissi outre des érudits, des penseurs, des militants et des chercheurs.
La manifestation a vu également l'exécution des morceaux d'Inchad par la troupe "El Aqsa", outre la projection de vidéos montrant la signature de la Déclaration d'Alger par les factions palestiniennes ainsi que l'allocution du président de la République, Abdelmadjid Tebboune qui a qualifié l'évènement de "journée mémorable".
Du 16 au 18 septembre 1982, entre 800 et 3 500 réfugiés palestiniens sont massacrés dans les camps de Sabra et Chatila, à Beyrouth, par des milices chrétiennes libanaises, avec la complicité de l’armée israélienne. Quarante ans après, des rescapés racontent l’horreur qu’ils ont vécue.
Les images qui commencent à circuler dès le 18 septembre 1982 provoquent une grande émotion dans le monde (AFP)
« Ils ont tué mes gendres… l’un par balle, l’autre à l’arme blanche ! » Le cri de détresse teinté d’effroi retentit encore dans les oreilles de Zouhour Accaoui, 40 ans après.
« Quand cette femme a surgi dans la rue en hurlant, personne ne l’a crue », se souvient cette rescapée du massacre de Sabra et Chatila. « Nous entendions de sourdes explosions et des coups de feu sporadiques mais nous étions loin de penser qu’un carnage méthodique se déroulait, froidement, quelques ruelles plus loin. »
Aujourd’hui assistante sociale pour l’ONG Beit atfal al-Soumoud (la maison des enfants de la résistance), elle garde gravée dans la mémoire chaque minute des 40 heures d’enfer qu’elle a vécues avec la population de réfugiés palestiniens du quartier de Sabra et du camp de Chatila, dans le Sud de Beyrouth.
VIDÉO : Il y a 40 ans, les massacres, toujours impunis, de Sabra et Chatila
Dans la nuit du 16 au 17 septembre 1982, les tueurs se livrent à leur sordide besogne à la lueur des fusées éclairantes tirées par l’armée israélienne postée aux entrées des camps.
Le 18 à l’aube, une voix appelle en arabe par haut-parleur les habitants du quartier situé à la lisière de Sabra à se rassembler dans la rue.
« Ils sont entrés dans l’hôpital Gaza et ont poussé tout le monde dehors, y compris les membres du corps soignant, les blessés et les malades », raconte à Middle East Eye Zouhour Accaoui.
« Des hommes armés en uniforme vert olive avec l’insigne MP [Military Police] cousu à l’épaule et parlant arabe avec l’accent libanais étaient déployés en double haie. Nous étions plusieurs centaines de personnes. Après avoir séparé les hommes des femmes et des enfants, ils nous ont sommés de marcher vers le sud, en direction de la rue principale de Chatila. »
Des images insoutenables qui ont fait le tour du monde
Effrayée mais silencieuse, la foule est confrontée à l’horreur au bout de quelques dizaines de mètres. Des cadavres entassés les uns sur les autres, des corps désarticulés, des lambeaux de chair éparpillés, des femmes éventrées, des enfants la tête écrasée. La rue de Chatila n’est plus qu’un immense charnier pestilentiel.
« Ils invitaient les habitants à sortir de chez eux en leur promettant qu’aucun mal ne leur serait fait. Dans la rue, ils étaient massacrés à coups de hache ou de baïonnette », raconte à MEE Amina*, qui avait 10 ans à l’époque des faits. Elle a été sauvée par son père qui l’a cachée dans l’arrière-cour de leur maison, avant d’être abattu.
Zouhour Accaoui : « Ceux qui ont commis ce carnage ne pouvaient être des humains, ils ont tué tout ce qui respirait, y compris les animaux » (MEE/Paul Khalifeh)
« La tuerie s’est déroulée presque en silence, c’est pour cela que les survivants avaient du mal à convaincre les habitants des autres quartiers à l’intérieur et à l’extérieur des camps de l’horreur qui se déroulait quelques rues plus loin. »
« Ceux qui ont commis ce carnage ne pouvaient être des humains, ils ont tué tout ce qui respirait, y compris les animaux », affirme Zouhour Accaoui. « Ils savaient parfaitement qu’il n’y avait plus aucun combattant dans les camps après l’évacuation du dernier contingent de fedayin, le 25 août. »
Après l’invasion israélienne du Liban le 6 juin 1982 et le blocus de Beyrouth, l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) avait accepté d’évacuer de la capitale libanaise ses 15 000 combattants par voie navale. Les fedayin ont été dispersés dans les différents pays arabes et l’OLP a établi son siège à Tunis.
Les hommes emmenés vers une destination inconnue
Abou Mohammad se décrit comme un miraculé. Caché dans son échoppe dans la rue principale de Chatila, il était séparé des tueurs par un simple rideau de fer. « Pendant trois jours, j’ai été témoin de ce qu’aucun homme ne peut supporter », se souvient-il.
« Les supplications d’une femme qui se transforment en gargouillis après un coup de couteau dans la gorge, le bruit d’un crâne fracassé à coups de marteau, un coup de feu sec tiré à bout portant… J’ai tout entendu ! »
À plusieurs reprises, les tueurs sont tentés de défoncer le rideau de fer pour se servir dans l’épicerie. Ils ne passeront jamais à l’acte. Abou Mohammad reste recroquevillé pendant trois jours, affamé et assoiffé.
« Ils invitaient les habitants à sortir de chez eux en leur promettant qu’aucun mal ne leur serait fait. Dans la rue, ils étaient massacrés à coups de hache ou de baïonnette »
- Amina, rescapée
« Il me suffisait de tendre la main vers une étagère pour prendre une boîte de conserve ou une boisson. J’étais tellement terrorisé que je n’osais pas faire un geste », confie-t-il.
Chaque récit recueilli à Sabra et Chatila confirme et complète le précédent. La propension à aller dans les détails montre à quel point cet événement reste vivant dans l’esprit des habitants 40 ans après.
Chahira Abou Roudeina a perdu sept membres de sa famille dans le carnage, dont son père, son mari et des cousins. « Des hommes ont été conduits à la Cité sportive [située dans l’Ouest de Chatila] et d’autres ont été embarqués comme des moutons dans des camions et emmenés vers une destination inconnue. Beaucoup, séparés de leurs familles, n’ont jamais été revus », raconte-t-elle à MEE.
Lorsque les récits épouvantables commencent à s’ébruiter, les premiers journalistes, dont des Européens, parviennent à pénétrer à Chatila. Les tueurs sont contraints d’interrompre le massacre mais ils n’ont pas le temps d’effacer les traces de leur crime.
Jean-Marie Bourget et Marc Simon, sur place dès le 17 septembre, témoigneront de la barbarie qu’ils découvrent dans un ouvrage intitulé Sabra et Chatila, au cœur d’un massacre, publié en 2012, 30 ans après les faits.
Mais les images qui commencent à circuler dès le 18 septembre 1982 provoquent une grande émotion dans le monde.
Au Liban et en Israël, personne n’a jamais été jugé
Soumis à de fortes pressions, le gouvernement israélien consent à former une commission d’enquête dirigée par le président de la Cour suprême, Yitzhak Kahane.
Dans son rapport publié en février 1983, la commission conclut à la responsabilité directe des milices chrétiennes – Forces libanaises (FL), Phalanges libanaises (Kataëb) et milices du commandant dissident de l’armée libanaise Saad Haddad – et à la responsabilité indirecte d’Israël.
Le nom du ministre israélien de la Défense de l’époque, Ariel Sharon, sera associé de près au carnage par de nombreux journalistes et historiens. Le rapport Kahane jugera qu’il n’avait pas pris « les mesures appropriées » susceptibles d’éviter le massacre. Il démissionnera de son poste mais sera nommé, quelques jours plus tard, par le Premier ministre Menahem Begin, ministre sans portefeuille avec l’autorisation de participer aux réunions du cabinet restreint de sécurité.
Au Liban, aucune enquête sérieuse ne sera menée, surtout que le président de la République de l’époque, Amine Gemayel, frère du président Bachir Gemayel, assassiné le 14 septembre 1982 par un chrétien membre du PSNS (Parti social national syrien), était issu des rangs du parti des Phalanges, accusé d’avoir perpétré le massacre.
Chahira Abou Roudeina a témoigné deux fois devant un tribunal malaisien. Depuis, elle n’obtient plus de visa pour aller rendre visite à son fils en Europe (MEE/Paul Khalifeh)
Le rôle d’Ariel Sharon dans le carnage est de nouveau pointé par des enquêtes journalistiques au début des années 2000. Des dizaines de survivants et des proches des victimes déposent des plaintes contre le dirigeant israélien, devenu entre-temps Premier ministre. Au nom du principe de la justice universelle, des tribunaux belges acceptent d’instruire le dossier avant de se rétracter.
L’ancien chef des Forces libanaises, Elie Hobeika, se déclare prêt à témoigner. Il sera assassiné en janvier 2002 à Beyrouth dans des circonstances jamais élucidées.
En 2012, un chercheur américain de l’University College de Londres, Seth Anziska, souligne dans un article publié par le New York Times le rôle des États-Unis dans le massacre. Il écrit qu’à la suite d’une réunion le 17 septembre 1982 entre le diplomate américain Morris Draper et l’ambassadeur à Tel Aviv Sam Lewis, d’une part, Ariel Sharon et des chefs de l’armée israélienne de l’autre, « les Israéliens obtiennent des Américains le maintien des miliciens phalangistes dans les camps pour encore 48 heures ».
Après le départ des combattants palestiniens, une force multinationale composée de soldats américains, français et italiens, déployée pour superviser l’accord de cessez-le-feu conclu entre l’OLP et Israël sous l’égide des États-Unis, avait plié bagage le 11 septembre.
Les camps devaient être placés sous la protection de l’armée libanaise, mais au lendemain de l’assassinat de Bachir Gemayel, l’armée israélienne a occupé l’Ouest de Beyrouth, violant ainsi un engagement de ne pas entrer dans cette partie de la capitale. Le 15, les Israéliens, postés aux entrées des camps de Sabra et Chatila, ont laissé entrer des centaines de miliciens chrétiens venus perpétrer le massacre.
Ce que le massacre de Sabra et Chatila a changé en Israël
Plus récemment, en juin, un journaliste d’investigation israélien, Ronen Bergman, révèle dans le Yediot Aharonot que le massacre avait été planifié des semaines avant l’assassinat de Bachir Gemayel. Le journaliste affirme que lors d’une réunion le 11 juillet 1982, Ariel Sharon aurait exprimé son intention d’« anéantir la partie sud de Beyrouth ».
Se basant sur des archives du gouvernement israélien, Ronen Bergman évoque une « réunion secrète », le 19 septembre 1982, entre des dirigeants libanais chrétiens et des hauts gradés israéliens, dont le chef d’état-major de l’époque, Rafael Eitan. L’objectif de la réunion était d’« établir une version unifiée des faits pour la présenter à l’international » afin de contenir les réactions au massacre, en tentant d’atténuer l’impact de la publication d’images insoutenables de corps d’enfants et de femmes.
« Rafael Eitan ne se souciait pas du volet moral, affirme le journaliste, il craignait surtout que les forces israéliennes ne soient forcées de se retirer de Beyrouth. »
Malgré tout ce qui a été écrit et révélé, les milliers de morts et de survivants du massacre de Sabra et Chatila n’ont pas obtenu justice. Jamais personne n’a été condamné pour ce crime. Au Liban, une loi d’amnistie adoptée à la fin de la guerre civile (1975-1990) a tourné la page de toutes les atrocités commises pendant le conflit, y compris le massacre de Sabra et Chatila.
Mais depuis des années, des survivants et des proches des victimes continuent à se battre pour essayer d’obtenir justice.
« En 2012, j’ai témoigné à deux reprises devant un tribunal en Malaisie », déclare Chahira Abou Roudeina. « Depuis, j’ai juré de ne plus parler aux journalistes car après mon témoignage, on a refusé de me délivrer un visa pour aller rendre visite à mon fils dans un pays européen. »
* Le prénom de l’interlocutrice a été modifié à sa demande.
Paul Khalifeh
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BEYROUTH, Liban
Published date: Jeudi 15 septembre 2022 - 07:25 | Last update:1 week 6 days ago
En Israël, l’essor de l’ultranationalisme religieux
Longtemps marginales, les formations nationalistes religieuses influent de plus en plus sur les résultats électoraux. Leurs idées se diffusent dans la société grâce à un intense travail de sape idéologique. Au nom de la spécificité juive, Israël rejettera-t-il un jour l’universalisme et la démocratie ?
Les prochaines élections législatives israéliennes, qui auront lieu le 1er novembre, seront les cinquièmes en un peu plus de trois ans. Les sondages confirment la poussée de la droite nationaliste et de ses alliés des formations sionistes religieuses — surtout chez les 18-25 ans. Les projections donnent une large majorité de soixante et onze sièges sur cent vingt à la coalition dirigée par M. Benyamin Netanyahou. Au sein de celle-ci, les partis Sionisme religieux (Hatzionout Hadatit), de M. Bezalel Smotrich, et Force juive (Otzma Yehoudit), de M. Itamar Ben Gvir, obtiendraient au total onze à quatorze mandats. Cette évolution résulte, entre autres, de l’enracinement de l’idéologie nationaliste religieuse au sein d’une partie de la société israélienne. L’un des principaux promoteurs de ce courant n’est autre que l’Israélo-Américain Yoram Hazony, qui l’a disséminée au sein des ultradroites américaine et européennes. Adopté dès sa parution en septembre 2018 par les milieux conservateurs américains, son ouvrage, The Virtue of Nationalism, est devenu un best-seller, traduit dans une vingtaine de langues (1). Il avait décidé de l’écrire deux ans plus tôt, considérant que le nationalisme avait le vent en poupe après le vote du Brexit au Royaume-Uni et l’élection de M. Donald Trump aux États-Unis. Il est devenu une référence pour nombre d’ultranationalistes dans le monde et serait à l’origine de la « doctrine Trump » en politique étrangère (2). À Budapest, il a porte ouverte chez le président Viktor Orbán, qui le cite régulièrement.
Sa théorie contient la plupart des éléments du nationalisme intégral de Charles Maurras, l’antisémitisme en moins : rejet de l’universalisme, des idéaux des Lumières et des principes issus de la Révolution française ; le tout adapté à la période contemporaine. Selon lui, l’Union européenne se caractériserait par une forme d’impérialisme motivé par sa volonté de recréer le Saint Empire romain germanique. Quant à Adolf Hitler il n’était pas nationaliste, mais… impérialiste.
Quelques mois après la sortie du livre, souhaitant battre le fer pendant qu’il est chaud, Hazony fonde à Washington la Fondation Edmund Burke, qui a pour but de « renforcer le national-conservatisme en Occident et dans d’autres démocraties ». Homme d’État britannique, Burke était, en 1790, le grand critique de la Révolution française et de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le coprésident de cette organisation est M. David Brog, l’ex-directeur général de l’organisation américaine des Chrétiens unis pour Israël, qui compte dix millions d’adhérents.
En juin 2022, la Fondation Burke définit son idéologie en publiant un manifeste intitulé « National-conservatisme. Une déclaration de principes » (3). Le lecteur français y découvrira une forte odeur de pétainisme, mais avec, là aussi, l’absence de références antisémites. Dans le préambule, on peut lire : « Nous considérons que la tradition d’États-nations indépendants et autogouvernés représente le fondement nécessaire à une juste orientation publique vers le patriotisme, le courage, l’honneur, la loyauté, la religion, la sagesse et la famille, homme et femme, le shabbat, la raison et la justice. Nous sommes conservateurs, car nous considérons ces vertus comme essentielles au maintien de notre civilisation. » L’article 4, intitulé « Dieu et [la] religion publique », prévoit : « Là où existe une majorité chrétienne, la vie publique doit être enracinée dans le christianisme et sa vision morale honorée par l’État et les autres institutions publiques et privées. Les Juifs et les autres minorités doivent être protégées. »
Hazony a entamé son parcours religieux et idéologique à Princeton, alors qu’il préparait sa licence. Un soir de printemps 1984, le rabbin Meir Kahane est venu prendre la parole devant 250 étudiants juifs. Fondateur de la Ligue de défense juive (Jewish Defense League), condamné pour terrorisme aux États-Unis, emprisonné à plusieurs reprises en Israël pour avoir préparé des attaques contre des Palestiniens, l’orateur venait d’être élu à la Knesset sur une liste ouvertement raciste. Pour Hazony, ce fut une révélation : « Nous étions comme hypnotisés. (…) Rabbi Kahane était le seul dirigeant juif qui ait montré de l’intérêt envers nos vies, qui soit venu nous dire ce que nous devions faire. Il était le seul qui semblait comprendre combien nous voulions une bonne raison de rester juifs (4). » Hazony expliquera n’avoir jamais adopté la vision politique violente du kahanisme dont le fondateur fut assassiné en 1990. Il adoptera toutefois la théologie néomessianique que Kahane définissait ainsi : « N’oublions pas que nous sommes arrivés en terre d’Israël afin d’y établir un État juif et pas un État de style occidental. Les valeurs juives, pas d’éphémères valeurs occidentales, doivent nous guider. Ni le libéralisme, ni la démocratie, ni une soi-disant vision progressiste ne doivent déterminer ce qui est bon ou mauvais pour nous (5). »
Cinq ans après la rencontre de Princeton, à la tête d’un groupe de familles américaines, avec son épouse et leurs quatre enfants, il rejoint les fondateurs de la colonie Eli, dans le centre de la Cisjordanie occupée. Tout en travaillant à sa thèse de philosophie politique qu’il présentera en 1994, à l’université Rutgers dans le New Jersey, il rejoint la rédaction du Jerusalem Post, le grand quotidien israélien de langue anglaise, qui vient de virer à droite après son rachat par un groupe de presse canadien. David Bar-Ilan, le rédacteur en chef, apprécie la plume du jeune colon israélo-américain et le met en rapport avec M. Benyamin Netanyahou, le président du Likoud.
Critique du marxisme et de la gauche israélienne sioniste
Hazony participe à l’édition de A Place Among the Nations (« Une place parmi les nations »), le livre programme du futur premier ministre dont la version en hébreu paraît en 1995. On y devine déjà sa patte dans sa manière d’adapter l’histoire à ses théories. Par exemple, la version — très contestée par les historiens — selon laquelle ce ne seraient pas les Romains qui auraient expulsé les Juifs de Palestine après la révolte juive de Bar Kokhba, en 135 de l’ère chrétienne, mais les Arabes lors de la naissance de l’islam, en 636-637 (6). Autre exemple de l’influence de Hazony dans cet ouvrage, le passage où M. Netanyahou affirme que « la gauche israélienne souffrirait d’une maladie chronique qui affecterait le peuple juif depuis un siècle : le marxisme qui imprégnait les mouvements juifs de gauche, d’extrême gauche et communistes en Europe de l’Est » (7). Une affliction qui expliquerait pourquoi, après la guerre de juin 1967, des Israéliens de gauche auraient voulu restituer les territoires conquis.
Grâce au soutien financier d’Américains fortunés proches de M. Netanyahou, Hazony crée en 1994, à Jérusalem, le Centre Shalem, un think tank destiné à « répondre à la crise identitaire que subit le peuple juif ». Dans Nekouda, l’organe du mouvement de colonisation, il explique : « Mon but dans la vie, c’est de démontrer que la conception marxiste-sioniste a échoué en Israël. Plus personne n’y croit, et à présent, il nous faut combattre pour l’avenir de la pensée du peuple juif dans son ensemble et en Israël en particulier (8). »
Dans The Jewish State. The Struggle for Israel’s Soul (9), publié six années plus tard, Hazony dévoile et analyse ce qu’il considère être le grand complot contre la nature juive d’Israël. La conspiration remonterait aux années 1920 avec la création de l’Université hébraïque de Jérusalem par de grands intellectuels juifs, parmi lesquels Judah Leon Magnes, Juif américain, rabbin réformé, pacifiste et ennemi du nationalisme, ainsi que le philosophe Martin Buber, apôtre d’une entente avec les Arabes et partisan d’un État binational. Quant à Gershom Scholem, grand historien et philosophe, spécialiste de la mystique juive, il aurait commis le crime de conseiller aux dirigeants sionistes de neutraliser les éléments messianiques au sein de leur mouvement. Selon Hazony, cela retirait tout fondement juif aux revendications politiques sionistes. Plus récemment, Asa Kasher, professeur de philosophie de l’université de Tel-Aviv, se serait rendu coupable de défendre la nature démocratique d’Israël : « Un État juif, au plein sens du terme, est un État dont la nature sociale procède de l’identité juive des citoyens. Dans un État juif et démocratique, la nature de l’État n’est pas déterminée par la force mais par le libre choix des citoyens. » Et l’ancien colon d’Eli (il est désormais installé à Jérusalem) de s’offusquer : « Kasher affirme qu’un État “juif et démocratique” est un pays dans lequel les habitants sont juifs et l’État une démocratie universaliste. En d’autres termes, un État “juif et démocratique” est un État non juif ! » Selon cette logique opposée à l’universalisme, le principe démocratique contribuerait ainsi à déjudaïser Israël.
La liste des ennemis d’un Israël conforme aux vues de Hazony est longue. Les juges de la Cour suprême viennent en tête, avec M. Aharon Barak, responsable de la réforme constitutionnelle, et qui a défini ainsi les valeurs d’Israël en tant qu’État juif : « Ce sont ces valeurs universelles communes aux membres d’une société démocratique. » Les principaux écrivains israéliens n’échappent pas à la stigmatisation. Hazony les accuse de rejeter le concept même d’État juif. Parmi eux, Amos Oz, qui considère le nationalisme comme une malédiction de l’humanité, et A. B. Yehoshua, qui prêche pour la normalité d’Israël. Également ciblé, David Grossmann, qui « enseigne aux Israéliens que la faiblesse rend vertueux, et donc affaiblit la nation ».
Au sein de la Knesset, un « think tank » lobbyiste très influent
En raison de ses liens, aux États-Unis, avec les républicains et la droite juive, Hazony est un élément central de l’écosystème idéologique sioniste religieux qui s’est créé au fil des ans, composé de rabbins messianiques et d’organisations ultranationalistes. La Tikvah Fund, créée en 1998, en finance la plupart avec des fonds venus surtout de riches donateurs américains. Fondé en 2012, le Kohelet Policy Forum est le « think tank » sioniste religieux qui, selon le quotidien Haaretz, dirigerait discrètement la Knesset (10). Il parviendra, à force de lobbying, à faire adopter le 19 juillet 2018 la loi discriminatoire qui dispose : « L’État d’Israël est l’État-nation du peuple juif, qui y exerce son droit naturel, culturel, religieux et historique à l’autodétermination. La réalisation de ce droit à l’autodétermination nationale dans l’État d’Israël est réservée au seul peuple juif. (…) L’État considère le développement des localités juives comme une valeur nationale et agira pour encourager et promouvoir leur création et leur consolidation. » Vingt-quatre ans après la création du Centre Shalem, les idées de Hazony sont devenues la loi d’Israël.
Charles Enderlin
Journaliste.
(1) La version française (Les Vertus du nationalisme) est publiée par les éditions Jean-Cyrille Godefroy et préfacée par l’avocat Gilles-William Goldanel, qui considère Hazony comme un « esprit frère ».
(2) Michael Anton, « The Trump doctrine », Foreign Policy, Washington, DC, 20 avril 2019.
Pour la société palestinienne, le défi ne réside pas uniquement dans la capacité à faire face aux agressions israéliennes. Il consiste aussi à s’opposer à une Autorité palestinienne de plus en plus impopulaire, car incapable de juguler la crise économique et d’offrir des perspectives politiques claires.
Rehaf Al-Batniji, Gaza, 2018-2021.
Le 5 août, l’armée israélienne déclenchait l’offensive « Aube naissante » contre la bande de Gaza. Cette nouvelle attaque d’ampleur, la sixième depuis 2008, a provoqué la mort d’une cinquantaine de personnes et plongé la population dans le désarroi. Interrompue après la médiation de l’Égypte, l’opération a constitué un énième épisode de la somme d’épreuves que les Palestiniens endurent. Le déluge de feu que peut déclencher à tout moment Tel-Aviv contre les habitants de l’enclave — qui, en temps « normal », vit déjà dans une situation d’emmurement (1) — est particulièrement dévastateur. La guerre de 2008-2009 a ainsi coûté la vie à plus de 1 400 personnes et détruit plus d’un millier de maisons. Celle de 2012 a fait plus de 180 morts, un bilan funeste bien moindre que celui de la guerre de 2014 : 2 300 tués et d’importants dégâts matériels. Telles des répliques à un séisme meurtrier, les offensives de 2019 et de 2021 ont respectivement provoqué le décès de 34 et 230 personnes. Si la Cisjordanie est épargnée par ce type d’opération d’envergure, elle n’échappe pas aux raids quasi quotidiens de l’armée, des unités spéciales et des forces de sécurité israéliennes. Depuis la fin mars, une soixantaine de personnes y ont été tuées, dont Shirine Abou Akleh, la célèbre journaliste d’Al-Jazira, qui couvrait une intervention militaire à Jénine.
La « colonisation sauvage » bénéficie de l’indulgence de l’armée
La poursuite de la colonisation est un autre élément responsable du mal-vivre des Palestiniens. En Cisjordanie, où l’on compte près de 280 colonies — illégales au regard du droit international —, qui abritent près de 450 000 habitants (2) (contre 82 000 en 1990), elle se fait sentir constamment avec son lot d’entraves à la circulation, d’omniprésence de l’armée israélienne, de mesures ségrégatives, de punitions collectives, de captation de ressources hydrauliques au bénéfice des colons, de confiscation de terres, de destruction d’arbres notamment d’oliviers et de récoltes voire d’annexion de certaines parties de la vallée du Jourdain (Al-Ghor). Dans les zones sous contrôle israélien, construire une maison est impossible et expose au risque de la voir mise à terre. À cela s’ajoute la pression des colons qui tentent d’imposer de nouvelles implantations, fût-ce en violation de la loi israélienne (l’« officialisation » d’une colonie est soumise à l’agrément de Tel-Aviv). Le 20 juillet, un millier d’entre eux ont tenté de créer dix « avant-postes ». Une opération de « colonisation sauvage » destinée à se répéter, ses initiateurs bénéficiant de financements de particuliers américains et de l’indulgence des forces de sécurité israéliennes. Depuis le début de l’année, les heurts entre habitants des colonies et Palestiniens ont fait une centaine de blessés et deux morts chez ces derniers. À Jérusalem-Est, où vivent près de 250 000 colons, de nombreux quartiers à majorité palestinienne, dont ceux de Cheikh Jarrah et de Silwan, sont eux aussi dans la ligne de mire avec des installations de force, des expropriations ou des destructions de maisons. Plusieurs officiels palestiniens accusent le gouvernement de M. Yaïr Lapid, premier ministre par intérim depuis la chute du cabinet de M. Naftali Bennett en juin, d’accélérer les activités de colonisation à l’approche des élections législatives israéliennes du 1er novembre (3).
Un climat politique délétère qui entretient le clientélisme et la corruption
Cette persistance de la colonisation ne fait pas qu’aggraver le sentiment de précarité des Palestiniens — les procédures qu’ils engagent soit contre les violences des colons soit contre des expropriations décidées par les autorités ne débouchent que très rarement sur un jugement en leur faveur. La machine israélienne travaille de façon systématique, délibérée et planifiée à mettre fin au projet d’un État palestinien indépendant — fût-il des plus minuscules — en s’attribuant de grands pans de la Cisjordanie et en étendant sans cesse les colonies, ce qui sonne concrètement le glas du processus d’Oslo. Dans le même temps, l’illusion d’une souveraineté est entretenue, grâce notamment, aux donateurs qui financent vaille que vaille l’Autorité palestinienne.
Au-delà de cet expansionnisme qui viole le droit international (4), la société palestinienne doit composer avec ses propres fardeaux, dont une vie politique marquée par les divisions. Ni le Fatah, colonne vertébrale de l’Autorité palestinienne, qui dirige la Cisjordanie, ni le Hamas, au pouvoir à Gaza, n’ont de légitimité constitutionnelle, aucune élection présidentielle ou législative n’ayant été organisée depuis quinze ans. Cette glaciation du jeu démocratique alimente un climat délétère marqué par le clientélisme, la corruption mais aussi par la multiplication de luttes intestines au sein du mouvement national palestinien, dans un contexte d’incertitude autour de la future succession de M. Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité. Alors que la situation l’exige, notamment en raison des progrès de la normalisation des relations qu’entretient Israël avec quelques pays arabes, la « réconciliation » entre le Fatah et le Hamas n’est pas à l’ordre du jour, au grand dam d’une société qui souhaite l’union face à Israël.
À cela s’ajoute une situation économique préoccupante, affectée notamment par les conséquences de la pandémie de Covid-19 et par l’augmentation des cours mondiaux d’hydrocarbures et de produits alimentaires provoquée par la guerre en Ukraine. Selon les statistiques officielles, le taux de chômage atteint 40 % dans la bande de Gaza et plus de 26 % en Cisjordanie. Dans ce contexte, la société est minée par les inégalités. Si des hommes d’affaires et des « entrepreneurs » tirent leur épingle du jeu en investissant dans le secteur immobilier, pilier de l’économie, le reste de la population n’a pas d’autre issue que de s’endetter. Une alliance d’intérêts s’est ainsi développée entre les détenteurs de capitaux et des personnalités influentes de l’Autorité pour conforter un modèle consumériste où « vivre à crédit » constitue l’essentiel de la réponse aux difficultés économiques. Par ailleurs, la subordination de l’économie palestinienne à celle d’Israël contribue aussi à aggraver les inégalités de revenus et exacerbe les disparités économiques et sociales entre les salariés autorisés à travailler en Israël et ceux qui demeurent employés par des acteurs du marché intérieur. Le travail en Israël constitue ainsi le deuxième gisement d’emplois pour les habitants de la Cisjordanie après les postes au sein de l’Autorité palestinienne.
Les difficultés économiques ainsi que l’émergence d’une minorité affichant sa richesse de manière ostentatoire — avec en son sein des responsables de l’Autorité et leur entourage familial — sont à l’origine de l’apparition de divers mouvements protestataires. Depuis plus de dix ans, la société palestinienne connaît une agitation continue. Instituteurs, médecins, fonctionnaires, avocats ou magistrats ont tous manifesté leur mécontentement pour divers motifs socio-économiques mais aussi politiques (défense des libertés, protestations contre la brutalité et l’arbitraire des services de sécurité). En 2019, plusieurs milliers de salariés et de fonctionnaires, mais aussi des syndicalistes et des dirigeants de petites et moyennes entreprises, ont dénoncé une loi d’essence libérale prévoyant l’instauration d’une sécurité sociale privée (5). Face à l’importance du mécontentement, l’Autorité a gelé le texte.
Dans d’autres cas, les mobilisations sont d’ordre sociétal. La dernière décennie a ainsi été marquée par de nombreux mouvements de protestation de femmes contre les violences qu’elles subissent et la persistance de pratiques patriarcales. Si elle a pour socle la défiance marquée à l’égard de l’Autorité palestinienne et de son autoritarisme, la dynamique mobilisatrice de la société palestinienne inquiète Israël. Le 18 août, son armée procédait à la fermeture des bureaux de sept organisations de défense des droits humains après une perquisition nocturne de grande ampleur dans leurs locaux à Ramallah, « capitale » de la Cisjordanie et siège de l’Autorité. En octobre, six de ces organisations non gouvernementales (ONG) avaient été arbitrairement classées « terroristes » par Israël, une accusation que neuf pays européens, dont la France, n’ont pas validée, estimant que les preuves fournies par Tel-Aviv étaient insuffisantes. Pour nombre de Palestiniens, ce raid militaire illustre la volonté israélienne de museler une société palestinienne qui, tout en s’autonomisant vis-à-vis du régime de M. Abbas, incarne désormais les dynamiques de résistance et préfigure ce que pourraient être les modes de protestation à venir. À cet égard, la grève générale du 18 mai 2021, suivie massivement dans les territoires occupés mais aussi par des Palestiniens ayant la nationalité israélienne, démontre qu’une action collective transcendant la fragmentation coloniale et indépendante des autorités politiques est possible.
Abaher El Sakka
Professeur associé de sociologie à l’université de Birzeit, Ramallah (Cisjordanie).
Un an après la campagne d’arrestations massives menée par Israël, les protestations des citoyens palestiniens du pays contre la politique étatique font l’objet de mesures encore plus répressives.
La police avait annoncé que sous 48 heures, 500 personnes allaient être arrêtées. Au 10 juin, Israël avait arrêté plus de 2 150 personnes, dont 91 % étaient des citoyens palestiniens d’Israël. Les policiers, les unités spéciales, les gardes-frontières et la police secrète ont pris d’assaut les villes à prédominance arabe pour réprimer les manifestants palestiniens.
La plupart des juges passent outre les violences policières, les agressions contre les détenus, les violences physiques, les droits de l’enfant et même les arguments constitutionnels sur le droit des citoyens à manifester
Ils ont intentionnellement ciblé des mineurs lors d’arrestations violentes et arbitraires, les ont détenus et les ont soumis à des interrogatoires menés par des agents du Shin Bet (les renseignements intérieurs).
Face à ces arrestations massives, des centaines d’avocats palestiniens des territoires occupés en 1948 se sont organisés et se sont portés volontaires aux côtés d’organisations de défense des droits de l’homme et de comités populaires dans un effort coordonné pour défendre les détenus, leur fournir une aide juridique dans les commissariats et surveiller les atteintes flagrantes aux droits de l’homme commises par les forces de sécurité israéliennes.
Je faisais partie de l’un de ces groupes, appelé « Défenseuses des droits de l’homme des détenus ». Il n’a pas fallu longtemps avant que des campagnes de financement participatif ne soient organisées pour aider les détenus et leurs familles à couvrir leurs frais de justice.
Atteintes flagrantes aux droits de l’homme
Parmi les infractions israéliennes que nous avons découvertes, citons : la dispersion violente des manifestations et les arrestations arbitraires ; la confiscation des téléphones personnels ; l’agression de journalistes et de militants qui filmaient et documentaient des attaques ; l’enlèvement d’enfants par les équipes d’infiltration des forces spéciales ; l’usage excessif de la force lors d’arrestations et de transferts vers des centres de détention ; les conditions de détention inhumaines ; et le report du traitement médical d’urgence des détenus jusqu’à ce que leurs dépositions soient prises.
De nombreuses atteintes aux droits des détenus – en particulier des enfants – ont eu lieu dans les commissariats : recours à d’horribles violences physiques, menaces et violences psychologiques ; privation de droits fondamentaux tels que des conseils juridiques avant tout interrogatoire ; refus de mener les interrogatoires en arabe ; refus de la présence d’un parent ou tuteur pendant l’interrogatoire des enfants ; et interrogatoires très tardifs pour beaucoup d’entre eux, en violation de la loi.
Israël peut désormais déchoir les Palestiniens de 1948 de leur nationalité
La police tente en outre de contrecarrer le travail des équipes de défense de diverses manières. Dans de nombreux cas, la police bloque l’entrée du centre de détention pour empêcher les avocats de connaître le nom et le nombre de détenus.
D’autres tactiques consistent à refuser de transmettre aux avocats des informations pertinentes concernant leurs clients et à les empêcher de les conseiller.
Dans un commissariat de Nazareth, des officiers israéliens dirigeaient notoirement une « salle de torture », où les Palestiniens arrêtés, des manifestants aux passants et même aux avocats, étaient soumis à des violences physiques, verbales et psychologiques. À Umm al-Fahm, le commissariat a complètement fermé et cessé de répondre aux appels téléphoniques après l’insistance des avocats à invoquer les droits des détenus, en particulier ceux ayant besoin de soins médicaux.
La police israélienne a souvent pris des mesures punitives visant à épuiser les avocats, telles que retarder les interrogatoires jusqu’au petit matin ou les faire attendre de longues heures avant de rencontrer leurs clients, comme mes collègues et moi l’avons constaté dans un commissariat de Haïfa.
Souvent, la libération des détenus palestiniens était conditionnée au fait de s’engager à ne participer à aucune manifestation future. Beaucoup allaient être assignés à résidence pendant de longues périodes, tandis que d’autres allaient être expulsés de leur lieu de résidence ou d’étude. Des étudiants figuraient parmi les expulsés.
La plupart des juges passent outre les violences policières, les agressions contre les détenus, les effets horribles des violences physiques, les droits de l’enfant et même les arguments constitutionnels sur le droit des citoyens à manifester.
Les enfants pris pour cible
Il est évident que les procureurs israéliens visent intentionnellement de plus en plus les enfants palestiniens en déposant des appels contre leur libération et en les maintenant délibérément en détention malgré leur âge et leur situation.
Le soulèvement palestinien de 2021 a été accueilli par une politique de punition. Cette politique a été annoncée par le bureau du procureur de l’État dans ses déclarations et rapports périodiques, et a été réitérée à nouveau dans son rapport sur l’opération israélienne « Gardien des murs », qui résume les efforts déployés par l’État pour réprimer les manifestations de masse contre l’offensive israélienne sur Gaza de mai 2021.
Dans certains cas, le ministère public a fait appel avec succès, estimant que la peine était trop clémente et réclamant une peine plus sévère, que le juge a ensuite accordée.
Depuis avril 2021, le bureau du procureur de l’État d’Israël a déposé 397 actes d’accusation contre 616 accusés, parmi lesquels 545 Arabes dont 161 enfants. En d’autres termes, le pourcentage d’Arabes a atteint 88,5 %, les enfants représentant 26 % – un nombre très élevé qui relève de la punition collective.
Un « préambule d’ouverture unifié » a été préparé pour toutes les inculpations contre les accusés palestiniens. Le ministère public voulait donner un caractère général à toutes les accusations de manière collective et préventive. Il a également mis en place un quartier général de commandement spécial dans le but d’unifier la politique punitive, que le ministère public considérait comme étant « en mission nationale ». Et dans tous les dossiers, il a exigé l’arrestation jusqu’à la fin des procédures, qui ont duré de nombreux mois jusqu’à ce que le verdict soit rendu.
Le ministère public a adopté une politique et des critères stricts en refusant de libérer les détenus et en ciblant les enfants ; au lieu de chercher des alternatives à l’incarcération, il les a jugés comme des adultes et les a maintenus en détention. Sa politique s’est traduite par des chefs de mises en examen graves et l’adoption des dispositions relatives aux « actes terroristes », aux « antécédents racistes » et aux « crimes de haine », qui doublent les peines pour le même chef d’inculpation.
Des gardes-frontières israéliens patrouillent à Acre, une ville mixte du Nord-Ouest d’Israël, le 13 mai 2021 (AFP)
Sur les 397 mises en examen, 239 ont été considérées comme « aggravées » – 85 % d’entre elles ont été déposées contre des Arabes et 20 % contre des enfants –, exigeant une peine d’emprisonnement effective pendant des années. Des accusations de terrorisme ont été formulées contre 94 accusés, dont 90 % sont des Arabes ; 95 accusés ont été inculpés pour terrorisme sur la base de motivations racistes, dont 87 % étaient des Arabes.
Des accusations fondées sur des « motifs racistes » ont été formulées contre 50 accusés, dont 70 % sont des Arabes. Nous n’avons pas besoin d’une analyse plus approfondie des politiques discriminatoires dans la rédaction des mises en examen avant de procéder aux arrestations.
Jusqu’à présent, des verdicts ont été rendus dans 80 affaires, toutes passibles de peines de prison. Dans certains cas, le ministère public a fait appel avec succès, estimant que la peine était trop clémente et réclamant une peine plus sévère, que le juge a ensuite accordée.
En effet, le ministère public classe les citoyens arabes palestiniens comme des ennemis et a écrit dans son rapport : « Les Arabes ont commis des actes de sabotage et de violence contre les Juifs et leurs biens par rapport à un très petit nombre d’attaques de citoyens juifs contre les Arabes. »
C’est un renversement de la vérité car toutes les attaques contre les quartiers résidentiels ont été menées par des groupes juifs contre des quartiers arabes.
Rapport du contrôleur de l’État
Un rapport publié par le contrôleur de l’État le 27 juin 2022 confirme que les villes mixtes font partie de la scène publique israélienne et que ce qui s’y passe reflète les complexités de la société israélienne.
Le rapport aborde le soulèvement de mai 2021 et le décrit comme les événements qui se sont produits dans certaines de ces villes mixtes, notamment Haïfa, Acre, Lydda et Jaffa.
Il affirme que ces incidents, au cours desquels trois citoyens israéliens (dont deux citoyens palestiniens d’Israël) ont été tués, ont fait remonter à la surface les tensions existantes entre les différents groupes de population et ont souligné la nécessité de prendre des mesures aux niveaux public et local. Il souligne également l’importance d’examiner l’application de la loi dans ces villes.
Les pratiques racistes et violentes de la police israélienne sont au cœur de l’apartheid
Le rapport traite de « la faille dans les résultats de la police » à toutes les étapes, préparatoires et pendant la confrontation avec les incidents, et souligne que les incidents ont également montré une faiblesse et un déséquilibre dans le partage des rôles et des responsabilités entre la police et le Shin Bet, en raison de l’impréparation de la police face aux incidents.
En d’autres termes, il considère que la punition collective des citoyens palestiniens d’Israël lors de ces incidents est insuffisante et exige des mesures plus répressives de la part de la police et des peines de prison plus sévères imposées par les tribunaux.
Le rapport estime que la solution passe par les budgets municipaux. C’est comme si le remède à l’injustice historique et aux conséquences de la catastrophe palestinienne (Nakba), ainsi qu’aux lois discriminatoires racistes à leur encontre, était d’augmenter les budgets pour les Palestiniens dans ces villes palestiniennes historiques.
Plus d’un an après la campagne d’arrestations massives d’Israël, il est clair que l’État est déterminé à jouer l’escalade, faisant des citoyens palestiniens d’Israël un groupe démographique en danger.
Il n’est donc pas surprenant qu’alors qu’Israël attaquait à nouveau Gaza récemment, ses policiers et ses gardes-frontières, qui avaient doublé en nombre, ainsi que des gangs violents de droite étaient prêts à mener une campagne de répression contre les manifestants palestiniens.
- Janan Abdu est une avocate et militante des droits de l’homme basée à Haïfa. Elle cherche à sensibiliser et mobiliser un soutien international envers les prisonniers politiques palestiniens. Ses articles ont été publiés dans le Journal of Palestine Studies, le trimestriel du Centre d’études sur les femmes de l’Université de Birzeit, Al-Ra’ida (AUB), The Other Front (Centre d’information alternatif), Jadal (Mada al-Carmel). Parmi ses publications figure Palestinian Women and Feminist Organizations in 1948 Areas (Mada al-Carmel, 2008).
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Janan Abdu is a lawyer and human rights activist based in Haifa. She is active in raising awareness about and mobilizing international support for Palestinian political prisoners. Her articles have appeared in the Journal of Palestine Studies; the quarterly of the Women’s Studies Center at Birzeit University; al-Ra’ida (AUB); The Other Front (Alternative Information Center); Jadal (Mada al-Carmel). Her publications include Palestinian Women and Feminist Organizations in 1948 Areas (Mada al-Carmel, 2008).
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